lundi 4 janvier 2021

Regard en arrière

Les avancées de ces dernières semaines et derniers mois sont conséquentes.

Il y a la poursuite du dépistage des cibles et logiques parodiques des contributions rimbaldiennes à l'Album zutique. Normalement, il y a un article que j'ai écrit depuis un certain temps déjà qui finira par être publié, mais en gros voici la liste des poèmes zutiques de Rimbaud et à côté mes contributions significatives.

"Hypotyposes saturniennes ex Belmontet" et "Vieux de la vieille", j'ai découvert que les deux morceaux étaient des montages de citations de Belmontet, avec à peine quelques altérations. Au passage, le poème "Vieux de la vieille" pouvait passer pour le premier poème en vers libres de Rimbaud et le constat qu'il s'agit de citations oblige à revoir différemment cette approche, sans la réduire à néant pour autant.

"Lys", quatrain dont j'ai identifié la source dans les premiers recueils de poésies publiés par Armand Silvestre avant 1871, dont le sonnet "Rosa" avec la mention "étamines" à la rime et la préface de George Sand sur le "spiritualiste malgré lui", sans oublier les deux livres sous le pseudonyme de Ludovic Hans sur les ruines de Paris et contre la Commune.

"Vu à Rome", j'ai identifié plusieurs extraits de Léon Dierx susceptibles d'avoir été réécrits par Rimbaud, je peaufinera cela plus tard. J'ai soutenu aussi la thèse d'une allusion à une menace de schisme d'actualité avec les vieux catholiques d'Allemagne, mais je n'ai pas creusé. La piste est présente aussi dans l'ouvrage de Teyssèdre, mais noyée dans un fatras, et elle est développée par Yves Reboul dans un article plus récent. Murphy a lancé l'hypothèse d'une allusion à Veuillot, et il y a des arguments, mais c'est pour l'instant hyper délicat à étayer. Je suis le seul pour l'instant à être convaincu de l'importance des réécritures de passages de Dierx. Je soutiens que la mise sous la presse d'une plaquette Paroles du vaincu en octobre 1871 avec dominante de l'octosyllabe a son importance, et je soutiens les rapprochements avec des vers du recueil Lèvres closes tout particulièrement. Je me demande encore du temps pour une mise au point décisive. C'est une des rares contributions zutiques de Rimbaud dont je ne sois pas le principal commentateur.

"Sonnet du Trou du Cul", j'ai renforcé quelque peu les allusions à Albert Mérat, mais surtout dans un article à paraître dans un livre universitaire, j'ai renforcé aussi les allusion au recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel, en soulignant que si les quatrains sont de Verlaine et les tercets de Rimbaud dans les tercets la parodie est donc double et entièrement méditée comme telle, puisque les réécritures de Cantel comme de Mérat concernent autant les quatrains que les tercets.

"Fête galante", j'ai développé l'identification à la pièce Scapin maquereau, j'ai poussé à bout les relations au recueil Fêtes galantes et surtout j'ai expliqué que Colombina camouflait une ambiguïté sexuelle avec l'encerclement de la rime enrichie "-ina" par deux paires de rimes en "-in". La rime en "-in" encadrante prouve le fait exprès : "Colombina" fait partie d'une rime masculine à faux air féminin et cela fait écho au poème de Verlaine où "Sacaramouche et Pulcinella" "Gesticulent" avec une ambiguïté sexuelle concernant le personnage de Pulcinella en principe masculin (Polichinelle).

"L'Humanité chaussait..." J'ai identifié les modèles de vers dans les recueils de Ricard dont Rimbaud s'inspire ici, mais je m'occuperai plus tard d'un commentaire pointu sur le sens de ce monostiche parodique rimbaldien. Les lectures de Claisse, Teyssèdre, Saint-Clair et d'autres me paraissent pour l'instant assez subjectives.

