lundi 14 avril 2025

Lecture des Premières poésies de Théophile Gautier (partie 1/2)

Cet article vous propose quelque chose de différent : parler de poèmes au fur et à mesure pour dire en quelques mots ce qu'on leur trouve, et comme le site est rimbaldien je vais m'évertuer à suggérer des rapprochements...
Je possède un volume des Poésies complètes de Théophile Gautier, mais, ne l'ayant pas sous la main, je choisis de partir des poèmes et recueils tels qu'ils sont mis en ligne sur le site "Wikisource" à partir d'éditions posthumes. Je ne vais pas ici passer mon temps à vérifier si ça correspond aux recueils originaux disponibles sur Gallica ou ailleurs. Je veux sensibiliser à la lecture de Gautier.
Tout commence avec le recueil Premières poésies suivi du poème "Albertus" (1830-1832).
La préface d'octobre 1832 est à prendre en considération. Il introduit l'image du poète qui aime les chats, ce qui a marqué Baudelaire et il parle de la plaque de son foyer comme de son horizon. Ce poète se dit "frileux et maladif" et il se maintient dans un "espace de quelques pieds", son chez soi. Cette mention "plaque" fait inévitablement penser à "Veillées III". Cette préface anticipe celle en sonnet du recueil Emaux et camées : "il ne s'aperçoit des révolutions que lorsque les balles cassent les vitres", et si cette affiche de poète apolitique n'est pas très hugolienne la préface n'en est pas moins dans le prolongement évident de celle des Orientales. On peut aussi la comparer à celle des Feuilles d'automne sur le caractère inopportun d'un recueil de pur lyrisme en des temps si troublés. Gautier affirme, dans la continuité des Orientales, que le Beau qu'il vise n'a pas à être utile, mais par une pirouette discutable cela devient l'utile empêche la poésie d'être belle, et là on ne peut pas souscrire à pareil propos.
Gautier prétend que ce recueil a été constitué sur six ans et que l'ordre suivi correspondrait en gros à la chronologie des compositions, même si les dates ne sont pas exhibées. Les premières poésies seraient celles d'un adolescent à cette aune, 15 ans en 1826, et nous serions invités à avoir plus d'estime pour la fin du recueil. Je ne me fonde évidemment pas sur ce genre de perspective trompeuse pour juger des poésies du recueil.
Le poète compare ses poésies à des peintures avec un assemblage harmonieux de petits riens. J'aime bien une formule telle que celle-ci : "une poésie tout enfantine, toute ronde et potelée où les muscles ne se prononcent pas encore". Et enfin, le dernier est assez intéressant sur ce qu'il prétend fixer comme attitude au poète : "l'art est ce qui console le mieux de vivre."
Le premier poème s'intitule "Méditation" et laisse entendre que Gautier est entré en poésie par l'imitation du premier recueil romantique, celui bien évidemment de Lamartine. En quatre quatrains d'alexandrins à rimes croisées, ce poème qui cite en épigraphe un extrait du plus célèbre poème de Malherbe, parle de la perte de la pureté première d'un être, de l'innocence du désir enfant qui ne résiste pas au temps. L'action du temps est assez négative et le culte du souvenir prédomine déjà, ce qu'on retrouve chez d'autres romantiques, et ce qui est effectivement assez lamartinien. Le poème de Malherbe pleure une jeune fille fauchée par la mort dont l'existence brève est comparée à celle d'une rose, mais Gautier déplace les lignes, puisque l'être est en deuil ici de ses illusions de la jeunesse.
Si on veut forcer les choses, il y a un point de comparaison avec "Mémoire" de Rimbaud au sujet de l'onde qui perd sa pureté en passant dans la fange, et deux avec "Voyelles" avec la mention des "couleurs" à la rime mais qui se perdent et l'idée d'une "loi suprême" qui veut que le charme s'en aille et que la peine reste.
