Pour la pagination en 24 pages d'une partie des feuillets des poèmes en prose des Illuminations, il y a un document à consulter sur le site Gallica de la BNF, le fac-similé des feuillets manuscrits paginés. Ce document est précédé d'une lettre de Verlaine à Léo d'Orfer qui, pour je ne sais quelle raison, a été jointe au dossier. La lettre est datée du 16 janvier 1888 et Verlaine s'y plaint de l'abus de confiance de la part de Gustave Kahn. Verlaine lui a prêté le manuscrit des Illuminations, l'exemplaire d'Une saison en enfer dédicacé par Rimbaud et quelques "bouquins reliés". Verlaine s'inquiète d'entendre parler que Kahn aurait vendu le manuscrit des Illuminations.
Alors, soyons précis. Verlaine parle du "manuscrit des Illuminations", mais ce singulier parle d'un dossier où sont inclus les poèmes en vers nouvelle manière. Verlaine parle nécessairement de ce qui a été publié partiellement à deux reprises par La Vogue sous le titre Illuminations en 1886, l'ensemble vers et proses ! Verlaine ne dit pas : "le manuscrit des Illuminations et l'ensemble des manuscrits en vers". C'est dans une autre que Verlaine se plaindra d'avoir appris que le dossier de poèmes a été partagé. Ici, je suis étonné que cette lettre à Léo d'Orfer ait été jointe à l'ensemble des manuscrits paginés, parce que cela donne l'impression que les manuscrits étaient entre les mains de Léo d'Orfer et non de Gustave Kahn, à moins qu'un collectionneur ait récupéré par une autre voie la lettre de Verlaine à Léo d'Orfer et ait trouvé significatif de la joindre aux manuscrits des poèmes. Je n'ai pas étudié ce point. Dans sa lettre, Verlaine s'inquiète de la mise en vente de manuscrits dans son dos, et on peut penser évidemment à la disparition du feuillet manuscrit contenant les transcriptions de "Dévotion" et de "Démocratie" (à moins qu'il y ait deux feuillets), ou à la vente du manuscrit de "Promontoire" qui ne faisait pas partie toutefois de l'ensemble paginé. Par chance, un coup d'arrêt à été donné à cette dispersion. Peut-être que les "vendeurs" éhontés ont eu vent de cet avertissement de Verlaine, et donc il faudrait se concentrer sur la possibilité de manuscrits disparus autour de la fin de l'année 1987. J'imagine que les "vendeurs" ne se dépossédaient pas de manuscrits encore inédits. La seule et unique disparition serait celle du feuillet contenant "Dévotion" et "Démocratie".
Je pars du principe que la plupart de mes lecteurs ne vont pas lire mon article et se reporter en même temps aux pages manuscrites. Il faut les faire défiler, lire mon article, s'arrêter quand je commente un détail du manuscrit et s'y reporter, puis revenir à la lecture, c'est pour cela qu'il convient de fournir une représentation imagée que le lecteur pourra apprécier d'un seul regard, et comme il l'aura à l'esprit il pourra ensuite consulter rapidement les manuscrits et constater la réalité du fait. Après, si mon lecteur ne fait même pas un effort minimal, là il ne peut que s'en prendre à lui-même.
Voici la légende des symboles que je vais utiliser.
La plupart des papiers utilisés sont du même format, sont identiques, et les papiers différents ne sont pas identiques entre eux, je me contenterai de placer l'astérisque devant le chiffre de la pagination pour indiquer que le papier est d'un format différent. Ensuite, il y aura le chiffre de la pagination, il y en a 24 en tout, je préciserai recto/verso (symboles R/V) dans les cas exceptionnels où cela s'impose et je reporterai avec une couleur violette le cas fantôme de la copie au verso d'une première version biffée du poème "Enfance I", cas à part car sans mention de chiffre.
Ensuite, je mettrai les chiffres en noir s'ils ont été recopiés au crayon, en bleu foncé avec soulignement s'ils l'ont été à l'encre et je doublerai la mention des chiffres s'ils ont été recopiés au crayon puis à l'encre. Ensuite, je vais pratiquer un système d'équivalences. Pour un chiffre, entouré comme le 1 et placé en haut à droite du feuillet, je choisis le symbole [d. Pour un chiffre entouré comme le 22 et placé en haut à gauche, je choisis le symbole ]g. Pour un chiffre souligné par un trait oblique et placé en haut à gauche du feuillet, je choisis le symbole /g et pour un chiffre souligné par un trait oblique et placé en haut à droite du feuillet, je choisis le symbole /d. Pour le cercle particulier du chiffre 24 placé en haut à gauche je choisis le symbole )g. Les symboles seront eux-mêmes en noir ou bleu foncé selon qu'ils sont transcrits au crayon ou à l'encre.
J'introduis deux nuances, je vais transcrire en gras le chiffre 24 et son encerclement, puisqu'il est d'une écriture foncée marquée. Ensuite, je vais flanquer les chiffres des pages 11 et 13 d'un signe +, puisqu'il s'agit de deux exceptions frappantes où le chiffre est à chaque fois suivi d'un point au crayon, soit en bas de ligne pour la page 11, soit au milieu de la hauteur du chiffre 3 pour la page 13. J'ai passé du temps à faire défiler les manuscrits pour m'assurer que je n'avais pas la berlue. On peut toujours imaginer un défaut du fac-similé, mais ce n'est pas ce que je constate, et cette information est inédite et en porte-à-faux avec la thèse d'un remaniement ultérieur de la page 12, comme nous le verrons plus bas.
Mon tableau n'est pas encore complet, mais voici ce que cela donne. Comme ça, on va vous présenter les choses par paliers.