"Conneries" j'ai identifié le titre et son allusion à Amédée Pommier, j'ai cité l'article de Verlaine contre Pommier, Barbey d'Aurevilly et les vers d'une syllabe.
"Jeune goinfre". Murphy a identifié la réécriture d'un poème de Ratisbonne, j'ai ajouté les références à Pommier et l'écho à la série de Valade, ainsi que les échos à Daudet.
"Cocher ivre", j'ai identifié toutes les reprises à Pommier.
"Paris", Chevrier a envisagé le lien à un poème de Pommier "Charlatan". Ceci dit, Chevrier n'a jamais commenté les poèmes en vers courts voisins comme venant de l'influence de Pommier, ni le titre "Conneries". Par ailleurs, même dans le sonnet "Paris", j'ai identifié des réécritures passées inaperçues provenant des poésies d'Amédée Pommier. Pour le reste, deux articles conséquents sur ce sonnet de Murphy, puis Reboul.
Pour les sonnets en vers d'une syllabe au-delà de Rimbaud, j'ai fait le même travail d'identification des sources.
"Exil" : le seul poème de l'Album zutique où je n'ai pas fourni de contribution décisive.
"L'angelot maudit", Murphy a montré l'influence de la poésie pour enfants de Ratisbonne, j'ai identifié tout de même un vers des Poèmes saturniens de Verlaine.
"Les Remembrances du vieillard idiot" : Jacques Roubaud est le plus ancien commentateur à avoir identifié la référence "Les Contemplations de Victor Hugo" dans le titre à ma connaissance, même si je serais surpris que personne n'y ait pensé avant lui. Murphy a proposé une étude de ce poème, mais j'ai apporté une contribution décisive en identifiant que la fin de ce poème en vers est une réécriture de la fin de la nouvelle en prose de Coppée "Ce qu'on prend pour une vocation" parue dans Le Monde illustré.

Il n'y a que sur "Exil" que je n'ai pas fait de contribution majeure. Il n'y a que sur "Vu à Rome" et sur "L'Angelot maudit" que mes contributions sont décisives, mais minimales dans le commentaire. Ces jours-ci, je viens d'imposer mon analyse sur "Fête galante".

Pour les dizains de Coppée, j'ai identifié le caractère enchaîné des deux premiers "J'occupais un wagon..." et "Je préfère sans doute..." comme la reprise du modèle enchaîné de deux dizains de Verlaine envoyés par lettre à Léon Valade par Verlaine. J'ai identifié des pré-originales des Humbles et même des Promenades et intérieurs et de plusieurs récits en prose de Coppée dans deux journaux Le Moniteur universel et Le Monde illustré, Pakenham n'avait pas identifié tous ces textes et cela était par ailleurs perdu de vue depuis trente ans. Une note qui n'est pas de mon fait dans un de mes articles a essayé d'imposer l'idée que je devais à Pakenham l'identification détaillée de ces sources, ce qui est faux, j'ai tout trouvé tout seul, y compris la série des Promenades et intérieurs.
De toute façon, pendant trente ans, les rimbaldiens ont oublié de fouiller un journal que Pakenham avait cité en passant. Pakenham n'a pas cité le détail des textes que j'ai trouvés. Et j'ai des courriers personnels de Pakenham qui attestent que je dis la vérité et que Pakenham avait parfaitement conscience que j'identifiais les choses moi-même, dont plusieurs qui lui manquaient. J'ai ses listes personnelles de ce que lui avait établi et mis en synthèse. Enfin, j'ai fait les rapprochements de poème à poème. Enfin, j'ai soulevé le problème important pour le dizain "Ressouvenir", problème toujours non résolu, de la rime "redingote(s)"::"gargote(s)" qui vient de Coppée, mais d'un poème publié ultérieurement. Il reste donc une pré-originale à identifier ou bien il reste la possibilité d'accès à des manuscrits.

Evidemment, je revendique d'autres contributions importantes quant à l'Album zutique, notamment sur l'ordre des transcriptions et sur leur chronologie, ce dont Teyssèdre a essayé en vain de s'emparer. Il faut ajouter que j'ai mis l'Album zutique en perspective avec plusieurs albums du même profil : Album des Vilains Bonshommes, album du groupisme, album du salon de Nina de Villars, et aussi avec plusieurs recueils sous le manteau : Parnasse satyrique, etc.
Je pense que le Jacquet doit être Achille Jacquet. Il y a quelques années, une recherche m'a fait rencontrer un de ces ouvrages d'époque où les gens racontent leurs vies. Il y en avait un où apparaissait un Achille Jacquet qui aimait dire "Zut !" Cela frappait l'auteur du roman. Malheureusement, outre les pertes que j'ai subies, à quelques années d'intervalle, une recherche par mots clefs sur Gallica (car c'est le procédé que j'avais utilisé pour identifier un Jacquet) ne fonctionne plus pareil, et je ne sais plus du tout où est ce livre, son titre, je retrouve plus le passage.
Pour Jean Keck, une idée d'enquête serait de privilégier les trois arrondissements de Paris où vivaient le plus généralement les artistes, et à partir de là, même si c'est un peu ingrat, chercher dans les registres, en partie classés orthographiquement jour par jour, le nom de Jean Keck. Henri Mercier est également à débusquer, mais Jean Keck a des chances d'être d'origine alsacienne, retour en Allemagne (!) peu crédible à l'époque, et il était sculpteur. Il va de soi qu'identifier la date de sa mort ne fera pas tout repartir. Je possédais aussi des documents sur la famille de Cabaner après sa mort, mais ils ont été détruits dans une inondation.

