vendredi 11 avril 2025

Bal des pendus : Baudelaire ou bien... Gautier ? La satire ou la drôlerie sadique ? Ce que disent les sources !!! (partie 2 sur 2 : Villon et Gautier)

Dans la première partie de cet article, nous avons vu que les rimbaldiens qui recensaient la lecture de Murphy du poème "Bal des pendus" n'osaient pas la réfuter, mais ne savaient pas quoi en penser. J'ai montré que la comédie de Banville Gringoire était une source évidente au poème "Bal des pendus" et j'ai montré une superposition précise : le passage de la comédie, scène 4 de son acte unique, où Gringoire récite une "Ballade des pendus" en réalité composée par Banville, contient le support qui justifie le sujet de devoir scolaire donné par Izambard à la classe de Rimbaud et en même temps comporte des éléments décisifs quant à la genèse de "Bal des pendus". Au plan du devoir imposé par Izambard, Charles d'Orléans, poète et prince de sang, répond par lettre à Louis XI pour prendre la défense de Villon. Par l'homonymie voulue du titre "Ballade des pendus" Pierre Gringoire est la figure intégrée à la pièce de François Villon, tandis que Louis XI est à la fois l'institution qui condamne le poète, la figure royale, le "prince", titre qui est aussi celui de Charles d'Orléans quelque peu, et celui qui prend la défense de Gringoire contre le récemment annobli et perfide Olivier-le-Daim. Et lorsqu'il se défend lui-même en poète face au roi, Gringoire parle de sa vie souffreteuse d'homme qui ne voit pain qu'aux fenêtres pour citer un vers de Villon, puisque Gringoire parle de sa condition et de sa faim comme le fait Villon dans le "Lais" ou son "Testament" (dans son petit et son grand testament pour parler selon des dénominations erronées qui ont eu cours jadis). Et Rimbaud dans son devoir y fait écho avec la pauvreté, la faim, la folie et l'amour pour les étoiles. Et je le dis déjà, on découvre un lien de bohémiennerie et d'amour pour la vie sous les étoiles qui relie déjà "Bal des pendus" à "Ophélie", ce sur quoi je vais offrir des prolongements plus bas. Au plan de la genèse de "Bal des pendus", le titre "Bal des pendus" est une contraction du titre "Ballades des pendus" qui concerne à la fois un poème médiéval authentique même si le titre est apocryphe et le poème attribué à Gringoire par Banville. Donc, le devoir scolaire et "Bal des pendus" ont pour point de départ un même extrait littéraire, pour dire vite le cœur de la scène IV de la comédie en un acte Gringoire de Banville. Izambard a donc eu le témoignage très juste, à ceci près qu'il ne témoigne pas clairement avoir eu connaissance à l'époque du poème de Rimbaud, ce qui est probable, mais assez mal défini dans son témoignage. Izambard n'avait pas de manuscrit conservé de ce poème, mais il n'en avait pas non plus de "Credo in unam" et "Par les beaux soirs d'été..." Le plus ancien manuscrit conservé par Izambard, c'est le troisième poème envoyé à Banville, puis ce sera le poème "A la Musique" qui date, d'après les plus fines mises au point critique qu'on peut faire, de juin 1871. En clair, ce n'est qu'à la toute fin de l'année scolaire qu'Izambard commençait réellement à conserver une trace manuscrite des prouesses poétiques de son élève. Je n'enfonce pas des "portes ouvertes", je fixe un cadre à la compréhension du problème : puisque "Bal des pendus" ne figure pas dans l'ensemble des manuscrits d'Izambard, peut-on penser que le poème a été composé plutôt en septembre 1870, malgré le témoignage décisif sur le lien de "Bal des pendus" à un devoir scolaire dont la datation est mieux cernée : février-avril 1870 ?
Et donc David Ducoffre qui commentait artificiellement la forme du poème "Génie" en 2004 soutient dans un avenir railleur en 2025 qu'il est autrement artificiel de soutenir que le poème "Bal des pendus" reprend le motif de la caricature de dirigeants bonapartistes exécutés en imagination dans la presse après Sedan. Et tout cela en employant volontiers le présent de l'indicatif pour les états d'esprit des critiques rimbaldiens dans des études tant anciennes que présentes.
Alors, reprenons. J'ai fait remarquer que dans sa comédie le vrai ressort satirique se résume au vers de refrain : les gens sont pendus à cause du roi Louis XI, ce qui équivaut à un reproche, et la mention "Prince" est une adresse directe à celui-ci. On voit dans la suite de la comédie que Gringoire n'assume pas. Mais, Rimbaud n'a pas repris cette unique marque satirique du poème de Gringoire et Banville. Il n'a gardé que l'esprit du reste : la drôlerie sadique. C'est déjà un constat intéressant, parce que cela pourrait nous inviter à ne pas systématiquement chercher la gravité de la démarche satirique dans tous les poèmes ultérieurs de Rimbaud. Il y a une place pour la fantaisie qu'atteste "Bal des pendus" délesté de l'appareil satirique propre au poème de Gringoire. Et j'ai insisté sur l'idée que ce poème qu'on dénonce comme un centon et un exercice a finalement ceci comme propos sérieux de revendiquer le droit du poète à occuper le magistère du bouffon. Et quand j'ai souligné la présence du mot "parnassien" dans le plaidoyer de Gringoire, j'ai oublié de préciser que la comédie date de 1866 l'année même de publication de la première série du Parnasse contemporain. Il faut bien lire tout ça entre les lignes, parce que le 24 mai 1870 si Rimbaud n'envoie pas "Bal des pendus" il parle d'être un "Parnassien", il parle un peu en bouffon, il place un poème "Ophélie" qui offre du prolongement avec les portraits de Gringoire sinon Villon, et "Bal des pendus" drôlerie sadique en vers serait bien à sa place pour expliquer pourquoi Rimbaud écrit ainsi à l'auteur des Odes funambulesques, puisque "Bal des pendus" révèle qu'il en est bien un disciple. Et j'ajoute que "Bal des pendus" si on écarte le quatrain d'octosyllabes est composé de neuf quatrains d'alexandrins, tout comme "Ophélie", tout comme "A la Musique", les trois poèmes en neuf quatrains d'alexandrins pourraient avoir été composés en mai-juin, ou en avril-juin 1870, et le quatrain de bouclage en octosyllabes a sa contrepartie dans la reprises de mêmes vers au premier et au dernier quatrain du poème "Ophélie", procédé de bouclage qui revient dans "Trois baisers", poème qui est la queue de comète des manuscrits remis au professeur Izambard en 1870.
Voilà pour une synthèse de ce que nous apprennent les rapprochements avec Banville.
Nous avons aussi fait un sort aux vers de Baudelaire. Nous avons mis en doute l'influence de Baudelaire et souligné l'importance plutôt du poème "Danse macabre" que des célèbres "Charogne", "Voyage à Cythère" et "Métamorphoses du vampire". Et, j'ai fait remarquer que l'expression entière "danse macabre" était à la fois à la rime dans "Danse macabre" et dans "Bal des pendus", ce qui est assez remarquable. Le problème, c'est que l'expression "danse macabre" est aussi tout entière à la rime dans "Bûchers et tombeaux" de Gautier qui, on va le rappeler plus bas, est une source d'inspiration plus évidente de "Bal des pendus" que le morceau des Fleurs du Mal. En gros, la source d'inspiration, c'est "Bûchers et tombeaux", mais comme la composition ne se fait pas en un claquement de doigts Rimbaud a pu repérer que Baudelaire avait imité "Bûchers et tombeaux" dans "Danse macabre" et c'est ainsi qu'on peut comprendre pourquoi on peut parler de plusieurs références à un passage de Rimbaud qui, dans l'absolu, n'a eu besoin que d'une source d'inspiration pour exister.
Nous n'avons donc pas complètement écarté Baudelaire comme source d'inspiration, mais nous l'avons minimisé et en même temps il rejoint le cas de Banville pour souligner le véritable état d'esprit du poème de Rimbaud, une drôlerie sadique et non pas une satire d'actualité. Toutes les sources sont contradictoires avec la thèse que Rimbaud aurait pour sujet le châtiment fictif des dirigeants bonapartistes.
Et une subtilité de la fin de première partie, c'est quand je dis que le titre "Bal des pendus" est une autre façon d'écrire "Comédie de la mort", car je fais entendre que "Bal des pendus" est une réécriture du titre célèbre de Gautier derrière la contraction du titre "Ballade des pendus", et que ce titre correspond précisément à la conservation de l'esprit de drôlerie sadique des vers de Banville, sans le refrain qui était l'essentiel du propos satirique. Et je ne m'arrête pas là. Car, "Bal des pendus" et "Comédie de la mort" sont aussi deux façons de réécrire la formule "Danse macabre". Il n'y a pas besoin de tout un discours sur la symétrie évidente des trois expressions : "danse/bal/comédie" et "macabre/pendus/mort". Et les intentions satiriques d'une danse macabre, nous les retrouvons bien dans "Bal des pendus" et il s'agit d'un discours assez général sur l'être humain qui n'est pas compatible avec l'idée d'une charge contre une cible plus fouillée. Et nous en arrivons aux sources dans les poésies de Gautier. Nous allons montrer que "Bal des pendus" est saturé de références aux vers de Gautier au point qu'il n'y a plus la place pour supposer que telle idée du poème ne pourrait s'expliquer que par une prise en considération de caricatures contemporaines dans la presse de septembre ou octobre 1870.
Il y a un problème de saturation des renvois aux vers de Gautier qui fait que la thèse d'une satire antibonapartiste va devoir se fonder sur une démonstration autrement tangible si elle veut continuer d'avoir un intérêt critique.
Alors, tout commence avec "Bûchers et tombeaux" du recueil Emaux et camées.
Le poème est en quatrains d'octosyllabes, ce que Rimbaud a repris dans le quatrain de bouclage du poème :
 