Le deuxième poème fait songer par son début au poème "Le Soleil" de Baudelaire qui avant d'être reporté dans la section des "Tableaux parisiens" en 1861 était le deuxième poème de la section "Spleen et Idéal" des Fleurs du Mal. Cette fois, la filiation semble plutôt concerner Victor Hugo, sinon le goût des romantiques pour le Moyen Âge, puisqu'en 1826 il n'y avait pas de roman Notre-Dame de Paris. Le poème a une habile mignardise descriptive qui peut avoir retenu l'attention du tout jeune Rimbaud. La mention des "griffons" favorise cette idée, Rimbaud récupérant le mot "griffons" à la rime dans le sonnet "Le Buffet" qui est un peu une description affectueuse comparable à ce qu'offre ce poème, on a équivalence d'intérêt entre une armoire d'un côté et de "vieux châteaux gothiques" de l'autre. S'il est réellement de 1826 ou 1827, le rejet d'épithète à la césure : "moresques" est tout de même bien précoce ! Il témoigne aussi d'une illusion d'époque où on croyait à tort certains éléments gothiques inspirés par l'architecture moresque, les ogives notamment.
La première "Elégie" suit et le rejet verbal du troisième vers donne l'idée que cette fois il y a un hommage rendu en passant à Chénier. Cela se poursuit avec le rejet "d'un oiseau", mais le poème ressemble plutôt à la production romantique de la fin de la décennie 1820. Le rejet "de perle" me conforte encore plus dans l'idée du caractère récent de cette composition. C'est un peu l'équivalent pour Gautier du sonnet de Verlaine "Mon rêve familier".
En vers de sept syllabes, le poème suivant "Paysage" est remarquable. Il fait nettement penser à certains poèmes descriptifs en vers courts de Verlaine et notamment avec écho du titre à la section des "Paysages belges" des Romances sans paroles. Le poème est composé de notations sous forme de phrases nominales, les verbes étant repoussés dans les subordonnées. C'est un réel poème moderne pictural.
Le poème "La Jeune fille" a un comique effet d'enchaînement de ses épigraphes. Ce poème me plaît moins que les précédents, mais il a une amplitude lyrique de défilement du vers dans les mailles métrique des alexandrins, nous avons un rejet d'épithète d'un vers à l'autre cette fois "Magiques" et un premier "jamais" calé devant la césure. Je relève aussi la rime "mots"/"maux". Personnellement, j'ai toujours prononcé le digraphe "au" d'une sort, le "o" d'une autre et allongé le "o" quand il y avait un accent circonflexe. Ces rimes un peu déconcertantes se retrouvent chez Banville et chez Rimbaud. il faudra que je fasse un travail là-dessus.
Le poème "Le Marais" a une épigraphe tirée de Musset, ce qui rend suspecte la prétendue ancienneté du début du recueil, à côté d'une autre épigraphe de l'obscur Amadis Jamyn. Ce poème en octosyllabes dont le dernier vers est très hugolien est un premier exercice de prosodie sautillante de la part de Gautier. Cela s'impose dès les premiers sizains : rebond consonne initiale et voyelle dans "Croupit, couverte", symétrie d'un vers à l'autre avec jeu du "e" et relief de syllabes fortes : "nappes rauques", "grenouilles glauques", rebond "et vole" dans l'enchaînement de vers à vers, suivi symétriquement de l'effet "Y tombent" qui rythme le second sizain. Le poète joue avec des proposition relatives brèves "qui rampent" qui crée un effet bombant du rythme auprès des rimes, ce que soutient le jeu du pronom "y" dans "y trempent", et cela se confirme avec le surcroît "et dort" en fin de troisième sizain. Et l'attaque du quatrième sizain à la rime fait nettement songer à "fémur qui craque" de "Bal des pendus" dans le soin prosodique apporté en liaison avec le sens et le propos auditif : "La cigogne dont le bec claque". Gautier semble se relâcher, mais repart sur d'autres idées pour réaménager cette impression de prosodie sautillante, avec les trois "o" de "monotone" rimant avec "automne" par exemple, et puis on passe au martèlement du pronom "toi", la prosodie du début se perd un peu, mais les transitions ont été assurées, et Gautier joue enfin superbement avec un écho de syllabations autour des seules consonnes reprises d'un vers à l'autre entre "suite" et "saute", "saute" qui rime avec "haute". Gautier invente l'inattendu "bon fusil bronzé". Le dernier vers semble une citation de Victor Hugo : "La joie au cœur, l'orgueil au front." Il est dans Les Feuilles d'automne le poème où Victor Hugo invite les femmes qui vont au bal à ne pas mépriser les courtisanes déchues qui n'ont pas leur chance ? Ou il est plus tardif, je ne m'en rappelle pas. En tout cas, on voit que Gautier a des capacités redoutables quand il compose ce petit poème.
