mardi 17 décembre 2013

Lecture consensuelle des premiers vers de Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Rimbaud nous propose un alphabet coloré de voyelles, on ne sait pas pourquoi
On voit que le noir et le blanc s'opposent, puis il a choisi trois couleurs de façon aléatoire le rouge, le vert et le bleu
Il n'a pas cherché à être exhaustif
René Ghil dénonçait le choix du vert au lieu du jaune, car le rouge le jaune et le bleu forment les couleurs primaires en peinture On apprend tous ça en dessin, mais Verlaine a dit que Rimbaud se fichait pas mal de l'exactitude théorique et on voit bien que c'est arrangé n'importe comment

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :

Rimbaud dit le contraire de ce qu'il fait Les 12 vers, c'est dire les naissances latentes

Ce qui est fascinant dans ce poème, c'est que Rimbaud parle d'un "A noir", il dit même que le A est noir, et c'est pas logique, alors c'est génial et je transpire, je ssuiz en trranss'

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Pour en finir avec l'impasse de la lecture consensuelle
Il suffit de voir que les cinq couleurs forment un groupe clos, délimité par les cinq voyelles avec deux groupes qui forment deux unités, l'unité faisant contraster le noir et le blanc et l'unité des trois couleurs primaires rouge vert bleu de la trichromie additive
On voit que René Ghil avait senti juste sur les couleurs primaires et que l'exactitude théorique dont se moquait Rimbaud n'est que la réponse mal informée de Verlaine, lequel n'exclut pas au passage qu'il y ait référence au modèle théorique des couleurs primaires, puisqu'il parle d'inexactitude de la restitution !
Le noir c'est l'absorption des couleurs par un objet, le blanc c'est la composition de toutes les couleurs réfractées par un objet Le rouge, le vert et le bleu sont les couleurs primaires dont on tire les autres couleurs, donc deuxième système qui s'inscrit dans le passage du noir au blanc
Il faut ici ne pas penser en pigments comme le font les peintres

On comprend aisément que cinq couleurs sont là et que le lecteur doit trouver l'unité des cinq couleurs et rien au-delà
Ensuite, leur association à cinq voyelles permet une distribution ordonnée, signale une délimitation à cinq, établit une métaphore de cinq couleurs envisagées comme l'alphabet de la vision de toute chose en ce monde

Pour le second vers "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", il suffit de se dire que les douze vers qui suivent sont le fait de dire les voyelles avec des associations, mais que "dire leurs naissances latentes", cela a censément une autre signification, qu'il faille se pencher sur le verbe "dire" qui peut vouloir dire "expliquer", or les douze vers ne sont pas une explication, ou bien on peut se pencher sur le mot "naissances" et éviter de dire que la définition du "A" comme "noir corset velu" est la saisie d'une naissance

Rimbaud joue sur une métaphore de la lumière-langage dont l'alphabet est fait de cinq couleurs fondamentales, sachant qu'il y a derrière une théorie classique des couleurs avec Newton, génie scientifique parmi les plus grands qui aient jamais compté en ce monde comme chacun sait, le plus grand à l'époque où Rimbaud écrit puisque la physique newtonienne avait alors valeur de référence, valeur qu'elle n'a d'ailleurs pas réellement et foncièrement perdue à l'heure actuelle où son pouvoir explicatif est à nuancer en raison des théories de la relativité et de la physique quantique

Quant à la liaison entre les couleurs de Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs et Voyelles, il s'agit de la mise en commun de métaphores distinctes mais associées toutes deux à la lumière, à la vision du monde, à la préséance céleste "Bleus Thyrses immenses" contre "O Suprême Clairon", aux jeux de la lumière en ses couleurs et ses rayonnements La même métaphore de la lumière-langage ou poésie est dans les deux poèmes: "Ta Rime sourdra rose ou blanche"

On peut toucher un mot aussi de l'organisation des couleurs dans Voyelles
Le noir est la concentration intérieure représentée par l'idée de matrices (corset, golfes) et d'une vision des ombres, le blanc est l'épanchement extérieur qui peut éblouir la vue
Le noir et le blanc ne sont pas contradictoires, ils se complètent : l'un est absorption, intériorisation, l'autre est extériorisation
Les trois couleurs primaires sont ensuite exposées, en commençant par le rouge qui est aussi la première couleur du spectre solaire
Le bleu n'est que la cinquième couleur du spectre solaire, mais le poème sur un approfondissement soudain bleu indigo et violet, sachant que l'indigo n'est pas considéré comme se différenciant nettement du bleu et du violet
C'est un fait que le poème se clôt par une mention en vedette de l'ultime couleur du spectre, le violet

Tout cela n'est bien sûr pas anodin
L'ultime couleur du spectre est l'Oméga, l'achèvement suprême au fond du bleu, le regard de la transcendance

Dois-je rappeler les lectures consensuelles pour le tercet du "U vert"?

Le diapason des "vibrements divins des mers virides" est un court moment dans le poème où une allusion explicite est faite à la musique des sphères, et donc à une perspective pythagoricienne La réponse de Cabaner contient d'autres éléments pythagoriciens explicites
Le tercet du "U vert" a valeur d'unité : trois vers sont consacrés à se représenter le U
Un mot abstrait "cycles" est suivi de trois images où retrouver les idées de cycles
Avant un tercet du O, dont il est manifeste qu'il est concerné par le ciel et la transcendance, nous avons une vue du monde : mers et terres, une idée du végétal et de l'animal, et une idée de la connaissance transmise de génération en génération

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux

Je peux m'amuser à pondre un prochain article sur les lectures de Voyelles, de ce tercet et d'autres, ce sera bien édifiant

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