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Rimbaud a repris le principe du quatrain de rimes croisées, ce qui n'est pas propre à Gautier bien sûr, mais le recours aux octosyllabes tend déjà à favoriser un rapprochement, puisque même si les quatrains d'octosyllabes sont courants, inévitablement on va songer aux poètes qui y recourent le plus ou aux recueils qui l'affectionnent le plus. Et parmi la liste fermée des poètes les plus connus du XIXe siècle, Gautier et Hugo sont plus réputés employés l'octosyllabe que Musset, Lamartine, Banville, Sainte-Beuve, Baudelaire, Leconte de Lisle et d'autres. Et comme le sujet d'une danse de squelettes a souvent été traité par Gautier, on a une deuxième biais pour penser que Rimbaud s'inspire ici d'un poème en vers de huit syllabes sur le motif du bal de squelettes. "Bûchers et tombeaux" et "Le Souper des armures", deux poèmes consécutifs du recueil Emaux et camées, sont les meilleurs candidats.
Et la répétition "Dansent, dansent" correspond à la répétition de l'impératif : "Reviens, reviens" de l'antépénultième quatrain de "Bûchers et tombeaux" avec une inversion du point de vue. Gautier affiche sa répugnance et prône le retour rassurant de l'art antique, ce qui ne va pas sans un peu de second degré, tandis que Rimbaud joue la complaisance sadique. Je cite le quatrain en question de Gautier :
 
Reviens, reviens bel Art antique,
De ton Paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique ;
Dévore-le, bûcher brûlant !
 Ce quatrain est aussi une forme de bouclage de la composition, puisqu'il reprend le propos du tout premier quatrain, avec ce glissement de l'idée de "forme sensible" à "forme immortelle" :
 
