Il existe de fantastiques possibilités de recherches sur internet et certains chercheurs choisissent jalousement de s'en garder pour eux
Un truc tout simple en tout cas, c'est d'effectuer une recherche dans les documents mis en ligne sur le site de la BNF, Gallica, dans la mesure où il s'agit pour l'essentiel d'écrits du passé, remontant à au moins cent ans
Une recherche via Google n'a bien sûr pas les mêmes conséquences
J'ai ainsi cherché l'expression "prendre du dos" dans la littérature du passé et j'ai trouvé une acception
Il me faudra publier un article complet sur notre différence d'approche herméneutique avec les gens du passé, surtout au plan des obscénités
Aujourd'hui, vous dites : "il dit sa blague, et il se marre, on dirait qu'il en jouit tout seul", l'envie irrépressible prend tout le monde jusqu'à ce que quelqu'un l'assume ou le fasse de souligner la signification sexuelle du verbe, alors qu'il y a à peine quelques décennies, personne en société n'envisageait l'équivoque sexuelle quant à ce mot, je peux le garantir
L'expression "faire l'amour" a également changé de sens pour devenir exclusivement physique
Nous vivons dans une société où les équivoques sexuelles sont maladivement guettées et finalement créées par celui qui veut les voir
La "lèvre" d'un poème des Fêtes galantes communique une "exquise fièvre", le sens érotique n'est pas suffisant, il y a équivoque sur le mot "lèvre", sinon on ne comprend pas la finesse du poème
La "lèvre" d'un poème des Fêtes galantes communique une "exquise fièvre", le sens érotique n'est pas suffisant, il y a équivoque sur le mot "lèvre", sinon on ne comprend pas la finesse du poème
Les psychanalystes, psychiatres, psychologues sont pas mal responsables de cet état de fait, mais cela concerne aussi les approches littéraires de textes hermétiques dont ceux de Rimbaud
Il est vrai que les obscénités sont présentes dans l'oeuvre de Rimbaud et que cela a été maladroitement refoulé tout un temps
Ceci dit, il y a aussi chez les auteurs du passé une façon d'amener l'équivoque sexuelle
Au vingtième siècle, une démarche arbitraire va à l'équivoque sexuelle, pas dans les siècles passés
Evidemment, on a le Dictionnaire érotique moderne de Delvau et les critiques rimbaldiens ont tendance à l'exploiter à la façon d'une personne quelconque du vingtième, ils prennent un texte, identifient un mot, se reportent à l'explication érotique s'il y en a une, et c'est parti
Tout se passe comme si une expression courante avait toujours une signification érotique
La fenêtre d'un wagon de troisième classe, on trouve les équivoques obscènes pour "fenêtre" et "wagon de troisième classe" et on fait d'un Vieux Coppée un récit même pas obscène par touches, mais carrément pornographique
Pourtant il faut bien que la fenêtre d'un wagon de troisième classe ait une signification toute simple non obscène et dans la réalité et dans des textes qui prennent un voyage en train pour sujet
Il est plus logique de penser que l'expression était obscène au dix-neuvième selon le contexte d'emploi : une personne montre une femme et dit que c'est un "wagon de troisième classe", il fait une métaphore que Delvau avec sans doute un excès de zèle sur lequel il y aurait peut-être beaucoup à dire trouve bon de reporter en entrée de son dictionnaire Le mot et la définition cachent souvent des métaphores dans son ouvrage, ce qui est quand même gênant En plus, on se pose la question des apports du cru personnel d'un petit comité rigolard à ce dictionnaire
Dans Un Coeur sous une soutane, les équivoques obscènes vont très loin, Rimbaud suggère la masturbation dans des situations invraisemblables, Léonard étant en présence de toute la famille Binette par exemple
Mais il s'agit d'une métaphore, d'un jeu de confusion entre la situation amoureuse de Léonard autour d'une table et le pouvoir de suggestion des mots, et l'obscénité équivoque des mots est justifiée par une mise en scène, des mouvements de personnages, une véritable construction orientée en ce sens
Dans le cas de Parade, le sens argotique de "prendre du dos" n'est pas prouvé et il n'est pas non plus établi par le contexte d'emploi que l'expression soit obscène
Et on priera ceux qui veulent soutenir que l'expression l'est de se mettre dans la peau d'une personne du XIXème siècle, et non d'une personne (du début comme de la fin) du vingtième, car le surréalisme, les imbécilités pures de la psychanalyse, sont passés par là
On a marché à évidence forcée sur ce texte : Chérubin ça ne peut être que Rimbaud ou qu'un jeune bien tentant, des "ressources" ça ne peut être que ce que l'homme a dans ses bourses témoin un sonnet des "Immondes", "prendre du dos" on parle de prendre quelque chose dans le dos qui est un mot qui cache cul
Il est visible que ces évidences sont grossièrement posées et qu'on prend peu la peine de justifier pourquoi Chérubin serait cela qu'on dit, pourquoi la scène de regard serait désir de concupiscence, etc
Ce ne sont que des pétitions de principe, des inférences non éprouvées
On m'en veut de dénoncer ce manque de preuves et je vois Alain Bardel qui chante "plus personne ne met en doute la signification obscène", mais alors l'expression devient l'affaire d'un consensus, peu importe que cela soit clair, tout le monde va communier dans la conviction et l'article de foi
Personnellement, je ne crois pas au sens obscène, parce que je ne vois tout simplement pas bien ce que ça vient faire là, et loin de me dire ce que ça vient faire là, les rimbaldiens se contenteront de dire "c'est une expression sexuelle, c'est évident", et pourquoi c'est évident? "Parce que c'est une expérience lexicale", on éprouve de la poésie, on éprouve du Rimbaud, c'est de l'émotion pure, ça ne s'explique pas
-Mais ce texte c'est du charabia alors ?
