U, cycles, vibrements divins des mers virides,Paix des pâtis semés d'animaux, paix des ridesQue l'alchimie imprime aux grands fronts studieux[ici, un point-virgule]
Ce tercet est une forme de développement
Le U a été qualifié de vert dans l'apostrophe qui lance le sonnet
Il est bon d'ailleurs de se dire que le "U" à l'initiale du premier tercet est moins un terme d'une apposition particulière à une série d'images qu'une reprise même du procédé d'adresse du vers d'incipit Rappelons le vouvoiement "vos naissances latentes" et cette idée qu'il s'agit là d'une apostrophe permet à nouveau de rompre en visière avec cette idée courante que Rimbaud se contredit après le vers 2 : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes" Dire les naissances latentes, ce n'est pas dire que le A noir c'est un "noir corset" ou des "Golfes d'ombre" D'ailleurs, le mot "naissances" ne serait pas très clair si c'était cela
L'idée est plutôt "A, tu es ou toi qui est noir corset velu"
Mais peu importe
Dans le cas du tercet du U vert, le U est détaché d'un développement qui va servir à en fournir une définition métaphorique complète, et peu importe qu'on l'envisage alors comme apostrophe ou comme apposition
Nous avons donc le U, puis une définition qui se fonde sur une juxtaposition de quatre éléments que bien sûr il ne faut pas envisager comme substituables l'un à l'autre, puisque manifestement ce n'est pas le cas, mais quatre termes qui s'articulent entre eux
Nous n'avons pas affaire à une juxtaposition du type: (ô reptiles,) lézards, crocodiles, varans, orvets
Nous avons la juxtaposition d'un mot "cycles", d'une image maritime qui illustre bien la figure des cycles, d'une image d'un monde terrestre accueillant le monde animal, d'une image de la vieillesse d'hommes importants par leur science
On comprend aisément que le mot "cycles" est l'élément directeur des associations, ce que confirme la présence manifeste d'un phénomène cyclique dans l'image maritime qui suit
Les "vibrements des mers virides" renvoient aux cycles des marées, à l'oscillation perpétuelle de la surface des océans pour s'en tenir à l'appréciation visuelle du phénomène que justifie l'importance de la coloration "vert" et "virides" pour le U
Le mot "virides" connote verdeur, vigueur
Cette oscillation est présentée comme divine, il s'agit d'un émerveillement devant le monde
Le vers 9 est ainsi parfaitement élucidé
Les deux associations qui suivent aux vers 10 et 11 commencent chacune par le mot "Paix" et on comprend que l'amplitude du phénomène cyclique des oscillations océanes est une figure de paix, si on peut supposer une contamination rétroactive à la lecture
Mais, l'image des mers a activé la notion de cycle, et nous sommes donc invités à la présupposer là où elle ne se manifeste pas de manière aussi apparente
Les "pâtis" et les "animaux" de la suivante association laissent deviner les cycles de la Nature et de la vie, ce que conforte l'emploi de "semés" qui est une étape sine qua non de ces cycles, "semés" étant un terme lié au végétal mais servant métaphoriquement à la vie animale dans le cas précis du vers 10
Et nous avons bien une relation qui nous fait glisser de l'image des mers à la terre Les cycles sont sur les mers comme sur les pâtis, et ils concernent tant le monde végétal que le monde animal dans le cas terrestre
Enfin, il y a cette "paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux"
Il est clair que le mot "alchimie" est ici en emploi métaphorique, c'est banal en poésie au siècle où écrit Rimbaud, lequel est au demeurant par son attitude permanente de défi, sa capacité à discuter d'égal à égal avec qui que ce soit l'exact opposé d'un franc-maçon ou occultiste
Mais, de fait, à la manière des poètes, Rimbaud exploite la métaphore des sciences occultes pour l'appliquer à l'émerveillement devant le monde et l'Histoire
Or, après le couple Nature et mers, Rimbaud choisit les rides des vieillards au lieu de parler des civilisations par exemple Et cette précision qui semble se concentrer sur un détail incongru peut déconcerter
Le mot "cycles" est la clef de l'énigme
Il est bien le terme directeur de ce tercet
Car, le cycle suppose le renouvellement des vagues, le renouvellement aussi de la végétation et de la faune, ce qu'illustre l'emploi du mot "semés" pour exprimer bien sûr la régénération et la vieillesse est une étape du cycle de la vie
Mais la vieillesse n'est pas la reprise de la vie, le vieil homme a pu donner la vie, lui-même va s'effacer maintenant, il devient tout de même une figure hors du cycle
Or, Rimbaud parle ici de la vieillesse des êtres humains et il indique en quel sens la personne âgée est encore une figure du cycle par la transmission du savoir "fronts studieux"
