mercredi 12 février 2025

Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, Catulle Mendès, de ta richesse ?

Vous n'avez pas eu le temps de lire les derniers articles, ce n'est pas grave, les rimbaldiens ne les citeront jamais...
J'enchaîne rapidement donc.
Il va y avoir une suite baudelairienne sur "Les Chercheuses de poux", juste après cette mise en ligne. Je fais deux articles courts rapides, et nous sommes sur une série sur "Les Chercheuses de poux", donc autant tout lire d'un coup.
On le sait depuis que Steve Murphy en a fait état en 1991 : le poème "Les Chercheuses de poux" s'inspire du "Jugement de Chérubin" du recueil Philoméla de Catulle Mendès.
Je viens de produire un article avec de nombreux rapprochements du côté des Fleurs du Mal, en insistant sur l'émulation qui veut que Rimbaud relève le défi de produire un poème particulièrement musical, mais sans s'adonner aux répétitions de vers et à des créations de strophes particulières. Rimbaud prend le cadre du quatrain d'alexandrins à rimes croisées et sur cette seule base il produit de la musique.
Le problème que j'ai soulevé, c'est que les liens avec des poèmes de Baudelaire invitent à penser qu'il faut apprécier l'ivresse procurée par les deux sœurs, ce qui entre en conflit avec le titre ambigu du poème de Rimbaud : "chercher des poux", et avec des notations sur l'argent et la monarchie au sujet de ces ongles carnassiers : "ongles argentins" et "ongles royaux".
Avant de vous fournir une résolution baudelairienne dans un article à part, je vous propose une solution satirique du côté de Catulle Mendès.
Mendès a été marqué par la lecture et aussi le procès des Fleurs du Mal, et son recueil Philoméla se réclame de cette continuité-là non sans opportunisme et sens de la mode, non sans y trouver son compte puisque Mendès est une personne foncièrement immorale dans ses rapports aux femmes notamment et au mariage.
Je ne vais pas revenir ici sur la nouvelle Norbet Elias, ni sur le "Jugement de Chérubin". Il y a un autre détail mendésien qui me titille depuis longtemps et je voudrais en parler.
Au début de l'Album zutique, nous avons le poème "Propos du Cercle" où Penoutet est imaginé qui entre dans la salle en déclarant qu'il vient du Café Riche, et  qu'il y a vu Catulle. Keck, l'un des co-auteurs du sonnet avec Léon Valade, se met en scène et réplique : "Moi, je veux être riche." Il aurait dû écrire : "Je veux être connu", puisque ce sculpteur, sans doute d'origine alsacienne, est une énigme biographique parmi les gens qui ont fréquenté Rimbaud, Verlaine ou les frères Cros. Et dans Philoméla, nous avons un poème "A un jeune homme riche" qui ne ressemble pas aux poèmes de Victor Hugo dénonçant l'esprit borné du personnage riche qui méprise les autres en fonction du portefeuille. Mendès se fait tout de même passer pour un pauvre et explique au jeune homme riche qu'il ne comprend pas les bohèmes en gros, mais on ne sent pas tellement le persiflage du riche en ce poème. J'y relève aussi l'emploi de la préposition "parmi" à la rime, ce qui coïncide avec le vers des "Chercheuses de poux" où la préposition "parmi" est calée devant la césure. Vous me direz que les deux passages n'ont rien à voir entre eux et que nos deux poètes ne sont pas les seuls à recourir à cet effet, autrement dit le lien de rareté n'impose pas de voir une citation de cette rime de Mendès par Rimbaud dans "Les Chercheuses de poux". Je fais tout de même remarquer l'écho doublé, puisque nous avons la mention "Parmi" en suspens dans les deux cas, et une suite immédiate deux syllabes après en "ise" : "Parmi / La Brise", "parmi ses grises indolences".
Il y a tout de même un homme installé dans le cas de Mendès et le poème en vers courts "A un jeune homme riche" renvoie le riche aux ivresses précisément de la chevelure parfumée de sa belle femme qui vaut mieux que la maigre pitance des poètes. Mendès ironise dans son poème, mais quand on lit les autres poèmes de Mendès, on se pose des questions, puisque Mendès chante en vers le désir de ce plaisir de riche comme dans "Le Jugement de Chérubin" justement. Mendès s'identifie aux joueurs de luth dans ce poème sans préciser de quel groupe il fait partie lui-même. Il fait mine d'être différent du "jeune homme riche", mais il ne dit pas ce qu'il est lui-même exactement. Il peut jouer sur les deux tableaux finalement. Et, partant de là, on relève deux clefs de compréhension : des rêves désirés où on adhère une douleur sans trêve quand on est poète et le fait que les vers vont raconter les bonnes aventures dans la vie réelle du riche. Cela donne un éclairage critique particulier à la lecture des "Chercheuses de poux". J'ajoute que le vers court "Bat vite !" contient le verbe "battre" également présent et érotique dans "Les Chercheuses de poux" avec l'hyperbole : "Il entend leurs cils noirs battant sous les silences [...]". Je pourrais souligner d'autres échos lexicaux : "baise", "baiser", "rêves", "rêve", "tu vas écouter", "charmant", "Enfant", "Sentant", "vins", "cheveux".
 
Jeune homme riche, aimé des Dieux,
Fuis la Muse, baise les yeux
         Des blondes !
Garde-toi des rêves amers
Et ne tente jamais les mers
         Profondes !
 
Va, triomphe parmi le chœur
Des filles blanches dont le cœur
           Bat vite !
Fais l'amour, nous ferons les vers ;
Idalie aux bocages verts
          T'invite.
 
Cependant je mêle mon cri,
Loin des jardins où la houri
         Te baise,
Aux sanglots des joueurs de luth,
Applaudissant qui donne l'ut
           Dièze !
 
 Mes destins sont pareils au leur ;
Notre muse, c'est la douleur
           Sans trêve ;
Ils ne sont pas ce que tu crois,
Ces Jésus qui portent la croix
           Du rêve !
 
Le soir, sous le ciel endormi,
Quand tu vas écouter parmi
             La brise
Le gazouillis charmant du flot
Qui sur la grève d'un îlot
             Se brise,
 
Le roc a-t-il trouvé des mots,
Enfant, pour te conter les maux
             Qu'il souffre,
Sentant son granit se creuser
 Sous l'impitoyable baiser
             Du gouffre ?
 
Que t'importe ! chasse, aime et bois ;
La gazelle à l'ombre des bois
              Gambade.
Fou de champagne ou de porto,
Jette de l'or sous le râteau
             De Bade !
 
Quitte les soins dont tu t'émeus.
N'as-tu pas les vins écumeux,
            L'ivresse,
Ton arabe qu'un dey dompta
Et les cheveux luisants de ta
           Maîtresse ?
 
Et sa cheville à l'os très-fin,
Qu'un incroyable brodequin
           Etrangle,
Et sa gorge couleur de lait,
Cette seule rondeur qui n'ait
          Pas d'angle ?
 
 En s'abandonnant dans "Les Chercheuses de poux", l'enfant ne dit-il pas : "je voudrais être riche" ?
 Et ce voeu est suborneur et on peut comparer alors l'image des mains de reine qui tuent les petits poux à la répression par les riches et les possédants du peuple de la Commune.
 
Mais, attention, je fais une pause, et dans quelques minutes je vous montre une mise en pratique du don d'évocation baudelairien par Rimbaud dans "Les Chercheuses de poux".
Vous avez trois minutes pour pondre un article et me coiffer sur le poteau...

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