jeudi 26 décembre 2013

Prochainement, article sur la lecture ou lisibilité de Rimbaud

Socialement, ma lecture de Voyelles dérange les susceptibilités ou laisse indifférents ceux qui voudraient ramener leur fraise sur le sujet
Ces réticences concernent ceux qui publient, mais là il va suffire d'attendre qu'ils ne publient plus, à moins de se référer à ceux qui publient sans se sentir tenus par un enjeu quelconque de refus de certaines vérités Dans tous les cas, l'énergie investie à nier les évidences ou les éléments pertinents d'une lecture, qui au moins devrait être appréciée comme proposition qui force de nouvelles prises en considération, fait que des gens se privent du plaisir d'aimer Voyelles en soi et pour soi On a aimé Rimbaud toute sa vie, et puis là le combat devient se défendre contre l'idée qu'on puisse s'être trompé ou qu'on ait pu ne pas savoir ce qu'un autre a su dire, combat qui se fait finalement contre la lecture des poèmes de Rimbaud, contre le plaisir de le lire.
Mais ces réticences concernent aussi ceux qui ne publient pas. On le voit encore récemment sur ce blog avec Alfonso et ses réactions. Il conteste que quelqu'un puisse apporter une "lecture définitive" de Voyelles, et en s'épargnant les imbécilités  du genre il y aura toujours quelque chose de subtil à dire sur un texte, il se place alors dans le refus de comprendre (ou de comprendre mieux) Voyelles parce que l'important pour lui est une querelle d'amour-propre où personne ne doit prendre la place de celui qui comprend mieux que les autres le sens de la poésie de Rimbaud, surtout s'il n'est pas à l'Académie française (avec Jean d'Ormesson) ou élite reconnue par un statut en Sorbonne ou assimilé, ce qui renvoie aussi notre contempteur à un sentiment de faillite personnelle.
L'attaque d'Alfonso consiste à jouer sur les susceptibilités pour peu que la personne en face y soit sensible, combat qu'il gagnera (sur ce plan-là, mais celui-là uniquement) dans 99% des cas mais qui n'a aucun intérêt, surtout une fois que la nature du combat est identifiée comme telle et que la cible n'a aucun mal à s'avouer susceptible L'attaque peut demeurer efficace sur le plan de la reconnaissance ou non-reconnaissance de torts, d'erreurs, elle peut être dévastatrice par sa méchanceté, mais il ne faut jamais sous-estimer la personne qu'on a en face, car il existe aussi un monde entre une susceptibilité molle qui ne se remet pas en cause, car elle associe son intelligence à ses résultats acquis, soutenus, et une susceptibilité vive qui tire sa fierté de son évolution et du jeu des problématiques qu'elle sait mener dans le temps, car une susceptibilité qui se joue dans le dépassement est beaucoup moins victime de la critique que peuvent le penser ceux qui, attaquant, sont dominés par la première forme de susceptibilité.
Venons-en maintenant à la défense d'Alfonso. Elle consiste, doublée d'anonymat, à ne pas donner l'état de sa pensée sur Rimbaud pour demeurer intouchable, tout en faisant de l'ironie sur le compte de celui qui s'intéresse à Rimbaud, avec un tissu d'idées mal dégrossies sur la critique littéraire comme traduction, mode d'emploi, etc.
Alfonso a cru opposer au commentaire du sonnet Voyelles le texte même d'Alchimie du verbe. Il disait que les lignes d'Alchimie du verbe étaient à son avis le meilleur commentaire qui soit de Voyelles, mais en-dehors de l'argument d'autorité d'un auteur parlant de son propre texte qu'est-ce qui peut motiver cet avis ?
J'ai donc demandé à Alfonso de me dire ce que lui-même avait compris de sa citation. Je n'ai bien sûr reçu aucune réponse.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la critique littéraire, même si elle prend des formes variées, ne peut que prolonger les opérations mentales de la lecture immédiate. Il n'y a pas d'un côté la lecture immédiate qui serait sensibilité pure et de l'autre la critique littéraire
La critique littéraire est une débauche de moyens, mais de moyens plus que compatibles avec la lecture immédiate, ils sont même substantiels dans la lecture immédiate.
Il n'y a là aucune différence de nature.

