Et si au lieu d'étudier ce qu'il y a de grivois dans "Les Chercheuses de poux", on soulignait ce qui en ce poème ressort de l'élégie musicale.
Le poème est volontairement construit comme de la musique, et j'entends bien ici le montrer clairement.
Le poème est saturé d'un recours facile et volontaire aux voyelles courantes et frappantes en français : les voyelles nasales et la voyelle "é".
Ce qui s'impose en premier, c'est la prosodie des voyelles nasales, les différentes et nombreuses voyelles nasales de la langue française s'entremêlent : "an", "in", "un", "on". le soutien des consonnes nasales "m" et "n" ou "gn" est peu marqué, même si nous observons quelques jeux évidents du côté du "m", consonne d'appui de la première rime, consonne qui joue sur la variante de rime "antes"/"eurs" entre "charmantes" et "charmeurs", consonne qui se "Promène" jusquà construire "charmeurs" au vers 8, consonne qui parfume l'allongement de trois syllabes au vers 14, consonne qui se suspend en l'air avec la préposition à la césure "parmi", consonne qui prend un relais important à la fin du poème en martelant "la mort des petits poux", et la liaison de "mort" à "monte" devient le centre de l'harmonica qui, déliant le "m" et le "n", revient à nouveau à "mourir".
La saturation des voyelles nasales est évidente au début du poème, un peu comme quand Baudelaire en joue avec l'appui des dentales t et d, ainsi que du v : "Tant l'écheveau du temps lentement se dévide." 6 voyelles nasales au premier, la moitié des voyelles métriques d'un alexandrin donc, puis cinq au vers suivant, puis un déliement prosodique de trois voyelles au vers 3 qui crée du coup la sensation d'un étirement et d'une délivrance. Il n'y a que trois voyelles nasales au vers 4, mais elles se concentrent toutes dans le second hémistiche. Les deux dernières voyelles du premier quatrain sont nasales.
Le deuxième et le troisième quatrain se détachent de cette dominante nasale, mais elle reste marquante par des procédés de mise en relief. Le mot "l'enfant" à deux consonnes nasales identiques à l'oral est repris symétriquement du vers 1 au vers 5, fin de premier hémistiche de chacun des deux premiers quatrains. Plus précisément, les trois premiers hémistiches du poème assonent en "an" : "l'enfant" / "tourmentes", "blanc". La double voyelle nasale du nom "l'enfant" a un écho quelque peu dans le fait que "indistincts" commence et se termine par une voyelle nasale, "essaim blanc" qui rime avec "l'enfant" est riche de deux assonances nasales symétriques, et "argentins" rejoint "l'enfant" et "essaim blanc" pour former un hémistiche se terminant sur une succession de deux voyelles nasales. La voyelle nasale qui attaque le vers 2 résonne avec les mêmes voyelles "in" du nom "indistincts" qui clôt ce même vers 2, comme avec la graphie "aim" du nom "essaim" ou la graphie "ein" de "plein" en tête du second hémistiche du vers 1. La première voyelle du poème est aussi nasale : "Quand". Seuls deux "e" nuancent la saturation vocalique des nasales du premier hémistiche, le second hémistiche offrant un autre jeu prosodique dans l'inversion "rou" et "our" pour "rouges tourmentes". Première voyelle du vers 6, le "an" de Grande ouverte conforte la prégnance de la série. La saturation affleurera à nouveau au vers 11 du troisième quatrain : "Interrompt", "sifflement".
Dans le quatrième quatrain, même si les voyelles nasales sont moins abondantes que dans le premier quatrain, elles sont accentuées. La voyelle "an" fait son retour à la rime : "tourmentes"/"charmantes" dans le premier quatrain, "silences"/"indolences" dans le quatrième, avec une symétrie de position, les vers impaires du quatrain, et les rimes étant croisées nous avons deux fois une cadence féminine pour les rimes en "an" (ou "en"). La saturation est bien présente dans deux vers du quatrième quatrain : quatre fois la même voyelle orale "en" (variante graphique "an") au vers 13 et sur les trois voyelles nasales du vers 15 une est en tête de vers "Font" et les deux autres sont les extrémités du nom "indolences" qui entre en résonance avec "indistincts" du vers 2 : trois syllabes, première et troisième voyelles nasales, même attaque des deux mots en "ind-", l'écho peut se prolonger par une comparaison entre "rêves" et "grises" quelque peu. Un jeu de saturation concerne encore les vers 17 et 19 au dernier quatrain avec la troisième occurrence "l'enfant", mais cette fois en tête de vers.
