jeudi 9 juin 2022

Rimbaud et Namouna, l'improbable relation...

Il y a peu, j'ai relancé l'idée qu'il fallait approfondir les efforts d'identification de la figure du corsaire évoqué dans le poème rimbaldien daté de juillet 1872 "Est-elle almée ?..." Je soutiens que l'hypothèse d'une référence au poème de Byron "Le Corsaire" est à prendre au sérieux. Et j'ajoutais que le texte original anglais du poème comportait une mention du nom rare "almée", ainsi qu'une tournure interrogative proche de l'amorce du poème de Rimbaud. Je soulignais d'autres idées plus ténues sur la mer et les fleurs.
Je profitais alors de ma récente acquisition d'une édition en Poésie Gallimard d'une anthologie de poèmes de Lord Byron intitulée Le Corsaire et autres poèmes orientaux. Il s'agit d'une édition bilingue. La traduction en français est récente, et il est vrai que pour la recherche littéraire il est comme d'habitude à souhaiter que nous ayons un meilleur accès aux traductions qui étaient faites au dix-neuvième siècle. J'aurais des demandes assez étendues en la matière : Mélodies irlandaises de Thomas Moore, Don Juan de Byron, etc., etc. Le recueil de cette édition bilingue s'ouvre par un poème qui n'est pas tout-à-fait oriental, une "Oraison vénitienne" (Ode on Venice). Nous avons ensuite trois poèmes dont les titres vous sont certainement connus : "Le Giaour" (The Giaour), "Mazeppa" et "Le Corsaire" (The Corsair).
Le titre "Mazeppa" est aussi celui d'un poème des Orientales de Victor Hugo, lequel s'est directement inspiré du poème de Lord Byron qu'il cite en épigraphe : "Away ! - Away ! -" ("En avant ! En avant !").
Le recueil de Victor Hugo évoque à plusieurs reprises la situation d'une Grèce sous occupation musulmane et il joue à plusieurs reprises sur le motif de jalousies mortelles dont les femmes de harems font les frais. En clair, ce célèbre recueil des Orientales qui a eu un très fort retentissement dans la littérature française à l'époque est en réalité inscrit dans une stricte filiation byronienne. Victor Hugo n'a pas inventé son sujet, il est parti de l'intérêt que lui avait procuré les poèmes orientaux de Lord Byron. On imagine à quel point au vingtième siècle le manque d'accès aux traductions de poèmes de Lord Byron est préjudiciable à la qualité de la recherche en histoire littéraire. Théophile Gautier sera un héritier de cette pratique du poème oriental à la suite des antécédents de Lord Byron et Victor Hugo.
On pourrait être tenté de minimiser l'idée d'une influence prépondérante de Lord Byron en citant un roman tel que Les Aventures du dernier Abencérage de Chateaubriand. Mais, si ce roman aurait déjà été composé en 1807, ce que je dois encore vérifier par moi-même, il n'a été publié qu'en 1826. Les poèmes "Le Giaour" et "Le Corsair" datent respectivement de 1813 et 1814. Le roman de Chateaubriand privilégie un cadre espagnol, alors que les poèmes de Lord Byron, qui incluent parfois des éléments vénitiens ("Le Giaour") correspondent plus volontiers à l'occupation ottomane de la Grèce et ils développent des éléments romanesques nettement repris par les romantiques français Hugo, Gautier et Musset. Peu importe que Lord Byron ne soit probablement pas le premier à privilégier un cadre oriental, l'important, c'est que les trois poèmes "Le Giaour", "Mazeppa" et "Le Corsaire" ont eu une influence décisive sur Victor Hugo. Cela ne s'arrête pas là. Lord Byron offre par ses choix un exemple de superposition assez frappant. La Grèce est le pays de la mythologie avec ses héros païens et ses dieux de l'Olympe, et l'exotisme grec est transformé en orient par au moins deux des trois poèmes en question. Intellectuellement, ce n'est pas un glissement inintéressant à observer. Il y a un jeu d'étrangeté très significatif qui s'inscrit en creux et qui en même temps éclaire le passage de poésies entretenant la veine classique de mythes grecs avec André Chénier au recueil des Orientales de Victor Hugo. L'influence de Lord Byron s'est exercée également sur Vigny qui créera le poème "Eloa" et sur Lamartine qui a publié une traduction en alexandrins du "Pélerinage de Childe Harold". Surtout, le second poème des Méditations poétiques, "L'Homme", est dédié à Lord Byron. Et Lamartine s'inspire de nombreux passages du poème "Le Giaour" notamment, et Musset, dans sa "Nuit de mai", s'inspire à la fois de ce poème de Lamartine et du poème "Le Giaour" de Lord Byron, tout particulièrement au plan de l'image de l'oiseau se sacrifiant pour ses petits. Baudelaire a conçu plusieurs poèmes des Fleurs du Mal à partir d'une reprise de vers variés des Méditations poétiques, et le poème "L'Homme" a encore une fois une part importante d'influence. Connaître les poésies de Lord Byron n'est décidément pas vain pour mieux apprécier Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, Gautier et Baudelaire.
J'aurai plein de passages à citer pour montrer les liens entre ces divers poètes. Le poème "Le Giaour" est une véritable mine. Il a en plus une esthétique lacunaire de composition négligée en fragments, ce qui correspond à une esthétique désinvolte bien connue de la part de Musset. Le poème "Le Corsaire" est pour sa part subdivisé en parties numérotées en chiffres romains. Mais laissons cela de côté.
Le sujet du jour, c'est le poème "Namouna" de Musset. Ce que j'ai dit précédemment sur Lord Byron m'a servi d'introduction, mais pourrait tourner à la digression. Entrons maintenant dans le vif du sujet.
En fait d'exotisme, Musset nous offre plus volontiers des poèmes sur l'Italie et l'Espagne. "Namouna" est la grande exception. C'est le poème qui s'inspire précisément d'un cadre oriental à la Byron. Le héros masculin est un français et il y a tout un problème de discours au second degré qui fait qu'il est carrément délicat de séparer ce qui se veut le vrai de ce qui est annoncé comme faux, mais ce serait un français ayant choisi de se faire renommer Hassan. Il s'agit précisément du nom du rival musulman du récit "Le Giaour", ce dernier étant un vénitien qui veut venger la défunte femme qu'il a aimée. En clair, le héros de "Namouna" s'inscrit dans une ambivalence où il est à la fois le "giaour" et Hassan, et cette ambivalence devient ambiguïté, puisque loin d'être absolument amoureux d'une femme unique comme le giaour le héros créé par Musset est un coureur de jupons qui ne reste pas plus de huit jours avec une conquête et lorsqu'il s'exile dans le monde musulman c'est pour continuer de profiter de manière sordide de jeunes femmes qui lui sont vendues. Le système d'ambivalence s'applique à l'énonciation du poème. Le poète ne cesse de dire que les idées sulfureuses de Hassan ne sont pas les siennes, ce qui jette inévitablement un doute. On comprend qu'il est bien un porte-parole non assumé ou non clairement avoué. Tout le persiflage du poème est éminemment retors, et Musset cite clairement Lord Byron à plusieurs reprises. Il indique qu'il vient de s'inspirer de Lord Byron, ce qui est exact puisque la stance antérieure contenait une allusion à un passage du Don Juan de Byron, mais dans l'ensemble du poème la référence à des passages de l'opéra de Mozart Don Giovanni prédomine, ce qui peut égarer le lecteur qui ne songera plus guère à la référence byronienne. Et Musset se sert de Don Juan pour en faire le marchepied d'un personnage plus sulfureux, puisque si Don Juan aimait quelque peu rien n'est aussi sûr dans le cas de Hassan, et si Don Juan cherchait par le défi la religion, Hassan était un tranquille incroyant. Lord Byron permettait à Lamartine de s'interroger avec une certaine force dramatique sur le Mal dans l'Homme et le caractère pardonnable de ce Mal sublime. Dans "Namouna", on a un Mal absolu qui fait tourner la réflexion à la pure cocasserie inutile, mais un Mal absolu non de méchanceté pénible mais de vacuité de l'âme.
Le poème "Namouna" se fonde sur une assertion selon laquelle tout est nu sauf l'hypocrisie. Le poème est composé de trois chants, et les chants sont eux-mêmes subdivisés en parties numérotés. Le motif de la nudité revient à différents endroits dans le poème, mais il correspond à son ouverture sur les sizains numérotés I à VII du chant premier. Et je prétends que la nudité du "jeune homme" au début du poème "Les Sœurs de charité" fait allusion à ce début du poème "Namouna", tout en y superposant des renvois à certains passages des Fleurs du Mal.