Ensuite, il y aurait sans aucun doute beaucoup à dire sur la sensibilité dans les beaux-arts et la musique, mais la poésie est un art avec les mots et les phrases, et donc avec la pensée.
En rejetant le commentaire, Alfonso rejette la pensée dans la poésie, ce qui est absurde.
Il peut trouver lourd le déploiement du commentaire, mais le refuser c'est une sottise. Et l'impossibilité de ce refus étant admise comme une évidence, que cela plaise ou non, la meilleure façon de faire savoir qu'on a compris un poème hermétique et en même temps de le faire comprendre aux autres sera nécessairement le commentaire
Le travail d'analyse d'un texte est le moyen imparable pour mieux le comprendre, la condition sine qua non, qu'on trouve cela poétique ou non.
Agacer les femmes dans un salon parce qu'on commente un poème, c'est un autre débat sur la sensibilité et la vie en société, ça n'a pas sa place ici sur ce blog.
J'aimerais aussi comprendre comment un art avec le langage peut être sensibilité pure.
Les sens ne sont qu'une relation au monde. Il n'y a pas de conception dans la perception. C'est notre entendement qui nous fait dire quelque chose sur ce que nous percevons, qui nous fait juger de nos perceptions. Nos perceptions ne sont pas vraies ou fausses, mais c'est notre cerveau qui juge si ce que nous percevons mérite d'être considéré comme la réalité ou une illusion, etc.
Il n'y a même pas la réalité, nos perceptions et nous, car nos perceptions sont des mises en relation de la réalité avec nous-même C'est notre cerveau qui établit des distinctions
Le rapport aux beaux-arts et à la musique relève de l'intelligibilité, je ne crois pas à la sensibilité pure en art, mais, dans le cas de la poésie, c'est encore plus évident, puisque les mots et les phrases sont on ne peut plus clairement du côté de l'intelligible et de la production de sens.
Que certains puissent tourner le dos au commentaire d'un poème, c'est cela qui est risible et béotien, puisque le commentaire montre, même si on veut penser que c'est de manière rude, etc., la santé de la signification poétique.
C'est l'incapacité permanente à commenter l'art ou une oeuvre qui est inquiétante, pas l'inverse.

Qu'ils soient employés pour des raisons pratiques dans notre confrontation au réel ou qu'ils soient employés pour l'exercice de l'imaginaire, les mots sont inévitablement des généralités. Tout comme en mathématiques, les nombres sont des réalités de l'esprit sans existence matérielle, voir un arbre cela ne veut pas dire que le chiffre un est manifesté par cet arbre, les mots sont des moyens de l'esprit pour appréhender le réel.
Mais ces généralités ont un sens, et les phrases vont créer des combinaisons qui selon certaines lois produisent du sens
Surtout, les mots et les phrases appartiennent aussi à une langue et à aucun moment les mots ne cessent de renvoyer à la culture, à l'environnement, etc. Un poème ne se coupe pas du monde.
L'intertextualité, le contexte historique, tout cela importe à la compréhension littéraire, et nous sommes revenus des égarements du structuralisme, dont le défaut majeur était cette coupure avec la réalité ambiante pour ne se replier que sur le texte lui-même.
Il conviendrait de citer cruellement des noms, mais, jusqu'à plus ample informé, un texte qui ne procède que de lui-même, c'est du charabia, et même chose pour la spiritualité supposée des textes. Un texte n'offre pas un moment de spiritualité, pas même un texte sacré. Il n'y a pas d'au-delà dans un texte, il y a des mots et des phrases dont comprendre la signification, au moins la signification générale, puisqu'on peut toujours affiner et débattre. Sans compter qu'il y a franchement de quoi s'interroger sur la spiritualité des croyances et mieux encore des conduites religieuses décidées, la spiritualité chrétienne est visée par des textes du Nouveau Testament ou la spiritualité juive par les textes de la Torah ou la spiritualité bouddhique par d'autres textes de référence, mais la spiritualité n'est pas dans les textes, même si ces trois religions offrent un idéal moral assez poussé justifié par une conception du monde. Le dogme peut être qu'on s'interdise de le penser, les faits n'en sont pas moins là. Et dans le cas de Rimbaud, qu'est-ce que cette spiritualité d'un texte dont les combinaisons ne nous sont pas familières :

Les vieux cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans les feux. Des fêtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière les chalets.
  Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
 Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville.
 J'ai embrassé l'aube d'été.
 Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrures et les ombres et le sein des pauvres, et les légendes du ciel.

