jeudi 12 décembre 2013

Une intervention surprenante

J'ai découvert l'article du blog Rimbaud ivre où il est question de moi
Cela m'a surpris, la lecture de Voyelles faite sur le présent blog serait citée, mais non comme valide, plutôt comme moyen de réfuter une lecture ironique faite par quelqu'un d'autre
Je trouve ça complètement bizarre et n'aurais pu m'y attendre
J'ignore complètement par quel charme on peut complètement manquer les caractères évidents de ma lecture, surtout que visiblement on ne lui reconnaît aucun palier, sans avoir rien à proposer d'autre et en s'en servant quand même
De toute façon, ma lecture est partie pour s'imposer, puisqu'elle est déjà évidente à quelques esprits lucides et posés
Sinon, je réponds sur l'ironie, car je ne comprends pas clairement de quoi on parle
Il y a deux notions d'ironie Il y a la forme générale de l'ironie qui est de dire quelque chose qu'on ne pense pas dans le but de provoquer une interrogation dans l'esprit de celui qui écoute ou lit Il y a ensuite l'autre définition qui consiste à dire le contraire de ce que l'on pense et qui est notamment exploitée par Voltaire
Cette forme voltairienne de l'ironie n'est qu'une forme de l'ironie générale
Evidemment, l'ironie n'est pas une figure de style dont on observe la présence à partir d'un repérage grammatical
L'ironie pose un problème d'appréciation
Dans la vie de tous les jours, on peut ne comprendre qu'une phrase est ironique, puis l'ambiguïté va être levée Par exemple, l'auteur d'un propos ironique va finir par dire qu'il ne formulait pas sa pensée
Le problème en Littérature, c'est que l'ironie peut passer inaperçue du lecteur pour des raisons fort variées
Et ce problème s'aggrave quand toute une société ne cerne pas l'ironie d'un texte Ceux qui vont la repérer auront du mal à communiquer leur impression aux autres au départ
Ce qui me surprend, c'est cette conclusion selon laquelle l'ironie serait "indécidable" dans le cas de Rimbaud
Parle-t-on de l'oeuvre dans son ensemble ou simplement de Voyelles ? Ou bien a-t-on dans l'esprit un groupe important de poèmes phares qui seraient lus à tort comme ironiques, sans se préoccuper de textes où là l'ironie est manifeste ?

 De l'ironie, il y en a dans certains poèmes de Rimbaud
 Le caractère indécidable des lectures ironiques, cela me paraît invraisemblable comme axiome

Bien sûr qu'on peut montrer l'ironie d'un texte Ce n'est pas parce que nous ne sommes pas sur le terrain de la démonstration mathématique qu'on ne peut rien démontrer dans le domaine littéraire, sinon on n'a plus de raison de parler de Littérature ni de faire de l'analyse littéraire

Enfin, dans le cas de Voyelles, puisqu'au moins ce poème-là est ciblé, le caractère indécidable ferait un procès à l'auteur incapable de tourner son poème de manière à être compris comme ironique, malgré tout ce qu'on sait de lui
Moi, je n'ai pas dit que la lecture ironique était indécidable, j'ai dit qu'elle n'y était pas telle qu'elle était posée
La conclusion, c'est de dire rien ne montre la prétendue ironie, donc elle n'y est pas dans le texte, cette ironie
La conclusion de l'indécidable n'est pas logique
Après, il se pose le problème de la réévaluation Le dernier vers "O l'Oméga rayon violet de Ses Yeux" ne s'adresse bien sûr pas ironiquement à Vénus, la Raison, "Being Beauteous", mais il y a bien une ironie à l'égard de Dieu dans cette pointe finale du sonnet

Pour le reste, le poème assemble des groupes nominaux pour l'essentiel, pas même des phrases
Donc, pour déceler de l'ironie il faut se contenter de structures grammaticales de groupes nominaux et d'une opposition des termes de diverses énumérations entre eux, ou bien repérer indubitablement un thème ridicule à la mode qui obligerait à considérer que c'est en soi ironique Ou bien alors on va repérer une citation qui va mettre sur la piste d'une cible et du coup éclairer le sens ironique

