On attribue à Baudelaire l'invention des césures sur prépositions et proclitiques d'une syllabe dans le cadre de la poésie lyrique française. Verlaine, en 1865, avait écrit un article en ce sens. Celui-ci citait deux vers des Fleurs du Mal dans la version nouvelle de 1861.
Exaspéré comme un ivrogne qui voit double ("Les Sept vieillards")Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre ("Les Petites vieilles")
Verlaine est ainsi devenu la justification ultime pour attribuer l'invention et la diffusion de tels tours à Baudelaire.
Il a procédé à une telle affirmation dans un article intitulé "Charles Baudelaire" qu'il a publié par parties dans quelques numéros de la revue L'Art en 1865, à une époque où il n'a pas encore publié son premier recueil, à une époque où le premier numéro du Parnasse contemporain n'a pas encore vu le jour, à une époque où Verlaine a encore publié assez peu de poèmes dans des revues ("Fadaises", "Monsieur Prudhomme") et notons que "La Mort" envoyé à Hugo en 1858 et "Fadaises" en vingt décasyllabes n'ont aucune césure acrobatique. Verlaine a fait publier son article à la mi-novembre 1865, il n'a alors que vingt-et-un an et demi. L'étude de référence sur cette rubrique de Verlaine serait un article de Steve Murphy paru en 1996 dans un volume collectif d'études verlainiennes.
Je ne sais pas si Murphy l'a fait, je ne vois cela nulle part en tout cas, mais les deux vers cités sont tirés de la section des "Tableaux parisiens" qui ne figurait pas dans l'édition initiale des Fleurs du Mal en 1857, et à défaut de cet article j'ai constaté à de multiples reprises que Murphy citait ce propos de Verlaine pour appuyer l'idée que Baudelaire est l'inventeur de telles césures acrobatiques. Et Murphy étend cela aux césures sur la conjonction "comme" et à la forme "comme un", puisqu'en se reportant aux pré-originales des Fleurs du Mal Murphy a pu relever que les premières césures acrobatiques publiées par Baudelaire le furent en 1851 et en 1855. En 1855, c'est certain avec la pré-originale de quelques-unes des Fleurs du Mal dans la Revue des deux Mondes.
Cette affirmation est relayée par Benoît de Cornulier et Jean-Michel Gouvard. Jean-Michel Gouvard a épluché plein de recueils de poésies du dix-neuvième siècle et il a daté les premières de plusieurs audaces. Il y a quelques audaces antérieures à Baudelaire dans le cadre même de la poésie lyrique, mais Gouvard en fait fi. Il attribue à Baudelaire la paternité du procédé en poésie lyrique et Benoît de Cornulier lui emboîte le pas dans ses publications ultérieures ou même dans le livre de 1994 édité à Lyon L'Art poëtique qui tenait compte du texte encore inédit de la thèse de Gouvard. Dans son livre de 2002 L'Art de Rimbaud, Michel Murat flatte à son tour cette thèse.
Alors, reprenons le problème par tous les bouts.
Faisons rapidement un sort au cas de Verlaine. Celui-ci a visiblement été inattentif à la lecture de certains vers de Victor Hugo et d'Alfred de Musset. Il est probable que Verlaine ne lisait pas très attentivement le théâtre en vers de Victor Hugo, et nous verrons que, de toute façon, Hugo n'a pas facilité la tâche à ceux qui veulent repérer des vers déviants. Mais Verlaine a été également très inattentif à la lecture des poésies lyriques de Victor Hugo et d'Alfred de Musset. Tout cela, nous allons le vérifier plus bas. Mais il y a un autre élément fondamental. Verlaine réagit en faveur d'un poète condamné par la loi en 1857 et à moins de quatre ans de sa découverte admirative de la seconde version enfin autorisée du recueil des Fleurs du Mal. Verlaine, dont le nom vient d'une ville de Belgique dont certains de ses ancêtres sont probablement originaires, se moque alors d'un critique belge qui crierait à l'incorrection quant aux deux vers cités de Baudelaire, alors qu'il s'agit de "jeux d'artistes destinés, suivant les occurrences, soit à imprimer aux vers une allure plus rapide, soit à reposer l'oreille bientôt lasse d'une césure par trop uniforme, soit tout simplement à contrarier le lecteur [...]". Les deux dernières raisons sont des sottises par bravade de journaliste littéraire, voilà pour la réplique à Verlaine du critique belge par excellence que je peux être (en réalité, je suis russe, mais bon...). L'idée d'imprimer un rythme plus rapide est plus pertinente stylistiquement, mais Verlaine aurait dû la contrebalancer par la pensée inverse : créer des suspensions non conditionnées par la syntaxe à des fins de mise en relief.
