Steve Murphy a commencé à souligner l'importance du recueil publié sous le manteau d'Henri Cantel Amours et Priapées en soulignant que dans le "Sonnet du Trou du Cul" la comparaison de l'anus à un oeillet s'inspirait du troisième poème "Ephèbe" de la série "L'Hermaphrodite" du recueil de Cantel : "comme un œillet qui s'ouvre...". Philippe Rocher qui a publié sur le "Sonnet du Trou du Cul" a ajouté lui aussi quelques éléments, puis j'ai moi-même publié sur le sujet avec une recherche nettement plus poussée où je montrais à quel point le "Sonnet du Trou du Cul" réécrivait autant des extraits des sonnets de Cantel que des sonnets de L'Idole de Mérat, en montrant la présence du prénom "Aline" dans les rimes des tercets du "Sonnet du Trou du Cul" (à moins que ce ne fût déjà remarqué par Rocher) et en poussant cela dans ses plus importantes conséquences. Il y a plein d'éléments des tercets, attribués à Rimbaud par Verlaine, qui s'inspirent des vers de Cantel. Et je soulignais que le recueil de Cantel et celui de Mérat avait en commun un prologue et un épilogue, et qu'il y avait des similitudes aussi entre les deux "prologues" de Mérat et Cantel. Autrement dit, le recueil L'Idole était un peu comme projet une version édulcorée du recueil Amours et Priapées, avec bien sûr ce prétexte de suivre la tradition des blasons.
Certains vers de Cantel, notamment ceux avec une forme telle que "brodé" me font penser à des sources possibles pour "Credo in unam" sinon "Ophélie", mais à la relecture je ne trouve pas la thèse bien probante, même s'il y a des points de comparaison qui sautent aux yeux : "Priape, dieu vivant, tombé d'un ciel impur", "Sa robe sur son corps flotte amoureusement ;" "L'onde amoureusement lui lèche la poitrine," "Et de son cou baigné de neigeuse pudeur," "Ton clitoris, blotti dans sa toison dorée," "lève son front pâli" et la rime "horizon"/"Endymion". Je ne renonce pas encore pour autant à l'idée, puisqu'il y a aussi des ressemblances étonnantes avec "Vénus Anadyomène" : "rondeur(s)" dans "Vénus Callipyge", "La Bacchante" et "Les Coteaux de l'amour", "mystique rose" à rapprocher de Un coeur sous une soutane, "Dessine de ses reins la cambrure" dans "La Bohémienne" et surtout deux sonnets retiennent mon attention : "A une danseuse" avec "semblent prendre leur vol," "tordant leurs reins cambrés," et "Le Dernier vêtement" : "La hanche s'épaissit, et la chair se devine", "Qui moule de ses reins la courbe florentine;" "les rondeurs", "son sein rond s'enfle, tremble et respire ;" et il ne faut pas oublier la rime "inconnus", "Vénus", "anus" des tercets du sonnet "La Sorcière" où "anus" est le mot de la fin comme dans "Vénus anadyomène" de Rimbaud.
A quel moment précis Rimbaud est-il entré en relation avec Bretagne, l'ami de Verlaine ? Pour "Vénus anadyomène", cela a l'air clairement jouable. Bretagne a pu beaucoup en apprendre sur la poésie licencieuse à Rimbaud dès 1870.
Je remarque qu'au-delà du "Sonnet du Trou du Cul", puisque "Les Chercheuses de poux" s'inspire du "Jugement de Chérubin" de Mendès où apapraît une Aline comme dans le recueil de Cantel, il y a justement des "chercheuses d'infini" mentionnées dans un sonnet du recueil de 1860. Le sonnet "Le Clitoris" parle de "Chercheuses d'infini" au vers 8 en désignant des amoureuses chrétiennes et aussi symboles d'innocence : "Béatrix, Héloïse, Eve, Clorinde, Elvire[.]" Je relève aussi "l'essaim des baisers brûlants" dans un autre sonnet, même si c'est plus accessoire. Cantel utilise plusieurs fois "purpurine" à la rime, ce qui nous rapproche de la série "écarlatine" de "Vu à Rome" qui remonte à Mendès, Glatigny et Banville notamment.
La série "La Louve" avec les sonnets "Léona", "Aline" et "Volupté" est à comaprer à la plaquette Les Amies de Verlaine qui visiblement s'en inspire, et justement la plaquette Les Amies est à peu près contemporaine de la publication de L'Idole de Mérat, Mérat et Verlaine échangeant alors sur leurs projets respectifs dans une bonne entente de collègues de l'Hôtel de Ville.
