samedi 26 avril 2025

Maigres mentions de Marceline Desbordes-Valmore dans l'édition critique des Romances sans paroles par Murphy

En août et septembre 2023, j'ai mis en ligne des articles qui montrent qu'au printemps 1872 Rimbaud et Verlaine s'inspirent massivement de poèmes de Marceline Desbordes-Valmore. "Larme" s'inspire d'elle, mais surtout plusieurs des "Ariettes oubliées" de Verlaine sont des démarcations de poèmes de Desbordes-Valmore et notamment la première des "Ariettes oubliées", celle qui a une épigraphe en vers de Favart et qui a été publiée en mai dans la revue La Renaissance littéraire et artistique, démarque précisément le poème "C'est moi" d'où Rimbaud a extrait la citation : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" Et l'interjection : "n'est-ce pas ?" faisait partie des emprunts à ce poème.
 
 
J'ai sous la main l'édition critique des Romances sans paroles de Steve Murphy, et je m'aide de l'index pour citer les passages où il est question de Marceline Desbordes-Valmore.
La découverte est d'une telle ampleur que les rimbaldiens et verlainiens vont devoir la traiter d'une façon ou d'une autre. Le lien à Desbordes-Valmore concernait essentiellement la quatrième des "Ariettes oubliées" à cause du vers de onze syllabes et de la rime "jeunes filles"/"charmilles". Il n'était nullement question des autres "ariettes oubliées", et pas du tout de la première et de son lien direct à "C'est moi". Et "Larme" n'a jamais été traité comme un poème s'inspirant de la poétesse douaisienne malgré le recours à un vers de onze syllabes, mais parce que la césure n'a rien à voir.
Les citations suivantes dans le livre de Murphy servent de témoignage sur mes antériorités et l'importance du travail que j'ai effectué :
 
Page 274 : paragraphe de six lignes suivi de la citation des vers de "Rêve intermittent d'une nuit triste" qui contiennent la rime "charmilles"/"jeunes filles", source ici attribuée à Gretchen Schultz dans un article de 1998.  Murphy utilise le conditionnel : "pourrait bien rappeler la première rime de Marceline Desbordes-Valmore". Moi, j'affirme qu'il s'agit d'un rappel.
 
Page 278 : citation de Georges Zayad que Murphy dément ensuite. Zayed dit que Verlaine emploie l'ennéasyllabe à cause de Rimbaud, et l'hendécasyllabe à cause de Desbordes-Valmore. En réalité, il faut se reporter à mes articles autour du traité de Banville pour l'origine d'un recours aux vers de neuf syllabes et même de treize syllabes chez Verlaine, et cela concerne aussi le vers de onze syllabes, mais de fait la quatrième ariette s'inspire directement du "Rêve intermittent d'une nuit triste" de Desbordes-Valmore.
 
Pages 307 note 2 : Murphy cite incidemment la résolution du vers énigmatique : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" qui passait pour un inédit de Rimbaud et qui était un vers de Desbordes-Valmore. Murphy ne fait pas le lien !!! avec la première des "ariettes oubliées" et le poème "C'est moi" d'où vient le vers cité par Rimbaud.
 
Page 340 : note à propos de la première ariette qui va dans le bon sens, Murphy rappelle qu'Olivier Bivort a souligné que l'interjection "n'est-ce pas ?" est fréquente "dans la poésie intimiste du XIXe s. (Lamartine, Hugo, Sainte-Beuve, Desbordes-Valmore, etc.)". Bivort ne va pas jusqu'à identifier que Verlaine reprend le "n'est-ce pas ?" au poème "C'est moi" cité par Rimbaud !
 
Page 347 : note concernant la quatrième des "Ariettes oubliées", celle admise comme en lien à la poétesse : "Réminiscence possible d'un poème de Desbordes-Valmore, Les Sanglots : "Pour entendre gémir les âmes condamnées / Sans pouvoir dire : "Allez ! vous êtes pardonnées." [Le Dantec, 1951, 920]."
Moi, je n'ai aucun doute sur la validité de l'apport fourni par Le Dantec.
 
Page 360 : A propos de la septième des "Ariettes oubliées", Murphy critique une idée d'Antoine Adam qui disait que l'influence de Desbordes-Valmore qui explique le recours de Verlaine aux distiques. Murphy a raison de dire que c'est faux dans l'absolu et que Verlaine s'en sert auparavant, mais vu l'influence globale de la poétesse sur l'ensemble des "Ariettes oubliées", il faut que j'aille voir ça d'un peu plus près...
Même s'il n'a pas tort dans le fond, Murphy est ici dans une position de refus de l'idée d'une influence de Desbordes-Valmore.
 
Page 362 : note en liaison avec la précédente, et toujours à propos du même poème, Murphy persifle l'idée d'une influence de la poétesse en utilisant le conditionnel notamment : "Et l'auteur d'ajouter l'influence de Desbordes-Valmore, qui expliquerait 'certaines innovations métriques, comme le distique [...] ce qui est assez arbitraire."
Le rejet de Murphy des propos d'Antoine Adam, réputé un très mauvais commentateur parmi les éditeurs de Rimbaud et Verlaine, montre qu'il n'a pas vu l'essentiel. Certes, on peut dégonfler l'analyse d'Adam, mais il avait raison. La poétesse est la principale source d'influence des "Ariettes oubliées".
 
Page 410 : nous ne sommes plus avec les "Ariettes oubliées", mais avec la section des "Paysages belges", et on voit que la critique ancienne (avant 1980 quand je dis ça) avait vu l'influence de Desbordes-Valmore, et même si la critique rimbaldienne ou verlainienne a eu un démarrage dans la décennie 1980, avec un rôle moteur de Murphy notamment, au plan de l'influence de Desbordes-Valmore il y a eu une régression. Le Dantec "a comparé ce poème avec Les Roses de Saadi". "Plus récemment, Marc Bertrand a ajouté d'autres comparaisons [...] notamment avec ce vers du Secret perdu : "Voici des noeuds, du fard, des perles et de l'or" et dans Une fleur : "Une femme, une fleur, s'effeuillant sans défense". Propositions intéressantes faites cette fois en 2000. Murphy dit les trouver "plausibles", puis conteste leur intérêt : "il est difficile d'être sûr que ce sont des références volontaires plutôt que des rapprochements aléatoires ou des réminiscences volontaires."
 
Page 414 : A propos de "Spleen", Murphy évoque des intertextes nombreux qui ont été proposés, mais la liste est simplement la mention des noms de différents poètes : Byron, Shakespeare, Ronsard, Nerval, Baudelaire, Desbordes-Valmore, Rimbaud", seuls les intertextes de Baudelaire méritent une précision de la part de Murphy : les quatre "spleen" et "Semper eadem", et le Hamlet de Shakespeare. Le lien à la poétesse serait dû à Zayed si je lis entre les lignes et Murphy conclut ainsi : "aucun de ces intertextes ne suggère véritablement un rapport direct : il s'agit plutôt de rapprochements thématiques peu concluants."
 
J'irai voir cela de plus près.
En août-septembre 2023, j'ai montré que trois au moins des "Ariettes oubliées" étaient massivement inspirées par la lecture des poèmes de Marceline Desbordes-Valmore et cela concernait également "Larme" de Rimbaud... Pour l'instant, seule la quatrième des "Ariettes oubliées" est considérée sous cet angle.
Il va de soi qu'on ne me contactera pas pour faire une mise au point dans un article pour la Revue Verlaine...
Qui va se lancer ?

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