vendredi 9 mai 2025

Retour sur la petite musique de "Bonne pensée du matin"

 "Bonne pensée du matin" est le sujet du moment. J'en profite pour continuer les mises au point. Je viens de lire d'une traite l'article que lui a consacré Steve Murphy, cela sous la forme du chapitre 15 intitulé "Mauvaise pensée du matin" de son livre Rimbaud et la Commune paru aux Classiques Garnier en 2010.
La source "Tableau de Paris à quatre heures du matin" est clairement inconnue des rimbaldiens. Désaugiers n'est pas mentionné une seule fois, il est même absent de l'index des noms en fin d'ouvrage.
Malgré l'importance des références à la chanson pour les poèmes "nouvelle manière" avec les cas particulièrement évidents de "Ô saisons ! ô châteaux !" et "Fêtes de la faim", les rimbaldiens n'ont pas songé un instant à se tourner vers les deux chansonniers les plus réputés au plan littéraire Désaugiers et Béranger... L'influence de Favart et de Desbordes-Valmore n'a pas non plus été prise si au sérieux. A la page 745, voici ce qu'écrit Murphy :
 
   Jules Mouquet et André Rolland de Renéville, dans une interprétation résumée par Mario Matucci, supposaient "quelque lien avec des livrets de Favart : Bonne pensée du matin serait une tentative pour exprimer une vision moderne, sous une forme chère aux poètes du XVIIIe siècle" [1946, 679]. On ne peut nier l'impact de Favart, de Marceline Desbordes-Valmore, sur la poétique du Rimbaud de mai 1872 mais cette fois, il suffit de penser aux Fêtes galantes de Verlaine pour trouver un modèle dont Rimbaud pouvait s'inspirer... ou se gausser. [...]
Murphy dit explicitement que, par hiérarchie des valeurs, une référence à Verlaine ou à un grand poète lyrique doit être privilégiée par rapport à la sous-littérature de Desbordes-Valmore et de la chanson populaire... De toute façon, rien que pour "Larme", la référence possible à Desbordes-Valmore n'a pas du tout été creusée. Ici, nous n'apprenons rien des éléments que Mouquet et Renéville rapportent des livrets de Favart.
Qui plus est, la source principale qu'exhibe Murphy n'est même pas dans La Bonne chanson, puisqu'il rapporte que Margaret Davies a identifié un lien générale entre "Bonne pensée du matin" et le cinquième poème du recueil La Bonne chanson.
Pour rappel, dans le recueil d'épithalames que constitue La Bonne chanson, les vers fournissent en général un discours lyrique plus conventionnel et le poème V est l'un des deux poèmes plus originaux du recueil où le poète se laisse aller à son inventivité et même à une certaine sensualité décomplexée. Le poème est composé de cinq quatrains, tout comme "Bonne pensée du matin", nous fait remarquer Murphy. Et nous avons plusieurs mots qui se font écho entre les deux poèmes : le vers 2 "Pâle étoile du matin" est à rapprocher du titre "Bonne pensée du matin", il y a une mention de "yeux" qui "sont pleins d'amour", équivalent donc du "sommeil d'amour" qui "dure encore", il est question du "ciel" avec l'alouette qui y monte et de "faux cieux" pour la ville, d'une "pensée" qui s'évade "là-bas" et d'un "doux rêve où s'agite / [L]a mie du poète" avec mention de l'adverbe "encor" à la rime, mais sous sa forme apocopée contrairement à "Bonne pensée du matin". et puis du "soleil d'or".
Et il faut ajouter du coup l'écho entre le titre de Rimbaud et celui du recueil de Verlaine, avec l'adjectif "bonne" en commun.
Je trouve le rapprochement pertinent jusqu'à un certain point. En revanche, Murphy vient d'une génération qui était encore marquée par la dictature du discours freudien. Il vient d'une époque où on prenait au sérieux la psychanalyse, la théorie du Moi, du ça et du Surmoi, etc., ce qui n'est bien sûr pas mon cas. Et on retrouve cette tendance en rimbaldie qui est très nette chez un Fongaro, chez un Bardel, à supposer que les poèmes ont des bribes de considérations psychologiques sur une situation personnelle à un moment donné. Et Murphy part aussi d'un autre cliché vivace qui était très prégnant chez les rimbaldiens selon lequel Rimbaud persiflait sans arrêt Verlaine par poèmes interposés. Rimbaud emprunterait à Verlaine pour s'en gausser. C'est une conception psychologique de la poésie que je n'ai pas. Si, à tout