Verlaine n'a pas identifié l'antériorité de Victor Hugo en 1859 : "sans me reposer" (poème "Le Mariage de Roland" paru en 1859 dans la première série de La Légende des siècles) qui correspond assez bien à l'idée d'une accélération de rythme, puisque refus il y a du repos à la césure dans l'idée du calembour projeté. Mais Baudelaire a pratiqué quelques audaces déjà dans l'édition censurée de 1857, au-delà des vers qui ont été remaniés, et il avait publié auparavant dans des revues quelques audaces. Donc on verra je le répète plus tard l'illusion de Verlaine à ce sujet. En revanche, ce sur quoi il convient de nettement insister, c'est que Verlaine écrit dans la phase de succès de la nouvelle édition des Fleurs du Mal de 1861, et vu qu'il s'exprime publiquement sur le sujet et que la grande masse de publications de Lemerre de la nouvelle école parnassienne est en cours de préparation, on constate que Verlaine se met à l'unisson d'un mouvement d'époque où effectivement, à partir de l'impulsion des Fleurs du Mal des poètes de la seconde génération romantique Banville et Leconte de Lisle emboîtent le pas, et ils sont suivis par la nouvelle génération de poètes de la décennie 1860 qui aura pour bannière le mouvement du Parnasse contemporain. En clair, Verlaine ne parle pas vraiment en érudit, il parle en personne de son époque marqué par un événement. Verlaine n'a aucun recul quand il parle, il faut d'ailleurs lui accorder qu'il hésite à affirmer que Baudelaire a été le premier à recourir au procédé, il use de la modalisation "je crois" et il précise un cadre "en France".
Verlaine est pardonnable pour son erreur, mais ce n'est pas le cas de Cornulier, Gouvard, Murphy et Murat.
Gouvard lui-même cite dans son livre Critique du vers les antériorités du théâtre de Victor Hugo, celles de Musset, une de Barbier et quelques autres de poètes obscurs, et dans le tas il y a des vers lyriques qui sont cités.
Gouvard n'a pas caché ces antériorités, il les cite, il ne s'agit donc pas d'une imposture en tant que telle, mais il y a tout de même une thèse tendancieuse qui est affirmée, et au fil des années si il y a quand même une imposture qui se met en place dans le silence général des universitaires. Gouvard va attribuer l'invention lyrique du procédé à Baudelaire, comme s'il n'y avait pas une évidente influence des vers de théâtre sur la poésie lyrique. Ensuite, il y a quelques vers de poésies lyriques qui sont concernés dans le relevé de Gouvard et qui sont antérieurs à toutes les publications de Baudelaire, notamment le poème "Mardoche" d'Alfred de Musset. Enfin, Gouvard prétend avoir cherché une certaine neutralité dans son relevé, sauf qu'il cite tous les poètes romantiques de premier plan et leurs œuvres, mais passe sur certains poètes qui sont pourtant parmi les quinze plus connus de la première moitié du dix-neuvième siècle. Il fait l'impasse sur Feu et flamme de Philothée O'Neddy, sur Rhapsodies de Pétrus Borel, sur les vers de Xavier Forneret (un poète idolâtré un peu à tort par les surréalistes) et sur les vers de Marceline Desbordes-Valmore. Il faut le faire ! Or, les vers d'O'Neddy, Borel et Desbordes-Valmore offrent un lot de césures acrobatiques qui remettent en cause bien des affirmations de la thèse Critique du vers et des conclusions sur lesquelles se sont appuyées ensuite tant Gouvard que Cornulier et d'autres.