*[d11
R[d22
V verso biffé de [2
[d33
[d44
[d55
[d66
[d77
[d88
[d99
[d10
[d11+
*/g12
[d13+
[d14
[d15
[d16
[d17
*/d18
[d19
[d20
*R[d21
*V]g22
[d23
)g24
On constate une relative homogénéité. Les copies manuscrites se font exclusivement au recto en principe, il était prévu que le verso demeure vierge. Ce principe est respecté sur tous les feuillets d'un même format, à l'exception d'un verso pour "Enfance", mais il s'agit d'un texte biffé, une première transcription considérée comme fautive du poème "Enfance I". Cela permet de considérer que les transcriptions ont été conditionnées par un manque évident de feuillets. C'est un point de fragilisation important de la thèse d'un recueil organisé par Rimbaud. Si le recueil devait être abouti, ce problème aurait été surmonté. Notez bien qu'on ne peut pas soutenir que ces copies sont pour l'impression en accordant grassement un statut d'exception aux transcriptions au recto et au verso d'un même feuillet pour les trois poèmes des pages 21 et 22. C'est broder sur les faits que de prétendre que c'est une sorte d'exception à la marge bon an mal an. Notez aussi que les irrégularités concernent quasi exclusivement trois des quatre feuillets d'un autre format. Pourquoi Rimbaud aurait-il été incapable de placer le chiffre à droite en haut du feuillet pour ce qui est de l'actuel page 12 ? Pourquoi aurait-il été incapable d'entourer les chiffres 12 et 18 de la même façon que pour toutes les autres pages ? Cette exception ne s'impose même pas pour la pagination 22 du feuillet avec transcription au recto et au verso. Le chiffre a été mis à gauche et entouré, alors qu'il aurait dû être reporté à droite, ce qui était possible. Et la seule exception pour les feuillets d'un même format concerne le feuillet final 24. Tout se passe comme si le chiffre 24 subissait l'influence de ce qui a été fait pour le feuillet transcrit au recto et au verso des pages 21 et 22. Soudain, nous avons un report du numéro de page à droite puis à gauche, alors que les feuillets des pages 23 puis 24 sont distincts et non pas sur le mode un seul feuillet avec transcription au recto et au verso. Et cerise sur le gâteau, le numéro 24 est transcrit avec une écriture nettement appuyée qui signifie la fin d'une transcription.
En clair, on peut dire que, en laissant de côté l'analyse des pages 12 et 18, la pagination d'ensemble de 1 à 24 a été faite par une même personne au crayon dans cet ordre chronologique, et avec une pleine conscience qu'il convenait de s'arrêter au chiffre 24.
Une telle indifférence désinvolte s'explique mieux dans un travail de publication dans l'urgence où les manuscrits sont une étape intermédiaire à court terme, plutôt que dans un travail de mise au net en vue d'une publication reportée à une époque indéterminée. Pourquoi Rimbaud insisterait-il sur la clôture du chiffre 24, alors qu'il a prévu d'inclure d'autres poèmes à la suite ? La thèse est que "Promontoire", "Mouvement" ou "Génie" font eux aussi partie du recueil des Illuminations, que je sache ! Il est même plus important pour Rimbaud de ne pas interrompre ainsi la pagination des feuillets !
Il faut ajouter un argument capital de Jacques Bienvenu. C'est que le chiffre 7 à l'encre recouvre un chiffre 7 au crayon, mais le chiffre 7 au crayon est non barré, tandis que celui à l'encre l'est !
Rimbaud ne barre jamais ses chiffres 7. Par conséquent, les chiffres recopiés à l'encre ne le furent pas par Rimbaud. Et il faut ajouter une autre remarque dans la foulée, deux personnes distinctes ont paginé les feuillets manuscrits. Il y a eu une collaboration entre un qui employait le crayon et un autre qui employait l'encre. Evidemment, l'argument peut être de considérer qu'un éditeur a pu repasser à l'encre les chiffres 1 à 9, tandis que tous les chiffres au crayon seraient de Rimbaud ainsi que les chiffres à l'encre des pages 12 et 18. Autrement dit, le recopiage à l'encre des chiffres 1 à 9 serait distinct des transcriptions à l'encre des chiffres 12 et 18, ce qui, dans l'absolu, est envisageable, sauf que si le dossier paginé remis à l'éditeur était déjà de 24 pages, pourquoi ne repasser que les neuf premiers chiffres ? Pourquoi ne pas tous les repasser ?
Il y a une autre question qui se pose. Pourquoi Rimbaud aurait-il paginé au crayon plutôt qu'à l'encre ses manuscrits ? Mais même en la laissant tomber, il reste que les neuf chiffres recopiés à l'encre sont la preuve d'une intervention externe sur le corps des feuillets.
Faute d'autres éléments pour l'instant, on peut toujours penser que cela s'est fait en présence de Rimbaud avec Germain Nouveau. La thèse de la pagination autographe repose alors exclusivement sur un semblant d'évidence qu'il n'y a pas de pages 12 et 18 recopiées au crayon, ce qui veut dire que les éditeurs de la revue La Vogue ont reçu sur leur bureau un ensemble où les feuillets 12 et 18 avaient déjà fait l'objet d'un remaniement. Et à cette aune, peu importe que Rimbaud ait transcrit différemment certains chiffres, puisque, dans l'absolu, on peut autant s'étonner des variations incongrues du seul éditeur que du seul Rimbaud. C'est cela qui a fait qu'en 2001 la thèse de la pagination autographe appuyée par un semblant de démonstration de la part de Steve Murphy a eu un tel statut d'évidence auprès des rimbaldiens. Cela incluait Michel Murat, Yves Reboul et beaucoup d'autres. Et je vais préciser que j'étais moi-même convaincu à l'époque de l'évidence de la pagination autographe. Parce que j'ai l'honnêteté de dire que ce qui me semblait évident s'est effondré suite à la mise en avant d'indices troublants par Jacques Bienvenu qui était le seul à ma connaissance en-dehors d'André Guyaux à douter de la fiabilité de la démonstration fournie par Steve Murphy.
Pour moi, il était évident que les feuillets 12 et 18 consistaient en un remaniement des séries "Veillées" et "Phrases". Je n'adhérais pas pour autant à la thèse d'un recueil voulu par Rimbaud, étant donné que la pagination était partielle et étant donné qu'une pagination peut consister à éviter l'éparpillement d'un portefeuille de poèmes. J'y voyais bien un début d'organisation à cause du manuscrit "Après le Déluge" et à cause de la copie au recto et au verso des trois poèmes "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" pour les pages 21 et 22. Mais je trouvais désespérément absurde que la pagination n'ait pas été étendue à "Promontoire", "Génie", "Mouvement" et plusieurs autres poèmes, sujet que Murphy, Murat et d'autres ont traité avec une légèreté qui me sidère.