Le squelette était invisible
Au temps heureux de l'Art païen ;
L'homme, sous la forme sensible,
Content du beau, ne cherchait rien.
Alors, je vous donne un premier cours d'originalité au-delà de l'imitation. Il va de soi que Gautier fait semblant, puisqu'il a trouvé amusant d'écrire une "danse macabre", mais Rimbaud a repris différemment l'idée de bouclage. Au lieu de reprendre un propos explicite avec deux mots clefs en commun "squelette" et "Art", Rimbaud a reconduit un quatrain à l'identique, accentuant la relation de la poésie à la chanson, ce qui est qui plus est conforme au sujet d'un "Bal des pendus" sous la musique enragée des "violons". Centon il y a, mais vous voyez déjà qu'il y a un traitement génial en sous-main. Ensuite, Rimbaud inverse l'idée. Gautier mime la répugnance qui veut échapper à la vision et il appelle l'Art antique à son secours, mais aussi il parle d'achever la destruction pour que l'horreur cesse en appelant la flamme des bûchers à faire disparaître les os. Car l'horreur est moins la mort que cet entre-deux des squelettes entre la vie et la mort. Et Rimbaud qui est très intelligent, un peu plus en tout cas qu'un rimbaldien, il a compris qu'il pouvait jouer autrement avec cette donnée du poème de Gautier et il a imaginé que la destruction n'opère pas, et que l'obsession demeure avec cette danse qui offre un spectacle non pas figé, puisque remuement il y a, mais permanent. Vous comprenez tout le sel qu'il y a à passer de "Reviens, reviens" à "Dansent, dansent"... Rimbaud a aussi repris le nom "squelette", mais au pluriel et l'expression "squelettes gothiques" qui fait couleur locale de la manière la plus simple qui soit est remplacée par "squelettes de Saladins". Gautier n'emploie pas l'antonomase "Saladins", mais "Sarrasins" figure à la rime dans le poème suivant "Le Souper des armures", et il s'agit d'un épouvantail pour les chrétiens que ce nom "Saladin" lié aux croisades, et le mot "Saldins" suit la mention "diable" à la rime qui prend le contrepied de l'occurrence "Dieu" à la rime dans l'avant-dernier quatrain de "Bûchers et tombeaux", autrement dit Rimbaud s'est inspiré pour composer son quatrain "Au gibet noir..." de deux quatrains successifs de "Bûchers et tombeaux", et je citerais malgré tout le quatrain ultime du poème de Gautier dans la foulée, parce que cela éclaire les intentions de Rimbaud, et je citerais même les quatre derniers quatrains en fait :
 
Mais, voile-toi, masque sans joues,
Comédien que le vers mord,
Depuis assez longtemps tu joues
Le mélodrame de la Mort.
 
Reviens, reviens, bel Art antique,
De ton Paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique ;
Dévore-le, bûcher brûlant !
 
Si nous sommes une statue
Sculptée à l'image de Dieu,
Quand cette image est abattue,
Jetons-en les débris au feu.
 
Toi, forme immortelle, remonte
Dans la flamme aux sources du Beau,
Sans que ton argile ait la honte
Et les misères du tombeau !
On peut comparer la fin "les misères du tombeau" au vers : "Les squelettes de Saladins", mais ce dernier vers me fait songer plus encore à "Le mélodrame de la Mort" avec lequel il partage une certaine drôlerie de tournure. Mais, j'ai deux raisons précises pour lesquelles j'augmente ma citation. Premièrement, Rimbaud a pu identifier que Gautier citait le titre de son poème "La Comédie de la mort" : "Comédien", puis "mélodrame de la Mort". Ensuite, il y a ce motif d'un être humain fait à l'image de Dieu. Or, les squelettes exhibés sont assimilés à des non-chrétiens. Il s'agit bien sûr de second degré et pas d'une notation réaliste, mais cela a toute son importance, puisque du coup "paladins du diable" et "squelettes de Saladins" s'opposent à cette idée d'un homme "à l'image de Dieu". Dans le poème de Gautier, ce qui est mis en avant, ce n'est pas le gibet, mais le tombeau d'un côté et de l'autre le bûcher, et le bûcher a une fonction inverse du gibet, il sert à faire disparaître, alors que le gibet exhibe. Le propos de Rimbaud, c'est de conserver la leçon du squelette, alors que Gautier propose le change d'un retour au néant pour ne pas avoir à renoncer à notre foi en une origine divine, Gautier étant à lire au second degré, je le rappelle encore une fois. Rimbaud oblige le lecteur et Gautier à supporter la vue de cette révélation de vanité qu'est un squelette en mouvement, un squelette dansant...
Il est évident que cette satire a une visée générale et ne correspond pas à l'actualité de la défaite de Sedan. Je n'ai pas trouvé de source à l'expression "manchot aimable", mais je citerai quand même l'occurrence de "manchots" plus loin dans des vers de Gautier, mais on peut envisager une création originale isssue là encore d'une inversion par rapport à un modèle, la forêt de bras tendus dans le poème récité par Gringoire. L'ironie décalée est la même : "manchot aimable" correspond à l'idée de pendus vus comme des fruits magnifiques dans un verger.
Voilà pour le quatrain d'octosyllabes.
Mais, "Bal des pendus" est un poème essentiellement composé en alexandrins et pas en octosyllabes, ce qui est censé nous éloigner du poème de Gringoire et de "Bûchers et tombeaux" ou "Le Souper des armures". Qu'à cela ne tienne ! La preuve la plus flagrante que Rimbaud s'est inspiré de "Bûchers et tombeaux" figure dans les alexandrins. Rimbaud a carrément repris des rimes au poème "Bûchers et tombeaux" et il les a distribuées en respectant l'ordre de défilement du modèle et avec une similaire promiscuité (le pronom "Il" désigne le squelette) :
 
Il signe les pierres funèbres
De son paraphe de fémurs,
Pend son chapelet de vertèbres
Dans les charniers, le long des murs ;
 
Des cercueils lève le couvercle
Avec ses bras aux os pointus,
Dessine ses côtes en cercle
Et rit de son large rictus.
 
Il pousse à la danse macabre
L'empereur, le pape et le roi,
Et de son cheval qui se cabre
Jette bas le preux plein d'effroi.
 