Passons à autre chose.
Au plan des strophes, je prépare pas mal de choses, mais pour les formes rares il y a un truc important qui se met petit à petit en place. Les sizains en général ont la forme AAB CCB, sauf dans les tercets de sonnets où la forme AAB CBC est plus courante que la forme AAB CCB.
Le fait de rimer un sizain autrement que AAB CCB est relativement rare, le fait de distribuer les rimes sans symétrie interne l'est encore, le fait de distribuer les rimes dans un ordre différent strophe après strophe l'est encore plus. Les deux poètes à retenir qui ont pratiqué de telles distorsions sont Musset et Banville. C'est Musset l'initiateur, celui qui met la pagaille, et Banville a suivi de temps en temps le principe de Musset, mais plus modérément.
Le fait de faire rimer les sizains sur non pas trois rimes, mais deux rimes, est lui aussi assez rare. Evidemment, Musset et Banville ont appliqué le même désordre aux sizains sur deux rimes, et je crois même que le désordre est justement plus significatif quand les sizains sont sur deux rimes, tandis qu'il y aurait assez peu de désordre dans les sizains sur trois rimes.
Toutefois, quand un sizain est sur deux rimes, le modèle symétrique est de la forme ABABAB.
Voici maintenant les constats rimbaldiens.
Rimbaud pratique le sizain sur deux rimes ABABAB dans "Les Premières communions" et il se permet de créer du désordre dans la succession des rimes du dernier sizain. Il se réclame donc clairement de Musset et Banville, et tout particulièrement d'une série de poèmes des Cariatides de Banville où on a des sizains sur deux rimes avec des strophes qui ne sont pas toutes organisées de la même façon, même si dominent les strophes ABABAB. Autrement dit, les sizains de Banville sont moins réguliers encore que ceux du poème de Rimbaud où seul le dernier sizain est désordonné dans sa distribution de rimes ! Ensuite, le poème de Rimbaud se poursuit en quatrains, et cela coïncide avec cette même série de Banville où les poèmes sont réunis sous un même titre mais séparés par des chiffres romains, et où on passe à des séquences de rimes plates ou des séquences en quatrains. Je parle de la série "Ceux qui meurent et ceux qui combattent" flanquée du sous-titre "Episodes et fragments" au "livre deuxième" des Cariatiades dans l'édition refondue de 1864.
Or, en 1872, Rimbaud a composé d'autres poèmes en sizains, dont "La Rivière de Cassis" où on retrouve cette alternance ABABAB, mais cette fois avec une alternance de vers longs et vers courts. Ce principe d'alternance se rencontre dans la série "Ceux qui meurent et ceux qui combattent" de Banville, mais pour des quatrains, pas pour les sizains. Au plan thématique, l'appel au courage du passant et le sentiment d'allusions à des guerres favorise l'idée d'un rapprochement de "La Rivière de Cassis" avec certains passages de cette série banvillienne au titre éloquent "Ceux qui meurent et ceux qui combattent". Cette série de Banville aurait joué un rôle formel déclencheur à deux reprises dans la vie de Rimbaud, une fois en juillet 1871 avec "Les Premières communions" et une fois au printemps 1872 avec "La Rivière de Cassis". Il y a d'autres recherches à faire, mais c'est déjà important. Par ailleurs, c'est à Paris entre 1871 et 1872 que Rimbaud commence à imiter les tercets rimés ABA BAB à la Pétrarque, à partir évidemment du modèle de Philoméla de Catulle Mendès. Le sonnet "Oraison" du soir et deux sonnets des "Immondes" sont concernés. Il faut procéder à des vérifications, ce cadre peut s'élargir, mais c'est une base importante pour mieux cerner les enjeux de "La Rivière de Cassis".