Il est évident que Rimbaud a cherché à produire une composition musicale. Cela peut s'apprécier également au plan des rimes avec les reprises : "charmantes" au vers 3 a un écho dans "charmeur" à la rime au vers 8, et "rosée"au vers 7 (symétrique de "charmantes" en tant que troisième mot à la rime d'un quatrain) a un écho plus rapide avec "rosés" au vers 10. Dans les deux cas, toutefois, le premier mot est de cadence féminine "charmantes" et "rosée", le second de cadence masculine "charmeurs" et "rosés".
Les répétitions de mots sont aussi une clef musicale du poème. J'ai parlé des trois occurrences de "l'enfant", des couples "charmantes"/"charmeurs" et "rosée"/"rosés", mais "doigts" et "ongles" du vers 4 sont repris au quatrième quatrain, dans le même ordre de passage "doigts" puis "ongles", mais au vers 4, les deux poèmes sont proches l'un de l'autre quoique séparé par la très forte harmonisation musicale des hémistiches dans le balancement des prépositions "Avec" et "aux" qui les distinguent et les délient mélodieusement : "Avec de frêles doigts aux ongles argentins". Au quatrième quatrain, le nom "doigts" est à nouveau à la césure au vers 14, mais pris entre le rejet de début de vers : "Parfumés" et les adjectifs qui le qualifient dans le second hémistiche, puis "ongles" apparaît au vers 16, mais passé d'un second hémistiche à un premier hémistiche avec un bouclage adjectival plus sec, plus rond je dirais, mais sur un plan sémantique équivalent : "argentins", "royaux". La qualité de roi nous vaut "la mort des petits poux", l'exercice du pouvoir et de la force. Le mot "doigts" a en réalité trois occurrences dans le poème puisqu'il figure au premier hémistiche du bers 8 mais pas à la césure qu'il cède à un adjectif qui assonne en "ins" avec "argentins", créant une correspondance "ongles argentins" et "doigts fins". On peut voir aussi "doigts fins" comme une forme brève de "frêles doigts aux ongles argentins", et on peut admirer aussi l'échange musical qui se prolonge avec les adjectifs : "doigts fins, terribles et charmeurs", puis "sous leurs doigts électriques et doux", "électrique" étant équivalent à "terribles" et "doux" à "charmeurs" au plan sémantique, ce qui prépare l'effet des "ongles royaux" avec la "mort des petits poux". Tout cela est très étudié de la part de Rimbaud. Au plan sémantique, "royaux" correspond alors aussi à "fins" et "mort des petits poux" à "terribles". L'adjectif "charmeurs" a du sens aussi quand on prend la suite, puisqu'à la mort des petits poux succède l'envoûtement de l'enfant.
Qui peut douter si nous avons affaire ou non à une partition musicale de la part de Rimbaud ?
Je parlais de la voyelle "é". Elle est très présente dans le poème, mais malgré sa banalité le poète gère habilement ses retours. Elle est très présente à cause de la conjonction de coordination "et" qui parvient à demeurer discrète malgré ses occurrences. La voyelle "é" est superbement absente du premier quatrain avant de reprendre ses droits et de travailler aux effets d'amplification des quatre autres quatrains. Le "é" est à la rime dans le deuxième quatrain avec une cadence féminine, puis à la rime dans le troisième quatrain avec une cadence masculine, englobant la reprise "rosée" / "rosés" dans son mouvement. La voyelle "é" ouvre et cllôt le vers 7 du deuxième quatrain, elle est à la césure du premier vers du troisième quatrain. Elle occupe donc des positions de bonne mise en relief, sachant qu'en tête du verbe "écoute" elle participe du bouclage mélodique de l'hémistiche : "Il écoute chanter". Nous avons un redoublement au sein d'un mot plus rare en poésie : "végétaux". Notons que cela se double d'une saturation au sein de l'hémistiche concerné : "végétaux et rosés", quatre "é" sur six voyelles, avec reprise immédiate du "Et" à l'attaque du vers suivant.
