dimanche 22 décembre 2013

Rimbaud avait-il tant lu que ça ? des tonnes de romans ?

On prête à Rimbaud des tonnes de lectures, ce que je suis loin de trouver évident
Rimbaud a écrit ses poèmes de 14 à 19 ans, 20 ans pour ceux qui pensent je ne sais pas pourquoi que les poèmes en prose sont postérieurs à Une saison en enfer
Ce temps s'est passé un peu à l'école, un peu sous le toit familial, pas mal à Charleville et certainement pas la plupart du temps à la bibliothèque au vu des anecdotes de Delahaye, des fugues, au vu de la correspondance même de Rimbaud
Il a lu la bibliothèque du professeur Izambard où il n'a pas l'air d'avoir trouvé beaucoup de classiques de la Littérature en-dehors d'un Don Quichotte traité avec une désinvolture, certes il lui apparut, mais une fois lu il veut passer à autre chose, Le Diable à Paris, c'est ce qu'il cite chez Izambard de plus près du classique de la Littérature Plus tard sa lettre où il est question de livres à vendre va dans le même sens
Rimbaud a lu quelques romans divertissants de l'époque, mais sa culture littéraire n'est pas ce qu'on nous fait croire
Ce que Rimbaud connaît à fond c'est la poésie de son siècle, avec pour réserve que même des recueils d'Hugo ont pu n'être découverts et lus qu'à Paris, etc
Il lit pas mal les journaux et comme tout le monde se cultive par des lecture variées de vulgarisation scientifique ou d'autres choses semblables

Il a sans doute un bon bagage de lectures de l'Antiquité, plus par extraits qu'oeuvres complètes, mais c'est déjà quelque chose
En revanche, sur sa culture classique, je suis sceptique, qui osera dire qu'il a dépouillé les recueils de Villon, du Bellay, Marot, Ronsard, Chénier, Les Tragiques d'Aubigné, etc Ajoutons à cela des écrits en vers particuliers : La Fontaine et Boileau dont il devait connaître de larges pans
Il n'en a peut-être qu'une connaissance anthologique de la plupart des poètes des siècles passés, il a lu sans aucun doute un grand nombre de poèmes divers, mais des recueils, on n'en sait rien
Pour le théâtre, on ignore la quantité de pièces qu'il a pu lire de Corneille, Racine ou Molière, on soupçonne qu'il a dû lire Tartuffe en-dehors bien sûr de tout cadre scolaire
Il n'a sans doute jamais lu Garnier, Rotrou et beaucoup d'autres
Voltaire, c'est différent, Izambard en parle avec mépris, mais Rimbaud a eu plusieurs enseignants, et Voltaire était le complément des trois Corneille, Racine, Molière à l'époque On ajoutera qu'il a pu lire Beaumarchais
L'oeuvre si délicate et géniale de Marivaux lui est probablement inconnue Marivaux n'est revenu sur le devant de la scène et encore qu'au début du vingtième siècle

Bref, en termes de culture classique, il avait une connaissance de textes latins et éventuellement grecs qu'ignore la critique rimbaldienne, il avait une connaissance anthologique des poètes français des siècles passés, il connaissait sans doute un pan des fables de La Fontaine et plusieurs écrits en vers de Boileau, il a dû lire un petit nombre de pièces de Corneille, Racine, Molière, Voltaire et Beaumarchais

Je doute qu'il ait lu Rabelais au-delà de quelques extraits et si Izambard atteste qu'il a parcouru Les Essais de Montaigne on ne sort toujours pas de la lecture anthologique, Il y a bien Les Caractères de La Bruyères
Je passe sur pas mal d'écrits en prose des siècles passés pour me concentrer sur le roman
Rimbaud n'a sûrement pas lu tant de romans que ça, pas même peut-être Le Roman comique de Scarron et La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, les deux premiers romans du XVIIème qu'on peut penser à lire plutôt que l'Histoire comique de Francion, L'Urfée, etc

Le XVIIIème siècle est riche, mais il faut déjà écarter Jacques le fataliste, Les Liaisons dangereuses de Laclos, deux romans qui ne sont pas de minces chefs-d'oeuvre
Mais on peut toujours spéculer sur Montesquieu, Rousseau, Voltaire, l'Abbé Prévost, d'autres textes de Diderot Ceci dit, nous arrivons à suivre un certain emploi du temps de Rimbaud à partir de 1870, pas en continu mais quand même, on a son oeuvre qui se construit alors, et bientôt des déplacements à Paris, en Belgique et en Angleterre
Où aurait-il trouvé le temps pour parfaire ses connaissances ? Et d'ailleurs suffit-il d'avoir lu un livre une fois pour se l'être approprié ?
L'imagine-t-on en dehors des aléas de la vie dire le soir à Verlaine je veux consciencieusement lire tous les classiques de la Littérature ?