Ajoutons qu'à l'époque j'excluais aussi très volontiers que les poèmes en vers nouvelle manière fassent partie du recueil de poèmes en prose, ce qui m'empêchait d'avoir un autre argument réservé, celui du mélange des vers et des proses dans la double publication originale des Illuminations par La Vogue, publication dans deux ordres bien distincts de défilement des poèmes. Je ne m'intéressais tout simplement pas assez à ces questions philologiques, et j'étais trop heureux d'avoir des réponses hâtives en faveur de mes préjugés.
Je prétends très clairement que Murphy, Murat, Bardel et beaucoup d'autres volent à la défense de leurs préjugés depuis la publication de l'article en deux parties de Jacques Bienvenu sur "La pagination des 'Illuminations' ".
Malheureusement pour Bardel et les autres rimbaldiens, je suis passé par leur sentiment d'évidence et je VOIS, du verbe "voyant", les difficultés sur lesquelles ils mettent des œillères pour ne pas avoir à se remettre en question. Il me semble tout de même que, après le déni de son édition revue du livre L'Art de Rimbaud en 2013, Murat a écrit dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021 aux éditions Classiques Garnier qu'il n'était pas acquis que la pagination fût autographe, concession insuffisante, mais fixée par écrit.
Alors, reprenons le sujet.
Dans la première partie de son article, Jacques Bienvenu a apporté un démenti capital à la thèse de Steve Murphy. Fénéon n'a pas simplement témoigné cinquante ans après les faits que la liasse manuscrite était sans ordre, Bienvenu a cité un témoignage de Fénéon qui date d'octobre 1886 dans la revue Le Symboliste, dans un numéro qui va du 7 au 14 octobre, ce qui signifie que l'article de Fénéon est une composition qui a été écrite au plus tard, au tout début seulement du mois d'octobre. Et fénéon y parle de "chiffons volants" qu'il a essayé de "distribuer dans un ordre chronologique. Reportez-vous à la première partie de l'article de Bienvenu : cliquer ici .
Cette revue paraît le jeudi, elle a pour directeur Gustave Kahn lui-même, Jean Moréas pour rédacteur en chef et Paul Adam pour secrétaire de la rédaction. Ce n'est pas tout ! En février 1888, Verlaine réclame auprès de Léo d'Orfer de récupérer le manuscrit des Illuminations considéré comme étant entre les mains de Gustave Kahn. Gustave Kahn a donc pris sur lui de publier le témoignage de Fénéon sur des "chiffons volants" qu'il était à même de réfuter. Et il s'agit du tout premier numéro de la revue, ce qui signifie que l'article avait une valeur particulière et cela laisse supposer que l'article n'a pas été écrit peu de jours avant la parution de l'hebdomadaire. Il s'agit visiblement d'un article indispensable au lancement de la revue, donc il a dû être préparé bien en amont. Bienvenu rappelle que ce numéro du "Symboliste" a paru quatre mois après la publication dans La Vogue des Illuminations. Et Bienvenu ne manque pas de rappeler que Fénéon a déjà même publié dans deux ordres différents les poèmes en question, il y a un ordre qui a défilé initialement sur quelques numéros de la revue, puis Fénéon a pris la liberté de les publier dans un autre ordre dans l'édition en plaquette, alors que la pagination correspond à l'ordre de la publication en revue. Si Fénéon n'a pas maintenu l'ordre de la pagination, c'est qu'il était bien placé pour savoir que la pagination n'était pas de Rimbaud, et comme le précise Bienvenu il n'y a aucun défaut de mémoire causé par la vieillesse en octobre 1886. Cela prend du temps de trier des manuscrits. Cette première partie de l'article de Bienvenu est en réalité déjà suffisante pour discréditer le mythe ou la thèse de la pagination autographe. Ne pas l'admettre, ça relève déjà d'un problème tendancieux au plan intellectuel. On peut toujours soutenir que Fénéon joue un jeu et ment un petit peu... Mais l'argument n'est pas recevable au plan philologique.
Or, il y a la deuxième partie de l'article qui vient ensuite. Cliquer ici pour la consulter à nouveau !
Alors, on va faire un temps le jeu de la relativisation des arguments.
Pour le chiffre 7, on peut minimiser la barre sur le recopiage à l'encre, puisque la première transcription au crayon n'en comporte pas.
Pour les chiffres 12 et 18, il suffit de considérer que les divergences sont le fait d'un remaniement pour ceux qui tiennent bien à tort le pari de la thèse de la pagination autographe. Il y a ce sentiment d'évidence que si l'éditeur numérotait au crayon il aurait mis au crayon les chiffres 12 et 18. Il y a ce sentiment d'évidence que Rimbaud aurait fait disparaître les pages 12 et 18 initiales avec la numération au crayon, au crayon de bois.
Personne n'aurait porté atteinte à la sacralité du texte de Rimbaud en créant par-dessus lui la série en trois poèmes "Veillées" et l'autre série en huit poèmes "Phrases".
Face à cela, il y a ceux qui pensent que les éditeurs n'ont pas considéré l'organisation des titres comme sacrée et ceux qui pensent que la transcription immédiate des chiffres 12 et 18 n'est pas si absurde que ça, et essentiellement André Guyaux et Jacques Bienvenu. C'est le transfuge David Ducoffre qui parle.
Or, mettons-nous dans l'idée d'un remaniement pour le feuillet paginé 18. Même dans la thèse de la pagination autographe, il y a un problème de logique qui apparaît.