Je vais être plus précis encore.
Cornulier a &carté des critères pour les césures acrobatiques des mots invariables d'une seule syllabe, la conjonction de coordination "mais", les pronoms relatifs têtes de subordonnées "qui", "dont", le mot "que", le mot "quand", la conjonction de subordination "si", etc. Et aussi le mot "comme". La catégorie des conjonctions de coordination est problématique en français. Et certes, l'adverbe "Puis" ou la conjonction "Mais" pouvaient être exclus de la liste des césures acrobatiques. Il y a quelques "Mais" à la césure dans les tragédies de Corneille, dans Suréna et d'autres. Mais le fait reste rare et il y a une quantité important de "Mais" devant la césure dans les alexandrins de 1827 du drame Cromwell de Victor Hugo avec plusieurs configurations (plusieurs répliques en un vers ou non). Ce n'était donc pas anodin. Mais, pour la conjonction "si" et pour le mot "comme", le problème est plus sérieux.
Je rappelle que Racine et Molière évitaient la césure après la conjonction "si", même s'ils auraient pu se le permettre avec un groupe inséré entre virgules : "Je me demande si, d'une façon ou d'une autre, tu ne serais pas responsable de ce qui arrive". La phrase inventée n'est pas un vers, mais montre la facilité avec laquelle placer un repos après la conjonction "si". Il est quantité de vers classiques où nous avons un "si" en septième syllabe de l'alexandrin, après la césure, mais suivi d'une virgule. Or, dans L'Etourdi ou les Contretemps de Molière et dans Athalie de Racine, nous avons deux interruptions de paroles où nous avons soit une conjonction "si" à la césure, soit la préposition "pour".
Je commence par citer l'extrait d'Athalie (Acte II, scène 7), nous sommes dans une longue scène où Athalie interroge l'enfant royal qu'on veut lui cacher (légende A pour Athalie, J pour Joas) :
(A) A ma table, partout à mes côtés assis,
Je prétends vous traiter comme mon propre fils.
(J) Comme votre fils ? (A) Oui… Vous vous taisez ? (J) Quel père
Je quitterais ! et pour… (A) Eh bien ? (J) Pour quelle mère ?
Remarquez le rythme souple du troisième vers cité où avec changement d'interlocuteur, le "Oui" est placé devant la césure qui correspond à une pause réelle avec les trois points de suspension. Appréciez l'enjambement tout de même acrobatique en plein ère du classicisme triomphant : "Quel père / Je quitterais" et vous voyez comment Racine a cherché comme Hugo et Baudelaire à s'amuser avec le placement de la préposition "pour" devant la césure. Il a dû ruser avec les impératifs de son époque.
Je cite maintenant l'exemple de Molière qu'on ne sait pas dater avec précision, vu qu'il existe un écart entre les premières représentations supposées de la pièce et sa première impression (1553-1563). Nous sommes dans L'Etourdi, Acte I, scène 6 (légende M pour Mascarille et L pour Lélie :
(M) […]
Mais j’avais médité tantôt un coup de maître
Dont tout présentement je veux voir les effets,
A la charge que si… (L) Non, je te le promets,
De ne me mêler plus de rien dire ou rien faire.
Et j'en arrive au fameux mot "comme".
L'épopée Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné est composée de sept livres, le premier s'intitule "Les Misères" et le mot "comme" est à la rime du deuxième vers, ni plus ni moins :
Puisqu'il faut s'attaquer aux légions de Rome,Aux monstres d'Italie, il faudra faire commeHannibal, qui, par feux d'aigre humeur arrozez,Se fendit un passage aux Alpes embrazez.[...]
Aubigné se fonde, même si son texte a été publié en 1616, sur une conscience d'un état de langue du troisième quart du seizième siècle. Le mot était perçu sans aucun doute comme plus autonome, plus proche étymologiquement du mot "comment". Mais, Hugo lisant cela peu avant 1827 le faisait avec une conscience grammaticale propre à son époque. La césure l'impressionnait.