prendre, il y a un enseignement moqueur à l'égard de Verlaine dans "Bonne pensée du matin", en toute rigueur, ça ne peut être que celui-ci. Verlaine dans la pièce V de La Bonne chanson fait une prière de bonheur érotique conjugal et Rimbaud, qui n'aime pas Mathilde et qui veut l'en détacher, l'invite à plutôt faire une prière à quatre heures du matin pour les ouvriers privés du triomphe de la Commune, l'année précédente. Je ne ressens pas le besoin de rechercher plus que ça en fait de tacle à l'encontre de Verlaine, et je pense que ce n'est tout simplement pas l'enjeu du poème de se gausser de la poésie passée de Verlaine. En revanche, dans la comparaison, on constate des inversions entre la femme qui "s'agite" dans son sommeil, et des travailleurs qui "s'agitent" parce que pour eux le temps de dormir est bien passé. Dans l'ensemble, le poème de Verlaine s'éloigne tout de même de celui de Rimbaud, puisque les quatrains de Verlaine sont composés de deux vers où le discours de la prière progresse et de deux vers qui sont plusieurs parenthèses, des contrepoints imagés avec une chute dans le dernier quatrain où on comprend que la prière doit être exécutée rapidement. Nous passons de "Avant que tu ne t'en ailles..." à "voici le soleil d'or". Cela ne se retrouve pas dans le poème de Rimbaud, mais la chute de "Bonne pensée du matin" est partiellement l'inversion de la chute de Verlaine, puisque nous avons l'idée d'une attente plus patiente et l'idée d'un "bain dans la mer, à midi" qui correspond au surgissement du "soleil d'or".
Je rejette complètement l'idée que La Tentation de saint Antoine dans sa version de 1856 soit une source au poème "Bonne pensée du matin", et je remarque au passage que "Babylone" n'est même pas mentionné dans le passage qui fait l'objet d'un rapprochement. En revanche, je conserve volontiers l'intérêt du rapprochement avec le poème V de La Bonne chanson, mais je le tempère.
Au plan de la mesure des vers, Murphy prétend que le poème "Bonne pensée du matin" n'a pas une mesure fixe, sauf à pratiquer certaines élisions qui feraient de ce poème un exemple de poésie brutaliste avec des apocopes non avouées par le formatage du texte.
Je ne suis pas d'accord sur deux points.
Premièrement, il m'est évident que "Bonne pensée du matin" a pour mètre de base l'octosyllabe. Il s'agit de quatrains de trois octosyllabes ponctués par un vers court, en principe un hexasyllabe, avec l'exception d'un vers de quatre syllabes au deuxième quatrain. Le dernier quatrain se termine par un alexandrin et le vers court de six syllabes lance le quatrain, mais les deux vers internes sont toujours des octosyllabes.
Vous me direz que Murphy envisage l'idée, sauf qu'il ne mentionne même pas le mot "octosyllabe" mais parle de faire des élisions pour arriver à une égalité arithmétique. Non, le poème est conçu comme ayant l'octosyllabe pour repère. Point barre. Je ne joue pas à dire que dans le lointain l'idée de l'octosyllabe se dégagerait, non ! Le choix de l'octosyllabe est au départ du poème et au départ de la lecture.
Mais, même au plan de l'égalité arithmétique, il y a une partie de l'argumentation de Murphy que je rejette. Murphy envisage que les élisions peuvent être n'importe où et il évoque des exemples où elles sont effectivement n'importe où et notamment "L'Ami de la Nature" de Verlaine.
 Murphy vise tout de même plutôt juste et j'insiste sur le fait que plusieurs poèmes de Desaugiers adoptent le principe des élisions brusques des "e" dans les vers. Mais il y a une régulation particulière dans "Bonne pensée du matin" où nous n'avons pas d'élision du déterminant comme "le cheval" devenant "l'cheval". Rimbaud a clairement privilégié les élisions devant un signe de ponctuation ou de fins de mots, sinon de fins de groupes de mots, en voici la preuve :
 
A quatre heures du matin, l'été, --- A quatre heur' du matin, l'été,
Mais là-bas dans l'immense chantier --- Mais là-bas dans l'immens' chantier
En bras de chemise, les charpentiers --- En bras d' chemis', les charpentiers
Dans leur désert de mousse, tranquilles, --- Dans leur désert de mouss', tranquilles,
Ils préparent les lambris précieux --- Ils prépar' les lambris précieux
 
