En ces magnifiques heures où le nazisme connaît une nouvelle défaite en Ukraine, où Zelensky est remis à sa place, où Macron est vu à nu riant fièrement d'être assimilé à un petit menteur après un dîner à la Tour Eiffel, en ces magnifiques heures où le monde retrouve un espoir qui semblait à jamais perdu, même s'il reste des coups durs comme l'arrestation antidémocratique et calomnieuse du favori des élections en Roumanie, pourquoi ne pas souhaiter aussi un rebond de qualité pour les études rimbaldiennes ?
Un premier sujet : dans ses lettres du 13 et du 15 mai à Izambard et Demeny, Rimbaud parle de passer de l'état de poète qu'il s'est reconnu à la transformation en voyant. Dans son panorama de l'histoire de la poésie (Antiquité et France), Rimbaud parle d'une évolution toute récente née avec le romantisme où les poètes commencent à avoir des visions. Musset est le représentant de ceux qui à contrepoint de l'évolution ambiante ont refusé les visions, ont détourné la tête, alors que Lamartine est paradoxalement considéré comme le premier poète à avoir eu des visions. Les poètes qui ont eu des visions ne sont pas sélectionnées en fonction d'une adhésion ou non à la Commune, quelques-uns sont déjà morts (Lamartine, Baudelaire) et n'auraient pas été plus communards que ceux qui sont encore en vie (Hugo, Banville, Leconte de Lisle, Gautier, Verlaine et le très accessoire Mérat).
Les rimbaldiens veulent attribuer à Rimbaud une intelligence extra lucide quand il parle de poésie. En réalité, Rimbaud répète les discours de son époque sur Musset et Baudelaire. Rimbaud dit bien que la forme de Baudelaire est "tant vantée" alors qu'elle lui paraît mesquine, et il est évident que Rimbaud se met à l'unisson d'un discours de poètes parnassiens admiratifs de Baudelaire, parmi lesquels Verlaine. Sur Musset, j'ai cité récemment des phrases de l'éditeur Alphonse Lemerre qui montrent bien que Rimbaud en exécrant Musset ne fait que répéter les propos malveillants des parnassiens qu'il a pu glaner ici ou là, malveillance qui va bien au-delà d'un petit cercle dont ferait partie Verlaine.
On le sait depuis longtemps, Rimbaud n'a pas inventé le concept du poète voyant. L'idée du poète visionnaire vient de l'Antiquité et a eu une vogue au XVIe siècle à l'époque de Ronsard et de la redécouverte des écrits de Platon. Le dix-neuvième siècle réactive cette idée à partir du romantisme, et au-delà des influences anglaise et allemande, les débuts du romantisme en France furent liés au légitimisme et à la religion avec Chateaubriand, Lamartine, Hugo et même Vigny. Il s'est joué un retournement paradoxal au plan des premiers romantiques pour qu'on en arrive à Rimbaud se réclamant de l'idée qu'il faut être "voyant".
C'est peut-être ça qu'il faudrait étudier quand on parle des "romantismes" de Rimbaud.
Justement, si ça commence avec Lamartine, il faut aller voir ce que peuvent être les visions qu'il aurait eues sans trop bien s'en rendre compte, sachant que les visions sont liées étroitement à un concept de douleur : "générations douloureuses prises de visions" dit Rimbaud à propos du contrepoint qu'il voit en Musset.
Même si Rimbaud répète des discours de parnassiens qu'il ne maîtrise pas encore sur Musset et Baudelaire, on peut étudier la cohérence du propos.
Il faut prendre les recueils de Lamartine, en privilégiant les trente poèmes initiaux des Méditations poétiques, et on relève quand il est questions de visions. On peut aller au-delà du premier recueil de Lamartine, et on aura les séquences "J'ai vu..." dans ses Nouvelles méditations poétiques. Rimbaud dit dans "Le Bateau ivre" : "Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir." Donc Rimbaud va considérer ce qu'il y a de vu dans les poésies de Lamartine et Hugo, mais considérer que Lamartine et Hugo interprétaient mal leurs visions, ne comprenaient pas l'essentiel de ce qui s'y jouait.
Or, dans les poésies de Lamartine, il y a bien l'expression d'une douleur qui, malgré toute ses déclarations de respect de la foi envers Dieu, sent le soufre. Lamartine se réclame lui aussi de l'influence de Byron comme Vigny.