Rimbaud a démarqué ces trois quatrains dans son poème :
 
Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !
 
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
 
Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
 Rimbaud n'avait pas repris dans sa répétition "Dansent, dansent", les injonctions au mode impératif : "voile-toi", "reviens, reviens". Vous remarquez que ce qu'il a laissé de côté il y revient ici. Je n'ai pas d'explication pour la forme "capitans" qui rappelle la mention "capitaine" du Gringoire de Banville, mais si Gautier n'emploie guère "baladin" dans ses vers, le mot étant bien présent dans Le Capitaine Fracasse, ce mot "baladin" désignait Gringoire dans la bouche d'Olivier-le-Daim dans le cadre de la comédie de Banville. L'adjectif "sournois" était employé comme nom dans la pièce de Banville. Les sources se croisent, et j'ajoute ma thèse d'une allusion superposée au sonnet "Le Pitre" de Verlaine qui fait partie du volume collectif Sonnets et eaux-fortes qui était on l'oublie la deuxième publication officielle collective des parnassiens, la troisième n'étant pas achevée quand Rimbaud écrit à Banville en mai 1870...
Mais ce qui ressort ici, c'est l'évidente reprise des rimes au poème de Gautier. Rimbaud ne reprend pas un mot à la rime, il reprend deux paires de rimes, et il ne reprend pas que l'adjectif "macabre", il reprend la locution "danse macabre", et enfin dans deux cas la reprise de la rime s'enrichit de reprises de mots de l'intérieur des vers "chapelet" et "cheval".
J'en profite pour souligner l'importance non artificielle d'une prise en considération des éléments formels du poème. Si on lit tour à tour "Bal des pendus" et le duo "Bûchers et tombeaux"/"Souper des armures" on peut n'être frappé que par une vague ressemblance et trouver cela insuffisant, mais si on s'arrête sur la charpente des poèmes l'évidence jure par les deux yeux.
Voici comment sur un site de cours en ligne pour les lycéens, l'enseignante prénommée Amélie procède : cliquer ici pour accéder à son commentaire sur son site internet ! 
Dans l'introduction, la "Ballade des pendus" de Villon est confondue avec celle de Banville, mais il est question d'autres sources "décelables" comme "Bûchers et tombeaux" et "Le Souper des armures". Le rapprochement est effectué au nom du recours à la "veine gothique", ce qui correspond à l'élargissement que s'autorisait Alain Vaillant en rapprochant "Bal des pendus" de poèmes très différents comme "Une charogne", "Un voyage à Cythère" et "Les Métamorphoses du vampire". L'enseignant qui veut éduquer à la méthode du commentaire composé fournit une problématique : "Comment Rimbaud se saisit-il de ces modèles et de ces traditions littéraires pour composer une danse macabre à sa manière ?" Amélie identifie parfaitement "Bal des pendus" en tant que "danse macabre", et sa problématique rejoint nos préoccupations. En revanche, le fait qu'elle mette en gras l'expression "traditions littéraires" nous chiffonne puisque cela s'éloigne de notre intérêt plus marqué pour les réécritures de modèles précis, bien spécifiés.
Amélie ne précisera pas dans le corps du commentaire pourquoi elle pense que "Le Souper des armures" est aussi une source potentielle. Pour "Bûchers et tombeaux", elle ne s'intéresse pas au quatrain d'octosyllabes de Rimbaud, et de toute façon c'est d'un niveau trop élevé pour des lycéens, mais elle va faire un premier rapprochement qui est un parallèle d'idées. Rimbaud crée la périphrase : "chemise de peau" et cela ressemble à une expression du poème de Gautier : un squelette "se déshabillant de sa chair". Puis, pour les expressions "chapelet d'amour" et "pâles vertèbres", elle identifie un souvenir du poème de Gautier avec la formule "chapelet de vertèbres" régie par la même rime que Rimbaud "funèbres"/"vertèbres". Amélie cite ce quatrain. Et, même si on encourage un bon critique à ne pas tout dire et à renoncer à formuler les suites évidentes de son raisonnement, Amélie ne va pas citer l'autre rime en commun, ni tout ce que cela ouvre comme perspective de comparaison entre les deux poèmes.
Il n'y aura aucune autre mention de Gautier dans le commentaire et si elle cite le quatrain de Gautier qui contient le mot "fémurs" elle ne le rapproche pas non plus de sa mention dans un autre passage de "Bal des pendus".
Il y a une amorce de comparaison formelle entre les deux poèmes, mais elle ne va pas jusqu'au bout, et cela est un peu décevant en regard de la problématique annoncée.
Donc, ici, je prends la peine de tout désosser. Le mot "preux" du dernier passage cité de Gautier est repris ailleurs par Rimbaud : "Des preux, raides, heurtant armures de carton."
J'ai cité trois quatrains de chacun des poètes, mais dans chaque cas un quatrain n'est pas concerné par la reprise de rimes à l'identique ! Oui, mais Rimbaud a procédé autrement. Il s'est alors inspiré du rapport entre "rit" et "rictus" pour créer une amplification : "Crispe", "craque", "cris et "ricanements", quatre termes à confronter bien sûr à "chant" dans "chant des ossements". Notez que dans l'opération il naît une symétrie sonore troublante entre "comme un cheval se cabre" et "fémur qui craque", mais justement le mot "fémur" à la rime chez Gautier et au pluriel perd cette position chez Rimbaud au profit précisément de l'amplification sonore inspirée de "rit" et "rictus", puisque "qui craque" relais de la série qui va de "Crispe" à "ricanements" chasse de peu "fémur" de la position de rime. Et même l'adjectif "large" a finalement un écho dans le poème de Rimbaud, puisque l'amplitude passe du rire à l'objet qui cause le rire : "Emporté par l'élan". Voilà le type de génie qu'est Rimbaud à ce moment-là. J'ai souligné "moustiers" et "charniers" parce que je relève bien entendu une symétrie de position avec une rime qui peut s'établir entre les deux poèmes, et là encore on retrouve une inversion dans la réécriture : le monastère s'opposant aux valeurs du charnier. Le mot "moustier" vient du "Testament" de Villon", c'est l'un des rares passages de "Bal des pendus" qui s'inspire des poésies de Villon, "Bal des pendus" étant plutôt la réécriture d'un titre que d'autres ont apposé à une ballade de Villon. Rimbaud a aussi repris la rime "danse"/"panse" que Villon emploie comme rime interne et non comme rime en tant quelle, et il a fait un clin d’œil à "Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés" avec la mention du "corbeau" qui "fait panache".
En revanche, nous voyons que pour ses sources Rimbaud se concentre sur les vers de Gautier et nous allons voir que ce n'est pas terminé. Et justement, j'ai mis les mots à la rime "trépassés" et "ossements" en rouge, parce que "ossements" est un mot à la rime dans "Une charogne", sorte d'excuse ultime à un rapprochement avec Rimbaud, et ce mot est à la rime au vers 12 de "Bûchers et tombeaux" au sein qui plus est d'une expression qui ressemble beaucoup à celle "armures de carton" de "Bal des pendus" : "Une armature d'ossements". Ainsi, Rimbaud s'est également inspiré de chacun des quatre premiers quatrains de "Bûchers et tombeaux". La mention "Au gibet noir" inverse l'attaque du poème de Gautier :
 