Le poème suivant est le fameux premier sonnet avec mention de "vibrements" devant la césure du vers 9 comme dans "Voyelles". L'épigraphe est tirée de Théophile et il est question d'une poétique du ressouvenir. Au-delà de l'occurrence du nom "vibrements", d'autres rapprochements avec "Voyelles" sont envisageables. Au lieu des "mers virides", la "cloche qui tinte". Et dans les tercets, nous avons la communication du monde aérien qui vient sur notre monde terrestre. Le poète lève les yeux au ciel, il est assis, écoute comme un rêve, ce qui peut faire penser à "Ma Bohême", mais alors que "Ma Bohême" se clôt sur la compassion pour le pied souffrant ici le poète "se souvient", scène métaphysique dont l'équivalent dans "Voyelles" est une révélation du ciel. Le poète est d'ailleurs assis "près des flots" ce qui peut favoriser le rapprochement avec les "mers virides" et les "rides" des "fronts studieux". Le premier vers, ce n'est pas une suite de voyelles couleurs, mais tout de même une vision de "vitraux diaprés" et il est question de basiliques. Le second vers correspond à l'extinction du couchant, inverse donc de "naissances latentes". L'attaque du second quatrain est une apparition du blanc de la Lune. Il n'y a décidément rien d'absurde à comparer la métaphysique de ce sonnet et celle de "Voyelles".
Le poème suivant commence d'ailleurs par une mention de magnifiques yeux semblables à des étoiles. Le poème s'intitule "Serment", il a une armature rhétorique nette avec son anaphore "Par..." et il charme par l'espièglerie de sa chute :
 
[...]
Je t'aimerai, ma jeune folle,
Un peu plus que toujours, - longtemps !
 La pièce "Les Souhaits" a une épigraphe tirée de Sainte-Beuve. Ce n'est pas mon poème préféré, mais il contient au début les rimes affectées : "saphir", "Ophyr", "zéphyr", et puis il joue sur l'opposition au clinquant de la richesse avec une certaine amplitude à partir de l'anaphore "Je veux" et des phrases élancées qui expriment avec ampleur un désir de liberté, de mouvement et voyages. Je fais remarquer la mention "bleuâtre" à la rime. Les suffixes en "-âtre" pour des mentions de couleur, notamment le bleu, cela remonte à la poésie d'Ancien Régime, mais cela était pas mal pratiqué par Gautier, et j'essaie de comprendre d'où est venue à Rimbaud l'idée de pratiquer "bleuités" et "bleuisons". C'est un peu comme quand Gautier emploie "vibrement" au lieu de "vibrations" et cela a pris le relais de "bleuâtre", "bleuissant" ou "bleuir". Pour l'instant, la genèse de "bleuités" et "bleuisons" m'échappe.
La pièce suivante a un titre "Le Luxembourg" qui fait songer à Nerval, et justement le mot "allée" ne manque pas de figurer à la rime du premier vers. Ce poème a plus d'importance qu'il n'y paraît. Hugo a composé pas mal de poèmes qui ont cette allure prosodique, mais dans les deux premiers livres des Contemplations. Gautier s'inspire bien sûr ici de ce que Victor Hugo et d'autres ont déjà fait, mais en retour Hugo a aussi imité ce poème de Gautier, ainsi que d'autres, dont certains desquels j'ai déjà parlé plus haut. Par ailleurs, le poème se termine par un hémistiche "aux baisers du soleil" qu'on va retrouver plusieurs fois chez Leconte de Lisle, au moins une fois chez Banville et dans "Credo in unam" de Rimbaud. Gautier n'en est peut-être pas l'inventeur, je dois faire des recherches. Accolé à ce premier hémistiche : "Livrer sa joue en fleur", il devient un bon candidat pour l'inspiration de Rimbaud, même si ça doit aller de pair avec la lecture de Leconte de Lisle. L'hémistiche "folle et légère tête" fait songer à un vers de "Ce qui retient Nina".
Le poème suivant s'intitule "Le Sentier" et fournit une épigraphe de Musset, je pense au poème "Par les beaux soirs d'été..." de Rimbaud rien qu'au repérage du titre et de l'épigraphe.
Gautier a une attaque de poème superbe, sinon délicieuse :
 
Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s'il marche à gauche ou bien à droite.
[...]
C'est à nouveau un poème avec lequel Hugo entre en compétition en composant les premiers livres des Contemplations.