Si Rimbaud a remplacé le manuscrit antérieur par un autre pour créer la suite des trois "Veillées", quels étaient les textes antérieurs transcrits sur le feuillet 18 ? Le feuillet 19 portait déjà la mention en titre "Veillée" au singulier. Faut-il croire que le feuillet 18 contenait déjà des versions de "Veillées I et II" ? Et s'il s'agissait d'autres poèmes, cela semble un remaniement bien cavalier du prétendu projet de recueil... Si le feuillet contenait déjà les deux premières "Veillées", il suffisait de raturer les titres et de les remplacer par des chiffres romains, comme c'est le cas manifeste du feuillet paginé 19. Pourquoi avoir détruit le feuillet 12 ? Pourquoi n'y a-t-il pas un autre feuillet avec un remaniement au crayon de sa numérotation qui nous soit parvenu ? S'il s'agissait de poèmes différents, on devrait repérer ailleurs dans l'ensemble des 24 pages le feuillet déplacé, non ? Si j'écarte les copies à cheval sur plusieurs feuillets, j'ai peu de candidats. Le poème "Parade" est transcrit sur le feuillet paginé 6. Vous pensez que Rimbaud a interverti l'ordre des feuillets "Parade" et "Veillées I et II" ? Il n'y a aucun indice de remaniement en ce sens sur les deux manuscrits ! La page 7 est un autre candidat possible avec les poèmes "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée..." Mais aucun indice philologique n'en flatte réellement la possibilité. L'interversion est exclue pour tous les autres poèmes de la suite paginée, la copie recto / verso incluse, avec pour seules exceptions le poème "Après le Déluge" et le feuillet 12, autrement dit les poèmes transcrits exclusivement au recto d'un papier de format différent de la masse dominante. Après, on peut encore chercher parmi quelques-uns des feuillets non paginés. Mais je le répète : aucun indice philologique ne va en ce sens.
De toute façon, pour une interversion, il suffisait de repasser par-dessus les transcriptions initiales au crayon.
Bref, c'est un raisonnement forcé que d'affirmer que Rimbaud a nécessairement remanié son document en supprimant des manuscrits antérieurs dans le but très précis de créer des séries nouvelles. Je suis bien précis dans ce que je dis. Dans l'absolu, on peut imaginer que Rimbaud détruise les feuillets 12 et 18 parce que défectueux pour les remplacer par d'autres. Mais la thèse officielle de la pagination autographe consiste à dire que les feuillets ont été réarrangés. Rimbaud avait selon cette thèse un manuscrit de "Veillées I et II" qu'il a voulu placer devant le poème intitulé "Veillée", et le remaniement du titre au singulier "Veillée" remplacé par le chiffre romain "III" serait la preuve d'un travail effectué par Rimbaud, sauf que, dans ce cas de figure, on ne comprend pas trois choses : 1) pourquoi Rimbaud n'a pas pensé avant ! à créer les séries "Phrases" et "Veillées" ? 2) si recueil organisé il y a, quel est l'impact d'un remaniement, puisqu'il aurait été plus logique que Rimbaud insère le feuillet manuscrit de "Veillées I et II", puis corrige toute la numérotation ? Rimbaud aurait enlevé les poèmes antérieurs à cause d'un fait contingent non poétique. Il crée un recueil, il n'est pas contraint par la nécessité de placer un seul feuillet entre les feuillets 17 et 19. Moi, j'aurais corrigé tous les chiffres à la suite, les pages 19 à 24 seraient devenues les pages 20 à 25 et j'aurais maintenu le feuillet initial 18 à sa place. Le même raisonnement vaut pour le feuillet 12 et la suite dite "Phrases", avec une autre conséquence, c'est que là on aurait un décalage d'un chiffre des feuillets 13 à 17 devenant 14 à 18, le maintien du feuillet originel 18 devenu le 19, puis le feuillet de Veillées I et II suite au remaniement serait le feuillet 20, puis nous aurions un décalage de deux chiffres des feuillets 19 à 24, devenant les pages 21 à 16. C'est plus logique comme remaniement d'une recueil pensé comme... organisé. 3) Où sont passés les feuillets 12 et 18 antérieurs ?
On se rend compte que l'attribution à Rimbaud d'un remaniement n'a rien d'évident, rien de naturel en soi.
Face à cela, une autre thèse se dessine. Il n'y a jamais eu de chiffres 12 et 18 au crayon sur des feuillets manuscrits. Les chiffres 12 et 18 ont été directement reportés à l'encre avec la ferme intention de créer les séries "Phrases" et "Veillées", et pour l'instant, dans l'absolu, ça peut autant être le fait de Rimbaud que des éditeurs et protes de la revue La Vogue.
J'ai fini par renoncer à l'idée que c'était anormal. Et quand on enlève ces œillères, ça change tout.
Alors, on va vérifier ce qui se passe dans ce nouveau cadre utile à la réflexion.
Nous avons les interventions de deux personnes sur la pagination, l'un utilise le crayon, l'autre emploie l'encre.
La numération est pour l'essentiel conduite par celui qui tient le crayon. Celui qui utilise l'encre adopte une position d'autorité, l'encre est la marque d'une décision définitive comme l'atteste le recopiage à l'encre des chiffres au crayon des pages 1 à 9, et l'encre n'est ensuite employée que dans des cas précis d'invention de deux séries de poèmes : "Phrases" feuillets 12 et 13, puis "Veillées" feuillets 18 et 19. Dans le cas du feuillet 18, la série est créée par adjonction au début. Nous avons un poème "Veillée" qu'on vient faire précéder d'une série "Veillées I et II". On remanie alors le titre sur le feuillet désormais 19 en remplaçant le singulier par le chiffre "III". Bienvenu fait remarquer que l'espacement bref des trois barres ne coïncide pas avec l'écriture plus espacée du feuillet 18, l'argument est relatif, mais tout de même à prendre en considération. Or, nous avons une preuve de remaniement en ce sens, puisque la partie numérotée IV du poème "Jeunesse" est flanquée d'une mention allographe "Veillée", cela dans le cas des feuillets non paginés publiés ultérieurement par rapport à la revue La Vogue. Nous avons la preuve par ce fait que les éditeurs étaient prêts à remanier les séries de poèmes. Ici, il s'agissait carrément de désolidariser la partie "IV" de la série "Jeunesse" pour la faire devenir un quatrième poème de la série "Veillées", série qui justement est au centre du débat sur la pagination avec la série "Phrases".