                        I

Le sofa sur lequel Hassan était couché
Etait dans son espèce une admirable chose.
Il était de peau d'ours, - mais d'un ours bien léché :
Moelleux comme une chatte, et frais comme une rose.
Hassan avait d'ailleurs une très noble pose,
Il était nu comme Eve à son premier péché.

                               II

Quoi ! tout nu ! dira-t-on - n'avait-il pas de honte ?
Nu, dès le second mot ! - Que sera-ce à la fin ? -
Monsieur, excusez-moi - je commence ce conte
Juste quand mon héros vient de sortir du bain.
Je demande pour lui l'indulgence, et j'y compte.
Hassan était donc nu, - mais nu comme la main -

                             III

Nu comme un plat d'argent, - nu comme un mur d'église,
Nu comme le discours d'un académicien.
Ma lectrice rougit, et je la scandalise.
Mais comment se fait-il, madame, que l'on dise
Que vous avez la jambe et la poitrine bien ?
Comment le dirait-on, si l'on n'en savait rien ?

                            IV

Madame allèguera qu'elle monte en berline ;
Qu'elle a passé les ponts quand il faisait du vent ;
Que, lorsqu'on voit le pied, la jambe se devine ;
Et tout le monde sait qu'elle a le pied charmant.
Mais moi qui ne suis pas du monde, j'imagine
Qu'elle aura trop aimé quelque indiscret amant.

                               V

Et quel crime est-ce donc de se mettre à son aise,
Quand on est tendrement aimée, - et qu'il fait chaud ?
On est si bien tout nu dans une large chaise !
Croyez-m'en, belle dame, et, ne vous en déplaise,
Si vous m'apparteniez, vous y seriez bientôt.
Vous en crieriez sans doute un peu, - mais pas bien haut.

                              VI

Dans un objet aimé qu'est-ce donc que l'on aime ?
Est-ce du taffetas ou du papier gommé ?
Est-ce un bracelet d'or, un peigne parfumé ?
Non - ce qu'on aime en vous, madame, c'est vous-même.
La parure est une arme, et le bonheur suprême,
Après qu'on a vaincu, c'est d'avoir désarmé.