Notez que "la pâle violette" essaie son "doux regard d'azur", ce qui fait penser à la fin de "Voyelles".
Il y a de remarquables rejets feutrés d'un vers à l'autre, "Jase" surtout suivi par "Du cresson".
Gautier change de style avec le poème suivant "Cauchemar".
Là encore, on sent l'influence sur "Bal des pendus" puis "Les Assis" de Rimbaud : "Crispe ses doigts crochus armés d'ongles de fer".
Je relève la rime "fauves"/"chauves" qui conforte l'impression, assez naturelle, que le poème "Les Assis" s'inspire comme "Bal des pendus" de vers de Théophile Gautier. D'ailleurs, "yeux fauves" chez Gautier correspond bien à "prunelles fauves" de Rimbaud. On songe aussi à Baudelaire bien sûr. Le début du poème est à citer pour "Les Assis". La suite du poème ne me paraît pleinement heureuse, dans la manière dont le récit se repose sur les successions de verbes avec des raccords asses désinvoltes "et", "alors", "Et j'aperçois bientôt", mais vers la fin du poème un passage impose un rapprochement avec "Bal des pendus" :
 
Et j'aperçois bientôt, à l'angle d'un manoir,
A l'angle d'un taillis, surgir un gibet noir
Soutenant un pendu ; d'effroyables sorcières
Dansent autour, et moi, [...]
 Suit un poème dans la strophe de Ronsard et Belleau remise au goût du jour par Hugo, par Sainte-Beuve : "La Demoiselle". L'entremêlement des vers de sept et trois syllabes est l'occasion pour Gautier d'étaler sa maîtrise de la prosodie sautillante et de mettre en relief les échos des mots à la rime. Je relève la répétition finale gracieuse : "Demoiselle, / Demoiselle en liberté ?" et en songeant à Rimbaud le vers "Près des aunes" suivi d'un heptasyllabe où il est question de nénuphars : "Les deux nénuphars en fleurs".
Le poème suivant "Les Deux âges" est un pastiche incroyable de perfection de celui qui est cité en épigraphe, Victor Hugo, et il s'y ajoute le charme du bouclage avec la reprise du premier quatrain à peine altéré pour les deux premiers vers en toute fin de poème. On pense inévitablement à "Ophélie" et "Roman" de Rimbaud.
Et on peut en dire autant de la pièce "Far-niente" dont on ne sait plus si c'est un pastiche de Victor Hugo ou un sujet de compétition pour l'auteur des Contemplations.
La pièce suivante "Stances" est aussi un pastiche de Victor Hugo, avec de nouveau une épigraphe qui le confirme, mais il s'agit d'un pastiche de son style plus rhétorique qui n'est certes déjà plus celui de Lamartine, mais qu'approchait Musset.
Le poème suivant justement une épigraphe de Musset à une autre de Victor Pavie : "Promenade nocturne". Cas à part du rythme plus heurté de l'avant-dernier quatrain, le couplage deux par deux en quatrains des octosyllabes rend ce poème moins sensiblement original, moins intéressant. Il contient tout de même le mot "ravine" à la rime comme pour "Ce qui retient Nina" de Rimbaud et il a une petite audace qui passe bien au vers 6 avec l'écho presque syllabique : "Brodent le bord vert du chemin".
Le second sonnet du recueil est un peu marqué du style mondain pédant des exercices de galanterie avec un éclat sonore plus proche des habitudes classiques. Il faut tout de même noter que les rimes des tercets sont ABB ACC, sans doute suite à la lecture des poésies de Sainte-Beuve, lequel s'inspirait à la fois des anglais sonnet de trois quatrains et un distique et aussi des excentricités locales de Ronsard dans ses Amours et Sonnets pour Hélène.
En quintils de vers de sept syllabes, je ne trouve pas que "La Basilique" soit une réussite rythmique, je ne ressens le charme que du premier quintil et des trois derniers. Avant la fin du poème, je n'ai pas de plaisir à lire ce poème qui se veut expressif dans son rythme, le relief des rimes, etc. Je relève bien un essai d'entrevers : l'aile / De l'aigle, mais je ne trouve pas l'ensemble bien maîtrisé, si ce n'est que les trois derniers quintils témoigne pour moi d'une tardive reprise en main. Ou je n'arrive pas à trouver la formule pour le lire, ou le poème est réellement un peu raté.
