vendredi 29 janvier 2021

Accroupissements et Fleurs du Mal, ce que révèlent les quintils !

Je vais partir de constats sur la forme pour montrer que le poème "Accroupissements" s'inspire de poèmes de Baudelaire que nous n'avions jamais songé à envisager comme sources à sa composition, alors que les réécritures sont pourtant nettement appuyées.

En principe, les quintils ont une distribution des rimes qui unit un couple et un trio de vers, soit dans l'ordre ABAAB, soit dans l'ordre AABAB. Avec ses Fleurs du Mal, Baudelaire semble apporter deux modèles inédits : le quintil ABABA ou bien le quintil ABBAA. Toutefois, il s'agit plutôt de quatrains prolongés d'une répétition du premier vers.
En 1855, Baudelaire a publié dans la Revue des Deux Mondes un ensemble de dix-huit poème sous le titre de Fleurs du Mal. Les poèmes en quintils (ou quatrains enrichis d'une répétition de vers) sont bien mis en relief, puisqu'ils sont au nombre de trois et constituent par conséquent un sixième des compositions sélectionnées : "Réversibilité", "A la Belle aux cheveux d'or" et Moesta et errabunda". Ils sont par ailleurs plutôt distribués vers le début du recueil : "Réversibilité" est le second poème de l'ensemble, "A la Belle aux cheveux d'or" le huitième et "Moesta et errabunda" le dixième.
"Réversibilité" est de la forme ABBAA, "Moesta et errabunda" de la forme ABABA. "A la Belle aux cheveux d'or" est aussi un poème de la forme ABABA, mais nous avons une alternance d'alexandrins et d'octosyllabes. Pour ceux qui s'étonnent de ce titre "A la Belle aux cheveux d'or", il s'agit du poème "L'Irréparable".
En 1857, dans la première édition du recueil Les Fleurs du Mal en tant que livre, les poèmes en quintils sont devenus moins prégnants sur un ensemble de cent poèmes. Ils ne sont plus concentrés vers le début non plus. Et c'est la forme ABABA qui vient la première sur scène avec une composition nouvelle "Le Balcon" (XXXIV). Le poème "Réversibilité" suit un peu plus loin (XL). Pièce nouvelle, "Le Poison" (XLV) est lui aussi sur le mode du quatrain de rimes embrassées allongé d'une vers ABBAA. Le poème "L'Irréparable" avec le changement de titre est la pièce (L). "Moesta et errabunda" suit à la position (LV). Tous ces poèmes en quintils figurent dans la section longue "Spleen et Idéal" du recueil. En revanche, un nouveau poème intitulé "Lesbos" avec des quintils ABABA, pièce LXXX du recueil, figure dans l'une des sections courtes du recueil, celle qui duplique le titre du recueil "Fleurs du Mal". Il n'est plus question que de six poèmes en quintils à vers répétés sur un ensemble de cent poèmes. Ils n'ont plus du tout le même relief. Cependant, par les effets envoûtants des vers répétés, ils s'imposent tout de même plutôt bien aux souvenirs des lecteurs.
Toutefois, suite au procès des Fleurs du Mal, six poèmes vont être retirés aux éditions ultérieures, parmi lesquels le poème en quintils ABABA "Lesbos".
En 1861, Baudelaire délaisse de plus en plus les quintils, mais il ajoute tout de même le poème "La Chevelure" qui a le profil ABAAB, sans aucune répétition de vers. Il adopte donc la forme d'un quintil conventionnel.
Toutefois, en 1866, un volume est publié autour des poésies condamnées, il s'intitule Les Epaves, il s'ouvre précisément par la pièce "Lesbos", et il contient un complément de poèmes divers parmi lesquels un autre poème en quintils, le poème "Le Monstre ou le paranymphe d'une nymphe macabre" qui est en quintils ABABA, avec de quasi répétitions du vers 1 au vers 5 de chaque quintil. Et il a pour particularité d'être en octosyllabes.
Tel est notre dossier complet.