La troisième citation dont lire la suite avec le rejet de la superstition (début du poème Ville) détonne dans cet ensemble et permet déjà de mettre en doute une approche globale des poèmes de Rimbaud comme témoignage mystique, mais, si les autres citations peuvent prendre la forme de témoignages d'une spiritualité, il n'en reste pas moins que nous avons affaire à un texte qu'il faut comprendre et qui ne dégage par lui-même aucune mysticité, strictement aucune, parce que cela ne relève pas du pouvoir des mots.
La combinaison des mots et des phrases, c'est une production de sens qui peut être exaltée par la mise en forme, la rhétorique, mais une production de sens avant tout.

Alors, il est vrai qu'il y a une communion à laquelle adhérer ou non dans le poème, il faut se laisser aller, mais je ne confonds pas cela avec la spiritualité. Et cette communion, dont je ne débattrai pas ici si elle est le relais d'un possible ou non accord mystique, n'exclut pas la compréhension de l'assemblage des mots et des phrases. Lire le poème, c'est s'affronter à son sens et à sa portée. Dire "ce texte me met en transes, mais je n'y comprends rien", cela demeure une façon grossière d'apprécier la poésie. C'est faire fi du sens pour une mysticité dont la raison d'être n'est peut-être pas du tout dans le texte écrit, mais dans nos projections, mythes et représentations autour d'un poème, parfois la mysticité n'est même qu'une crispation résultant des viscères et de l'enfance.

Cette histoire de communion mystique avec Rimbaud est complètement débile. Je ne vois pas en quoi il y a élection à rejoindre le groupe de ceux qui ont une religion et à la répandre dans le monde, je ne le vois pas non plus quand il s'agit de rejoindre ceux qui professent qu'ils sont émus par la poésie de Rimbaud. Je ne pense pas qu'il aurait apprécié ses disciples.
Mais, il faut bien parfois sortir de la mysticité pour dire un mot de ce qu'on pense le sens des poèmes de Rimbaud. Il y a des lieux communs. Prenons-en un qui n'a rien à voir avec le mysticisme, mais qui a tout de même le traitement de faveur de la vérité révélée qui échappe à tout besoin d'expertise.

Parade me semble avec "prendre du dos" illustrer un cas de fausse évidence. Il est certain que bien avant les affirmations intempestives de Fongaro et Chambon maints et maints lecteurs y ont trouvé un sens obscène. On observera aussi qu'il est assez curieux de voir Jean-Pierre Chambon soutenir cette lecture obscène en refusant l'analyse grammaticale qui pourrait le mieux convenir "prendre par le dos" au profit de cette autre "prendre de la carrure", "du" dans "prendre du dos" n'étant plus une préposition mais un article partitif.
Alors que la lecture obscène vient forcément d'une lecture supposant un groupe prépositionnel de lieu indiquant où est pris quelque chose, voilà que l'analyse grammaticale admise est celle d'un gonflement "prendre du dos", c'est non pas prendre quelque chose dans le dos, mais avoir un dos qui s'augmente.
L'expression "prendre du dos" a semblé dire crûment quelque chose pourtant.
Or, outre qu'on peut attester l'existence au sujet des livres de la formule "prendre du dos" qui signifie que par un procédé technique on leur fait prendre de l'épaisseur, il faut aussi envisager la liaison des paragraphes entre eux.
Dans le cas de la lecture obscène, on lit le premier paragraphe comme décrivant les drôles en finissant par une description particulière d'un sous-groupe de jeunes, puis on lit le second paragraphe comme une nouvelle évocation globale avec une nouvelle description du spectacle qu'ils offrent, ce qui fait double emploi (mais rien n'empêche il est vrai le double emploi, la reprise d'un motif).
Toutefois, le début du second paragraphe a tout de même une allure de texte progressant dans l'argument : "Pas de comparaison"
Dans la lecture que j'offre, j'évacue une obscénité qui ne semble devoir se rattacher que par la bande au sujet du poème, celui d'une parade de forains exploitant leur public. La lecture que je propose "prendre du dos" : "prendre de l'importance", va dans le sens du titre avec la recherche de la parade de soi-même.
Mais encore, j'insiste sur la liaison des paragraphes.
Car, c'est pour moi l'évidence que le fait d'aller en ville précipite le spectacle décrit dans le deuxième paragraphe, ce qui atténue aussi (et même plus encore qu'atténue) l'idée de pur double emploi de la nouvelle plongée dans le spectacle qu'ils offrent.