Je retrouve le génie naturel de Gautier dans le début du poème en alexandrins qui suit "L'Oiseau captif" avec une justesse du rythme, des mots choisis, mais le dernier tiers du poème me paraît bien sans plus. Je relève la rime "essor"/"sort" et l'emploi verbal : "Qui d'un regard bleuit".
Le poème suivant "Rêve" dont le début est nettement hugolien et la fin recherchée me plaît pas mal dans la composition, même si la prosodie en est moins marquante.
Le poème "Pensées d'automne" où je note le retour de la rime "fauves"/"'chauves" me laisse sur ma faim, mais je remarque que son début est un exercice que s'est imposé Gautier pour tirer de nouveaux partis rythmiques. Le rejet d'épithète du vers 2 rend évidente l'écho des rimes "du ciel terne"/"que cerne", mais c'est un peu trop appuyé, même si en soi le vers 2 est réussi pour lui-même. Cette pratique de mise en relief des syllabes à la rime se confirme au vers 3 avec le suspens "du fond" qui suit l'expression très cassante à l'intérieur de l'hémistiche : "le soleil dort". Et un nouvel effet de mise en relief appuyée des rimes concerne "teinte" et "tinte", ce verbe étant amené par "larges gouttes" avec rebond sur la consonne dentale.
Le poème "Infidélité" en vers de sept syllabes m'a frappé pour ce vers qui fait songer à "Tête de faune" : "Le bois où dort le silence[.]" Il contient aussi l'expression "Aux baisers du soleil".
La pièce suivante "A mon ami Auguste M" fait elle songer par son attaque à un vers de "Credo in unam" et au cliché "Par les beaux soirs d'été..." : "Par une nuit d'été,..." Le poème contient la rime "d'or"/"mord", il a une allure hugolienne et relève d'un exercice pour apprivoiser les enjambements justement à la manière de Victor Hugo.
Le poème "Elégie II" est un cas typique de traitement romantique d'époque, cela ressemble à du Musset, c'est le cliché de l'amour maudit à la Félix Arvers, à la Musset. C'est bien tourné, mais ça se confond avec une certaine production d'époque.
Le poème intitulé "Veillée" attire mon intérêt par son titre, puisque je suis en quête d'une genèse à certains poèmes en prose de Rimbaud, et je remonte l'histoire du poncif en vers comme en prose. Mais, ici, ce n'est pas la source rimbaldienne qu'il me semble devoir chercher et je me plais à ce petit poème où Gautier s'adonne à sa veine fantastique, tout en se mettant en scène comme lecteur se complaisant dans sa retraite. Les vers ont une ampleur phrastique remarquable. C'est un des débuts de poème qui m'a le plus marqué pour son élan dynamique.
Le poème "Elégie III" a une solennité qui renonce à l'originalité mais qui a l'intérêt d'offrir une bonne facture des vers.
Le poème "Clémence" n'est pas le meilleur de Gautier, mais s'il n'est pas une réussite il est intéressant pour ce que ça peut annoncer. Il alterne le vers de dix syllabes avec le vers de quatre syllabes, sachant que le premier hémistiche du décasyllabe est justement de quatre syllabes métriques. Ce dispositif est l'occasion pour Gautier de rechercher une expression qui joue sur les limites métriques et met en relief un rythme et des échos. Ce n'est pas parfait, mais ça appartient à l'histoire des quêtes et défis poétiques qui passaient de poète en poète à l'époque jusqu'à ce que l'un fasse mieux et trouve la formule parfaite.
Réussie, la pièce suivante est également intéressante : "Voyage". Nous avons droit à des reprises de vers, mais surtout le poème est en vers de huit syllabes avec une accentuation très forte des rimes qui se font bien entendre et en même temps vers après vers on sent la qualité du rythme que les vers soit d'un rythme binaire, d'un rythme ternaire ou une espèce de courbe de la première à la dernière syllabe. Ce poème distribue aussi la rime "d'or"/"dort".
Le poème "Le Coin du feu" est une prestation prosodique sur une base qui a facilité le travail, puisque le poème assez court pratique les injonctions des phrases au subjonctif lancées par la conjonction "que".