                            VII

Tout est nu sur la terre, hormis l'hypocrisie ;
Tout est nu dans les cieux, tout est nu dans la vie,
Les tombeaux, les enfants et les divinités.
Tous les cœurs vraiment beaux laissent voir leurs beautés.
Ainsi donc le héros de cette comédie
Restera nu, madame, - et vous y consentez.

                              VIII

Un silence parfait règne dans cette histoire.
Sur les bras du jeune homme et sur ses pieds d'ivoire
La naïade aux yeux verts pleurait en le quittant.
On entendait à peine au fond de la baignoire
Glisser l'eau fugitive, et d'instant en instant
Les robinets d'airain chanter en s'égouttant.
Hassan est alors décrit comme quelqu'un qui aime le sommeil et entre dans sa chambre. Plus loin dans le poème, il aura plus de mal à s'endormir. Il est aussi envisagé hypothétiquement comme "un homme à caractère", mais n'ayant pas besoin de le montrer.
Il va de soi que sur cette revendication de la nudité première Rimbaud, l'auteur de "Credo in unam", a d'autres modèles, par exemple : "J'aime le souvenir de ces époques nues..." de Baudelaire. Malgré tout, il est difficile de ne pas rapprocher la revendication de Musset dans un cadre orientalisant de celle de Rimbaud avec génie persan à la clef :

Le jeune homme dont l'œil est brillant, la peau brune,
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune
Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu,

Impétueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers entêtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales
Qui se retournent sur des lits de diamants ;

Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde,
Tressaille dans son cœur largement irrité,
Et plein de la blessure éternelle et profonde,
Se prend à désirer sa sœur de charité.

[...]
Au second vers du second sizain de "Namouna", le poète mimait l'indignation avec cet hémistiche : "Nu, dès le second mot !" En réalité, la première occurrence du mot "nu" se faisait au troisième mot du sixième vers. Cependant, le mot est ensuite abondamment repris, jusqu'à l'anaphore en attaque de certains vers. Dans le cas du poème rimbaldien, le mot "nu" est à la rime du deuxième vers, tandis que le vers 3 fait entendre de lourdes équivoques qu'un public rétif n'appellera pas de la très haute poésie : "Qu'eût" faisant entendre "cul" en attaque de vers 3 immédiatement après la mention "nu" et puis autre équivoque d'un être adoré sous la lune, la lune pouvant désigner une partie charnue du corps humain.
Qu'on apprécie ou pas ces équivoques potentiels, le discours est clairement tenu du devoir d'aller nu.
La première caractéristique du personnage décrit par Rimbaud est d'avoir "l'œil brillant". Musset répète à plusieurs reprises que les "yeux" sont la principale beauté de son personnage nu.
On peut citer le sizain IX du Chant Premier en écho aux deux premiers quatrains des "Sœurs de charité" : "peau brune" contre "visage olivâtre" et "corps d'albâtre", "douceurs... noires" contre "sourcils très noirs", et puis "indolent", "très opiniâtre", "Bien cambré", "l'aspect fier et nerveux" contre "Impétueux", "fier de ses premiers entêtements".
                        IX

Il était indolent, et très opiniâtre ;
Bien cambré, bien lavé, le visage olivâtre,
Des mains de patricien, - l'aspect fier et nerveux.
La barbe et les sourcils très noirs, - un corps d'albâtre.
Ce qu'il avait de beau surtout, c'étaient les yeux.
[...]

En revanche, il y a une opposition entre la frivolité dédaigneuse de Hassan et le retour à un modèle romantique de Giaour du personnage rimbaldien songeant à chercher la "sœur de charité". Cette opposition est précisément au cœur du poème "Namouna" dans la confrontation avec le modèle de Don Juan. Je cite la fin déjà évoquée plus haut du deuxième chant, mais avant je précise le déroulement antérieur du poème. Musset évoque les conquêtes de Don Juan, ce qui peut être mis en parallèle avec les images de la femme dans le poème "Les Sœurs de charité". Selon Musset, tout le monde cite Don Juan sans vraiment le comprendre. Par alliance de mots, Don Juan est défini comme un "candide corrupteur" et l'étalage de ses trois mille conquêtes est considéré comme une "liste d'amour si remplie et si vide". Chacun de ces nombreux noms a arraché des pleurs au séducteur. L'infidèle les aimait à sa façon, car il était un foyer brûlant d'amour, toujours selon la thèse peu orthodoxe de Musset en ce poème, et il cherchait l'idéal. Derrière cette "hécatombe humaine" de femmes abandonnées, il y aurait un homme "Prenant pour fiancée un rêve", un "Prêtre désespéré" cherchant son Dieu. Et les gens se demandant non pas quel "Génie inconnu" pourrait l'apaiser, mais quelle "femme inconnue". La femme est rejetée comme jamais d'une parfaite beauté dans "Les Sœurs de charité", et les gens font mine de poser la question suivante en pensée à Don Juan s'il n'est pas une femme assez noble, assez belle pour lui parmi tant de beautés, une femme répondant enfin à son "vague idéal". Et nous pourrions songer à "Conte" en citant tel vers : "Toutes lui ressemblaient ; ce n'était jamais elle[.]" Don Juan ne maudissant pas l'humanité stupide poursuivait sa quête et suçait "Les mamelles d'airain de la Réalité". Don Juan ne méprisait aucune possession, "vierge", "paysanne", "courtisane", et nous retrouvons l'image du diamant avec cette image : "Mineur, qui dans un puits cherchait un diamant." Malheureusement, le séducteur retrouvait partout la "vérité hideuse" et quoi qu'encore plein d'espoir il finit par mourir au milieu de sa "route infinie". Et cette marche à la mort se fait selon une amplification visuelle qui n'est pas sans comparaison possible avec la fin du poème de Rimbaud :

[...]
Plus vaste que le ciel et plus grand que la vie,
Tu perdis ta beauté, ta gloire et ton génie,
Pour un être impossible, et qui n'existait pas.