Il y a quatorze octosyllabes dans les vingt vers du poème. Seuls cinq sont problématiques. Personne n'hésite où placer les élisions, du genre "en bras d'ch'mise", etc. Personne n'éprouve d'hésitation à élider après "heures" avec l'écho évident de "eu" à "e" de fin de mot. Et on constate une série "immense", "mousse", "chemise". L'audace monte d'un cran avec "préparent", mais on reste dans le jeu sur les fins de groupes de mots.
L'exception est l'élision de la préposition "de", c'est le moment où s'amorce un mouvement vers l'abandon à toutes les élisions possibles, et notez que certains hésiteront à élider "ch'mise" au lieu de "de". Je fais le choix du plus naturel bien sûr, mais notez qu'après ce vers Rimbaud joue précisément à forcer une lecture soignée : "Où la richesse de la ville", sans élision à "richesse" malgré sa proximité avec "immense", "mousse" sinon "chemise".
Avec les apocopes, Verlaine ou Desaugiers n'ont pas de débat sur la hiérarchie des apocopes, ils imposent un cas.
Il n'y a aucune différence d'analyse à faire sur les deux versions manuscrites connues du poème malgré les variantes qui se limitent à "Or" au lieu de "Mais", "O" au lieu de "Ah"..
Faute d'identifier la source du côté d'une chanson célèbre de Desaugiers : "Tableau de Paris à quatre heures du matin" avec le vers d'attaque "L'ombre s'évapore", le monde rimbaldien considère que de fait le poème "Bonne pensée du matin" a un sens immédiat facilement accessible, mais qu'il suppose un arrière-plan de visées de sens plus complexes dignes d'un "voyant"...
En clair, on considère que le poème est plus hermétique qu'il ne l'est en réalité. Et face à ce degré d'exigence, on se retrouve avec un suspense maintenu sur plusieurs décennies. Notons qu'avant Murphy et Reboul, Brunel a déjà publié une étude du poème où la pensée politique de la prière est correctement cernée. Brunel fournissait le jeu de titre : "Bonne pensée socialiste du matin".
La localisation est bien la ville de Paris, et Marcel Coulon avait entièrement raison de rapprocher "Bonne pensée du matin" de la lettre à Delahaye datée de "Jumphe 72". Murphy la cite de manière discontinue et je remarque qu'il ne cite pas la phrase : "La bougie pâlit" qui est une reprise du vers "Les lampes pâlissent" de la chanson de Desaugiers, preuve essentielle que la lettre et "Bonne pensée du matin" vont de pair et que tous deux s'inspirent de la chanson de Desaugiers.
Dans son article, Murphy pour les sources privilégie clairement les poètes habituels : Gautier, Verlaine, Baudelaire et Banville, et les rapprochements souvent sont plutôt vaguement suggestifs. On voit vraiment qu'il manque une vraie réflexion sur des pans entiers de l'écriture en vers au dix-neuvième siècle. J'ai déjà indiqué récemment que pour "L'Angelot maudit", la rime "cloaque"/"vaque" que Cornulier a comparé avec raison à l'original italien "cloaca", "vaca" n'était pas dans la traduction de Ratisbonne, mais que Rimbaud avait eu accès à une traduction antérieure où le texte original italien était en vis-à-vis et où on trouvait la rime "cloaque"/"vaque" bien respectée. Rimbaud ne s'est pas contenté de lire en une semaine Hugo, Baudelaire, Banville et Coppée...
Il y a tout un pan de recherches critiques qui est désespérément occulté.
Reprenons le poème "Bonne pensée du matin", il est donc conçu sur le modèle d'une "chanson à boire", ce qui doit un peu dégrossir le discours métaphysique sur la valeur spirituelle subversive de la boisson. Certes, les rimbaldiens peuvent répliquer que ce n'est pas si simple, qu'il faut se poser la question de l'ironie du dernier quatrain, se demander si Rimbaud considère avec amertume que cette ivresse est un piège, etc. Certes, on peut se poser des questions sur le second degré, ou sur les ambivalences ou sinon ambiguïtés du poème, mais, à un moment donné, il faut aussi savoir ce qu'on veut. On a un horizon de compréhension, on ne va pas lui tourner le dos en présupposant que le mérite est de faire une explication compliquée.