Il nous surprend et nous invite à consommer des ariettes bien plutôt

Enfin, il y a le XIXème siècle
Stendhal n'est pas pleinement reconnu au XIXème siècle, malgré la publicité de Balzac pour La Chartreuse de Parme Rimbaud n'a probablement pas lu un roman aussi génial que Le Rouge et le Noir, ni les Chroniques italiennes, encore moins les romans inachevés
S'est-il ennuyé à lire Volupté de Sainte-Beuve ?

Le seul romancier dont on sent qu'il a compté et qu'il a été lu, c'est Hugo
Balzac est un romancier passionnant Mais Rimbaud a-t-il lu Les Chouans pour voir Balzac traiter de la Révolution J'ai lu plein de Balzac, je ne trouve aucun rapprochement frappant, et je trouve absolument gratuit de penser à Vautrin en lisant le poème Parade avec ses "drôles très solides"
Michelet a sans doute compté, mais ce n'est pas vraiment des romans
Les Goncourt sont une piste à creuser, Gautier aussi
Chateaubriand, malgré quelques traces, ce n'est pas simple d'évaluer sa connaissance de l'auteur
Rimbaud a-t-il lu Flaubert ? J'ai entendu des rimbaldiens l'affirmer, mais moi je n'en sais strictement rien

En réalité, Rimbaud lisait pas mal de poésies de son siècle et d'écrits qui l'intéressaient par embranchements avec ses préoccupations, il lisait aussi des publications d'actualité, et c'est cette culture-là qu'il nous manque parfois pour le suivre
Evidemment, comme Rimbaud peut s'inspirer que d'un extrait d'un livre, on peut croire qu'il a lu tout un livre quand ce n'est peut-être pas le cas

Rimbaud dévoreur de livres c'est un mythe sournois





5 commentaires:

  1. Merci pour le post intéressant. Que penses-tu de son bagage philosophique ? - Je pense notamment au passage d'Une saison en enfer, L'impossible : 'Philosophes, vous êtes de votre Occident' -. Est-il possible ou avéré qu'il ait lu ou parcouru certains grands philosophes ?

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  2. Eh éh suspense ! Non pas les "grands philosophes". Pas les allemands.

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  3. ok. Je suis juste venu là pour savoir si Rimbaud avait lu Balzac. A priori non, donc...pourtant était connu en 1870 ?

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    1. Si, la composition Jugurtha est accompagnée d'une citation balzacienne approximative du roman La Peau de chagrin. Certains commentateurs disent que ce n'est pas une citation du romancier, mais de Guez de Balzac, mais en fait si c'est bien une citation du romancier et si ce l'était du prosateur plus ancien on donnerait la source pour le prouver.
      Il est plus facile de trouver des sources poétiques, et plus facile encore de trouver des vers ayant inspiré ceux de Rimbaud. L'important est sans doute aussi l'actualité, la presse.
      Pour les romanciers ou prosateurs, Rimbaud reprendra plus des idées, des motifs que des expressions et tournures, du moins dans ses vers. Difficile donc de sources les choix de Rimbaud dans la prose.
      En plus, il ne faut pas oublier que Rimbaud a composé entre 14 et 20 ans en gros, et que bien souvent il n'avait pas la possibilité de lire tout ce qu'il voulait : contraintes du toit familial, guerre, séjours en Belgique, en Angleterre, etc. Et s'il profite de séjours parisiens, c'est en compagnie d'écrivains avec lesquels il boit, s'amuse, brocarde l'actualité, compose, etc.
      Rimbaud n'a pas eu le temps de lire beaucoup de Balzac, ni de découvrir Stendhal, alors peu reconnu, etc., etc.
      Hugo est la grande exception parmi les prosateurs qu'il suit attentivement. Il y a bien du Michelet, du Chateaubriand, du Gautier, mais sa culture n'était pas si solide qu'on veut le faire croire.
      Enfin, si, sur les textes de Rimbaud, on progresse tout le temps, si si si !

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  4. Je me suis souvent demandé ce que voulait dire des drôles très solides.
    Bcp de conditionnels dans ton excellent papier...mais quand tu parles de "pistes à creuser"...je crains que nous ne saurons jamais plus que ce qu'on sait déjà.

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