Grammaticalement, il y a à retenir la postposition de l'adjectif "belles", les variantes "doux fronts studieux" et "grands fronts studieux" Il me semble que dans L'Art de Rimbaud les tercets passent pour plus faibles et l'expression "grands fronts studieux" pour moqueuse, ironique donc
Le poème est annoncé avec l'emploi de mots pédants à dessein, comme "virides", dans la notice des Hommes d'aujourd'hui J'ai négocié tout cela sur ce blog pour montrer que ce n'était pas ironique et que le sonnet était sérieux, tout comme on ne pouvait pas douter que Rimbaud était sincère dans les propos excessifs mais enflammés des lettres dites "du voyant"
Il y a sans doute une sorte d'alliance de termes qui peut aussi soulever la question de l'ironie, le mot "corset" substitué à "corselet" dans l'image des mouches
Ma lecture n'appuie pas la lecture ironique Il ne s'agit pas de dire quelque chose que l'auteur ne pense pas pour se moquer ou provoquer une remise en cause
Ou alors ce sera une sorte d'ironie positive: l'alliance de mots interpelle le lecteur, mais cela l'amène à comprendre les enjeux des vers du "A noir"
Je n'ai pas fait jusqu'à présent de mise au point sur l'emploi précis du mot "corset" dans ce poème
Mais, au sortir de tout cela, qu'est-ce qu'il reste pour dire le sonnet ironique ?
Ni forme grammaticale ostensiblement ridicule, dévalorisante, ni citation piquante d'une cible, ni thème tranché identifiable qui fasse comique
La question d'une dérision au sujet du style, parnassien (?), évoquée par Yves Reboul pour "pourpre(s), sang craché, rire des lèvres belles / Dans la colère ou les ivresses pénitentes" est insoutenable au vu des éléments grammaticaux offerts à l'observation
 Il reste à faire jouer les éléments des séries d'énumérations entre eux, mais si aucune lecture n'est admise ou proposée Je ne vois pas très bien comment on peut dire que l'ironie est finalement indécidable
Et la lecture, est-elle indécidable ?
Voilà qui me paraît impossible
J'ai synthétisé les séries d'énumérations J'ai insisté sur le couple pour le A noir vision d'un charnier et golfes d'ombres, J'ai synthétisé la courbe du "E blanc" avec la montée et redescente du petit au grand du grand au petit, et j'ai montré la transition subtile du noir au blanc
J'ai synthétisé les associations plus nombreuses que celles du A noir pour le I rouge, en faisant parler l'immédiateté du mot "craché" et l'alliance "ivresses pénitentes", le reste étant non problématique en soi "pourpres", "rire des lèvres belles", "la colère"
Pour le U vert, j'ai donné la structure des associations "cycles + mers + Nature + vieillissement (termes des cycles)"
 Pour le O bleu, j'ai lourdement insisté sur la symétrie des vers 12 et 14 qui montre bien qu'on ne se détache pas par une rupture du bleu pour le violet, et qu'on se maintient bien dans le thème céleste de la trompette du ou d'un jugement dernier

Voilà, si on veut encore prétendre le sonnet ironique, la structure d'ensemble, les articulations sur lesquelles il faut se pencher
Et je ne vois pas comment on peut oser balayer cette structure d'un revers de la main, en disant "moi, je n'y crois pas" ou "moi, je ne prends pas parti"
Là, il y a vraiment du souci à se faire Il va falloir commencer à parler de problème du quotient intellectuel, encore que je n'aime pas trop cette image technique
Mais là vraiment je commence à avoir peur C'est effrayant ce qui se passe
Dans le tercet du U vert, il y a bien une juxtaposition qui tend à dégager une structure cycles + mers + Nature + alchimie pour les vieux
La transition d'aube du noir au blanc, elle est limpide : "Golfes d'ombre, E candeurs"
L'association de l'image des mouches sur des "puanteurs cruelles" à des "Golfes d'ombre", elle signifie quelque chose, ou alors ce texte de Rimbaud ne vaut pas plus que n'importe quelle ânerie improvisée par tout un chacun