Jugez-en, et jugez ce qu'est un acte de lecture. J'ai souligné les deux phrases sur lesquelles reporter toute son attention pour apprécier en son âme et conscience s'il y a bien liaison, transition d'un paragraphe à l'autre.

     Des drôles très solides. Plusieurs ont exploité vos mondes. Sans besoins, et peu pressés de mettre en œuvre leurs brillantes facultés et leur expérience de vos consciences. Quels hommes mûrs ! Des yeux hébétés à la façon de la nuit d'été, rouges et noirs, tricolores, d'acier piqué d'étoiles d'or ; des faciès déformés, plombés, blêmis, incendiés ; des enrouements folâtres ! La démarche cruelle des oripeaux ! Il y a quelques jeunes, comment regarderaient-ils Chérubin ? pourvus de voix effrayantes et de quelques ressources dangereuses. On les envoie prendre du dos en ville, affublés d'un luxe dégoûtant.
     Ô le plus violent Paradis de la grimace enragée ! Pas de comparaison avec vos Fakirs et les autres bouffonneries scéniques.
Dans des costumes improvisés avec le goût du mauvais rêve ils jouent des complaintes, des tragédies de malandrins et de demi-dieux spirituels comme l'histoire ou les religions ne l'ont jamais été. Chinois, Hottentots, bohémiens, niais, hyènes, Molochs, vieilles démences, démons sinistres, ils mêlent les tours populaires, maternels, avec les poses et les tendresses bestiales. Ils interpréteraient des pièces nouvelles et des chansons "bonnes filles". Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes, et usent de la comédie magnétique. Les yeux flambent, le sang chante, les os s'élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers.
     J'ai seul la clef de cette parade sauvage.

Evidemment, il faut bien en revenir à Voyelles, car une fois admis qu'un poème ne se vit pas comme mystique et spiritualité, mais se lit comme production de sens par le moyen de mots et de phrases, par le moyen de combinaisons langagières, jusqu'à des exemples subtils comme celui que je montre avec Parade, il reste à traiter de l'idée du poème comme témoignage d'une science. Jusqu'à plus ample informé, un texte scientifique donne ses arguments et un témoignage admet le débat. Pour moi, Voyelles est un poème, mais je veux bien qu'il faille débattre et que cela n'exclut pas que quand même il y ait un témoignage. Acceptons le débat dans sa grande rigueur.
Dans le cas de Voyelles, il y a deux séries à considérer, celle lettres-couleurs du premier vers, et celle entre chaque lettre et plusieurs associations imagées.
La série entre les lettres et les associations imagées est d'un degré d'aléatoire qui exclut qu'un savoir scientifique soit délivré et elle ne peut déboucher que sur une lecture symbolique issue du meilleur travail de compréhension des combinaisons engagées.
Quant à la série entre lettres et couleurs, elle est déjà beaucoup moins aléatoire. Première raison, elle se fait d'un mot à un autre. Le mot "noir" n'est pas une combinaison. Mais cela n'est pas suffisant. Nous aurions pu avoir une liaison du A et du corset: "A corset" La liaison des mots un à un tend à sortir des combinaisons strictement aléatoires, mais n'en sort pas complètement. C'est le plan sur lequel on se situe qui peut nous extraire de l'aléatoire.
Les théories de l'audition colorée existaient et ce poème peut y faire partiellement écho. On peut imaginer une correspondance entre la fréquence d'une lettre et la fréquence d'une couleur, ou une correspondance semblable. Je ne dis pas que cette correspondance est, mais c'est un fait que cela est et a été suffisamment envisageable que pour avoir engagé des recherches scientifiques ou pseudo-scientifiques de ce côté-là.
Et on peut même dire qu'il n'est pas besoin d'épuiser toutes les couleurs. Si le sujet de la réflexion part des lettres et non des couleurs, l'exhaustivité doit être du côté des voyelles, et aucun engagement n'est pris pour citer toutes les couleurs. Certaines couleurs seraient impliquées par les "fréquences" des voyelles, d'autres non.
C'est tout à fait concevable.
Le problème, c'est que les lettres font partie des concepts bâtards, si on me permet de le dire ainsi familièrement.
Les lettres furent inventées à de certaines époques en fonction des besoins, mais pour plusieurs raisons historiques les 26 lettres de l'alphabet latin n'épuisent pas la réalité des consonnes et voyelles du français. Nous compensons par divers procédés, par exemple deux lettres vont transcrire un seul son ou phonème. Nous observons aussi qu'une lettre ne se prononce pas toujours de la même manière. Enfin, il existe une distance entre la forme orale des mots et la transcription écrite dont le principe était initialement censé la refléter. L'orthographe porte des marques culturelles qui l'éloignent de la transcription des sons, fait bien connu en français ou en anglais notamment.
Or, s'il est évident que Rimbaud a joué sur une liaison non strictement aléatoire entre des voyelles supposées orales et des couleurs, ce qu'appuie le fait qu'à la différence des consonnes les cinq voyelles (avec exclusion tout à fait traditionnel du Y) se prononcent comme des voyelles orales A E I O U (comparer bé, cé, dé), comme si l'alphabet était le garant d'un respect de l'adéquation entre l'écrit et l'oral, malgré cela, Rimbaud joue non moins tout aussi explicitement avec le fait qu'il cite non des voyelles mais bien les formes fondamentales de l'écrit. Rimbaud joue explicitement avec la notion d'alphabet et le poème est ainsi mis en tension entre une dimension orale et une dimension alphabétique.
Car il y en a des réalisations orales qui passent à la trappe, et pas des moindres "é", "è", "ou", etc.
Ce qui est aberrant, c'est que les rimbaldiens demeurent le cul entre deux chaises à chercher tantôt un système de correspondances abouti pour les voyelles "orales", tantôt un système de correspondances abouti pour les voyelles "écrites", sachant qu'ils ne s'attardent pas sur la notion d'alphabet, mais sur du coup des correspondances de formes, un A ressemble à une mouche les ailes repliées et bon an mal an un I devra ressembler à des lèvres, au mépris de la verticalité du I comme au mépris de la forme graphique adoptée sur les deux manuscrits connus.
J'ai proposé pour ce premier vers une lecture qui engage une simple approche métaphorique pour la dimension orale qui n'est pas à exclure, mais qui est seconde, et une lecture qui engage surtout une attention renouvelée pour la notion d'alphabet et partant pour l'idée de système complet des éléments utiles à la combinatoire d'une langue.
Conscient de la relation du poème à la notion d'alphabet qui pose les cinq lettres comme une série complète (ce que tout le monde rermarque en lisant ce poème, mais laisse de côté), j'ai montré, et cela relève du recours quelque peu à une pierre de Rosette (si les lettres formaient un tout, les cinq couleurs formaient aussi un tout), que les couleurs formaient tout autant un système complet, et que la correspondance capitale était de système à système. On a l'alphabet du langage et on a un alphabet de cinq couleurs fondamentales. Que le A aille avec le noir, cela devient un fait d'organisation du poème, et un fait contingent.
Le A est la première voyelle de l'alphabet et moyennant une corruption qui nous amène à l'alphabet grec le Oméga sera conclusif. Le poème nous présente un tout par les couleurs et des images librement créées, qui va d'un commencement à une dimension ultime (mention du "suprême").
Très subtilement, Rimbaud n'a pas fait du blanc, de l'aube, le commencement, il a placé le commencement dans un ventre maternel avec le "A noir" qui est "corset", "golfes".
Partant de là, inévitablement le A matrice était noir.
A un autre niveau de subtilité, le A noir matrice a à voir avec la décomposition des corps, mais le mot "corset" en parallèle à "golfes" pose bien explicitement le caractère de matrice de l'idée de "A noir".
Le "A" est noir, non seulement parce que le jeu était d'apposer des couleurs à une lettre, mais parce que Rimbaud a médité une relation d'un système ordonné de lettres à un système de couleurs organisé à signifier quelque chose également de manière ordonnée.

Maintenant, je vous laisse juger si refuser cela c'est savoir apprécier la poésie de Rimbaud et si ce n'est pas manquer de goût, ce précieux goût qui importe tant à la sensibilité pure.
Personnellement, je n'ai pas envie de perspectives chagrines, j'aime trop les oeuvres de cet écrivain, et je ne renoncerai jamais, mais jamais à leur meilleure compréhension possible.
La béatitude devant un texte qu'on se refuse de comprendre comme quelque chose d'intelligible n'est certainement pas rimbaldienne. Et refuser le sens, c'est refuser l'esprit de ce poète pour une mysticité qui n'a rien à voir avec ses écrits.

5 commentaires:

  1. «Prochainement, article sur la lecture ou lisibilité de Rimbaud». Ne faut-il pas plutôt lire : (...) sur la lecture ou l'illisibilité de Rimbaud.