Il faut en tant que chercheur se confronter à la poésie populaire qui parle des bienfaits de l'eau-de-vie. Il est fait état d'un "roi de Babylone", mais il faut trouver des sources. Evidemment que c'est un cliché de comparer Paris à Babylone, mais dans le cas de ce poème précis on ne s'attend pas à une référence de la littérature protestante anticatholique qui assimile Rome et Paris à Babylone, on doit avoir des trucs plus intéressants à creuser. La forme verbale "Rira sous de faux cieux" sent le cliché, ce qu'elle devient d'évidence dans la variante de "Alchimie du verbe" : "Peindra..."
Dans ses Poésies, Corneille, dont je rappelle en passant qu'il emploie comme Théophile de Viau, le verbe "incaguer" : "Nous incaguerons les beautés, [...]" ("A Monsieur D. L. T." en 1631), use aussi de vers tel que celui-ci : "Où la nature a peint[.]" Et il y a d'autres vers de la sorte à rechercher, mais en clair l'emploi métaphorique de "peindre" vient de loin. Les "lambris précieux" sont aussi de l'ordre du cliché, il est question de "lambris d'or" dans "Le Forgeron" ce qui fait plus nettement image solaire. Et "désert de mousse" qui passe au pluriel "déserts de mousse" suppose d'évidence une reprise, puisque Rimbaud accuse le coup en avouant qu'il ne doit pas écrire le mot au singulier, mais au pluriel : c'est l'indice qu'il ne crée pas l'idée lui-même. L'expression : "l'âme est en couronne" pose une difficulté d'analyse grammaticale, mais en idée on arrive à suivre de quoi il est question. Mais, bref, il faut chercher du côté des vers de chanson pour mieux cerner la manière d'écrire de Rimbaud dans "Bonne pensée du matin".
L'enjeu porte désormais sur le vers : "Vers le soleil des Hespérides".
Comme il est question de l'aube dans le premier quatrain du poème, on a d'abord supposé que "Vers le soleil des Hespérides" désignait l'est, puisque nous sommes à l'aube, sauf que le jardin des Hespérides est considéré comme tout à l'ouest. Puis, on a dit que comme les Hespérides sont à l'ouest, le "soleil des Hespérides" désigne un autre soleil à l'ouest par opposition à l'aube du poème. Cela s'accorderait avec l'idée de "faux cieux" et de "lambris précieux", mais la démarche interprétative m'a toujours paru bien tarabiscotée.
Tout se passe comme si le vers n'existait que pour dire "vers un faux jour situé à l'ouest de Paris", alors que l'expression "le soleil des Hespérides" évoque en soi et pour soi un cadre idéalisé, un cadre onirique, une référence culturelle de rêve.
C'est avec cet escamotage que j'ai du mal à suivre les raisonnements rimbaldiens actuels. L'interprétation va trop vite et ne tire pas parti de l'expression choisie par Rimbaud. C'est un peu comme si le vers n'était pas important en lui-même. C'est pour ça que je suis très heureux de tomber sur "printemps des Hespérides" et "fleurs des Hespérides" dans le recueil chansonnier de Joseph Méry Mélodies poétiques. Il y a la référence napolitaine, un peu de l'idée d'une proximité géographique plus grande avec le lieu mythologique pointé comme une direction dans le poème, mais on a cette idée que le cadre des Hespérides fait image pour lui-même, et c'est ce que je trouve normal d'admettre aussi pour le poème de Rimbaud.
On ne peut pas résumer la lecture d'un poème de Rimbaud à un décodage. Il y a une astuce, il y a une clef, et quand on a compris on peut apprécier l'ingéniosité de Rimbaud. Non, ce n'est pas ça la lecture d'un poème !
A la fin de son étude, Murphy évoque la lecture de Reboul que je n'ai toujours pas relue, je n'ai pu ni mettre la main sur son Rimbaud dans son temps, ni sur le numéro spécial Rimbaud de 2006 de la revue Littératures. J'ai besoin d'argent et surtout de place, je me suis délesté de 350 livres déjà et tout est sens dessus dessous dans mes collections pour l'instant. Je vais encore essayer de m'alléger de 250 autres livres dans les semaines qui viennent. Enfin, bref ! Selon Murphy, mais ça correspond à mon souvenir de l'article, Reboul considère que les constructions ont lieu à l'ouest de Paris où sont les quartiers plus riches et les quartiers à l'ouest rapprocheraient de la mer (passage de la Seine Saint-Denis à la Seine maritime ?).
L'idée de constructions à l'ouest n'est pas du tout problématique pour moi, mais elle part tout de même d'une lecture non naturelle de "Vers le soleil des Hespérides", je préfèrerais que ce soit amené par d'autres arguments. Par ailleurs, je pense que la transformation de Paris est antérieure à l'année terrible. Dans de telles conditions, je n'ai pas trop envie d'hypothéquer le caractère plus général de l'interprétation en survalorisant un détail suggestif.