Le squelette était invisible
Aux temps de l'Art païen ;
[...]
Au second quatrain, Rimbaud a repris l'idée de placer l'adjectif "hideux" au milieu de l'émoi amoureux : "Spectre hideux de l'être cher" contre "hideux amour" et comme mentionné plus haut il a adapté "se déshabillant de sa chair" en "chemise de peau". Notez que Gautier jouait comme rarement de l'équivoque banale à la rime "tombe"/"tombe" :
 
Pas de cadavre sous la tombe,
Spectre hideux de l'être cher,
Comme d'un vêtement qui tombe
Se déshabillant de sa chair,
Et cela se poursuit donc avec l'adaptation en deux endroits de "armature d'ossements" qui a donné à la rime "armures de carton" puis "chant des ossements". J'ajoute qu'au plan formel il y a une symétrie de rimes sur des noms au suffixe en "-ments" : "épouvantements" et "ossements" contre "ricanements" et "ossements", "ricanements" étant en idée une inversion de "épouvantements".
Et le quatrième quatrain confime que "hideux" est repris au deuxième quatrain, puisqu'il offre un modèle sensible à "les poitrines à jour / Que serraient autrefois les gentes damoiselles" avec "enserrait" :
 
Mais au feu du bûcher ravie
Une pincée entre les doigts,
Résidu léger de la vie,
Qu'enserrait l'urne aux flancs étroits,
 
[...]
Le poème "Bûchers et tombeaux" est composé de vingt-sept quatrains d'octosyllabes à rimes croisées. "Bal des pendus" est composé de seulement neuf quatrains d'alexandrins et d'un quatrain d'octosyllabes à deux occurrences, dix quatrains en tout donc pour ce qui est de la création. Rimbaud s'est inspiré des quatre premiers quatrains de "Bûchers et tombeaux", plus allusivement des quatre derniers, et il s'est surtout nettement inspiré de la suite des quatorzième à seizième quatrains. Cela fait un ensemble de onze quatrains de Gautier qui ont inspiré les dix quatrains de Rimbaud. Nous pouvons relever plus rapidement les éléments des autres quatrains qui ont pu marquer Rimbaud et l'influencer dans sa composition.
 
 Rimbaud a bien sûr relevé toutes les mentions de la danse et notamment du verbe "danser" en attaque de vers comme à la fin du sixième quatrain :
 
[...]
Amours, aegipans et bacchantes
Dansent autour du monument.
 
L'énumération de Gautier est modifiée. Rimbaud place le sujet après la scansion "Dansent, dansent", il inverse donc la succession habituelle sujet/verbe, et Rimbaud pratique une expansion nominale avec une répétition de mot puis un déplacement de l'écho rimique : "les paladins"/ "les paladins du diable"/" les squelettes de Saladins".
Rimbaud n'a pas repris les quatrains où Gautier explique que c'est à cause paradoxalement du christianisme que nous avons droit à une vision plus infernale de la mort. On peut minimalement rapprocher "drap noir" de "gibet noir", mais c'est un détail, si ce n'est que c'est suivi par le vers : "Le squelette se fait voir" qui illustre bien ce que nous disions sur l'attaque "Au gibet noir" qui fait entendre qu'on va exhiber ce que Gautier fait mine de ne pas supporter de voir.
Rimbaud n'a pas réécrit des vers de certains quatrains, mais il a tout de même repris le motif de la danse des squelettes :
 
A chaque pas grossit la bande ;
Le jeu donne au vieux la main ;
L'irrésistible sarabande
Met en branle le genre humain.
Maintenant, que Sarah bande elle-même ou branle un fémur, l'histoire ne le dit pas. Rimbaud construit une image similaire de groupe dansant en tout cas.
 De la famille du nom "bal", le mot "ballet" est à la rime dans un quatrain de "Bûchers et tombeaux". Je rappelle que, cependant, le poème de Gautier ne décrit pas un ensemble de pendus. Rimbaud imite l'idée de "danse macabre" de ce poème, mais le motif d'une danse entre pendus vient du poème de Banville.
On appréciera aussi ce vers où "Dansant" est en attaque et "rebec" à la rime, ce mot rare "rebec" étant employé dans le devoir scolaire "Charles d'Orléans à Louis XI" : "Dansant et jouant du rebec[.]"
Le poème qui suit "Le Souper des armures" est lui-même en quatrains d'octosyllabes. Là encore, nous avons affaire à une danse macabre, et encore une fois il n'est pas question de "pendus", même si l'idée du pendule cassé de l'horloge qui coince le résident dans le passé favorise la suggestion.
Rimbaud a repris la rime "enfer"/"fer" au "Souper des armures et cela va de pair avec l'idée du "ciel rouge"., motif appuyé de "Bal des pendus", puisque le poème "Le Souper des armures" joue à suggérer que les morts viennent de la fixation de Biorn hanté par son passé à regarder l'horizon où le soleil s'est couché !
 