En 1871, Arthur Rimbaud a composé quelques poèmes en quintils ABABA : "Accroupissements", "L'Homme juste" et un poème incomplet cité par Delahaye "Vous avez menti / Sur mon fémur...". Ensuite, en 1872, au milieu de la "Comédie de la soif", Rimbaud compose trois quintils en hexasyllabes selon la distribution ABBAA. Rimbaud a suivi la distribution des rimes des quintils de Baudelaire et non les quintils traditionnels des autres poètes ! Toutefois, les quintils de Rimbaud, qu'ils soient ABABA ou ABBAA ont une grande différence avec ceux de Baudelaire, ils ne fonctionnent pas sur le principe de la répétition de vers !
Puisque Rimbaud a privilégié la forme ABABA, autant relire et relever tous les poèmes de Baudelaire aux quintils ABABA, quand bien même nous pouvons prétendre de prime abord que contrairement à ceux de Rimbaud les quintils de Baudelaire ne sont pas tout à fait de vrais quintils.
Rimbaud ayant découvert Les Fleurs du Mal probablement dans la troisième édition de 1868, le poème "Le Balcon" a un intérêt particulier, puisqu'il est le premier à défiler dans l'ordre du recueil, et il a bien la forme ABABA et non celle en ABBAA. Il nous faut relever "Le Balcon", "L'Irréparable", "Moesta et errabunda", ce qui ne fait qu'un mince ensemble de trois poèmes, deux de ces trois poèmes étaient déjà présents dans la sélection de la "Revue des Deux Mondes" en 1855. Toutefois, le poème "Lesbos" offrait cette configuration ABABA et, survivant originalement à la censure, il ouvre le recueil Les Epaves, ce qui lui confère une mise en relief toute particulière. Ce poème aux quintils ABABA est une pièce condamnée et elle figure en tête du recueil témoin Les Epaves. Or, ce recueil contient une pièce inédite en octosyllabes avec des quintils ABABA qui n'a jamais fait partie des Fleurs du Mal, mais qui vient compléter notre recension : "Le Monstre ou Le Paranymphe d'une nymphe macabre". Cela fait un ensemble de cinq poèmes à partir desquels enquêter pour déterminer si Rimbaud s'en est inspiré ou non dans le détail du texte pour les trois poèmes où il a lui-même adopté la distribution des rimes ABABA.
Un enjeu s'ajoute à l'exercice : évaluer le renoncement de Rimbaud aux répétitions de vers.
Au plan des indices formels, nous allons passer en revue les poèmes pour déterminer leur nombre de strophes, autrement dit leur nombre de quintils, puis nous allons relever les poèmes qui commencent par une cadence féminine, ceux qui commencent par une cadence féminine. La structure ABABA avec le retour de la rime impose une alternance strophe par strophe.
Le poème "Le Balcon" est en six quintils avec une cadence féminine initiale et donc puisque le nombre de strophes est pair une cadence masculine conclusive.
Le poème "L'Irréparable" est en dix quintils avec une cadence masculine initiale et par conséquent une cadence féminine conclusive. Toutefois, son alternance d'octosyllabes aux second et quatrième vers des quintils l'éloigne de l'isométrie des poèmes de Rimbaud qui sont tout en alexandrins, sinon trois strophes en hexasyllabes pour "Comédie de la soif".
Le poème "Moesta et errabunda" est en six quintils avec une cadence féminine initiale et une cadence masculine conclusive.
Pour sa part, la pièce condamnée "Lesbos" est en quinze quintils avec une cadence féminine initiale, et le nombre de strophes étant impair la cadence féminine est également conclusive.
Fait remarquable, le poème en octosyllabes "Le Monstre..." est lui aussi en quinze quintils avec cadence féminine initiale et cadence féminine conclusive.