Et suivent alors ces deux dernières stances que je vais citer ensemble, puisque même si c'est principalement la stance LV que je veux mentionner j'ai besoin de lui adjoindre la stance LIV pour faciliter votre lecture.

                         LIV

Et le jour que parut le convive de pierre,
Tu vins à sa rencontre, et lui tendis la main ;
Tu tombas foudroyé sur ton dernier festin :
Symbole merveilleux de l'homme sur la terre,
Cherchant de ta main gauche à soulever ton verre,
Abandonnant ta droite à celle du Destin !

                        LV

Maintenant, c'est à toi, lecteur, de reconnaître
Dans quel gouffre sans fond peut descendre ici-bas
Le rêveur insensé qui voudrait d'un tel maître.
Je ne dirai qu'un mot, et tu le comprendras :
Ce que don Juan aimait, Hassan l'aimait peut-être ;
Ce que don Juan cherchait, Hassan n'y croyait pas.
Le poème se poursuit avec un troisième chant, mais je viens de citer la partie nettement conclusive de la fin du second chant, et vous pouvez apprécier la présence insistante du verbe "chercher" sous différentes formes.
Vous remarquerez également que certains passages peuvent entrer en résonance également avec les poèmes rimbaldiens de l'année 1870. Je ne voudrais pas me contenter du mot "chaise" en prétexte à un rapprochement avec "Comédie en trois baisers", mais le passage sur le pied qui fait deviner le reste de la jambe entre magnifiquement en résonance avec un passage du poème "A la Musique" :
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J'ai bientôt déniché la bottine, le bas...
- Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
[...]
Le fait de se mettre à l'aise, nous le retrouvons sur un autre plan dans les sonnets "Au Cabaret-Vert" et surtout "La Maline" ("à mon aise", "pour m'aiser"), deux créations contemporaines du sonnet "Ma Bohême" qui revendique lui aussi la fierté d'aller nu. Rappelons que le poème "Credo in unam" s'inspire de "Rolla", avec une réécriture patente du premier vers du poème de Musset : "Regrettez-vous le temps..." qui reçoit sa réponse : "Je regrette les temps..." L'influence de Musset sur "Credo in unam" serait inévitablement à approfondir, mais "Namouna" est un poème dont la conception est très proche de celle de "Rolla" et si les poèmes n'appartiennent pas aux mêmes sections des recueils de Musset, ils tendent à être rapprochés l'un de l'autre. Comme on peut le vérifier dans l'édition de référence de Frank Lestringant au Livre de poche des Poésies complètes de Musset, "Namouna" est le poème conclusif de la deuxième partie "Un spectacle dans un fauteuil" et "Rolla" le poème qui ouvre la troisième partie "Poésies nouvelles". Il existe d'autres distributions en recueils des poèmes de Musset, mais ces deux pièces ne sont jamais éloignées l'une de l'autre me semble-t-il. Or, puisque "Rolla" est une des sources les plus évidentes à la composition de "Credo in unam", il n'est pas anodin de rapprocher les vers suivants de Rimbaud d'autres de "Namouna" :
Je crois en Toi ! je crois en Toi ! Divine mère !
Aphroditè marine ! - Oh ! la vie est amère,
Depuis qu'un autre dieu nous attelle à sa croix !
[...]