Quant à la mer, non, je ne crois pas à la situation balnéaire de l'ouest parisien. Murphy soutient la lecture allégorique que je déployais moi-même à l'époque, la "mer" c'est aussi l'image du peuple émeutier. Toutefois, c'est un peu forcé d'imaginer une émeute dans la chute de ce morceau, surtout que l'eau-de-vie va maintenir les forces en paix de ces ouvriers, ce qui n'est pas vraiment précurseur d'une révolution. Je pense que l'idée de lire "mer" comme une métaphore liquide du ciel est plus naturel qu'il n'y paraît à la lecture, d'autant que du ciel viendrait une "eau-de-vie" qui est un avant-goût du "bain dans la mer, à midi" avec amplification de la lumière de l'étoile du matin, Vénus, même pas l'aube, à un midi solaire.
Le ciel bleu serait bu comme une mer. Je n'ai pas l'impression de sortir une lecture invraisemblable et tirée par les cheveux du dernier vers, même si je m'attends à une fin de non-recevoir. La référence au "Bateau ivre" et donc à une force émeutière demeure aussi prégnante de toute façon, mais ma lecture permet de ne pas dire qu'il va y avoir une révolution imminente, alors qu'on sent que la visée de sens ne progresse pas dans cette direction-là, d'autant que l'indicatif futur simple : "rira sous de faux cieux" tend à exclure l'idée.
Je pense que "la mer" est une image d'immersion dans la force du bleu estival qui brille au ciel.
J'ai envie enfin de parler un peu d'un aspect étonnant de la lettre de jumphe 72.
Les rimbaldiens se demandent si Rimbaud se considère comme l'un des amants dont l'âme est en couronne, autrement dit en joie ou béatitude amoureuse pour éviter ici tout débat inutile.
De toute façon, même si tel était le cas, il prendrait ses distances par l'exercice de la compassion. Cependant, la lettre à Delahaye permet d'envisager qu'il est en tiers dans la représentation. Lui n'est pas dans le "sommeil d'amour" qui "dure encore", il a travaillé toute la nuit, il est encore dans un autre cas de figure. Et justement, la comparaison est intéressante à poursuivre. Rimbaud va se souler à cinq heures du matin, et donc il souhaite que les travailleurs puissent d'une certaine manière se souler en regardant l'étoile de Vénus le matin, mais en attendant "midi", je fais volontaire l'ellipse. Et justement, lui, Rimbaud va aller se coucher et il ne sera pas concerné par le "bain dans la mer, à midi", et cela s'aggrave par d'autres éléments de la lettre où le poète conspue l'été parce que cela aggrave les comportements intéressés des gens et à la fin il crache un "merde aux saisons" qui fait corps avec le fait qu'il aille dormir quand tout le monde se lève avec le plaisir d'une belle journée qui s'annonce.
Les rimbaldiens qui se posent des questions subtiles avec des plis et replis sur les états psychologiques de Rimbaud ont donc à étudier ce paradoxe d'un Rimbaud qui admire avec solennité la première lueur de l'aube, puis qui tourne le dos à ce que le spectacle annonce en allant se coucher. La contemplation de l'aube pour elle-même lui a suffi...
Et ça c'est frappant ! 

***
 
Deux remarques :
 
L'anthologie de Crépet cite des poèmes de Desaugiers à la fin du tome III sur le dix-huitième siècle, mais ils ne sont pas les plus pertinents et les plus musicaux, il faut se reporter à ses chansons les plus célèbres pour avoir une idée de sa valeur de modèle pour Rimbaud.
Après les pièces choisies de Lamartine et Nodier, le quatrième tome fournit des poèmes de Béranger qui là encore ne favorisent pas l'idée d'une influence sur Rimbaud. Notons tout de même que le poème de Charles Cros : "Sidonie a plus d'un amant" est inspiré d'une chanson de Béranger citée dans l'anthologie Crépet, saurez-vous trouver laquelle ?
 
Pour les futures éditeurs et commentateurs de Rimbaud, ils devraient me contacter pour que je fasse quelques articles dans des revues, autres que Parade sauvage bien sûr, puisque visiblement c'est un dilemme pour eux de citer ce blog.
Comment ils vont faire pour mettre leur conscience en ordre ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire