Hervé Bazin est l'auteur du célèbre roman Vipère au poing que j'avais lu au programme de lycée en classe de seconde. Le roman que j'ai sous la main est plus tardif. Il s'intitule L'Eglise verte. Le style est un peu particulier à analyser. Bazin fait des efforts pour être très littéraire et il s'investit en particulier dans la richesse du vocabulaire, mais je trouve qu'il a une manie ostentatoire un peu vaine, surtout qu'il commente de manière appuyée certains de ses choix. Au moins, c'est nourri. Je n'ai jamais été friand des phrases toutes pauvres de Samuel Beckett, Marguerite Duras, Christian Bobin, etc. Malheureusement, ce n'est pas très savoureux question prosodie. Ce n'est pas une lecture qui me berce, c'est une lecture intellectuelle. Le début du roman a pourtant ce charme de décrire un père, sa fille et un autre jeune qu'il prend sous son aile en train de se balader dans la nature. Nous avons droit à des descriptions de ce qu'ils observent, puis à la scène où ils font le guet face à un inconnu. Mais, dès la troisième page du premier chapitre, nous avons le passage qui nous intéresse, une imitation évidente des lettres de Rimbaud de mai 1871 à Izambard puis Demeny, avec pour preuve le recours aux italiques (ma citation va transposer les caractères romains en italique et la partie en italique en caractères gras) :
[...] Je l'ai guidée longtemps, elle me guide aujourd'hui, cette fille très fille, dont je n'ai jamais rêvé de faire un garçon manqué, mais à qui, bien avant ma retraite, dépensant mes loisirs d'enseignant, j'ai donné le goût des longues randonnées dans ce bois où nous sommes parfois des cueilleurs de simples, de bolets, de framboises, de noisettes, mais surtout des voyeurs. Je veux dire : des gens qui savent voir, à l'inverse de tant d'autres passant à côté de tout, les yeux ouverts et le regard fermé ; des gens qui appartiennent, en pleine nature, à l'ordre des contemplatifs, qui se conduisent comme dans une réserve, qui n'interviennent jamais, qui ne collectionnent rien, qui ne photographient même pas, qui se réjouissent seulement d'identifier [...]
Notons que la mention "les yeux ouverts et le regard fermé" est à rapprocher de "Credo in unam".
A la troisième page du cinquième chapitre, il vaut la peine de mentionner un autre passage qui a le mérite de la prouesse stylistique :
Dans ce cas-là reste la marche pour la marche, mais on s'aperçoit vite que les jambes sont complices des prunelles : à voyeuses déçues, convoyeuses lassées. [...]
J'aime bien ce genre de jeu dont "convoyeurs qu'on voyait" et "convalescent qu'on va laisser" seraient d'autres exemples.
Je ne suis qu'au premier quart du roman, mais il serait dommage de laisser tomber ces deux passages dans l'oubli pur et simple. Ceci ne veut pas dire que je place Bazin parmi les grands écrivains. Je relève simplement des fulgurances de sa part.
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