Dans le poème de l'incroyant Hassan, nous lisons tes vers au chant troisième :
[...]
Avant de lire un livre, et de dire : "J'y crois !"
Analysez la plaie, et fourrez-y les doigts ;
Il faudra de tout temps que l'incrédule y fouille,
Pour savoir si son Christ est monté sur la croix.
Pour l'instant, le lecteur peut avoir le sentiment qu'en-dehors du cas de "Rolla", les rapprochements entre des passages de Musset et des vers rimbaldiens de 1870 sont plus suggestifs qu'assurés. Rimbaud étant à l'évidence imprégné de la lecture de Musset à l'époque, les rapprochements ne sauraient cessés d'être pertinents, ils suffisent qu'ils illustrent un unisson érotique rebelle au christianisme, sachant que dans "Credo in unam" Rimbaud déclare une foi à Vénus ce qui l'oppose déjà à Hassan qui lui ne croit à rien. Mais, dans le cas des "Sœurs de charité", vu que les réécritures ne sont pas ostentatoires, pour les discréditer, notre lecteur pourrait vouloir recourir à l'argument suivant : le poème "Les Sœurs de charité" est daté de juin 1871, il vient après la répudiation du "quatorze fois exécrable" romantique fustigé dans la lettre du 15 mai 1871 envoyée à Demeny. Et c'est peut-être une belle erreur de se servir de ce prétexte pour s'interdire tout rapprochement ultérieur avec Musset. Rappelons que dans la célèbre lettre du voyant Rimbaud cite précisément le poème "Namouna" ce qui signifie qu'il l'a suffisamment à l'esprit pour oser ainsi l'évaluer :
[...] Ô ! les contes et les proverbes fadasses ! Ô les nuits ! Ô Rolla, ô Namouna, ô la Coupe ! Tout est français, c'est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! [...] Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour ! [...]
Je ne vais pas m'arrêter ici sur l'injustice du jugement rimbaldien, ni même sur son côté paradoxal puisque dans "Namouna" Musset prétend indigner par un propos sulfureux qui dénoncerait l'hypocrisie. Mais si Rimbaud réagit aussi vivement à la lecture de Musset, cela peut déjà inviter à méditer sur une influence subie. Pourquoi ne pas lire la production ultérieure de Rimbaud en cherchant à cerner ses réactions fussent-elles d'hostilité à la poésie de Musset ? Ce rejet complet est-il par ailleurs complètement sincère ? Et puis, le poème "Les Sœurs de charité" n'aurait-il pas été l'occasion pour Rimbaud pour dire autrement que par de la prose de colère ce qu'il pensait devoir faire en poésie en partant de l'exemple de Musset considéré comme un échec ?
Il y a plusieurs indices qui montrent que la production de Rimbaud de mai à au moins juillet 1871 a continué de se préoccuper du modèle littéraire qu'était l'auteur de Lorenzaccio. En développant l'idée d'un poète en quête d'un idéal s'incarnant dans une femme, le poème "Les Sœurs de charité" s'attaque à un thème dont plusieurs prédécesseurs poètes sont des représentants, et notamment Musset. Et la Femme devenue Passion est métaphorisée en "Nuit" au sixième des dix quatrains du poème, ce qui peut inviter à songer à l'ensemble des "Nuits" de Musset, ensemble lui aussi énuméré par Rimbaud dans sa répudiation du 15 mai 1871. Il faut déjà l'affirmer, il n'y a rien de vain à lire "Les Sœurs de charité" comme le développement d'une pensée rimbaldienne nourrie de la lecture de Baudelaire et de Musset, l'un étant adulé à l'époque, l'autre étant méprisé. Mais "Namouna" a une résonance qui va plus loin encore. Il s'agit d'un poème en sizains sur deux rimes, mais sans distribution symétrique permettant de parler de strophes au sens strict. Banville sera influencé par cette manière de composition de la part de Musset. Mais, à cette époque, de mai à juillet 1871, Rimbaud pratique un quintil sur deux rimes d'origine baudelairienne avec "Accroupissements", "L'Homme juste" et le fragment "Vous avez / Menti sur mon fémur..." Pour ce qui est de ce fragment, l'enjambement d'un vers sur l'autre de la construction verbale est étonnante. Musset n'a pas accompli une telle audace métrique dans le chant premier "Namouna", mais je trouve étonnant que la structure de Rimbaud "Vous avez / Menti" résonne aussi bien avec tel passage à la rime chez Musset :
                                 XXIV

Si d'un coup de pinceau je vous avais bâti
Quelque ville aux toits bleus, quelque blanche mosquée,
Quelque tirade en vers, d'or et d'argent plaquée,
Quelque description de minarets flanquée,
Avec l'horizon rouge et le ciel assorti,
M'auriez-vous répondu : "Vous en avez menti ?"
Musset épingle ici l'artifice de la couleur locale par les mots les plus directs dans les Orientales. Mais ce qui retient mon attention, c'est l'oralité qui passe de ce vers de Musset au fragment rimbaldien. Le poème "Namouna" est connu également pour un remarquable hiatus.
Le hiatus surgit à l'avant-dernier vers de la stance LX du chant deuxième et il est placé précisément avant la rime. Mais il convient de citer dans la foulée la stance LXI, puisque le poète fait retour sur sa création et la commente. La personne tutoyée est la Manon de l'abbé Prévost :
LX

Tu m'amuses autant que Tiberge m'ennuie.
Comme je crois en toi ! que je t'aime et te hais !
Quelle perversité ! quelle ardeur inouïe
Pour l'or et le plaisir ! Comme toute la vie
Est dans tes moindres mots ! Ah ! folle que tu es,
Comme je t'aimerais demain, si tu vivais !