Le poème "Accroupissements" est composé de sept quintils, il s'ouvre et se clôt par une cadence masculine. Les lignes de pointillés peuvent donner l'impression que certains quintils ont été supprimés, mais il faut se méfier de cette impression puisque l'alternance des cadences entre strophes est parfaitement respectée, y compris au passage des pointillés.
Le poème "L'Homme juste" était initialement composé de treize quintils, il a été allongé de deux quintils en 1872, ce qui l'amenait à coïncider en nombre de vers avec "Lesbos" et accessoirement "Le Monstre ou Le Paranymphe d'une nymphe macabre". Précisons que nous connaissons que onze quintils de la version finale de "L'Homme juste" suite à la perte d'un feuillet manuscrit contenant les vingt premiers vers, autrement dit les quatre premiers quintils. C'est grâce à une liste de Verlaine précisant le nombre de vers par poèmes transcrits que nous connaissons le nombre de strophes perdues. Notons toutefois, que "Accroupissements" et "L'Homme juste", avec le nombre impair de strophes (et cela quelle que soit la version de "L'Homme juste", treize ou quinze strophes), ont une cadence masculine initiale et conclusive, à l'inverse des cadences féminines de Lesbos. J'insiste sur le fait que le poème "L'Homme juste" soit passé de treize à quinze strophes, dans la mesure où nous ignorons l'importance accordée par Rimbaud à la distribution des cadences et, par prudence, il n'est pas vain de constater que pour le poème "L'Homme juste" l'ajout de deux quintils permettait d'arriver aux quinze quintils du poème "Lesbos", tout en conservant l'idée de finir sur une cadence masculine.
Je m'empresse de faire un sort au cas particulier de "L'Homme juste". Ce morceau de juillet 1871 est tourné contre Victor Hugo, mais dans une forme spécifiquement baudelairienne si on peut dire, l'organisation des rimes ABABA. Ensuite, l'identification au nombre de quintils du poème "Lesbos" est peut-être bien volontaire en 1872. Nous trouvons cela fortement plausible, et ce serait lié à un rapport complice avec Verlaine. N'oublions pas que depuis novembre 1871 Verlaine et Rimbaud sont épinglés par Edmond Lepelletier, Albert Mérat et Catulle Mendès au sujet de leur relation sexuelle, et Rimbaud a été éloigné de Paris en mars-avril 1872. Allonger de deux quintils le poème "L'Homme juste" avec un passage final insolite au pluriel dans la clausule : "Ô Justes ! nous chierons dans vos ventres de grès !" tout cela pourrait participer d'un parasitage de la signification première du poème par une critique des "Justes" qui ont souhaité que cesse la relation de Verlaine avec Rimbaud. La rime "daines"::"soudaines" semble viser Ernest d'Hervilly avec lequel il est connu que Rimbaud a eu maille à partir, une insulte de Rimbaud étant parvenue jusqu'à nous : "Ferme ton con, d'Hervilly !" L'apport des deux quintils semble dater de mai 1872 et correspondre à ce climat orageux d'un Rimbaud qui revient à Paris, mais n'est plus soutenu comme en 1871. Evidemment, le fait que le poème soit remanié pour s'allonger à quinze quintils en référence à "Lesbos" fait sens dans un tel contexte.
Enfin, il existe un troisième poème aux quintils ABABA, mais il nous est parvenu dans un état plus lacunaire encore que "L'Homme juste". Delahaye n'en a transcrit que quatre quintils., mais avec une lacune de pratiquement deux vers. Et il ne saurait s'agir des quatre quintils initiaux de "L'Homme juste", cela est exclu autant par le contenu que par le problème d'alternance des cadences.