Je l'ai bien dit, les gens ont trop cherché à expliquer les images du poème en fonction de la forme ou de la prononciation des cinq voyelles en jeu
Même quand un commentateur ne proposait pas une telle solution, il se grattait la tête en se disant "mais pourquoi Rimbaud voit le A comme ça? Quelle qualité intrinsèque au A déclenche cela ?"
Pour ceux pour qui ce n'est pas sérieux, Rimbaud était ironique sans autre forme de procès
Mon étude a montré les articulations et les logiques du poème, parce que je ne me suis pas laissé empêcher par cette mauvaise thèse initiale

Rimbaud a créé cinq couples symboliques "A noir", "E blanc", "I rouge", "U vert" "O bleu"
Oui, le A signifie quelque chose, mais purement au plan de ce seul poème en fonction de la structure symbolique d'ensemble qu'il a ainsi mise en place, et c'est tout
Le U vert s'éclaire par la lecture du tercet, pas par la recherche d'une raison qui justifie qu'on pense le U tantôt vert, tantôt ride, etc
J'ai montré comment il fallait approcher la symbolique des associations et j'ai même donné la lecture complète du texte, maintenant à vous de comprendre si vous êtes à la hauteur

1 commentaire:

  1. Il y a deux plans à distinguer Celui de l'ironie à détecter ou non, celui de la lecture d'un texte hermétique
    Pour surprendre l'ironie d'un texte, l'écrit ci-dessus a l'air contradictoire sur la grammaire En fait, le relevé grammatical peut donner des indices, mais ils ne sont pas suffisants et peuvent être faussement tentants
    L'approche doit être balisée On peut approcher un texte par le vocabulaire et la grammaire C'est le plus évident pour aplanir les premières difficultés, et même pour savoir lire tout simplement
    On peut éventuellement rechercher un codage, mais c'est une mauvaise approche et beaucoup de gens croient à tort que nous décodons quand nous expliquons un poème hermétique II est vrai que la métaphore notamment s'approche de l'aspect codé
    Mais le principal, c'est vocabulaire, grammaire, sincérité de l'auteur quand il parle, intentions de l'auteur, contexte de l'époque, allusions, réécritures
    Et enfin il y a le plan de la cohérence du texte, des phrases entre elles, des paragraphes entre eux, sinon de groupes de mots ou passages entre eux
    Ces articulations peuvent être celles d'un texte argumentatif, pour donner l'exemple d'un texte facile à comprendre dans sa composition On va étudier les liaisons logiques, les oppositions et relever tous les termes qui indiquent la composition "par conséquent", "Puis", etc
    Ici, la lecture de Voyelles demande un esprit capable de reconnaître les liaisons analogiques importantes du poème et un arbitrage entre capacités d'analyse et esprit de synthèse
    Je ne connais bien évidemment aucune autre lecture que la mienne, et pour cause, qui explique chaque détail du sonnet Voyelles et qui puisse comme cela se rabattre sur la structure mise à jour du tercet du U vert ou du tercet du O bleu, puis établir une liaison entre les deux tercets : après la Nature et la mer, on se tourne vers le ciel et son infini au-delà
    Je veux bien que cela ne se soit pas imposé aux esprits d'emblée, mais ce que je ne comprends pas c'est que quand je pointe cela du doigt, les gens peuvent soutenir qu'ils ne voient rien
    Je suis forcé d'appeler cela de la bêtise
    Pour l'aspect communard de la lecture, je suis aussi très inquiet qu'on puisse dauber les rapprochements patents de certains mots précis et rares avec Les Mains de Jeanne-Marie et Paris se repeuple, l'étoffement similaire qui accompagne le réemploi de ces mots
    J'ai vraiment et sincèrement l'impression de parler à des débiles
    Evidemment pour dépasser le stade de l'inférence, je suis passé sur ce blog à des procédés relevant de la démonstration, notamment sur l'évidence du charnier pour le A noir, sur le sens évident des "ivresses pénitentes", et sur leurs positions respectives en fin de premier et second quatrains
    A un moment, il me faut dire franchement les choses Ce poème ne peut pas être compris par le commun des lecteurs

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