LXI

En vérité, lecteur, je crois que je radote.
Si tout ce que je dis vient à propos de botte,
Comment goûteras-tu ce que je dis de bon ?
J'ai fait un hiatus indigne de pardon ;
Je compte là-dessus rédiger une note.
J'en suis donc à te dire... Où diable en suis-je donc ?
Le hiatus en question se love évidemment dans la formule qui sent son oralité : "folle que tu es", le "u" de "tu" et le "e" de la forme conjuguée du verbe être ne sont séparés par aucune consonne, ni par un "h", ni par un "e". Ce hiatus est en plus familier vu qu'il se fait sur des mots d'un usage plus que courant "tu" et "es". Il va de soi que cela fait quelques siècles qu'il ne se rencontre plus de hiatus en poésie. Les derniers datent de la fin du XVIe siècle, à moins d'en rencontrer au prix de bien des recherches pénibles au début du XVIIe siècle. Et des configurations de hiatus, il peut y en avoir un nombre élevé, cela ne saurait se limiter à la succession de "tu" et "es" bien évidemment.
Le hiatus de Musset relève d'une stratégie d'écriture, il est commenté et devient une provocation volontaire. Le poème "Namouna" pratique une mise en abîme à la manière des contes de Diderot et à la manière de son roman Jacques le fataliste et son maître. On peut penser aussi au poème liminaire des Amours jaunes composé par Tristan Corbière quelques décennies plus tard. Mais ce jeu de mise en abîme de la part de Musset s'accompagne de fautes dans la composition. Ici, il épingle un hiatus. Plus loin, il va se reprocher un "barbarisme", à savoir l'emploi d'un mot non reconnu par les dictionnaires : "mahométanisme" au lieu de "mahométisme", mais j'y reviendrai dans la suite de cette étude. Et Musset, tout comme Diderot, digresse, se demande s'il va arriver à la fin de son histoire, envisage de l'abandonner et finit dans le chant troisième par donner un récit expéditif de ce qu'il a trop tardé à raconter, de ce qu'il nous a trop longtemps fait attendre. Et tout cela s'accompagne de considérations persifleuses sur l'art littéraire avec cette idée notamment que quelqu'un qui écrit répète toujours ce qui a été écrit avant lui. Musset assimile l'écrivain explicitement à un planteur de choux qui imite la façon de faire de ses prédécesseurs. Encore une fois, "Namouna" est l'exemple parfait de ce que dénonce Rimbaud dans sa lettre à Demeny. Musset a une absence de visions, du moins si on prend au premier degré le discours qu'il tient dans "Namouna". Si on lit les raisonnements au premier degré de "Namouna", ils s'opposent terme à terme à l'ambition du poète qui veut être voyant et créer de l'inconnu. Et pourtant, c'est ce hiatus provocateur contenu dans "Namouna" que Rimbaud va très précisément reprendre dans le poème "L'Homme juste" qui, daté de juillet 1871 sur manuscrit, est donc une invention d'un mois et demi à deux mois et demi postérieure à l'envoi de la lettre à Demeny du 15 mai 1871. Un  mois et demi si c'est une composition du début de juillet, deux mois et demi d'écart si c'est une composition de la fin de ce même mois. Je cite le quintil rimbaldien dont je rappelle que sous influence baudelairienne il est sur deux rimes :
"[...]

"Et c'est toi l'œil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes
Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,
Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !
Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût !
Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes."
Hugo est visé dans ce poème et il est normal d'identifier des sources dans les recueils du grand romantique revenu d'exil, mais entre "folle que tu es" et "Tu es lâche", il n'y a pas l'ombre d'un doute, Rimbaud cite précisément le hiatus qu'il a lu dans "Namouna". Ce titre est cité avec désinvolture au pluriel dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871, ce poème "Namouna" j'ai souligné qu'il était une source probable au poème "Les Sœurs de charité" du suivant mois de juin, et pas seulement à cause de la fière nudité à afficher. La nudité à afficher fièrement était un thème du poème "Credo in unam" où j'ai souligné un autre rapprochement troublant avec "Namouna", sachant que les reprises à "Rolla" sont réputées relever de l'évidence dans le cas de ce poème rimbaldien de 1870. Voilà qu'en juillet 1871 Rimbaud reprend le hiatus précis de Musset à partir de la succession du pronom personnel sujet "tu" et de la forme conjuguée "es" du verbe "être". Après le poème étendard de mai 1870, Rimbaud montre sur trois mois consécutifs de l'année 1871 qu'il continue de s'intéresser à la lecture de Musset, et en particulier aux vers de "Namouna". Et ceci étant désormais difficile à contester, il se trouve que dans une autre composition datée de juillet 1871, "Les Premières communions", nous pouvons soupçonner à nouveau l'influence de "Namouna". Le poème "Les Premières communions" a certaines irrégularités strophiques. Il passe notamment de la succession de sizains à la succession de quatrains. Il va de soi qu'une analyse permet de justifier ces variations de formes qui ont été assumées par le poète, et on peut renvoyer aux articles de Benoît de Cornulier sur le sujet. Mais intéressons-nous aux sizains sur deux rimes. "Namouna" est précisément un poème en sizains sur deux rimes, sauf que Musset ne suit pas un schéma préétabli. Dans le cas des "Premières communions", Rimbaud suit un modèle d'alternance élémentaire ABABAB. Ce modèle est appliqué aux six premiers sizains. En revanche, le septième sizain est irrégulier et j'ai envie de dire "à la Musset", puisqu'il subit une petite corruption en ABAABB. Il faudrait intervertir les rimes pour l'antépénultième et le pénultième vers. La corruption permet de prendre en faute un Curé en train de céder à la tentation de danser le french cancan, il a le "mollet marquant" dans une rime finale de sizain en "-quant". Le mot "danses" anticipe en étant lui-même à la rime au sein du même sizain. Ces sept sizains forment la partie numérotée I du poème. Un sizain isolé forme la partie numérotée II avant que nous ne passions à une succession exclusive de quatrains ABAB des parties III à IX de ce poème un peu particulier dans sa composition. Cependant, le sizain isolé en partie II, le huitième du poème donc, reprend le principe de l'alternance ABABAB. En revanche, il est connu pour sa reprise du mot "catéchistes" à la rime. Cela n'est guère innocent, puisque la corruption pour la rime en "quant" se fondait sur la mention "marquant" dans "mollet marquant" et cette fois la reprise du nom "Catéchistes" est poussée par la forme participiale "marquant" : "le marquant parmi les Catéchistes". J'observe que dans "Namouna" nous avons au chant premier stance XLIV une rime "catéchisme", "sophisme", "paroxysme" avec le mot "catéchisme" en fin du premier vers de la stance. Puis, toujours au chant premier, à la stance LXXIII, nous avons une rime "mahométanisme", "christianisme" et "barbarisme", en sachant que le barbarisme dénoncé est le mot "mahométanisme". Cette forme semble avoir eu quelques occurrences au dix-huitième siècle, notamment sous la plume de Voltaire, mais elle n'est pas reconnue par les dictionnaires. La forme correcte est mahométisme. On peut évidemment apprécier la mise en tension entre "mahométanisme" et "christianisme" qui aggrave l'impression de "barbarisme" en quelque sorte. Notons également qu'à proximité de la mention "catéchisme" à la rime dans la stance XLIV nous rencontrons une mention "communié" au dernier vers de la stance XLVI liée à une ivresse, le mot "danse" étant lui-même à la rime dans la stance suivante XLVII :
XLVI
Mais à cette bizarre et ridicule ivresse
Succédait d'ordinaire un tel enchantement
[...]
Il eût communié dans un pareil moment.