Par son nombre de quintils, sept, le poème "Accroupissements" se rapproche des poèmes "Le Balcon" et "Moesta et errabunda", six. Mais ce nombre étant impair, il faut songer encore à "Lesbos".
Or, le poème "Accroupissements" décrit un curé dans des activités où le scatologique se mêle aux désirs lubriques. Et Steve Murphy a envisagé que ce curé pourrait bien être l'abbé Veuillot. Murphy a donné plusieurs extraits de poèmes ou d'écrits en prose pour soutenir cette identification dans son étude du poème livrée dans le volume Rimbaud et la Commune, mais étrangement il n'a pas cité le poème "Le Monstre ou le Paranymphe d'une nymphe macabre" qui offre le double intérêt de l'organisation des rimes de quintil en ABABA et la mention de Veuillot dès la première strophe :
Tu n'es certes pas, ma très-chère,
Ce que Veuillot nomme un tendron.
Le jeu, l'amour, la bonne chère,
Bouillonnent en toi, vieux chaudron !
Tu n'es plus fraîche, ma très-chère,

[...]
Ce poème offre d'autres passages intéressants. Le poème "Accroupissements" est inclus dans la lettre du 15 mai 1871 à Demeny. Deux jours auparavant, Rimbaud envoyait une lettre au professeur Izambard avec des idées similaires sur le désir de devenir "voyant", et il y employait l'expression singulière "Nargue" à ne pas lire comme un verbe : "et Nargue aux inconscients..." Cette formule se rencontre précisément en tête d'un vers et même d'un quintil du poème "Le Monstre..." :
Nargue des amants ridicules
Du melon et du giraumont !
[...]
Par ailleurs, en juillet 1871, Rimbaud va composer un poème qui débute par une dominante de sizains sur deux rimes ABABAB qui peuvent faire penser à l'alternance des quintils ABABA, mais dans un sizain qui ne respecte pas la symétrie, nous voyons apparaître en liaison avec une danse du curé de campagne des rimes en "quant" qui ont fait envisager une danse du Cancan à Benoît de Cornulier. Or, cette rime est exploitée au-delà de la suggestion dans le poème de Baudelaire.
Ta jambe musculeuse et sèche
Sait gravir au haut des volcans,
Et malgré la neige et la dèche
Danser les plus fougueux cancans.
[...]
Une note de bas de page se permet même d'insister :
M. Prévot-Paradol l'eût avertie qu'elle dansait le volcan sur un volcan. (Note de l'éditeur)
Pour rappel, le sizain des "Premières communions" qui, par exception, n'est pas en ABABAB :
Cependant le Curé choisit pour les enfances
Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en dépit des célestes défenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant ;
- La Nuit revient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.
Il est d'autant plus évident qu'il y a un souvenir de la composition du poème "Accroupissements" que "curé" et "doigts de pied" sont des mentions clefs aux deux poèmes.
Or, si Rimbaud s'est inspiré du "Monstre..." pour composer "Accroupissements", "Les Premières communions" et même un passage en prose de la lettre du 13 mai à Izambard, c'est qu'il a lu le recueil Les Epaves lors de son séjour parisien du 25 février au 10 mars, et s'il a lu ce recueil, il est désormais très clair que le principal poème en quintils ABABA auquel Rimbaud fait référence quand il compose "L'Homme juste", "Accroupissements" et "Vous avez / Menti sur mon fémur", c'est "Lesbos", le poème condamné, censuré ! Pour Rimbaud, le quintil ABABA est symboliquement sulfureux.
De fait, le poème "Accroupissements" n'avait aucune chance de passer la censure à l'époque, même si visiblement dans les années 1880 cela s'est rapidement fort assoupli.
Qui plus est, dans "Accroupissements", le moine cherche Vénus au ciel profond, ce qui est une trahison de ses vœux, ce qui en fait un moine en odeur de péché, et dans "Lesbos", Vénus est mentionnée à quatre reprises dans trois vers distincts, et dans l'avant-dernier quintil, nous avons un calembour sur "jour de son baptême" pour nous expliquer que Sapho "mourut le jour de son blasphême". L'accent circonflexe me fait penser que le calembour est voulu. En tout cas, voilà qui invite à lire l'acte du moine Milotus comme blasphème dans le poème de Rimbaud.
Mais Rimbaud s'est inspiré aussi du poème "Le Balcon" pour composer "Accroupissements" et même de "Moesta et errabunada". Le nez qui recherche Vénus au ciel profond est à mettre en lien avec l'interrogation de désir qui clôt "Moesta et errabunda" : "L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?" Evidemment, le rapprochement n'a justement rien d'innocent. D'ailleurs, avec les "amours enfantines" et les "bosquets", "Moesta et errabunda" semble également une source à l'un des deux sonnets dits "Immondes". Enfin, Rimbaud a soigneusement lié la double référence du poème "Accroupissements" aux poèmes "Le Balcon" et "Lesbos". Le vers 3 des "Accroupissements" mentionne "le soleil" à la suite d'un pronom relatif "où" (séquence "D'où" si vous voulez), ce qui coïncide avec la présence du pronom relatif "où" au second vers de "Lesbos" et surtout avec la comparaison au début du vers 3 : "chauds comme les soleils", qui contient le mot "soleil" mais au pluriel. Du côté du poème "Le Balcon", nous avons aussi une mention au pluriel "soleils", mais nous reviendrons plus tard sur tous les liens des poèmes de Baudelaire avec "Accroupissements". Ce qui nous intéresse à ce stade de l'analyse, c'est des échos à des endroits équivalents des poèmes. Or, l'avant-dernier mot à la rime du poème "Le Balcon" est "profondes", quand "Accroupissements" se termine par cet adjectif au masculin "au ciel profond".
Tout un dispositif est en place.
Dans une seconde partie de cette étude, nous montrerons les autres liens entre les poèmes et nous nous pencherons sur un autre aspect de la reprise rimbaldienne. S'est-il complètement débarrassé de la question des répétitions ? Nous verrons que non !
Il nous faudra aussi parler du cas particulier des quintils de "La Comédie de la Soif".
Voilà pour le programme.