Quand tous ont les yeux vers l'aurore,
Biorn, sur son donjon perché,
A l'horizon contemple encore
La place du soleil couché.
 
Âme rétrospective, il loge
Dans son burg et dans le passé ;
La pendule de son horloge
Depuis des siècles est cassé.
 
[...]
 
Landgraves, rhingraves, burgraves,
Venus du ciel ou de l'enfer,
Ils sont tous là, muets et graves,
Les raides convives de fer !
 
On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
 
Hurrah ! La bise siffle au grand bal des squelettes !
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont répondant des forêts violettes :
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
 
[...]
 
Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l'élan [...]
 
 Rimbaud a pu être frappé par les ellipses grammaticales : "Trouvant manger seul ennuyeux" pour "Trouvant que manger seul était ennuyeux".
Le poème "Le Souper des armures" est quelque peu une variation du motif de la nouvelle "La Cafetière", récit fantastique célèbre de Gautier où apparaît une des rares occurrences du néologisme "vibrement" qui figure aussi dans le premier sonnet des Premières poésies de Gautier au vers 9, comme pour "Voyelles" de Rimbaud, poème où le spectacle de la Mort sait aussi se faire une place... Au fait, l'expression "quand minuit sonne" du "Souper des armures", elle n'a pas un écho dans le poème "Les Effarés" ? Je ne vous ferai pas l'affront de comparer phonétiquement "barricade son château" et "entre dans la baraque". Je sens que l'agacement monte en vous...
Poursuivons !
Rimbaud a pu s'intéresser au passage suivant du "Souper des armures" :
 
Pour s'asseoir, chaque panoplie
Fait un angle avec son genou,
Dont l'articulation plie
En grinçant comme un vieux verrou ;
 
Et tout d'une pièce, l'armure,
D'un corps absent gauche cercueil,
Rendant un creux et sourd murmure,
Tombe entre les bras du fauteuil.
Notez bien que les morts sont représentés par des armures qui sont vide. Rimbaud repasse à l'idée des os de squelettes. La fin de "Bal des pendus" préfère aussi à la description des personnages assis le mouvement des jambes allongées des pendus qui remuent dans tous les sens : "petits doigts sur son fémur", mais dans une danse de Saint-Guy. Et le vers : "Rebondit dans le bal au chant des ossements" a quelque chose de la saveur mécanique du vers : "Tombe entre les bras du fauteuil."
Notez que pour le quatrain où "ciel rouge" côtoie le mot "cou" à la rime, j'ai un quatrain du "Souper des armures" avec le mot "cous" à la rime qui est précédé par "rayon fauve".
Le mot "panaches" est employé dans le quatrain suivant, et cela doit avoir favorisé la création verbale : "Le corbeau fait panache" chez Rimbaud. Gautier, avant Rimbaud, joue sur l'idée de vie qui retombe dans cette physique des corps :
 
Une pièce qui se déboîte
Choit sur la table lourdement.
 Il est question aussi des "orgues des corridors", de "drapeaux des infidèles", de "hauberts" qui "bombent les ventres", même s'il n'y a plus de panse en-dessous des armures. Comme je l'ai déjà dit, la mention au pluriel à la rime "Sarrazins" vaut pour équivalence du pluriel "Saladins" du poème rimbaldien. La différence, c'est que chez Rimbaud les pendus sont eux-mêmes les mécréants. Biorn est décrit "un poing sur la cuisse", image de vie que tourne en mort Rimbaud : "ses petits doigts sur son fémur", avec l'idée que l'adjectif "petits" caractérise la réduction à l'os, le manque de carnation. Et notons que dans le poème de Gautier l'aurore chasse les spectres et le spectacle, ce que Rimbaud se garde d'appliquer à son poème où la reprise du quatrain initial maintient la figure de l'obsession crépusculaire.
En voilà assez sur Emaux et camées, je vous épargne de plus minuscules considérations de détail. Il est temps d'aller voir si Rimbaud ne s'est pas reporté à d'autres poèmes de Gautier. Après tout, il est question aussi de nouvelles de Gautier ou du roman L'Homme qui rit de Victor Hugo dans les sources d'inspirations proposées par d'autres critiques. Moi, je vais me contenter des vers de Théophile Gautier, et j'explique ici la logique de mon approche.
Rimbaud est en 1870 un poète qui apprend le métier, et la facture des vers suppose une assimilation de ce que les prédécesseurs font couramment ou non. Pour moi, les répétitions immédiates sont remarquables par exemple : "Dansent, dansent" / "danser, danser aux sons d'un vieux Noël". Je suis sensible aussi aux interjections, voire à leur orthographe : "Hurrah !", "Hop", "Holà", "Ô", "Oh ! voilà". Je constate que l'exclamation "Hurrah" est à la tête du troisième et du sixième quatrain d'alexandrins, ce qui suggère une composition en trois fois quatrains, ce qui reste bien sûr à établir, et puis "Holà" et "Oh voilà" sont en tête des septième et huitième quatrains. Les exclamations ont une contribution sensible à la structure rythmique des neuf quatrains d'alexandrins.
Il me saute aux yeux que la césure suivante est issue de la lecture de poètes romantiques : Hugo, Banville, Gautier, etc.
 
Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale !
Rimbaud ne place pas "jamais" ainsi devant la césure parce qu'il en a eu le premier l'idée, il a repéré à plusieurs reprises cette subtilité dans des vers romantiques, a dû percevoir la nouveauté de ce tour par opposition à son absence dans les vers classiques, et du coup on peut éventuellement identifier une source au poème "Bal des pendus" en retrouvant un "jamais" devant la césure dans un poème qui offre bien sûr des points de comparaison avec "Bal des pendus". J'ai problématisé ainsi ce que m'inspirait ce vers, et j'ai trouvé ce que je cherchais, on va le voir plus loin. J'ajoute que je cherchais aussi une expression équivalente à "jamais on n'use sa sandale" et que je m'intéressais à la rime rare : "sandale" et "scandale". J'avais tout ça en tête, ce qui fait que quand je suis tombé sur la source de Rimbaud je l'ai reconnue. Je cherchais aussi des équivalents à l'expression "tire par la cravate", et je m'intéressais aussi à la rime "cravate"/"savate", et si je n'ai pas trouvé tout ça, j'ai trouvé l'élément plus discret dont est parti Rimbaud, en m'intéressant précisément en même temps à la mention "Belzébuth".
Il est temps de procéder à la mise au point.
Commençons par "La Comédie de la mort".
Ce poème est divisé en deux parties qui sont des miroirs inversés : "La Vie dans la mort" et "La Mort dans la Vie". Elle est composé en sizains d'alexandrins avec des hexasyllabes conclusifs de modules (vers 3 et vers 6 des sizains pour faire simple). La première partie évoque le jour des morts quand tout le monde se rend dans les cimetières et adresse des prières à Dieu. Le poète est un spectateur moins concerné par le deuil qui à distance se plonge dans une méditation personnelle pour les tombeaux abandonnés de ceux que tous ont oublié. Le poète fait l'hypothèse que les morts ne dorment pas vraiment dans la tombe, qu'ils ressentent le froid et subissent la nécessité de passer le temps à rêver. J'ai envie au passage de mentionner ce motif romantique présent dans "Voyelles" sous la forme d'un néologisme repris à Gautier dont je parlais tout à l'heure, celui des vibrations du cœur :
 
Peut-être aux passions qui nous brûlaient, émue,
la cendre de nos cœurs vibre encore et remue
       Par-delà le tombeau[.]
J'espère en disant cela de ne pas enfoncer des tombes fermées.
Avec sa grâce exquise, Gautier imagine que seul le saule pleureur avec ses longs bras "Se plaigne sur vous" qui êtes morts.
Le récit de Gautier n'entre pratiquement pas en résonance avec "Bal des pendus" dans cette longue lecture qui vaut plus pour elle-même, quand soudain le vers de six syllabes vous jaillit à la face : "Et sa poitrine à jour," car il est l'objet d'un emprunt de la part de Rimbaud :
 
[...]
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
[...]
 
Cette mention chez Gautier est suivie immédiatement par le motif du rire de squelette : "Riant affreusement, d'un rire sans gencive," ce qui correspond à la note du quatrain rimbaldien : "Se heurtent longuement dans un hideux amour" et à sa suite.
Gautier enchaîne avec les propos rapportés d'un amant défunt à son amoureuse justement, laquelle n'a pas eu la fidélité de le rejoindre.
Cette pensée de la perte de la foi jurée dans la mort suffit à faire devenir un début de cadavre notre poète.
La méditation a favorisé le surgissement du fantastique. Le poète imagine les morts qui prennent la parole pour formuler les reproches aux vivants. Et nous avons la mention "trépassée" à la rime puis sa reprise en didascalie dans un dialogue avec le ver. Je me permets d'indiquer rapidement que le mot "trépassés" accordé au féminin, au pluriel, ou au masculin singulier va revenir abondamment dans la suite de "La Comédie de la mort" et notamment à la rime comme Rimbaud l'a employé. La rime "cassés"/"trépassés" de Rimbaud qui fait songer à celle "cassé"/"passé" du "Souper des armures" a donc une source dans une autre composition de Gautier.
Certains vers dits par "Le Ver" font écho à "Que t'importe, mon cœur,..." des Feuilles d'automne et anticipe d'autres de Baudelaire dans "Les Petites vieilles".
 La rime "squelettes"/"violettes" est commune à "Bal des pendus" et "La Comédie dans la mort", même si le rapprochement pour le contenu n'est pas probant :
 
Hurrah ! La bise souffle, au grand bal des squelettes !
[...]
Les loups vont répondant des forêts violettes :
[...]
 
[...]
Voir tous les trépassés cadavres ou squelettes,
 Avec leurs os jaunis ou leurs chairs violettes,
[...]
Ceci dit la proximité de "Gémir que l'ouragan," qui est comparable à "Le gibet noir mugit comme un orgue de fer" lui donne de la légitimité.
La proximité concerne d'ailleurs aussi la mention "fêlées" à la rime, entre "cloches fêlées" chez Gautier et "têtes fêlées" chez Rimbaud.
Le tournoiement chez Gautier, c'est celui des lugubres pensées qui tournent en lui quand il rentre ensuite chez lui.
Je vais éviter de tout citer : "corbeaux", "trembler", "grimaçante".
Dans l'intérieur de l'appartement du poète, un crâne prend la parole et se présente comme étant Raphaël d'Urbin. S'exaltant, le poète fournit une rime "pourriture"/"mère nature" qui m'a frappé, puisque Baudelaire étant connu pour avoir énormément imité de poèmes de Gautier, j'identifie un mot à la rime de "Une charogne" et de l'autre l'expression "mère nature" que Rimbaud emploie à la rime dans "Credo in unam". J'ai trouvé ça remarquable.
Le quatrain suivant place à la rime "brunes madones", mais assez sur ce sujet.
Gautier pleure alors, un peu à la Musset, la mort du christianisme et déplore le règne de la science en ce siècle.
Et puis on passe à ce motif de la "trompette" du Jugement dernier qui me donne toujours plus envie de citer tous les vers de Gautier et Hugo où le motif du "clairon" ou de la "trompette" est mobilisé bien avant "Voyelles", parce que je pense qu'il y a un historique de ce cliché qui serait éclairant pour "Voyelles"...
Le relevé peut vous paraître un peu maigre sur "La Vie dans la mort", mais vous pouvez sentir que cela ouvre des perspectives.
Passons à la deuxième partie intitulée "La mort dans la vie" où au premier sizain "maigre carcasse" rime avec "grimace".
Gautier explique que tous ne sont pas dans les tombeaux, qu'il est des "trépassés de diverse nature".
Gautier parle alors de l'idée des morts des âmes dont on ne prend pas conscience et qui n'ont pas de tombeaux. Ce sujet ne concerne pas "Bal des pendus" de Rimbaud cependant : "Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses[.]"
Je relève bien sûr des mots que Rimbaud a pu prendre en considérations : "mêlés", de nouveau "trépassés" et "ossements" , "Belzébuth", etc. Je relève à nouveau la rime "passé"/"cassé". Tout cela toutefois ne vous intéresse pas. Pour vous, ça n'a plus rien à voir avec "Bal des pendus" et vous accueillez un second relevé de "cœur qui vibre" avec indifférence.
Vous ne voulez même pas des vers avec "Marguerite" et "charogne" à la rime sources pour des vers souvent cités de Baudelaire.
J'ai quand même envie de vous forcer au relevé du mot "panache" à la rime, il est question d'un "cavalier avec un grand panache" et non d'un corbeau. Et puis un hexasyllabe "Au fond du ciel ouvert" attire automatiquement mon attention de rimbaldien aguerrie, je pense à un vers des "Effarés", poème qui s'inspire de poèmes d'un recueil d'Auguste de Châtillon préfacé par Gautier.
Un bestiaire macabre fait tout de même une petite apparition qui justifie plus pleinement des rapprochements avec "Bal des pendus" pour les cris et les loups :
 