Le recueil de sonnets de Cantel a d'autres attraits. Avant Mendès et avant Mérat et Valade dans Avril, mai, juin, Cantel publie des sonnets où les rimes des tercets offrent un degré d'irrégularité élevé.
Après Nodier et avant Mendès, Cantel publie des tercets rimés à la manière de Pétrarque ABA BAB.
Après Musset et son sonnet à l'acteur Régnier, et avant Valade et Mérat, Cantel fournit le schéma des tercets sur deux rimes du sonnet "Poison perdu".
J'ai longtemps combattu l'attribution de "Poison perdu" à Rimbaud, mais moins obstiné que les autres rimbaldiens j'ai révisé les conditions de ce jugement.
Notons aussi que Jacques Bienvenu envisage une source du côté de La Bonne chanson de Verlaine pour ce qui est de la "pointe d'un fin poison trempée". Ici, je fais remarquer que le poème "Ecce homo" est au début du recueil Amours et Priapées, c'est le sixième sonnet du recueil et son dernier vers est une allusion évidente au dernier vers du "Satyre" de la première série de La Légende des siècles de Victor Hugo publiée un an plus tôt en 1859. Ce sonnet fournit l'organisation des rimes de tercets de "Poison perdu" et il me semble que la lecture comparée des deux sonnets a du sens, vu la ressemblance d'allure des tercets :
L'homme et la femme, las de leur accouplement,Vont cueillir au hasard les voluptés de RomeEt les lubricités où se berça Sodome.Priape, demi-dieu de l'abrutissement,Lève son fier phallus vers le bleu firmament ;Et s'écrie : "- A genoux ! adorez ! voici l'homme!"
Au bord d'un rideau bleu piquéeLuit une épingle à tête d'orComme un gros insecte qui dort.Pointe d'un fin poison trempée,Je te prends. Sois-moi préparéeAux heures des désirs de mort.
On peut comparer certaines positions : comparaison avec idée du sommeil en fin de chacun des premiers tercets, pointe qui semble priapique en attaque de second tercet dans "Poison perdu", et comparaison aux derniers vers entre "désirs de mort" et l'adoration à genoux.
Simples coïncidences ?
Le fait que Cantel ait pratiqué les tercets à la Pétrarque ABA BAB a aussi son intérêt quant à "Oraison du soir". Ce sonnet a été composé en principe après le "Sonnet du Trou du Cul" et à peu de temps d'écart. Et Rimbaud a ensuite composé deux "Stupra" ou le "ange ou pource" pourrait d'ailleurs s'inspirer de passages de Cantel : "courtisane ou vierge," et un deuxième que j'ai oublié de noter. o, "Oraison du soir" est obscène, et il contient une mention "hysope" qui a tout l'air d'indiquer que Rimbaud sait qui a des antériorités sur Mendès : en l'occurrence, Nodier et Cantel. On a une confirmation d'un Rimbaud qui se fait un malin plaisir de donner des signes de son érudition sur les formes poétiques.
...
Bon, pour des raisons que j'ignore, pour la cinquantième fois sans exagération en deux ans le voisin fait un trou dans le mur qu'on a en commun. Je vais devoir arrêter.
J'ajoute quand même ceci. Cantel pratique avant Baudelaire les sonnets où les quatrains et les tercets ne sont pas dans le bon ordre. Il pratique aussi plusieurs sonnets faisant alterner vers longs et vers courts comme l'a fait Baudelaire avec "Le Chat" ou "La Musique", et il y a même un recours au vers de cinq syllabes.
Pour les vers audacieux, il y en a moins que ce que croyait mon souvenir, il y a surtout des jeux d'écart d'une syllabe, j'en reparlerai, et sinon on a deux fois le pronom relatif "où" suspendu à la césure et surtout la forme "n'ai-je" qui chevauche la césure au "Prologue", ce qui en 1860 est une contribution originale évidente. Même au-delà de 1860, cette audace-là précise est originale, j'en reparlerai :
Chers poëtes, que n'ai-je la force et la grâce[...]
Notons que Rimbaud sera le premier à pratiquer le "je" devant la césure dès 1870 avec "Ma Bohême" et "Au cabaret-vert" quand ici on a un rejet d'enclitique "je" après la césure !
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