- Mais, c'est parce que vous commentez, mon cher, vous traduisez et c'est trahir
- Ah et comment dois-je lire ?
- Eh bien comme ceci: "Des drôles très solides" c'est "Des drôles très solides", vous comprenez?
- Non, pas du tout
- Rhâa, mais ça ne s'explique pas, c'est Rimbaud le meilleur commentateur de lui-même : "J'ai seul la clef de cette parade sauvage"
- Et ça vous suggère quoi?
- Rimbaud seul pourrait le dire
- Certes, cette phrase fait partie des slogans, mais en quoi l'aimez-vous cette phrase, et même en quoi appréciez-vous tout ce poème?
- Mais il est génial, tout ce qu'il dit est génial
- Et il dit quoi ?
- Mais il n'y a que Rimbaud qui peut le dire
- Mais un texte est fait avec des mots, vous avez bien du sens qui s'en délivre
- Mais oui bien sûr qu'il y a du sens
- Ben alors sans le trahir, sans traduire, vous devez pouvoir parler de ce poème
- Mais oui
- Ben alors parlez-m'en
- Je vous vois venir, vous venez pour contredire, vous ne savez pas lire Rimbaud On va dans une exposition de pots de peinture, on ne cherche pas à comprendre, on passe trois secondes sur chaque oeuvre et on sait sur lesquelles on a flashé, la poésie c'est comme de la musique ça ne s'explique pas
- Quand même, à la différence de la musique, il y a des mots et il faut bien qu'ils soient là pour quelque chose, les mots sont prédominants, je ne vois pas les gens admirer le rapprochement de deux "f" sans engager un effet de sens lié aux mots choisis et à la syntaxe, toute la musique des mots et des phrases oriente vers le sens lui-même du dit, l'amplifie, l'approfondit
- Mais, oui, bien sûr, mais vous, vous commentez
- Ah et quelles sont vos opérations mentales quand vous lisez ?
- Aucune
- Aucune ?
- Aucune autre que la grâce de bien lire ce qui vous charme
- ???
Mais il suffit, je ne suis pas Diderot ou Montaigne pour ainsi faire de la digression dans une digression, voici donc ce que j'avais annoncé
L'expression "Au temps pour moi" nous sommes nombreux à la lire et à la penser ainsi "autant pour moi", présupposant un "ok je me suis trompé, autant de pris pour mon grade" grosso modo, puis nous sommes tout surpris quand on nous apprend que l'expression exacte est "au temps, pour moi", qu'elle est d'origine militaire, et que l'expression suppose plutôt qu'après un raté on recommence une manoeuvre
Cette expression serait née au moment de la première Guerre Mondiale environ
Mais, les réactions ont été assez fortes que pour dire que finalement rien n'était prouvé sur l'origine, le sens et l'écriture exacte de cette formule
Un moyen de trancher, c'est de fouiller le passé
Je n'ai trouvé effectivement aucune attestation de l'expression "autant pour moi" sur Gallica dans les textes antérieurs à la première Guerre Mondiale, sauf dans des expressions du genre "j'en ai pris autant pour moi" qui bien sûr n'ont rien à voir, ne sont pas l'expression même
Suite à ma recherche sur Gallica, je n'ai pas exactement une preuve, mais j'ai un indice fort que l'explication "Au temps, pour moi" est la bonne
Maintenant, à vous de voir si vous la citerez après mes triomphants articles sur Voyelles
(Venant de trouver ce post près de sept ans après sous Covid XIX). En supposant prouvé que l'actuel "Autant pour moi" dérive historiquement d'un "Au temps pour moi", cette origine historique ne prouve pas que l'actuel "autant pour moi" doive s'écrire "Au temps pour moi".