En clair, l'éditeur a confirmé l'ordre des pages 1 à 9 qui sera celui suivi par la revue La Vogue dans sa publication par livraisons des Illuminations, puis il a indiqué qu'il voulait insérer le manuscrit de "Veillées I et II" à tel endroit, et le manuscrit des cinq poèmes sans titre à tel endroit pour créer les séries "Phrases" ou "Veillées". Face à cette idée plausible, certains vont dire que ce n'est pas l'éditeur qui a fait ça, mais Rimbaud, sauf que pour soutenir leur hypothèse ils doivent se dérober à la loi du rasoir d'Occam et supposer trois interventions distinctes quant à la pagination : une transcription au crayon, une transcription à l'encre suite à deux remaniements des pges 12 et 18, et enfin ils doivent admettre comme allographes le recopiage à l'encre pour les pages 1 à 9 avec un 7 barré non rimbaldien. L'éditeur aurait lacunairement repassé à l'encre les neuf premiers numéros sans aller jusqu'au bout.
Or, il y a trois faits à observer.
D'abord, il y a un fait de séquençage qui n'a pas été relevé par Murphy. La suite 1 à 9 devient une séquence. La suite 10 à 12 devient une deuxième séquence. La suite 13 à 18 devient une troisième séquence. Et la suite 19 à 24 en est une quatrième. Et on va voir que la suite 13 à 18 est en réalité divisible en deux séquences. L'idée de séquençage a quelque chose à nous dire et d'autres éléments vont nous permettre d'en préciser la signification.
Ensuite, il y a l'emploi du crayon qui a d'autres usages sur les manuscrits que pour la numération.
Enfin, pour la première fois dans cet article, je fais remarquer quelque chose de particulier : tous les chiffres au crayon ne sont qu'entourés, ils ne sont pas accompagnés d'un signe de ponctuation, à l'exception remarquables des chiffres 11 et 13, précisément les deux chiffres qui encadrent le feuillet 12 avec son numéro à l'encre et son idée de remaniement. Et cela est symétrique de l'écriture appuyée au crayon pour le chiffre 24 final. Nous avons un point en bas du chiffre 11 qui a tout l'air d'une prise de conscience qu'il faut interrompre pour un temps la transcription. Et le 13 est flanqué d'un point un peu en hauteur après le chiffre 13. Difficile de ne pas penser à des indices psychologiques d'une attention particulière apportée à l'anticipation de l'insertion du feuillet paginé 12 à l'encre dans la suite paginée au crayon !
Eh oui !
Vous ne l'avez pas vu venir ce nouvel argument-là ?
Passons à la suite.
Dans la suite de son article mis en ligne en 2012, Bienvenu signale que je lui ai soumis une hypothèse intéressante. Au bas du feuillet 9, nous avons une transcription au crayon, aussi pâle que pour les chiffres, cas à part du chiffre 24, une transcription du nom de l'auteur : "Arthur Rimbaud".
Je rappelle qu'André Guyaux oppose depuis le début à la thèse de la pagination autographe que la série paginée de 24 pages coïncide avec la publication initiale des poèmes dans deux numéros de la revue La Vogue. Or, on va voir que le séquençage a pour conséquence de souligner d'autres faits convergents.
En clair, la revue La Vogue prévoyait initialement de publier les seules neuf premières pages, mais elle a pu publier les quatorze premières pages. Les dix dernières pages seront publiées dans le numéro suivant de la revue. Cela explique le report de la mention au crayon "Arthur Rimbaud" qui est passée du bas de la page 9 en-dessous de "Royauté" au bas de la transcription du poème "Ornières", ce qui correspond à la fin de la page 14 au plan manuscrit.
On peut remarquer que le premier remaniement d'une série de poèmes concerne précisément ce décalage des feuillets 10 à 14, à savoir la création de la série des "Phrases" pages 11 et 12 du dossier manuscrit désormais.
Et cette signature "Arthur Rimbaud" au crayon a deux conséquences. Premièrement, nous avons la preuve que quelqu'un d'autre que Rimbaud écrit au crayon sur le dossier paginé. Il devient tentant de lui attribuer la numération au crayon. Les tenants de la transcription autographe sont obligés de supposer qu'il y a eu deux interventions distinctes au crayon. C'est un peu gros ! Ce n'est pas tout. La numération à l'encre est elle aussi d'un éditeur de La Vogue, puisqu'il ne repasse à l'encre que les neuf premières pages en s'arrêtant à la mention au crayon "Arthur Rimbaud". La conclusion qui s'impose est plus nette encore : nous assistons à une collaboration des intervenants au crayon et à l'encre sur le corps de la page 9. Et il faut beaucoup d'imprudence pour considérer que les questions des feuillets 12 et 18 n'ont rien à voir avec ce fait.
Or, ça ne s'arrête toujours pas là. Nous allons relever d'autres soulignements au crayon ou à l'encre sur le corps des feuillets manuscrits qui vont converger avec le séquençage de la pagination que nous avons remarqué.
Les titres des poèmes sont mis en relief par des marques diverses.
Je vais donc reprendre ma liste initiale, mon tableau visuel. Et je vais ajouter les titres des poèmes et aussi les petites marques pour les mettre en relief. Et vous constaterez que certains titres n'ont pas été soulignés du tout. Je précise que selon un principe appliqué à ses textes imprimés par Alphonse Lemerre, Rimbaud a tendance à mettre un point après les mentions de ses titres : "Après le Déluge.", je vais également respecter cet usage quand il y a lieu. Je précise que les titres des poèmes sont à l'encre, ainsi que les chiffres romains, mais les signes encadrants sont au crayon. Je vais également placer une ligne pour indioquer
*[d11 <Après le Déluge.>
_____
R[d22 <Enfance.> I II
V verso biffé de [2
[d33 III IV
[d44 V
[d55 <Conte.>
____
[d66 <Parade.>
____
[d77 <Antique. <Being Beauteous. xxx.