4 commentaires:

  1. La forme des ababa, en alexandrins à coupe 6-6 parfois durement malmenée, dans « L’Homme juste » pouvait faire particulièrement penser au poème mis en tête du Parnasse contemporain de 1869, « Kaïn », d’autant plus que l’auteur, Leconte de Lisle, se démarquait volontiers aussi de Hugo par l’usage du quintil. Le rôle biblique de Caïn, respecté dans «La Conscience» de Hugo (méchant poursuivi par l’œil de Dieu), avait déjà été corrigé dans les Fleurs du Mal (invitation à révolte contre Dieu) et d’une autre manière dans le poème où «Kaïn» est « celui qui ne sut ni fléchir, ni prier ». Les échos même littéraux de « L’Homme juste » à ce dernier poème sont multiples, et à travers lui à Hugo, car « c’est [lui], l’œil de Dieu ».
    La symétrie 6-6 de « Au bas d’une montagne, en une grande plaine » (Hugo) tourne chez Leconte au 4-4-4 de « Ils s’en venaient de la montagne et de la plaine ». Le vers à voyelle 6 prétonique de mot simple par « Cependant que, silencieux sous les pilastres », précoce chez Rimbaud, creuse l’écart. Les ababa de « L’Homme juste » participent donc rythmiquement à l’invective
    Quant au dernier quintil abbaa du pauvre songe dans la «Comédie de la soif», il discorde exactement comme le dernier quintil de « Pendant que la marin… » dans les Contemplations (https://www.normalesup.org/~bdecornulier/2quintilsHugo.pdf).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y a plusieurs problèmes.
      1) les quintils sont ABABA, donc directement inspirés des quintils de Baudelaire. Ceux de Leconte de Lisle ne sont jamais ABABA et Qaïn (ou Kaïn) est en ABBAB. Il faut opposer les traditionnels : ABAAB (**A*A) et AABAB (**A*A) avec d'un côté les quatrains augmentés d'un vers répété de Baudelaire ABABA (*A*Ar?) ou ABBAA (*AA*r), r pour répétition en sus), puis less quintils de Rimbaud sur le modèle baudelairien ABABA (A*A*A ?), et d'un autre côté les excentricités du genre de "Qaïn" où on peut penser à un quintil inversé ABBAB qui peut se lire (*AA*A, en trois modules, la ponctuation et la syntaxe favorisant en général la lecture isolée du dernier vers). Je ne maîtrise pas l'analyse en modules pour l'instant, mais même en me réfugiant derrière l'allure générale des rimes des cinq vers, Leconte de Lisle est opposable au modèle Baudelaire, comme au modèle traditionnel.
      Qaïn, à l'époque écrit Kaïn je crois, ouvre le second Parnasse contemporain, mais Rimbaud n'y fait pas directement allusion par la forme, et ce qui prime c'est la référence à Baudelaire et à Lesbos, y compris pour "L'Homme juste".
      On retrouve le cas de "strideur(s)" et "clairon(s)". Sans le vers d'O'Neddy, on dirait que Rimbaud s'inspire d'évidence du chant du cygne chez Buffon, mais le vers d'O'Neddy prime. Or, Rimbaud composait ses poèmes et passait à un autre, et puis un autre. Il ne peut pas même une sorte d'érudition de synthèse sur la table pour dire je sais ce qu'a fait Buffon, ce qu'a fait O'Neddy, je les cite tous les deux, ça peut arriver, mais c'est pas naturel à envisager. Pareil pour ici, "Accroupissements" et "L'Homme juste" suivent "Lesbos" et "Le Balcon" de Baudelaire, "Qaïn" de Leconte de Lisle, il faut imposer sa liaison dans un second temps par un argument plus serrée si elle a lieu d'être.