Autre mise au point capitale du moment. Rimbaud a repris expressément la strophe de la Chanson de Fortunio pour composer en août 1870 "Ce qui retient Nina" et en avril-mai 1871 "Mes Petites amoureuses", et il l'a fait en connaissance de cause, aidé en cela par une préface de Glatigny, puisque Rimbaud a eu connaissance du caractère bicéphale prêté à Fortunio dans l'opposition entre la comédie originale de Musset Le Chandelier et l'opéra-comique des continuateurs de Musset La Chanson de Fortunio. Cela a des conséquences considérables sur la lecture de la critique de Musset dans la lettre "du voyant", mais aussi sur l'idée que nous avons à nous faire des conceptions poétiques du voyant, puisque l'idée d'un clivage entre les poésies de 1870 et les poésies de 1871 est fragilisé. Le consensus veut que, puisque Rimbaud a renié ses poésies de 1870 en demandant même à Demeny d'en brûler les manuscrits, c'est que les premières poésies ont peu à voir avec les conceptions du "voyant". C'est faux ! Les preuves en ce sens s'accumulent, et cette référence à la "Chanson de Fortunio" en est une.

Grande mise au point aussi, avec Glatigny. Sa lecture est impliquée au sujet des mises au point sur la "Chanson de Fortunio", mais on découvre que le poème "Tête de faune" réécrit plusieurs passages du poème intitulé Le Bois, tout en renforçant le dossier des réécritures par Rimbaud (notamment au sujet de "Roman") et on arrive à soupçonner que l'édition en 1870 d'un volume réunissant Les Vignes folles, Les Flèches d'or et Le Bois a influencé la composition des poèmes de Rimbaud dès le printemps 1870 et cela crée des liens métaphoriques sans appel entre la production de Rimbaud en 1870 et celle parisienne du début de l'année 1872, avec "Tête de faune". Les retombées critiques sont considérables, car elles permettent désormais de parler avec une assurance renouvelée de la continuité de pensée poétique de Rimbaud de "Credo in unam" à "Voyelles" et "Tête de faune". Il y a aussi un nouveau tissu de sources, pour méditer les métaphores "prairie amoureuse" ou "bois sidérals" dans les poèmes de Rimbaud. La lecture de "Tête de faune" est à réévaluer grâce aux réécritures de la comédie Le Bois, mais cela a des conséquences majeurs sur ce qu'on peut dire des métaphores constantes de Rimbaud au sujet de la poésie. C'est un levier d'Archimède pour la lecture des poèmes "Voyelles" et "Le Bateau ivre", poèmes sur lesquels les études de référence sont miennes.

Après, vous faites ce que vous voulez, continuez d'écouter des émissions radiophoniques qui disent les mêmes choses erronées qu'il y a quarante ou cinquante ans. Continuez de croire que Rimbaud quand il écrit un poème il n'est dupe de rien et veut dénoncer toute duperie par les métaphores qui charment et qu'il n'utiliserait que pour s'en moquer. Continuez de croire qu'il y a une vérité métaphysique, continuez de croire que Rimbaud crée des visions inédites avec des mots (ce qui pour moi est absurde, mais bon...), etc., etc. Continuez de classer les registres ou les genres, de parler de l'évolution de tel thème en littérature, etc., etc. Si vous trouvez cela passionnant, tant mieux pour vous. Moi, j'ai bêtement l'impression que l'essentiel est ailleurs.
Continuez aussi de croire que la recherche contextuelle c'est pas grand-chose et qu'en février 1872 Rimbaud parodie Gautier dans "Les Mains de Jeanne-Marie" dans un simple défi de poète à poète et non parce que Gautier a publié des Tableaux du siège où, comme Ludovic Hans alias Armand Silvestre, les communards étaient critiqués au milieu de ces pages poétiques sur les désastres. Croyez que la rime "usine"::"cousine" des "Mains de Jeanne-Marie" ne vient pas de Vers les saules de Glatigny. C'est juste que moi avec vous je m'ennuie, et pas qu'un peu...

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