En alexandrins à rimes plates, "La Tête de mort" est remarquable de génie discret et facile. Le génie ne met rien en relief, il file et c'est tout. Lugubre, dès son titre, on ne s'attend quand même pas à penser aux "Etrennes des orphelins" de Rimbaud, mais il décrit une morte qu'on n'ose pas aller voir dans une chambre, et le début fait un peu songer au morceau de Rimbaud débutant et ce qui m'a le plus frappé c'est la rime "Celle-ci"/"ici" puisqu'elle ressemble justement à la rime "Là"."cela" du même poème de Rimbaud, ce que j'ai trouvé farce à défaut de pouvoir être certain que ce soit la source d'inspiration de Rimbaud. Le génie de cette composition ne se met pas en relief, mais je relève tout de même une évolution à la césure avec l'unique syllabe de "tremble" bien calée en fin de premier hémistiche, manière hugolienne encore naissante et ici pratiquée par Gautier.
Intitulé "Ballade", le poème en sizain aux vers de six syllabes n'est pas digne de Victor Hugo, les rimes sont en relief, mais le vers de six syllabes qui fait inévitablement écho au rythme des hémistiches d'un alexandrin est ici déployé avec une très maladroite sonorité d'alexandrins classiques où tout est trop appuyé, le rythme et les rimes. La formule ne m'a pas du tout séduit. Il y a quelques tours charmants par-ci, par-là, mais globalement je ne suis pas admiratif de cette prestation.
Le poème "Une âme" est également un jeu mélodramatique raté, le début se prend au sérieux et est assez réussi, mais comme la suite quitte la méditation pour le mélodrame on reste un peu pantois à la lecture. La chute n'en vaut pas la peine, la composition sent le bricolage, c'est dommage.
Le poème "Souvenir" est un court moment en alexandrins, comme un fragment d'une méditation lamartinienne avec encore une fois en source à son inspiration l'extrait célèbre de Malherbe cité en épigraphe pour le premier poème du recueil "Méditation".
Puis, on enchaîne avec le troisième sonnet qui est clairement un remarquable avant-goût de la manière de Baudelaire. On sent que Gautier a travaillé l'équilibre d'élocution rhétorique d'un Ronsard et qu'il a trouvé une formule de poète à la veine sombre, et c'est très clairement une mise en place progressive de la manière qui sera celle d'un Baudelaire.
Le poème suivant "Maria" est à la manière de Musset, une belle réussite qui aussi fait penser à une base de poésie parnassienne, quand le parnassien ne pratique pas les rejets et enjambements heurtés.
Le poème "A mon ami Eugène N" offre un exemple brillant digne d'Hugo et Verlaine de discours en alexandrins à rimes plates. Là encore, on songe en même temps qu'à Hugo à certains poèmes en rimes plates des générations à venir, plus ou moins parnassiennes. Le contraste est marquant entre l'épigraphe qui est une traduction en alexandrins à la sonorité classique de Callimaque, quand le poème est tout d'alexandrins modernes. Gautier cite justement ses lectures favorites en remontant dans le temps et il commence par le dix-neuvième siècle. Il cite Antony Deschamps et non son frère, ce qui est une nouvelle preuve que c'est bien le second Deschamps qui avait un réel intérêt poétique. J'ai déjà que c'est ce que je pensais sur ce blog. Hugo et Vigny sont cités. Et la versification est marquée par cet héritage.
La pièce suivante "Le Jardin des plantes" est elle plus particulière, elle annonce des alexandrins et des poèmes des Contemplations avec un retour sur les modèles de longs poèmes en rimes plates classiques de Boileau ou de poètes du XVIIIe, tout en ayant cette touche héritée du renouveau romantique.
Avec un refrain qui alterne avec une strophe couplet, le poème "La Bataille" assume sa référence musicale et on retrouve la grâce prosodique et la finesse du choix des mots de Gautier. Le poème peut être comparé vu son sujet aux "Corbeaux" de Rimbaud.
Dans "Imitation de Byron" avec son anaphore "Il est doux...", Gautier ne force pas son talent, j'y relève l'image du second quatrain avec l'apposition "Paillette d'or cousue au dais du firmament" à "l'étoile qui rayonne", ce qui me fait un peu penser à l'ombrelle mauvaise étoile de "Roman".
Le poème suivant reconduisant le titre "Ballade" est plutôt une chanson à la Musset. Ceci me fait me rappeler que le quintil ABABA existait avant Baudelaire sans répétition de vers, mais je dois me tromper, c'est chez Banville que je l'ai repéré. Gautier pratique les quintils normaux ABAAB.
Le titre suivant est "Soleil couchant", et pour moi aussi il est temps de me retirer.

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