      Supprimer
    2. J'arrive à m'emmêler les pinceaux [ABAAB se transpose bien sûr *A**A]. Le quintil inversé de Leconte de Lisle, je veux dire que l'inversion sur le papier ne se lit pas en modules d'un couple et d'un trio de vers, mais oblige à un redécoupage je pense en trois modules "AB/BA/A, sauf que dans le second module, le placement de B est curieux, car ce n'était pas l'ultime module.
      Je reviens aux problèmes posés.
      2) Baudelaire, tous ses quintils (sauf "La Chevelure") sont fondés sur la reprise du premier vers en 5e vers du quintil, avec un assouplissement de la répétition, surtout dans "Le Monstre", et il faut ajouter l'importance des adresses (apostrophes) dans les poèmes en quintils de Baudelaire. Rimbaud en s'inspirant de Baudelaire a complètement dénaturé les faux quintils baudelairiens en fait. C'est ça mon idée !
      Je vais bientôt en parler.
      3) Pour la versification, il faut être prudent avec l'idée du trimètre d'accompagnement. On ne peut pas appliquer l'idée d'une gradation Hugo 6-6, Leconte de Lisle 6-6 P6 et 444, Rimbaud 6-6 enjambement de mot et 444, sans risque ! Le 444 est ultra courant quand il y a des vers au césures chahutées. Ensuite, l'audace du "Qaïn" est plutôt d'une césure à l'italienne, césure qui disparaît du poème en recueil, tout comme Banville finira après l'époque Rimbaud par répudier l'enjambement de mot de "La Reine Omphale".
      Ceci dit, vu la césure à l'italienne, l'idée que Rimbaud suit Leconte de Lisle pour les césures pourrait ne pas être sotte.
      Mais, deux problèmes encore, d'abord Hugo a inventé le jeu sur ces césures. Verlaine l'avait négligé quand il attribuait l'invention à Baudelaire, mais Hugo avait répondu à Verlaine apparemment par la suite, on a un truc à lire entre les lignes quelque part. Et Rimbaud lisait mieux Hugo que Verlaine, il le savait. Donc la fonction polémique est un peu pas évidente, mais reste possible en tant que compétition pour déborder le maître.
      Or, l'autre problème, c'est que, et là pour le coup dans l'esprit de l'article de Verlaine de 65, Rimbaud reprend une quantité élevée de césures des Fleurs du Mal dans "Accroupissements". Murphy en parle, minimisant les antériorités d'Hugo, car le mérite de Baudelaire est discutable, mais Murphy a raison sur l'influence des césures de Baudelaire sur Verlaine et Rimbaud, et il était même trop peu affirmatif dans le cas de "Accroupissements". Or, l'enjambement de mot de "L'Homme juste" vient après "Accroupissements" dans le même moule ABABA.
      Il faut que j'inspecte le cas du poème de Leconte de Lisle, mais pour moi il est clair que "Lesbos" et "Le Balcon" priment, et cela oblige à remettre sur le métier l'idée d'une fonction d'invective du quintil et des césures, parce que l'allusion à Leconte de Lisle n'est pas transparente, ni à plus forte raison au Kaïn de Baudelaire (distiques montables en quatrains) et au Kaïn de La Légende des siècles (rimes suivies de mémoire).
      Mais merci, je vais étudier tout cela.

      Supprimer
    3. Pour Leconte (on peut abréger ainsi son nom, non ?), il y a la mention "les Justes" (puis Thogorma le Voyant), donc la référence aux quintils de son Kaïn est probable, mais au plan métrique Baudelaire prime pour les rapprochements selon moi.
      Pour les trois quintils de "Comédie de la soif", poème "Le Pauvre songe", ils sont sur le modèle ABBAA, ceux d'Hugo "Pendant que les marins..." sont sur le modèle ABBAB. Je pense que Rimbaud reprend les moules baudelairiens de quatrains allongés d'un vers. Rimbaud aura repris les deux moules baudelairiens de quatrains allongés d'un vers, en se débarrassant à chaque fois de la répétition.
      Je vais étudier cela prochainement également. Merci pour le lien.

      Supprimer