Entends-tu le hibou qui jette des cris aigres ?
Entends-tu dans les bois hurler les grands loups maigres ?
 J'ose à peine vous citer aussi l'exhortation "rentre" répété deux fois à l'adresse du vieillard.
Et là Don Juan prend la parole en développant un motif plus heureux de la "rougeur du soir" avec la "feuille au vent" qui "vibre comme une lyre".
Il est aussi question de "pâquerette" "échappée au bal" ce qui introduit l'idée que le bal est un masque trompeur de la comédie de la mort. Cela se poursuit avec l'expression "fins de bal" plus loin à la rime.
Le rouge crépusculaire bascule ensuite en motif infernal comme dans le poème de Rimbaud. En clair, si les rapprochements sont plus diffus, il faut quand même rester en éveil et ne pas laisser soudain tomber son intérêt pour les rapprochements entre "La Comédie de la mort" et "Bal des pendus".
D'ailleurs, après Don Juan, nous avons droit à l'empereur Napoléon Premier, il y a de l'espoir pour la thèse de lecture de Murphy. Et je relève un "comme" à la rime que je dois ranger dans mon herbier que je vous montrerai un jour.
Je relève le vers "Un concert de clairons et de hurrahs serviles" également.
Bon, j'ai le poème hier et mon temps libre diminue.
Je reviendrai plus tard pour vérifier si je n'ai rien oublié.
J'ai lu plusieurs poèmes des Poésies diverses qui avaient des sujets comparables à "Bal des pendus". Et "Thébaïde" en particulier a retenu mon attention.
Ce poème fait partie de ceux où Gautier mentionne "Ophélie", il joue même sur la variation "Ophélia"/"Ophélie", et il fournit la rime "Ophélie"/"folie". Mais ce n'est pas tout, il contient au vers 5 une répétition immédiate : "Loin, bien loin" que Rimbaud exhibe dans "Par les beaux soirs d'été..." Et, du coup, pour les deux premiers des poèmes envoyés par Rimbaud à Banville le 24 mai1870 on a un double rapprochement avec Murger et un double avec Gautier. Je viens de citer les deux liens à "Thébaïde" et pour Murger, il y a des quatrains d'un poème de début de recueil Nuits d'hiver et le poème directement intitulé "Ophélie".
Il est question d'échapper au "monde des vivants" dans "Thébaïde" et je rappelle que dans l'idée de "Bal des pendus" comme composition suite à un devoir en classe vers février-avril 1870, l'enchaînement du côté de "Ophélie" et "Par les beaux soirs d'été..." a du sens.
Mince, je manque désormais de temps. Coimme dirait Evariste Galois, "une belle gloire de conteur et d'artiste emportée" si je n'arrive pas à rédiger tout ça.
Alors, tant pis, j'accélère.
Je crois que j'ai oublié le "jamais" devant la césure dans un alexandrin de "La Comédie de la mort", mais je peux garantir l'avoir relevé hier dans un poème de 1838.
La mention "Hurrah" est récurrente dans "Albertus" et aussi les Premières poésies de Gautier dont je vous recommande plus que vivement la délicieuse lecture. C'est un cuisinier en vers que Gautier. C'est savoureux à lire ce recueil des Premières poésies.
Belzébuth est lui aussi plusieurs fois mentionné dans "Albertus" et il est un synonyme de diable.
Donc, j'ai trouvé le vers "En le tirant par son pourpoint" qui correspond à "tire par la cravate" et qui est précédé par une mention donc du diable. :
 
[...]
- Signor, c'est un billet, dit le diable-mercure
     En le tirant par son pourpoint.
 
("Albertus LXXXII")
J'ai aussi trouvé"sandale" à la rime dans un vers qui contient une conjugaison du verbe "user".
- Où ça ? où ça ?
Mais lâchez-moi, je dois y aller !
[...]

1 commentaire:

  1. J'aime bien ma fin d'article avec les résonances qui la préparent. Bien sûr, je mettrai en ligne le complément dans un article à part. Je crois que c'est scandale qui est à la rime avec le verbe user dans le poème de Gautier, mais bref ça va arriver.
    Sinon, en lisant l'excellent début de Un de Baumugnes de Giono, du célinien meilleur que l'original, j'ai eu des réflexions sur la différence entre la poésie et la littérature non poésie. C'est l'éternel problème de la définition de la poésie en prose. Je vais faire un article un peu différent d'ici quelque temps donc.

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