____
[d88 < Vies. I II
[d99 III <Départ. <Royauté. Arthur Rimbaud
Le verso de ce feuillet manuscrit est sali
____
[d10 A une Raison Matinée d'ivresse (pas de point, mais traits longs pour le n et le e des deux fins de titres)
[d11+ Phrases.
Le verso de ce feuillet est flanqué de pas mal de marques.
____
*/g12 "Une matinée couverte..." xxx xxx xxx xxx
_____
[d13+ Les Ouvriers (Les biffé à l'encre) Les Ponts
[d14 Ville. Ornières.
____ (note : fin de la première série publiée dans un numéro de la revue La Vogue avec les mentions "(A suivre)" et "Arthur Rimbaud")
[d15 Villes titre entouré au crayon O et suivi de la mention 1er au crayon et elle aussi entourée, précédée aussi de la mention A au crayon elle aussi entourée. Le titre Villes est apparamment surimposé à un chiffre romain II à l'encre, fort peu lisible il est vrai. Ce chiffre II a-t-il placé au contraire par-dessus le titre "Villes" ? le fac-similé ne permet pas de trancher.
[d16 Vagabonds. titrte et point entouré au crayon O Villes. titre et point entouré au crayon O Mention I chiffre romain biffée au crayon.
[d17
____
*/d18 Veillées. titre entouré au crayon O. I II
[d19 Veillée. titre biffé et remplacé par un chiffre romain III à l'encre. Mystique. titre entouré au crayon O Aube. titre entouré au crayon O.
[d20 Fleurs. Titre entouré au crayon O.
_____
*R[d21 Nocturne vulgaire. Titre entouré au crayon O.
*V]g22 Marine. Titre entouré au crayon O. Fête d'hiver.
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[d23 Angoisse. Titre entouré au crayon O Métropolitain. Titre entouré au crayon O.
)g24 Barbare Titre entouré au crayon O, pas de point mais un e final allongé d'un trait.
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Nous avons quatre faits convergents pour le feuillet paginé 9 : chiffres repassés à l'encre, mention "Arthur Rimbaud", verso de la page 9 souillé ce qui est le signe d'une fin de liasse à un moment donné, et exclusivité du signe < fermé (>) ou non pour mettre les titres en relief. Il devient évident que les précisions à l'encre et au crayon dans la numération et le soulignement des titres vient des éditeurs de la revue La Vogue. Rimbaud n'a rien à voir là-dedans. Le numéro de la revue La Vogue qui a publié ces neuf premières pages a en réalité publié les cinq pages suivantes. Le nom "Arthur Rimbaud" a simplement été reporté. Or, de tout l'ensemble, la partie paginée 10 à 14 est la seule à ne pas avoir de soulignements des titres, ce qui relève clairement d'un moindre soin apporté à la préparation. Cette prolongation inclut précisément le premier remaniement avec la création de la série "Phrases". Or, il ne s'agit pas que d'une relation du feuillet 11 au feuillet 12, puisque nous avons une transcription à cheval sur les feuillets 10 et 11. En clair, nous avons deux arguments pour expliquer la mention "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9. Le premier argument indiscutable et suffisant, c'est que les éditeurs prévoyaient de ne publier initialement que cette partie-là dans un premier numéro. Or, ils ont préféré allonger cela jusqu'à la page 14 incluse. Mais il y a un deuxième argument : la difficulté était de transmettre les manuscrits aux protes en cas de remaniement de la série "Phrases". L'arrêt à la page 9 permettait de prendre le temps de méditer le cas particulier de la série "Phrases" recomposée. Si Rimbaud avait directement paginé l'ensemble remis à La Vogue on ne comprend pas pourquoi il y a eu un atermoiement précisément à ce niveau. La page 9 est précisément la seule où s'arrêter si on veut traiter le problème du feuillet paginé 12, puisque les feuillets 10 et 11 vont ensemble et se retrouvent à former une suite avec le feuillet 12 dans l'état définitif. Je précise ici un argument très important. Les éditeurs n'ont pas recopié tous les poèmes pour faire déchiffrer leurs propres écritures aux protes dans un second temps. Ils ont demandé aux protes le déchiffrement initial des manuscrits, et c'est ce qui explique la nécessité pour la revue de respecter les suites créées par les transcriptions à cheval sur plusieurs manuscrits. Il semble qu'après la publication en revue, les éditeurs de La Vogue aient profité des états imprimés pour modifier l'ordre de défilement des poèmes dans l'édition en plaquette, édition en plaquette qui n'a pas horripilé Verlaine pour les neuf dix ans qui lui restaient à vivre. Les éditeurs étaient obligés de donner aux protes l'ensemble des feuillets numérotés 10 et 11, et du coup l'ensemble numéroté 10 à 12 après le remaniement de la liasse manuscrite. Nous n'avons aucune preuve nette que Rimbaud a voulu rattacher les cinq poèmes brefs du feuillet 12 à l'ensemble "Phrases". J'en profite pour signaler un autre fait important.
A la suite du poème "Being Beauteous", le poème court "O la face cendrée..." est séparé du précédent par trois astérisques. Et ces trois astérisques sont suivis d'un point de fin de titre. Cela a des conséquences considérables. La revue La Vogue n'a pas identifié l'importance de ce point pour considérer que dans l'esprit de Rimbaud les trois astérisques sont une façon d'introduire un poème sans titre. Les trois croix ou astérisques font office de titre. Ce point est autographe, puisque vous constatez que les éditeurs suivent leurs soulignements des titres par des crochets ou des cercles.
Les conséquences sont majeures pour les études rimbaldiennes. Steve Murphy, Yves Reboul et d'autres pensent que la revue La Vogue a eu raison de publier "Ô la face cendrée..." comme le second paragraphe ou alinéa de "Being Beauteous". Moi, André Guyaux, Jean-Luc Steinmetz, plusieurs éditeurs pensions au contraire qu'il s'agissait d'un poème autonome. Ce point est la preuve excellentissime qu'il s'agit d'un poème autonome. Mais, ce n'est pas tout. On peut penser que les croix sur le feuillet désormais paginé 12, bien qu'elles ne soient pas flanquées de points terminaux, correspondent à des substituts de titres pour des poèmes courts. Il est vrai que le premier "Une matinée..." n'est pas précédé des trois croix. Tout de même, le débat est posé. La série "Phrases" ne concerne que les trois alinéas à la fin du feuillet 11 à l'exclusion des cinq poèmes du feuillet 12.