Et les cycles laissent même une empreinte sur le front de ces vieux sages, fixation d'une vérité complète, les rides forment plusieurs oscillations, plusieurs cycles en quelque sorte Ils assurent la reconduction du savoir aux générations nouvelles, mais aussi apportent une conscience immédiate auprès des jeunes gens de tout le principe cyclique qu'est la vie
Mais nous pouvons aller plus loin encore avec le choix précis du mot "studieux", car, et cela rejoint quelque peu l'image des lettres dites "du voyant" où des travailleurs reprennent l'exploration à partir des horizons où le précurseur sinon prédécesseur s'est affaissé, puisque la somme de leurs connaissances est aussi le surplus de sens par rapport à la figure des cycles, l'idée qu'il y a un progrès dans l'Histoire et non un simple et éternel retour (on pourrait aussi envisager le calembour sur le verbe "imprime" qui renvoie aux livres)
Suit alors le regard vers le ciel et le Jugement dernier, mais avec un déplacement de la figure de Dieu à une figure qu'on sent féminine à cause du "rayon violet" Il s'agit d'un procédé ironique, puisque la formulation appelle très nettement une référence biblique, jusqu'aux majuscules du divin ajoutées à la version autographe à la mention finale "Ses Yeux"
L'allusion à la trompette du jugement dernier est suffisante pour dire qu'il y a ici une référence ironique à la religion, mais dérobade par la mention féminisant du "rayon violet", mention féminisante que tout bon connaisseur de l'oeuvre de Rimbaud ne peut que rapporter à la Vénus de Credo in unam qui se déclinera en Aube, Raison et Being Beauteous dans les Illuminations ou en équivalent masculin contre-évangélique nommé Génie
Dire que Rimbaud envisage galamment une simple présence féminine à la manière d'un Léon Dierx transi d'un amour romantique qui veut qu'une femme soit sa seule raison de vivre face à l'univers, on voit bien que cela affadit le sonnet, n'entre pas clairement en résonance avec le dispositif tout de même patent du sonnet
Je ne reviens pas ici sur mes analyses des vers 12 et 14, sachant que j'ai bien insisté sur la symétrie de construction de leurs premiers hémistiches
Il y a bien un décrochement dans le vers final, mais pour dire que du O, donc le O bleu, le O du Suprême Clairon, se dégage un Oméga qui le rayon violet de la divinité, et donc, puisque l'Oméga est une partie de la vision du personnage suggéré au vers 14, on comprend que les cinq voyelles sont les éléments constitutifs de cet Être au rayon violet, être qui dirigeant les cycles et le Jugement dernier ne saurait être que le Dieu qu'adore Rimbaud et qu'un système habile de féminisation permet de ne pas identifier au Dieu chrétien
Le dernier vers exprime un report des voyelles à un être suprême qui n'est pas Dieu, mais déesse
Un complément d'enquête serait à fournir sur le sens du vers 13 avec les "Silences traversés des Mondes et des Anges"
Jacques Gengoux a rapproché cette formule d'un passage d'un livre ésotérique d'Eliphas Lévi, j'ai un livre de Gengoux, mais pas sous la main, peu importe, la citation une prochaine fois Evidemment, comme tout le reste des élucubrations tout de même incroyablement sottes de Gengoux sur le sens ésotérique qu'il prêtait au poème n'ont pas convaincu les rimbaldiens, ce lien est retombé comme une simple rencontre aléatoire
Un vers d'Emmanuel des Essarts a été rapproché par Claude Zissman, chercheur pourtant diablement plus farfelu que Jacques Gengoux, et cette référence est signalée dans l'édition 2009 de la Pléiade des Oeuvres complètes d'Arthur Rimbaud : "Le silence des nuits traversé par les Anges", la citation vient cette fois d'un sonnet ("Symboles et tableaux", Les Elévations, 1864)
Le problème, c'est que l'intertexte n'est pas enrichissant en soi Emmanuel des Essarts est une espèce de poète facile et gracieux, mais insignifiant au possible Je possède un volume de textes en prose de lui Si Rimbaud l'a lu, il a beaucoup perdu son temps Emmanuel des Essarts peut composer vite et faire lire un petit sucre, mais l'intérêt qu'il a suscité fut inévitablement minimal de son vivant et s'est enseveli depuis
Personnellement, je sais qu'il y a une formule similaire, au moins dans Mémoires de deux jeunes mariées un roman épistolaire de Balzac, mais je n'ai pas souligné le passage ni noté la référence
Mais il me semble que le vers 13 a à voir avec un poncif d'époque dont des exemples clairsemés doivent pouvoir encore se trouver dans d'autres lectures et on pourrait éventuellement retrouver un jour le texte qui a inspiré directement Rimbaud, mais on peut se contenter d'en noter l'allure de cliché amélioré par la grâce et la force du style et du génie de Rimbaud
Voilà la mystique des deux tercets ici parfaitement élucidée
Bien sûr, certains me diront que du coup cela dispense de la lecture communarde
Moi je démène surtout comme un beau diable pour déjà vous présenter ce qui est évident, je continue d'avoir la naïveté de croire que ceux qui liront ce qui précède se diront "Mais, c'est vrai, c'est juste, mais c'est bien sûr!"
