samedi 29 mars 2025

Relevé de la rime "d'or"/"dort" dans l'édition originale des Cariatides de Banville

 
Je vous conseille la lecture du précédent article où j'explique que pour comprendre une partie du sel des DEUX lettres de Rimbaud à Banville il convient de se reporter à la préface originale du recueil des Cariatides, et j'ai donné une présentation générale des trois livres.
Dans le présent article, je m'attaque au relevé de la rime "d'or"/"[...]dort" qui fleurissait dans l'édition originale des Cariatides avant que Banville ne se censure.
Pour faire bonne mesure, je devrais offrir en même temps un relevé systématique de cette rime chez Hugo, Gautier, Musset et plusieurs autres, mais nous avons le relevé minimal qui intéresse les études rimbaldiennes.
Je fais une remarque préliminaire. Plusieurs poèmes des Cariatides s'inspirent des contes ou récits en vers de Musset du type de "Namouna" et "Mardoche". Dans la légende de Musset confortée par la biographie fournie par son frère, le poème "Mardoche" a été composé pour justifier en volume la publication d'un premier recueil de poésies Contes d'Espagne et d'Italie, et Musset avait découpé exprès son récit "Mardoche" en strophe de dix vers numérotées, ce que Banville reprend dans le cas du poème "Stephen". Il s'agit de l'un des deux grands poèmes du premier des trois livres qui forment l'édition originale des Cariatides. L'autre long poème n'est autre que "La Voie lactée". Dans "La Voie lactée" ou "Stephen", Banville ne pratique pas la rime "d'or"/"dort" en tant que telle, mais il y a un "et comme" à la rime dans "La Voie lactée" et dans "Stephen" je relève tout de même un équivalent de la rime "d'or"/"dort", un équivalent qui implique une mention de Victor Hugo lui-même. Donc, malgré leurs longueurs, ce n'est peut-être pas exprès que Banville a évité la rime "d'or"/"dort" dans ses poèmes plus ambitieux qui doivent aussi être des compositions plus tardives. Il y a pourtant une mention de "dort" à la rime et quelques mentions à la rime aussi de "d'or", mais jamais la rime "dort"/"d'or" en tant que telle dans le premier des trois livres des Cariatides de 1842. Voici en revanche une rime qui va dans le sens de notre relevé :
 
Et -près d'un vieux parent Laharpiste et cagot,
Faire des calembours contre Victor Hugo.
 
Cette figure dans la strophe XXXV du poème "Stephen" page 118. Précisons que plus loin dans le recueil Banville offre d'autres exemples de poèmes à la Musset, contes en sizains avec des héros nommés Henri ou Sténio. Mais, étant donné le succès des dizains à la manière de Coppée, rappelons que "Mardoche" et "Stephen" ont précisément des strophes qui sont des dizains de rimes plates, et vers le début de "Stephen" Banville mentionne l'écrivain populaire Paul de Kock à la rime, ce que fera Verlaine dans ses dizains à la Coppée.
Notons qu'en liaison avec "Ma Bohême", je peux difficilement m'empêcher de relever la fin de la strophe XXXVI du poème "Stephen", strophe qui contient un "moi" à la rime et aussi le mot "comme", ainsi qu'un hémistiche "je ne sais trop pourquoi" qu'on peut rapprocher du sonnet "La Maline" de Rimbaud :
 
Est celle d'un séjour d'eau quelconques - et moi
Je me suis fait mener - je ne sais trop pourquoi -
Dans mon manoir antique, où je m'amuse comme
On s'amuse à chasser quand on est gentilhomme.
[...]
Or - fussé-je au Moultan, ou bien chez les Tungouses,
Au Kiatchta, pays des amantes jalouses,
Ou chez les Beloutchis, ou chez les Hottentots,
Vierges de toute presse et de tous paletots,
 
[...]
 Je pense bien à "Mon paletot aussi devenait idéal". Mais revenons sur ce "comme" à la rime, il s'articule autour d'une reprise verbale : "m'amuse"/"s'amuse", ce qui coïncide avec le cas du "comme" à la rime du "Dormeur du Val" :
 
[...] Souriant comme
Sourirait un enfant malade, [...]
 "Sourire" et "s'amuser" sont même deux verbes aux significations voisines.
La dernière rime du poème "Stephen" est par ailleurs le couple "moi"/"roi" avec le pronom "moi" en italique, ce qui est à rapprocher des "je" à la césure dans "Au Cabaret-vert" et "Ma Bohême".
 