Musset s'est réclamé aussi de la douleur, mais alors que Musset est plus nettement pervers dans ses discours et affiche même l'athéisme comme étendard, Musset a une sorte de surplomb qui lui fait donner dans une sorte de sagesse des nations qui règle le conflit et désamorce l'absolu de révolte.
Il serait très intéressant d'étudier en quoi pour Rimbaud Lamartine est quelquefois voyant sans s'en rendre compte et en quoi Musset n'a pas de visions, et le concept de douleur est essentiel à relier aux visions. Il ne s'agit pas de visions joyeuses. Hugo nécessite une étude similaire. Le concept de douleur est clef car il va baliser la recherche de ce que doivent être ces visions.
Le concept de douleur est précisément sacralisé par les poètes plus récents : Baudelaire d'un côté et pas mal de parnassiens de l'autre. Leconte de Lisle et Dierx développent l'idée de la douleur eux aussi. Dans le cas de Mérat, même si je considère qu'il est inclus là par flagornerie en tant que perçu comme un collègue de travail à l'Hôtel de Ville de Verlaine il faut méditer en quoi ses poésies sont éprises de visions douloureuses.
Au plan de la versification, beaucoup de choses sont jouées. Je prévois de faire encore une mise au point sur l'émergence du trimètre au dix-neuvième siècle, sur les rejets et contre-rejets d'une syllabe dans Cromwell et puis il faudra une synthèse de ma part sur l'assouplissement du vers jusqu'en fvrier 1872 avec Rimbaud. Pour les vers de 1872, c'est le sujet suivant.
Au fait, quand j'ai cité l'article où Chevrier me citait. Non seulement Chevrier en me critiquant de ne pas avoir envisagé une diérèse sur le nom "pieds" identifiait des césures sur l'initiale en "é-" de deux mots qui, non seulement, me donnait raison sur l'analyse de "Tête de faune" avec "é-peuré", mais Chevrier me piquait aussi le fait d'affirmer que les vers ont des césures forcées, puisque ce n'est pas ce que font les métriciens Cornulier, Bobillot et Gouvard. C'est moi qui ai aussi déclaré qu'il fallait lire tout Verlaine avec des césure forcées ! Cornulier, non ! Il a fait un article où il parle de "n'importe quoi"', mot qui est même dans le titre de son article sur les vers de dix syllabes de Verlaine. Bobillot et les autres ne parlaient pas de "Crimen amoris" comme d'un poème tout entier en vers avec une césure après la quatrième syllabe, ils ne l'envisageaient que comme une dominante statistique. Chevrier me critique sur un détail en utilisant mes apports fondamentaux.
J'ai un autre truc en vue, parler des cas où le contre-rejet est de deux syllabes en soulignant là où les rebonds sont jouables pour un classique : "Mais qui", et là où ils ne le sont pas "et ces".
Sur la versification, il y a un sujet aussi important qui est l'étude complémentaire des mêmes configurations audacieuses à la rime qu'à la césure. L'analyse sera plus fouillée quand cela aura été mené à bien.
Notons que justement l'évolution de la forme est aussi un sujet romantique. Le dérèglement de la forme s'oppose au classicisme et l'impulsion vient des débuts du romantisme avec au-delà du précurseur Chénier les rôles clefs joués par Vigny et Hugo. L'avènement de la poésie en prose est elle aussi un aspect quelque peu romantique de la question, même si la recherche de la poésie en prose commence au XVIIIe siècle.
Je reviens sur les visions de Lamartine. J'ai annoncé aussi que plein de vers de Baudelaire réécrivaient des vers de Lamartine et qu'il y a une théorie de la poésie du souvenir qui prend forme dans les poésies de Lamartine. Tout ça, j'y reviendrai.
Je vais continuer cette année à pas mal traiter de la poésie en vers première manière de Rimbaud, mais on approche des objectifs que je veux atteindre. Après, je repartirai enfin sur les poèmes en prose et Une saison en enfer avec une base de connaissances complètement renouvelée. Et sur les poèmes en vers "nouvelle manière", là aussi c'est complètement profitable. On va pouvoir en parler comme jamais. Tout est en train de bien se mettre en place.
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