Je rappelle que les séparations des trois alinéas du feuillet 11 n'ont rien à voir avec celles des cinq poèmes du feuillet 12, ce qui veut dire à tout le moins que nous avons la preuve d'une unité initiale des trois alinéas, alors que la série en huit alinéas n'est pas certaine du tout. Que du contraire !
Et ça ne s'arrête pas là. Rimbaud ne met pas de point derrière les chiffres romains des séries "Enfance", "Vies" et "Veillées" (ici dans le cadre I et II du feuillet 11), alors que nous avons la preuve d'une autonomie du poème "O la face cendrée..." et la preuve d'une autonomie du poème au singulier "Veillée". Et cette absence de point invite à penser que "Enfance" n'est pas une série de cinq poèmes, mais un seul poème. Pour des raisons d'analyse lexicale très précise, "Vies" est un seul poème en trois volets que les rimbaldiens ont l'énorme tort de parfois analyser en trois poèmes distincts. Mais, cela reste difficile à déterminer pour "Enfance" ou pour "Veillées" dans le cadre du binôme I et II. Au moins, je pose le débat.
Je remarque que le feuillet 11 est lui-même particulièrement taché au dos du feuillet 11, celui qui précède le feuillet d'un autre format, ce qui indique aussi qu'il a servi de dos lors de transport, à moins qu'il ne s'agisse des marques résultant d'un accident avec l'impression du texte de "Veillées I et II" qui s'est précisément imprimé sur le manuscrit du feuillet 18 qui en contient l'autographe. Ce serait alors un nouveau fait convergent à verser au dossier, puisque cela relierait l'impression du feuillet 18 à celle du feuillet 12.
Nous remarquons que le défaut de mise en relief des titres pour les pages 10 à 14 a eu une incidence, le titre "Les Ponts" a été oublié et la revue La Vogue a imprimé comme un seul poème continu les textes des "Ouvriers" et des "Ponts". Je ne m'interroge pas ici sur qui de Rimbaud ou de l'éditeur a pu biffer l'article "Les" devant "Ouvriers". Fongaro considère que c'st Rimbaud pour uniformiser son ensemble de poèmes, et le poème "Les Ponts" y aurait échappé dans la mesure où le titre "Ponts" n'est pas très heureux.
Je fais remarquer que la revue La Vogue n'a pas identifié le titre "Les Ponts", ce qui fait qu'il n'est pas exclu que ce soit l'éditeur de La Vogue qui ait biffé l'article "Les" au titre "Les Ouvriers". N'oublions pas qu'après tout Rimbaud a assumé initialement ce titre avec article en le faisant suivre de l'autre exception "Les Ponts". La manière légère de biffer se retrouve ailleurs dans ces manuscrits et elle s'uniformise avec les pratiques des éditeurs de La Vogue. Je ne vais pas prétendre avoir la solution, mais je souligne que le débat n'est pas tranché.
Je continue.
Au haut de la page manuscrite 15, nous avons plusieurs mentions au crayon, et ces mentions sont entourées par un cercle fini comme le seront tous les titres des poèmes jusqu'à la fin des 24 pages, à l'exception du titre "Fête d'hiver" qui justement va être oublié dans le texte imprimé de la revue La Vogue qui va fournir comme un seul poème continu "Marine" et "Fête d'hiver" alors même que nous avons une composition avec des retours brusques à la ligne et une autre non. Nous avons un cas similaire à celui de "[Les] Ouvriers" et "Les Ponts". On constate que la manière de mettre en relief les titres change précisément à la page 15, début de la transcription pour un nouveau numéro de la revue La Vogue.
La thèse de la pagination autographe a beaucoup de plomb dans l'aile, puisqu'ils doivent admettre que le repassage des neuf premiers chiffres vient de l'éditeur, et puisqu'ils doivent admetttre que l'essentiel des mentions diverses au crayon viennent des éditeurs. Par quel tour de passe-passe, les chiffres seraient les seules mentions au crayon dues à Rimbaud, mentions au crayon qui sont de la même pâleur que les autres interventions ? Et par quel tour de passe-passe, il y aurait deux chiffres à l'encre de la main de Rimbaud, alors que le repassage des neuf premiers est le fait de La Vogue ?
Il faut beaucoup d'exceptions pour justifier la pagination autographe. C'est philologiquement et scientifiquement inacceptable.
Nous attaquons aussi une série de transcriptions à cheval sur plusieurs feuillets, ce qui nous fait rassembler les feuillets 15 à 17, autrement dit tous les feuillets qui précèdent le remaniement concernant "Veillées" avec l'insertion du feuillet 18.
Et il est frappant de constater qu'encore une fois la série des feuillets 15 à 17, la séquence des feuillets 15 à 17 pour reprendre mon idée de séquençage, implique un problème de remaniement avorté avec des chiffres romains pour remplacer des titres homonymes. Nous avons deux poèmes intitulés "Villes" au pluriel avec pour les séparer le poème "Vagabonds". On prétend que Rimbaud s'est trompé, sinon Germain Nouveau. L'un ou l'autre aurait transcrit le chiffre II en haut du feuillet 15 et puis aurait transcrit le chiffre I à la suite du titre au pluriel "Villes" au bas du feuillet 17.
C'est possible si tous les titres ont été reportés après la transcription des poèmes sur un dossier non paginé. Il faudrait une étude graphologique poussée pour trancher si au haut du feuillet 15 le titre "Villes" est écrit par-dessus le chiffre II ou si ce n'est pas l'inverse. Les chiffres ont été définitivement biffés par la revue La Vogue sur les manuscrits. On peut discuter de qui a fait les biffures comme pour l'article "Les" devant "Ouvriers", mais c'est un fait que les interventions au crayon procèdent d'une volonté de déterminer un choix, choix qui va dans le sens implacable de la transcription manuscrite.