RépondreSupprimerNous autres on dit "Autant pour moi" en pensant "Autant pour moi" (ou pour nous), on pense pas le moins du monde "Au temps pour moi". Alors laissez-nous le droit de penser ce qu'on pense, et dans la foulée d'écrire ce qu'on pense. Le principe d'obliger à s'accrocher à une périmée quand le sens vivant en dicte une autre est débile. Plutôt obéir au sens qui vit qu'à des archéologues zut alors quand même!
(Par conte "ou daines" on aime! – Mais faut pas vous presser monsieur, ça fait un siècle qu'on sait que dans le Bateau ivre à côté du Poème Mer il y a des "azurs vers" et ça empêche pas un tas d'éditeurs de les repeindre en "verts".)
Le persiflage pose probleme dans la mesure ou moi-meme j'etais convaincu que c'etait "Autant pour moi!" C'est une recherche Gallica a une epoque ou il etait plus simple d'utilisation pour la recherche par mots qui m'a fait me rendre compte que la forme "autant pour moi" etait rare avant la 1GM, jamais servie en phrase nominale, toujours sous la forme cela en fait autant pour moi. Comment est-on passe a la forme abregee "autant pour moi" si on n'a meme pas une phrase courante du type : ok j'ai tort c'est autant pour moi ou j'ai tort j'en prends autant pour moi ou bien j'ai tort cela fait autant pour moi. Les formes concurrentes "autant pour moi!" et "au temps, pour moi!" sont apparues concurremment apres une guerre mondiale et les Vaugelas du XXe siecle ont d'abord souligne l'origine "Au temps, pour moi !"
SupprimerJe ne vois pas en quoi la supreme intelligence de ma recherche sur Gallica est debile, Rimbaud pourvoyeur de Zut alors et d'ironiques adresses Monsieur vous se moquerait sans aucun doute de votre persiflage puisque l'origine de autant pour moi n'etait pas comprise par l'en avant de la societe c'est de l'erudition subjective et fadasse et pas de la lumiere.
Désolé pour le ton de "persiflage" qui se voulait de rigolade en compagnie d'un persiffleur de première. Ce qu'y avait de sincère de notre part c'est l'intolérance (ancienne) aux académiques (par exemple des profs qu'on a eus) qui nous disaient du genre "Faut pas dire par conte, faut dire en revanche, pasqu'on met pas deux prépositions de suite"; et qu'on voulait défendre l'usage contre des vieux profs d'un genre qui n'est pas du tout le vôtre. De savoir que ["autant pour moi"] dérive de "au temps pour moi", ça nous paraît pas débile, mais intéressant.
RépondreSupprimerCe n'est pas grave, mais j'etais un peu surpris de te voir voler au secours de l'expression "autant pour moi". Car c'est une expression toute faite, et donc si on l'utilise c'est normalement un truc "erudit" ou "averti" qu'on se repasse l'un a l'autre. Moi aussi, je croyais que cela s'ecrivait et se comprenait "autant pour moi", je n'avais jamais entendu parler de "au temps, pour moi", d'ailleurs. Mais une fois que j'ai cherche, je suis tombe sur deux constats. D'abord, la formule apparait sous les deux formes debattues peu apres la premiere guerre mondiale avec un contexte d'enrolement militaire fort de la population, pls qu'en 40-45 pour la France ou la Belgique. En plus, je me suis rendu compte que je ne tombas jamais sur une formule complete. Si c'etait "autant pour moi", ce serait une forme abregee et j'aurais une phrase complete de transition, je ne trouvais que des trucs du genre "Et je prends autant de viande pour moi que pour toi", jamais sur une formule "C'est ma faute, c'est autant pour moi".
SupprimerApres, oui, je ne comprends pas toujours clairement pourquoi interdire malgre que, etc. Mais, en meme temps, la l'ambiance est aussi a une simplification de l'orthographe sous pretexte d'anomalies reelles, mais cela sent in fine le renoncement a la rigueur dans la population et a une science reelle de la langue. Dans le meme ordre d'idees, on a plein de discours en grammaire qui critiquent les insuffisances du discours academique traditionnelle, mais les nouveaux discours sont plus souvent des critiques du passe que de belles mises en forme pour le present et le futur et en prime on a peu intelligemment empeche les enfants d'identifier le sujet d'une phrase a la personne qui fait l'action, comme si l'enfant etait pare pour les abstractions des le commencement, comme si c'etait grave et que cela nous avait handicape a notre epoque les insuffisances traditionnelles.