Et il faut bien prouver la construction musicale tissée autour des "é" du poème. Au quatrième quatrain, il faut renoncer à avoir un troisième quatrain avec une rime fondée sur la voyelle "é" : qu'à cela ne tienne, le poète se permet un rejet d'entrevers où la dérobade de la rime "silences" n'empêche pas de prolonger la noter phrastique jusqu'au prochain "é" de "Parfumés". Le rejet à l'entrevers, plutôt un allongement gracieux qu'un discordant rejet, est de toute beauté mélodique : "Il entend leurs cils noirs battant sous les silences / Parfumés". L'enjambement à l'entrevers des vers 5 et 6 "Grande ouverte" était déjà d'une grande souplesse de versification, mais il repartait tout de même par un léger à-coup : "où l'air bleu". Pour l'allongement de "Parfumés", là c'est la perfection prosodique. C'est un pur bonheur à la lecture.
Or, le jeu sur le "é" rebondit d'emblée, puisque c'est un "et" qui fait suite au "é" de "Parfumés" et tout le vers en question est saturé de quatre "é", dont la voyelle initiale de l'adjectif "électriques" qui va avoir ce qu'on peut appeler un écho pour le sens dans "crépiter", puisque "crépiter" avec deux "é" fait écho au "é" de électriques, mais fait aussi écho à sa signification. Et à cause du contre-rejet de "parmi", "crépiter" a beau être en milieu d'hémistiche, son "er" de terminaison d'infinitif a un suspens clef avant que le vers ne reparte.
Preuve d'un traitement exprès de la part de Rimbaud, la voyelle "é" revient à la rime dans le dernier quatrain. Elle' est à la rime dans trois quatrains sur les cinq du poème, et il s'agit même de la rime finale. Elle sature les quatre derniers quatrains, vu son absence complète dans le premier. Au second quatrain, elle avait une cadence féminine à la rime : "croisée"/"rosée" et ne concluait pas la strophe, mais l'écho des troisième et cinquième quatrain est tout autre : identique cadence masculine et conclusion des deux quatrains, et ce parallélisme est renforcé par une répétition symétrique : "désirs de baisers" / "désir de pleurer", symétrie qui repose sur le bouclage par deux "é", du "é" de "désirs" au "é" à la rime soit "baisers", soit "pleurer". La syllabe "dé" est aussi en tête du verbe "délirer" qui fait la rime finale du poème avec "pleurer", créant une triple symétrie : "désirs de baisers", "délirer", "désir de pleurer".
Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes.Avec de frêles doigts aux ongles argentins.Elles assoient l'enfant auprès d'une croiséeGrande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleursEt, dans ses lourds cheveux où tombe la rosée,Promène leurs doigts fins, terribles et charmeurs.Il écoute chanter leurs haleines craintivesQui fleurent de longs miels végétaux et rosésEt qu'interrompt parfois un sifflement, salivesReprises sur la lèvre ou désirs de baisers.Il entend leurs cils noirs battant sous les silencesParfumés ; et leurs doigts électriques et douxFont crépiter, parmi ses grises indolencesSous leurs ongles royaux, la mort des petits poux.Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,Soupir d'harmonica qui pourrait délirer :L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
Les procédés musicaux ne s'arrêtent pas là, mais je vais reprendre le texte avec d'autres soulignements.
(L'interprétation de Ferré reste instructive, même si elle peut être discutée...)
Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentesImplore l'essaim blanc des rêves indistincts,Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantesAvec de frêles doigts aux ongles argentins.Elles assoient l'enfant devant une croiséeGrande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleursEt dans ses lourds cheveux où tombe la rosée,Promène leurs doigts fins terribles et charmeurs.Il écoute chanter leurs haleines craintivesQui fleurent de longs miels végétaux et rosésEt qu'interrompt parfois un sifflement, salivesReprises sur la lèvre ou désirs de baisers.Il entend leurs cils noirs battant sous les silencesParfumés ; et leurs doigts électriques et douxFont crépiter, parmi ses grises indolences,Sous leurs ongles royaux, la mort des petits poux.Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,Soupir d'harmonica qui pourrait délirer,L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
Rimbaud joue à plusieurs reprises sur des couplages : inversion "rou"/"our" dans "rouges tourmentes" avec écho partiel de "ore" dans "Implore" au vers suivant, redoublement des initiales dans des séquences déjà en relief à la rime : "fouillis de fleurs" et "petits poux", et je pourrais ajouter le cas du "d" dans "désirs de baisers" et "désir de pleurer". J'ai relevé les initiales du "b" dans un franchissement de césure "bleu"/"baigne". Dans cette deuxième citations un peu particulière du poème, j'ai voulu mettre en relief tous les "f" et les "s", ainsi que tous les recours discrets au "z" au plan des liaisons entre les mots. Je me suis permis de souligner parfois des séquences impliquant le "è" et le "r". Notez que je souligne entièrement le possessif "ses" ou le mot "cesse" clef à la césure du dernier vers, puisqu'il fait écho à la rime anormale "Paresse"/"caresses" qui le précède immédiatement. Rimbaud songe-t-il au traité de Banville quand celui-ci dit de Baudelaire qu'il joue avec la règle parfois, mais à des fins illustratives ?
Preuve d'un traitement conscient de la part de Rimbaud : au dernier quatrain, non seulement "cesse" fait écho à la césure à la rime imparfaite qui précède : "Paresse"/"caresses", mais l'avant-dernier vers offre précisément une saturation où on retrouve ce jeu, assez baudelairien, d'aligner des mots commençant par la même consonne audible : "se sent, selon", ce qui revient avec variation d'orthographe dans "sans cesse". En parlant d'orthographe, je remarque qu'au vers 4 nous avons trois g dont deux se prononcent différemment ("ongles"/"argentins") et l'autre n'est que graphique ("doigts"), mais peut-être ne dois-je pas relever les échos aussi loin. J'ai enfin voulu absolument souligner les quatre syllabes "sou" du poème, elles se concentrent vers sa fin, les deux derniers quatrains, et sont en liaison avec les assonances prégnantes des "s" et des "f". Au quatrième quatrain, la préposition "sous" est d'abord en milieu de second hémistiche, puis lorsqu'elle est tôt reprise elle est en tête de vers même. Or, dans le dernier quatrain, les syllabes "sou" sont symétriquement en tête de vers entamant les mots "Soupir" et "Sourdre" qui ont tous deux au plan sémantique une valeur de la préposition "sous" !
Je pourrais mener le jeu des échos très loin, je pourrais parler de l'écho "or" de "Implore" à "mort des petits poux" ou de l'écho de suffixe entre "végétaux" et "royaux" en commentant que l'effet royal est d'envoûter de miels végétaux l'enfant. Je pourrais travailler plutôt les suites de consonnes avec des liquides "l" ou "r", je pourrais travailler sur les échos "fleurs", "leurs", etc. Etudier cette série a du sens également dans le dispositif rimbaldien du poème. La rime "craintives" / "salives" évite d'être une rime de suffixe en "-ive" du genre "craintives"/"plaintives", mais cette rime fait partie des rimes connues qui donne un éclat prosodique d'elle-même dans un poème. Je pourrais commenter dans les assonances en "f" et "s" le superbe suspens : "un sifflement, salives". Je pourrais commenter les effets solidaires des "v" dans les chaînes en "s" ou en "z".
Il faut savoir s'arrêter, mais j'ai d'autres indices d'une composition musicale que les échos de consonnes et voyelles dans le poème, que les répétitions.
Le balancement est aussi dans les formes grammaticales bien sûr, vous le voyez quand suspendu au mot "Salives" le vers suivant vous fait un effet de balançoire : "Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers". L'effet de balançoire est surtout entre "salives" et "reprises" avec des échos qui y participent, la position du "i" dans "salives" et "reprises" avec équivalence de suavité sonore entre "v" et [z]" : "-ives"/"-ises".
Vu qu'il est question de musique, je voudrais parler des autres preuves évidentes que Rimbaud a voulu qu'on pense son poème comme une partition musicale. Le jeu arachnéen des doigts des deux soeurs n'est-il pas celui arachnéen d'un virtuose jouant une Nocturne royale et argentine de Chopin ?