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  2. Je sors de deux conversations distinctes sur "prendre du dos", une qui me donne nettement raison, l'autre qui sans répondre me rappelle la lecture de Fongaro pour le mot "ressources". J'ai fait allusion à cette lecture en disant rapidement, les gens envisagent de manière obscène "prendre du dos" à cause des mentions "Chérubin" et "ressources". J'en profite pour préciser ici que je ne considère pas comme allant de soi le lien d'un sonnet des Stupra au poème Parade. Dans le sonnet des "Immondes" plutôt que Stupra, la culotte qui ment de Kléber fait état de ressources qu'il doit avoir, mais cette blague potache est transposée à la lecture du mot "ressources" dans Parade, ce qui ne va absolument pas de soi. Plus nettement encore, l'emploi du mot "Chérubin" ne s'impose pas comme un renvoi au mot de Banville sur Rimbaud publié en mai 72.
    Il faudrait à tout le moins justifier ces liaisons, ce dont les critiques se dispensent.
    Rimbaud donnerait un sens homosexuel au mot de Banville, ce qui entraînerait une autre interrogation, Banville donne-t-il un sens homosexuel à sa mention "Chérubin", ce qui est tout de même un peu gros?
    Mais en plus qu'est-ce que c'est que ce truc farcesque où on envisage des forains au gros membre à la Kléber sous la culotte qui voudraient se taper le gentil Rimbaud?
    C'est du grand n'importe quoi.
    Pour ce qui est de l'emploi du nom Chérubin, rien ne justifie la lecture homosexuelle appliquée à un passage de Parade, tout comme pour les "voix effrayantes" il n'y a aucune raison de faire un rapprochement avec la voix qui mue.
    Enfin, pour le mot "ressources", le rapprochement avec le sonnet des "Immondes" semble dispensé de toute forme de précision, il est pertinent, peu importe la cohérence du poème Parade.
    Poème Parade nettement articulé, j'y reviendrai.

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    1. Ajoutons que "prendre du dos", "prendre de l'importance" c'est "se donner en spectacle", la liaison est limpide. Le poème porte le titre Parade qui donne le sujet du poème. Contrairement à ce qu'on prétend, le sens littéral du poème ne pose pas problème, c'est l'éventualité du sens métaphorique qui est le problème herméneutique du texte. On a d'abord une description générale des forains charlatans, puis on parle des plus jeunes qui ont des voix effrayantes, à lire littéralement, et des ressources dangereuses de gens exploitant les consciences. On les envoie prendre du dos en ville affublés d'un luxe dégoûtant. On comprend que la ville c'est aller à la rencontre de ce public à exploiter et aller se donner en spectacle, moyen d'exploiter les consciences.
      Et évidemment, le second paragraphe décrit le spectacle de ces jeunes en ville.
      Rimbaud n'a pas écrit, et une fois en ville et ils font leur spectacle, il fait l'ellipse de ces considérations qui vont de soi et décrit ou décrie directement le spectacle général, avec une phrase qui indique la liaison nettement "Pas de comparaison..."
      Ces gens prennent du dos, se donnent en spectacle, en étant autre chose que les Fakirs et autres bouffonneries scéniques.
      Ces voix effrayants ont donné dans une raillerie ou terreur dérisoires pour les forts, dramatiques pour les faibles, ironie sur la durée de la terreur ou raillerie comme exploitation des consciences.
      La phrase finale qui donne son renvoi n'est pas une phrase sur l'hermétisme, elle est une réponse à ce spectacle de parade entre forains et public.
      Il y a un moment où il faut peut-être penser à lire ce qu'écrit Rimbaud. Je dis ça, je ne dis rien. Je suis sans illusion. Mais si des gens intelligents me lisent, ce que je fais ne sera pas perdu.

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    2. Enfin, il y a comme d'habitude une distribution des répétitions de mots, et je note entre autres le rapprochement "affublés d'un luxe dégoûtant" et "Dans des costumes improvisés avec le goût du mauvais rêve". Je suis sûr que bientôt on nous expliquera le sens obscène de "ils jouent des complaintes de malandrins", etc.

      Sur un autre plan, Rimbaud a reçu un enseignement qui lui a fait connaître la rhétorique, un sujet est nettement articulé. L'argument obscène est celui d'une personne du vingtième siècle qui juxtapose ce qu'il a à dire, sans souci de cohérence globale du propos.

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