[...]
Tous les épanchements du monde entraient en danse,
[...]

Il va falloir se faire à l'idée d'un nouveau sujet d'enquête. Le poème "Les premières communions" ne s'inspire-t-il pas du récit d'incroyant de "Namouna", mais en passant du personnage insouciant, sans remords, à la fille torturée par le conflit entre ses attentes et son éducation ? La réponse me semble devoir être "oui", imparablement.
Enfin, je me permets de livrer en bonus cette considération spéciale. Il est clair que les quintils sur deux rimes de "Accroupissements", "L'Homme juste" et du fragment "Vous avez / Menti..." s'inspire des poèmes en quintils baudelairiens qui sont les seuls à pouvoir avoir servi de modèle, à ceci près que la quasi-totalité des quintils baudelairiens sont en fait de faux-quintils et plus précisément des quatrains avec répétition du premier vers.
Pour précision, un quintil ne peut pas être sur trois rimes, il est nécessairement sur deux rimes, mais la forme canonique des quintils est d'associer un distique à un tercet, soit AABAB soit ABAAB. Baudelaire corrompt le modèle du quintil à partir de quatrains de rimes embrassées ou croisées allongées d'une reprise du premier vers : ABABA, modèle nettement repris par Rimbaud, ou modèle ABBAA. Notons tout de même que Baudelaire ne s'est pas tout le temps tenu à un faux-quintil, il existe des quintils baudelairiens où le cinquième vers n'est pas une répétition du premier, même s'il en reconduit la rime. Mais, peu importe, le modèle baudelairien est indéniable. Dans le cas de "Accroupissements", il faut y ajouter les allusions appuyées à la manière de Baudelaire de faire se suivre quantité de comparaisons et ces allusions sont doublées d'une allusion à certaines audaces à la césure avec la distribution de la forme "comme un". Il faut songer en particulier au poème "Un voytage à Cythère", source majeur au poème "Oraison du soir" composé à Paris à la fin de l'année 1871 sinon au début de l'année 1872. Or, dans le cas de "L'Homme juste", il est question d'une charge à l'encontre de Victor Hugo où finalement Rimbaud reprend de manière ostentatoire un hiatus de Musset et une forme strophique initiée par Baudelaire. A quoi peut bien jouer notre poète ? me direz-vous. J'aurai l'amabilité de vous laisser chercher un petit peu, mais en vous fournissant un indice.
Dans le poème "L'Homme juste", nous avons droit à un bestiaire qui me fait irrésistiblement songer à Baudelaire, les "lices" et les "lentes". Les deux noms d'animaux sont à la rime, mais c'est le mot "lices" qui retient plus particulièrement mon attention. Je cite les deux vers en question :
[...]
Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices !
[...]

[...]
Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !
[...]
Difficile pour moi de ne pas songer au poème liminaire "Au lecteur" des Fleurs du Mal, poème de Baudelaire qui au passage tient compte des recueils de Lamartine dont il réécrit certains vers, car "- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !" est une réécriture méconnue d'un vers de Lamartine. Notons qu'on retrouve le thème de l'hypocrisie que Musset ne semble pas avoir traité de manière convaincante à s'en fier à la réaction de colère de Rimbaud.
Or, dans les quatrains de "Au lecteur", nous retrouvons une mention du mot rare "lices" à la rime ! Mais dans le vers de Rimbaud, je relève aussi les comparatifs de supériorité "plus bête et plus dégoûtant", d'autant que la seconde occurrence de "plus" est précisément placée acrobatiquement à la fin du premier hémistiche, devant la césure.
Or, dans le poème de Baudelaire, dans le quatrain qui suit celui comportant "lices" à la rime, Baudelaire nous offre une suite de trois comparatifs dans un vers et au vers suivant il fait une césure acrobatique rare sur la conjonction de coordination "ni". J'ai du mal à ne pas ranger cela dans les coïncidences troublantes.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices, 

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes, ni grands cris,
[...]

A suivre toujours !....