[...]
Et que pour mieux tuer l'existence et le moi,
Il se fait substitut du procureur du roi.
 Passons au deuxième livre qui commence par le poème numéroté IV "Madame Yseult" qui porte le sous-titre "Feuillets détachés" (mais pas d'un "carnet de damné"). Il a aussi une épigraphe tirée du roman Le Compagnon du Tour de France de George Sand (je le possède en édition Folio).
Il s'agit d'un poème qui est en réalité la collection de plusieurs poèmes de formes variées. Le premier est peut-être le plus beau à lire, même s'il n'a pas inspiré Rimbaud :
 
C'est là qu'elle priait. [...]
Il contient ce vers érotique un peu sacrilège : "Et de beaux corps de femme à genoux sur la pierre" et il a un certain mouvement d'ensemble.
Le deuxième poème est un sonnet où relever la comparaison à un plongeur sous l'eau qui serre des perles d'Ophir, rapprochement léger avec la fin de "Larme" de Rimbaud. Il se termine aussi par une rime "phénix"/"onyx" qui avait de quoi faire rêver un poète qui est né cette même année 1842.
Le troisième poème est en quatrains de vers courts avec alternance d'hexasyllabes et de quadrisyllabes, il est musicalement bien tourné et contient l'expression "Au profil dur". Performance chansonnière un ton au-dessous, la pièce IV a retenu l'auteur d'Un cœur sous une soutane comme suffit à l'attester la mention du dernier quatrain :
 
A nous le zéphyr dans la plaine,
A nous la brise sur les monts,
Et tout ce dont la vie est pleine !
 Nous sommes rois - nous nous aimons !
 Rimbaud a retenu aussi le vers : "A vous mes suaves murmures". Mais la source la plus directe aux vers du Léonard d'Un cœur sous une soutane n'est autre que la pièce V suivante :
 
 Le zéphyr à la douce haleine
[...]
 Notons que Rimbaud remontera l'origine musicale du poème de Banville avec la même rime "plaine"/"haleine" dans une ariette de Favart !
Verlaine était lui-même sensible au premier recueil de Banville, la rime "Clitandre"/"tendre" figure dans le poème VI suivant de la section "Madame Yseult" et plusieurs personnages des Fêtes galantes couraient déjà dans les vers du premier recueil de Banville.
J'aurais des idées pour souligner les liens entre "Madame Yseult" et les Romances sans paroles : "Ariettes oubliées" et même "Aquarelles".
Le livre deux des Cariatides de poursuit avec d'autres poèmes qui n'appartiennent plus à la série "Madame Yseult". Je souligne tout de même deux compositions à distance l'une de l'autre : "Phyllis" et "Le songe d'une nuit d'hiver". Ces deux poèmes sont à rapprocher du "Jugement de Chérubin" de Mendès et du coup indirectement des "Chercheuses de poux" de Rimbaud. J'en reparlerai ultérieurement.
"Phyllis" a l'intérêt d'offrir vers sa fin non seulement une mention "Anadyomène" à la rime, mais une première rime "s'endort"/"d'or", et à la suite d'une rime "étoiles"/"voiles" !
 
Fermez l'arène, enfants. Déjà sur ses longs voiles,
La nuit brode en courant sa ceinture d'étoiles,
Et dans l'herbe fleurie et sur l'arène d'or,
Sous le baiser du soir la Nature s'endort.
La Nature pâmée est plus jeune et plus belle
Que la Vénus de marbre et la nymphe d'Apelle :
[...]
Car si belle que soit une Anadyomène,
[...]
 A côté de la rime qui nous intéresse, les occurrences "brode", "fleurie" et "baiser du soir" confortent le rapprochement avec "Tête de faune".
Le poème qui suit est justement "Le songe d'une nuit d'hiver". Comme "Madame Yseult", il est sudivisé en poèmes de formes variées, mais cette fois il y a une continuité établie entre les parties. Dans la séquence VII, composée de distiques, j'ai toujours été frappé par la ressemblance avec le poème "Larme" pour la vision soudaine d'une ou plusieurs "colonnades", avec le même gallicisme "Ce fut" contre "ce furent" :
 
Et ce fut un palais, vaste, immense, confus,
Une ample colonnade aux innombrables fûts.
 Pourtant, les deux poèmes donnent vraiment l'impression de ne rien avoir à mettre en commun par ailleurs.
Je passe sur les rimes "ange(s)"/"étrange(s)", et je relève dans la partie VIII une rime "dort"/"d'or" qui étrangement échappe au relevé informatique sur le site où je consulte ce recueil en mode fac-similaire (à cause de l'encre pâlie du document ?) :
 
- Un homme d'ici-bas, c'est une âme qui dort
Au fond d'un corps d'argile, et qui, vierge effarée,
Replie en murmurant ses blondes ailes d'or ;
 
 Il s'agit de la rime telle qu'elle dont abusait Rimbaud, rime qui concerne bien sûr aussi Musset et d'autres. Banville la pratiquait dans son premier recueil, avant visiblement de s'en cacher.
Notons que la première rime du poème suivant IX qui fait partie du "Songe d'une nuit d'hiver" est la rime de distique "venus"/"Vénus", avec un peu plus loin la rime "reconnus"/"Vénus" suivie d'une mention "Anadyomène" à la rime elle aussi : "La Vénus Aphrodite ou l'Anadyomène"[.]
 
Je finis cet article d'ici lundi.
Je vous mets de la musique de folie pour patienter.
 

 
Article en cours... TRAVAUX !!!
 

 

 

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