Je n'ai rien à dire pour détailler l'unité de séquençage des dix dernières pages publiées ensemble en un seul numéro de la revue La Vogue, à ceci près que je rappelle encore une fois l'oubli du titre "Fête d'hiver". Je rappelle que les titres ont une composition typographique particulière en majuscules, et cela semble l'indice d'un travail à plusieurs. Un seul prote n'aurait pas oublié les titres "Les Ponts" et "Fête d'hiver". L'erreur ne peut guère relever que d'une mise en commun de deux travaux séparés.
Je précise que le dossier des manuscrits dont j'ai mis le lien plus haut est suivi de plusieurs pages de la revue avec tous les textes imprimés dans le premier numéro, pages 1 à 14. J'insiste sur le fait que les titres manquants et les hybrides sont reconduits tels quels dans l'édition en plaquette, ce qui semble signifier qu'il n'y a pas eu une composition nouvelle avec un retour sur le manuscrit, et cela semble supposer que les manuscrits n'étaient donc plus dans la main des éditeurs de la revue La Vogue au moment de la création du texte de la plaquette.
J'ajoute que comme l'a fait remarquer Jacques Bienvenu les rimbaldiens ont négligé des années durant d'autres inscriptions sur les manuscrits, les noms des ouvrières-typographes avec la mention des nombres de lignes effectuées.
Enfin, il faut remarquer que sur la première ligne du poème "Après le Déluge", Rimbaud avait ajouté la mention "après": "Aussitôt que" devenant "Aussitôt après que..." Cette correction a été biffée au crayon et les tenants de la pagination autographe (Murphy, Bardel, etc.) soutiennent pourtant que cette intervention est due à une main étrangère. Seul Pierre Brunel accepte parmi les éditeurs de supprimer la mention "après" semble-t-il. Or, si Bardel et Murphy admettent que l'opération vient d'une main étrangère, ils ouvrent la voie à un discrédit de la thèse d'une écriture autographe pour une quelconque, je dis bien quelconque ! transcription au crayon sur les 24 pages manuscrites, et surtout ils admettent que les éditeurs ne considèrent pas les textes qu'ils ont sous la main comme sacrés. S'ils corrigent le texte déjà pourtant remanié par Rimbaud, ils peuvent très bien créer des séries "Veillées" et "Phrases" en étant indifférents à la rigueur de distribution, des titres chez Rimbaud.
Le séquençage et l'évidence que les indications au crayon et à l'encre relèvent d'un travail de préparation à l'impression prouvent que la pagination n'est pas de Rimbaud.
Nous nous pencherons bien sûr sur le complément d'étude, l'ensemble des manuscrits non paginés dont la publication a suivi.
Une autre étude complémentaire est à mener. Nous avons des transcriptions à cheval sur certains manuscrits, et certaines transcriptions sont tassées, ce qui veut dire que nous pouvons enquêter si certaines transcriptions ne sont pas dues à un problème de place et ne correspondraient pas à une volonté d'organiser un recueil.
A partir du moment où Rimbaud est censé établir tout un recueil, il n'a aucune raison de tasser son écriture. Rimbaud ne le sait pas à l'avance qu'il a tout juste de quoi transcrire tant de poèmes sur tant de feuillets...
Pour information, je renvoie cet article sur mon blog.
RépondreSupprimerJacques Bienvenu
Lu. je fais ici mes remarques sur le commentaire "anonyme fd"" qui fait suite à votre article de renvoi.
SupprimerAprès avoir acquiescé au fait que la pagination ne soit pas de Rimbaud, fd semble revenir à l'idée que malgré tout l'ordre soit bien de Rimbaud et que les éditeurs n'aient pas osé biffer un titre pour créer une série, vu que Rimbaud était vivant.
On a la preuve que si avec la mention "Veillée(s)" à côté du IV de "Jeunesse". Ils ont vendu ou prévu de vendre des manuscrits prêtés par Verlaine, alors que Verlaine était en contact avec eux, et alors que Rimbaud était vivant. Izambard a galéré pour récupérer ses manuscrits.
Le malaise de Fénéon pour s'expliquer, je ne vois pas ce que c'est concrètement. Il ne faut pas spéculer sur ce qu'on croit un côté mal à l'aise.
L'idée de faire tomber les feuillets n'arrange rien au débat. Les feuillets n'étaient pas paginés, ni la suite, ni les 24 pages du débat ci-dessus. Donc, dire que Rimbaud avait fixé un ordre en classant les feuillets n'a pas de sens.
Comme l'a dit Bienvenu lui-même dans les propos privés que j'ai eus avec lui, Rimbaud est un concepteur de poèmes, mais pas un concepteur de recueils. Et on a trois épisodes tendancieux de la critique rimbaldienne sur un prétendu recueil Demeny, un prétendu recueil Verlaine et un prétendu recueil organisé des Illuminations.
Je n'affirme pas que les vers faisaient partie du recueil, mais le débat reste entier. Pour Veillées, je n'affirme rien, la balance penche pour une intervention des éditeurs. Je pense qu'une réaction de mauvaise foi est à prévoir dans la mesure où j'ai parlé du I et du II de "Villes", je suis persuadé que les gens de mauvaise foi vont s'engouffrer dans la brèche. Le I et le II sont forcément de Rimbaud donc tous les arrangements sont de Rimbaud.
Enfin, dire que "Solde" colore tout le recueil de telle conclusion générale, ou sinon "Génie", c'est non scientifique, puisque c'est faire dire au poème qu'on a choisi que son sens détermine l'ensemble. Dire que "Barbare" a une valeur conclusive pour les 24 pages, c'est du même acabit. Fénéon est gêné comme quelqu'un qui cherche la vérité 50 ans après en doutant humblement de lui-même, mais le remaniement de la plaquette après la pagination détruit la légende d'un ordre que Fénéon ne retrouvait pas après avoir fait tomber les feuillets.