3 commentaires:

  1. A propos du hiatus identique qui passe de Musset à Rimbaud "tu es", je fais quelques rappels pour souligner à quel point il est invraisemblable que cela puisse relever du hasard.
    1) le hiatus a été proscrit à partir du XVIe siècle et l'application systématique par tous les poètes ne s'est pas faite en un jour. On pourrait s'amuser à relever les hiatus de poètes connus de l'époque de Marot et Ronsard pour identifier la part du hiatus de la forme "tu es". Le hiatus est inévitablement abondant dans la prose, on peut aussi sélectionner des pièces de théâtre et des romans pour évaluer la proportion de hiatus de la forme "tu es" dans ses oeuvres. On peut relever les hiatus dans Une saison en enfer et dans les Illuminations. On peut d'ailleurs signaler à l'attention la poignée de hiatus des vers déréglés de 1872, par exemple "Le marié a le vent..." dans "Jeune ménage". On verra bien que la forme "tu es" ne prédomine pas.
    2) Vous connaissez quoi comme hiatus par de grands poètes. Vous en connaissez de Verlaine ? Des hiatus, il n'y en a pas que je sache dans les vers de Lamartine, Hugo, Gautier, Banville, ni dans les volumes du Parnasse contemporain, ni dans les vers de drames romantiques... En tout cas, l'information n'est pas remontée s'il y en a. Le vers de Musset est une exception radicale !!! Et le vers de "L'Homme juste" est non plus une première, mais une seconde exceptionnelle dans l'histoire de la poésie du XIXe. On trouvera sans doute un hiatus chez un obscur poète, mais vous l'avez compris. Les deux hiatus de Musset et Rimbaud sont des exceptions à la date de juillet 1871 sur fond d'un patrimoine de millions de vers en trois siècles.

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    1. J'ajoute que dans le poème "Mardoche", où le vers 5 pratique à la rime le suspens métrique acrobatique que Baudelaire a fini par placer à la césure de la version finale de "Au lecteur" sur la conjonction "ni", Musset a joué avec un faux-semblant graphique à glisser un hiatus orthographiquement irréprochable, mais phonétiquement présent : "Que celle de monsieur de C***. En politique, / [...]". Lire "de Cé. En politique," avec le "é" non séparé par une consonne, un "h" ou un "e" de fin de mot du "En" qui le suit... Je n'ai jamais vu personne d'autre souligner ce tour de passe-passe en ce vers.
      Pour les "lentes" de "L'Homme juste", il y a évidemment un rapprochement à faire avec le poème "Les Chercheuses de poux". Ce n'était pas un motif courant de parler des lentes ou des poux parmi les poètes romantiques ou parnassiens. Même Baudelaire n'y recourt pas me semble-t-il.

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    2. Je poursuis sur la question du hiatus dans "L'Homme juste".
      1) Pour l'effet de sens, une démarche minimaliste peut consister à identifier que le hiatus "Tu es lâche" dit crûment son fait à un poète, Victor Hugo. On peut penser à une manière de tomber le masque apprêté du poète, et le commentaire de Musset de son hiatus modèle de celui de Rimbaud permettrait d'affiner le commentaire de l'effet de sens de "Tu es lâche". Je suis fatigué, mal de tête, puis je suis tellement contesté dès que j'explique le sens des poèmes que j'essaie forcément de poser les choses l'une après l'autre en les prouvant et de m'en tenir à des quasi constats.
      2) Rimbaud a salué précocement un enjambement de mot à la césure en août 1870 avec le "épouvantable" des Fêtes galantes, mais il a attendu lui-même très longtemps avant de s'y mettre. Et si on prend sa production sans la dater, nous avons "tricolorement" dans "Ressouvenir" datable de novembre, "silencieux" et "becs de canne" dans "L'homme juste" (avec problème d'orthographe) datables de juillet et la succession "péninsules"/"tohu-bohus" dans "Le Bateau ivre". Dans "Les Soeurs de charité", "soeur de charité" enjambe la césure mais c'est un cas-limite, on ne l'admet pas comme un mot composé, on continue d'admettre qu'il y a un nom et et un complément du nom. Ceci dit, le constat que je fais faire, c'est qu'après des lettres du voyant du 13 et 15 mai, on a le premier quasi mot composé enjambé à la césure dans "Les Soeurs de charité", puis dans "L'Homme juste" en juillet on a tout à la fois le premier hiatus, le seul je crois de la première manière en vers, et les deux premiers enjambements de mots, l'un net à la façon de "épouvantable", "silencieux", l'autre sur le modèle de "soeur de charité", mais cette fois de l'ordre indiscutable du nom compose "becs-de-canes". On a une convergence post-lettre du voyant de la pratique provocatrice du hiatus avec celle de l'enjambement de mot, tandis que "L'Homme juste" reprend la strophe inédite ABABA de "Accroupissements" poème inclus dans la lettre à Demeny du 15 mai. Or, ce quintil ABABA est la première strophe originale inventée par Rimbaud (cas à part du second quatrain de Rêvé pour l'hiver) et "Les Premières communions" poursuivra dans l'étrangeté strophique le même mois que "L'Homme juste". Qui plus est, "Accroupissements" insistait sur une césure emblématique de Baudelaire "comme un" devant la césure, ce qui est repris au premier vers de "Oraison du soir".
      Il n'existe pas à ma connaissance de discours sur la nouveauté formelle étonnante de "L'homme juste", ni évidemment sur ce que cela implique sur son statut polémique envers Hugo, puis d'autres.

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