La lecture communarde, si vous n'êtes pas encore prêts, ça attendra
En cadeau bonus pour la "paix des rides", vu que j'ai parlé de savoir transcendant les cycles
L'histoire des Sumériens
L'opposition entre apposition et apostrophe pour "U, cycles, …" peut-être sémantiquement simple au sens littéral le plus strict (par exemple si on pense que l'apostrophe, réduite l'identification référentielle, désigne, alors que l'opposition qualifie une chose éventuellement déjà désignée). Par exemple en apostrophant manifestement quelqu'un comme "Connard!" on le qualifie comme comme un connard par le fait qu'on le désigne par cette notion. Comparablement dans "As-tu vu Max, ce connard vient de partir avec notre casquette", l'anaphore "ce connard" indique que "il" est un connard d'avoir emporté notre casquette (en plus que cette casquette, c'est Kleiber qui l'avait donnée à un copain qui nous l'avait donnée comme une calotte du pape).
RépondreSupprimerHeu ? Ok, faudra que je relise l'article pour voir sur quoi cela intervient. Mais, en fait, j'ai encore des trucs a produire sur Voyelles et precisement sur sa grammaire. Par exemple, quand on lit les associations, la lettre-voyelle n'est pas toute l'image, mais un element de l'image. Le A noir, c'est en soi un corset. L'image des mouches avec les puanteurs cruelles, c'est le cadre general dans lequel il a fait sa recherche et le corset c'est la decouverte alchimique qu'il en extrait. Il enumere ses resultats et donc on a l'abstraction alchimique qui precede l'expression imagee du milieu de la decouverte. Mais les appositions sont une notion importante, car le probleme dans les enumerations c'est que Rimbaud e fait plusieurs par lettres et qu'il use tantot du singulier, tantot du pluriel. A noir, c'est un corset ou des golfes d'ombre, E blanc, c'est des candeurs, extraites de vapeurs et de tentes, mais des candeurs, c'est aussi des lances et des frissons, et pour rois blancs, tout depend si on en fait une apposition a Lances ou a glaciers fiers. Corset et golfes mime la forme de la lettre A. Pour le E, forme manuscrite ou majuscule d'imprimerie on arrive a accepter la serie candeurs, Lances, frissons, mais rois cela passerait moins bien... Pour le I rouge, on a une mention etonnante en tete, pourpres, qui evoque l'imperium et est donc a rapprocher de rois blancs, mais apres on retrouve le jeu sur la forme de la lettre, sang crache et rire sont les deux figurations du I rouge et on observe un truc interessant c'est qu'assez naturellement les elements de sens de l'element alchimique corset, candeurs, sang ou rire se retrouvent dans les expansions qui precisent un cadre de decouverte, puisque noir corset on peut dire que les mouches ont l'air de tisser un autre corset noir en bombinant autour des puanteurs cruelles, puisqu'en rimant avec candeurs vapeurs confirme le passage de la mention abstraite "candeurs" a une vision mediatisee des candeurs, puisque rire et sang se retrouve dans l'oxymore ivresses penitentes, avec ivresses pour rire et penitentes pour sang crache.