Les femmes "assoient l'enfant" comme si elles le mettaient à une place de spectateur pour une audition. Et l'enfant est même finalement assis dans l'orchestre. La mention de l'harmonica est elle clairement une référence musicale, il s'agit bien sûr d'un harmonica à verres et non de l'harmonica à bouche plus connu de nos jours. Les mots "silences" et "lenteurs" participent de la création de l'ambiance musicale du morceau qui est en réalité un poème fait de mots et de phrases, n'en déplaise à Verlaine et ses romances.
Le présentatif "Voilà que monte en lui" correspond à un nouvel étalon rythmique, la musique s'embrase.
Les symétries sont parfois métriques sans reprises de consonnes, voyelles ou mots, ainsi des suspens devant la césure de "parmi" et "selon", l'écho est gracieux entre ces deux suspens à la césure, on sent que le poète ourle sa mélodie autour de la césure.
Rimbaud crée une symétrie verbale sur le sens de l'ouïe entre le premier vers du troisième quatrain et celui du quatrième quatrain : "Il écoute chanter...", "Il entend leurs cils noirs..." Entendre des battements de cils relève de la prouesse, mais les attaques des quatrains délivrent une certaine armature de sens du poème au plan musicale : démangé l'enfant implore une intervention apaisante, les femmes créent l'ambiance de la scène puis la partition des doigts sur son crâne devient bien musique, il écoute, il entend et il devient musicien.
J'ai même envie de parler d'une distribution dramatique en cinq actes par référence à un autre art de la scène.
Je reviens sur la mélodie des quatrains. Il n'y a pas de césures audacieuses dans ce poème, mais seulement quelques effets d'enjambements plus romantiques à la césure ou à l'entrevers. Le premier quatrain est pesant dans sa régularité saturée de voyelles nasales, mais modulé gracieusement grâce aux "e" et contrepoints apportés. Le second quatrain crée une surprise mélodique par l'enjambement des vers 5 à 6 : "une croisée / Grande ouverte", expansion lyrique vocale si je puis dire.
Les deux derniers vers du second quatrain reviennent à une certaine régularité, si ce n'est que le vers émiette la mesure avec l'effet de l'adjectif monosyllabique "fins" qui passe entre le nom "doigts" et les deux autres adjectifs coordonnés. La coordination ternaire permet d'éviter une régularité qui aurait été plus sensible avec un nom à la césure suivi d'une coordination de deux épithètes, tandis que l'adjectif à cadence féminine "terribles" assure bien l'émiettement rythmique du vers : "Promènent leurs doigts fins terribles et charmeurs." Le poids porte un peu on dirait sur son attaque "terr" et la liaison feutrée "-es" permet d'adoucir l'effet binaire des hémistiches par un suspens sur l'adjectif "terribles" un peu décalé.
On peut différencier les vers 9 et 10 au début du troisième quatrain quand bien même ils sont tous deux bien réguliers, je ne reviens pas sur la musique superbe des vers suivants : "un sifflement" puis la balançoire "Salives / Reprises" et l'expansion "ou désirs de baisers".
Au quatrième quatrain, l'hémistiche "battant sous les silences" a des modèles chez d'autres poètes, mais le coup de génie est dans cette expansion lyrique de l'enjambement "Parfumés". J'ai du mal à dire pourquoi c'est génial, mais c'est évident que ça l'est. La suite s'électrise avec les sons "é", les mentions "électriques" ou "crépiter". L'hémistiche "ses grises indolences" est un évident bonbon prosodique. Le balancement superbe du vers : "Sous leurs ongles royaux, la mort des petits poux" nous fait passer encore à un autre ordre de prouesse de composition rythmique du poème. Nous ne restons pas des enjeux prosodiques uniformes et d'une même tenue. La prosodie s'affole avec des micro balancements très soignés dans le dernier quatrain et un équilibre repris in extremis par le dernier hémistiche.
Maintenant que je vous ai dit tout cela sur la musicalité du poème, il y a une fenêtre de recherche qui s'ouvre. Quelles furent les modèles poétiques de Rimbaud pour une telle émulation poétique ? Plutôt que de chercher des réécritures d'autres poètes par Rimbaud, il y a ici à chercher les sources aux manières de Rimbaud en ce poème particulier.
Génial, n'est-ce pas ?
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