SupprimerLe U vert est cycles, vibrements et le singulier paix qui a deux occurrences. La forme du U confirme l'idee d'abstraction, des u en continu feraient des cycles ou des vibrements et cela serait une paix. Mais comme on avait la rime candeurs et vapeurs on a l'echo entre vibrements et virides. Virides ne veut pas dire vibrer, mais l'expression "mers virides" par son echo permet la reprise en idee de "vibrements". Rien d'etonnant, me direz-vous! on va de la clef alchimique abstraite a plus d'explicitation, mais ce n'est pas anodin de s'y arreter et de bien le remarquer. Rimbaud n'a pas ecrit dans les mouches sur les puanteurs je vois le corset, dans les mers virides je vois les vibrements divins. Pour paix on a un super balancement de l'idee de finitude du cycle de la vie chez les animaux et l'idee du cycle humain, car la seconde paix introduit l'idee de progres lineaire au sein des cycles, le savoir n'est pas en vain. Or, je trouve spectaculaire que non seulement les tercets du U vert et du O bleu articulent une totalite articulant monde sublunaire et ciel avec au-dela metaphysique, ce qu'aucun commentaire en-dehors des miens ne souligne nettement a ma connaissance, mais en plus il y a un lien fort entre vibrements divins et supreme clairon, a cause de ces adjectifs divins et supreme qui pour une fois sont associes a l'expression des resultats de la decouverte alchimique, il y avait bien noir et velu pour corset, blancs pour rois, mais ce sont des qualites de couleur ou des qualites qu'on peut se representer concretement, pas d'epithte pour Golfes meme si d'ombre oriente question couleurs, ni pour rire, sang crache formait un tout, mais la on a le couple d'adjectifs epithtes transcendants divins et supreme.
Dans le cas du O, on retrouve le melange singulier et pluriel avec une serie clairon, silences et rayon, mais on a aussi comme je l'ai deja dit une rime interne qui permet d'identifier le clairon a un rayon et donc le motif du clairon lumiere ou rayon chantant. La lumiere parle en fait, Verbe de Lumiere donc pour citer le modele johannique. La encore il y a jeu sur la forme de la lettre. Je trouvais cela partiel en 2003, mais j'ai fini par l'envisager plus posement pour le E et le I. Evidemment, Rimbaud n'est pas la pour dire qu'il croit a l'alchimie et a ses lettres-couleurs, mais il fait entendre que pour faire un monde il faut des briques fondamentales, il en a cree cinq a sa convenance dans son poeme, l'essentiel du sens etant ailleurs, celui d'un tombeau de la Commune par le chantre du Credo in unam comme je l'ai dit des le depart, ce qui ne flatte pas peu mon ego. Mais on a aussi une autre subtilite. Rimbaud dit l'Omega et non pas Omega, alors qu'il a n'a jamais determine de la sorte ni les voyelles-couleurs A noir, E blanc, etc., ni les resultats "alchimiques" corset, golfes, candeurs, lances, (rois) frissons, (pourpre(s)), sang crache, rire, cycles, vibrements divins, paix (deux fois), supreme clairon, silences et rayon. Omega avec mega renvoie a supreme, donc Supreme Clairon et Onega c'est le meme O, mais le O bleu des vers 12 et 13 se revele une revelation attendue l"omega au dernier vers.
SupprimerJe ne crois evidemment pas que les yeux sont ceux du poete lui-meme a la fin. L'alchimiste veut concurrencer Dieu, mais n'est pas Dieu, il cherche a decouvrir les lois divines et le poete prophete c'est pareil. Rimbaud decouvre un Dieu, mais qu'en parfait revolutionnaire anticlerical il identifie a une entite subversive commnunarde puisque ce sonnet est un tombeau de la Commune, entite qui se precisera en Raison, terminologie revolutionnaire on ne peut plus limpide, puis en Genie clairement oppose au Christ : il ne redescendra pas d'un ciel...
Et pour les demeures qui pensent que Rimbaud est compatible avec la pensee marxienne, Marx dirait de Rimbaud que c'est un cretin qui n'a rien compris, qui ne sait meme pas etre materialiste, qui joue en vain avec des bibelots spiritualistes perimes. Allez trouver du marxisme dans Une saison en enfer... Bref !
J'oubliais. Du coup "pourpre" ou "pourpres" selon les manuscrits serait en apposition a sang crache et rire des levres belles.
SupprimerMais vu le rejet dont je fais l'objet je n'ai aucune raison de me presser de peaufiner de nouvelles mises au point sur Voyelles. La societe ne me merite pas, elle attendra.