Or, je viens de citer Hugo, parce que, comme je pense que les "Mais" à la césure dans Cromwell viennent de la lecture de Corneille, et de sa dernière tragédie Suréna en particulier, dans ses Odes et ballades, Hugo a pratiqué la césure sur la forme "comme si". Il s'agit d'un vers du poème "Mon enfance" :
Je rêvais, comme si j'avais, durant mes jours,[...]
La configuration "comme si" rassemble le "comme" d'Agrippa d'Aubigné et le "si" de L'Etourdi de Molière, et je pense que c'est un fait d'érudition exprès. En tout cas, ce "comme si" est déjà antérieur à tous les "comme un" devant la césure de vers de Baudelaire, et à tous ses "comme" devant la césure.
Or, c'est à Victor Hugo également que nous devons la césure sur le mot "comme", Aubigné le pratiquant à la rime pour sa part.
Il y a pas mal de "comme" dans Cromwell, et ils ne sont pas mis devant la césure pendant un certain nombre d'actes. Soudain, le mot "Comment" en tête d'interrogation est essayé dans un vers de Cromwell. et un peu plus loin nous avons enfin le premier "comme" à la césure :
Des récompenses, - comme il est probable enfin, -
La construction est particulièrement acrobatique comme la ponctuation vous en laisse juger.
Mais, ce mot "comme" à la césure, Hugo va le pratiquer dans d'autres de ses drames en vers et aussi dans ses recueils lyriques, ainsi que dans son recueil satirique Châtiments. Dans le deuxième acte de Ruy Blas, il est placé à la rime (légende DG pour Don Guritan, LR pour La Raine, C pour Casilda et RB pour Ruy Blas) :
(DG) Qu'a-t-il ? (LR) Comme il pâlit ! (C) Madame, ce jeune hommeSe trouve mal... (RB) Moi, non ! Mais c'est singulier commeLe soleil... le grand air... la longueur du chemin...
Au troisième acte, nous retrouvons la configuration "comme si" devant la césure :
Pour moi, j'ai, comme si notre armée était prête, [...]
Et enfin, Hugo l'exhibe dans un trimètre à léger décalage à l'acte V de toujours cette pièce, la deuxième plus réputée de l'auteur :
Comme un infâme ! comme un lâche ! comme un chien !
Je parle de décalage, puisque le deuxième et le troisième "comme" sont décalés d'une syllabe au plan de l'anaphore. Il s'agit tout de même d'un trimètre au plan rythmique 444. Le deuxième "comme" est placé devant la césure.
Pour illustrer sa présence dans les recueils de poésies, je cite ce vers du poème "Force des choses" des Châtiments :
Toi qui regardes, comme une mère se penche
Murphy et d'autres métriciens attribuent l'invention du "comme" à la césure à Baudelaire, alors que c'est une pratique héritée d'une rime d'Agrippa d'Aubigné qui a été mise au point et pratiqué plusieurs fois par Victor Hugo. On attribue le "comme un" aussi à Baudelaire, sauf que non seulement Victor Hugo a pratiqué le "comme si" tant dans sa poésie lyrique que dans ses drames, mais il se trouve qu'Hugo a été le premier à placer l'article indéfini "un" devant la césure, et la forme "Comme une" a été pratiquée par Musset à la rime.
Donc, Baudelaire citait Hugo et Musset quand il pratiquait les césures sur "comme" ou sur "comme un". Il y a donc un problème patent. Ce n'est pas acceptable de continuer à attribuer à Baudelaire des inventions qui ne sont pas le moins du monde de son fait.
Et j'en arrive aux cas des prépositions et déterminants d'une syllabe.
Dans le premier acte de Cromwell, nous relevons un vers partagé entre deux intervenants Plinlimmon et Barebone. Il s'agit du premier cas de césure sur une préposition d'une voyelle sans interruption de la parole par des points de suspension :
(P) Je t'approuve. (B) Il faut pour, ne rien à faire à demi,[...]
Une pause est possible avec la virgule, sauf qu'elle semble ici peu naturelle et que, de toute façon, les classiques se l'interdisaient. La feinte de versification est bien entendu liée à la mention "à demi" qui renvoie aux hémistiches de l'alexandrin par calembour.
Il va de soi que dans cette pièce d'une longueur écrasante peu de gens doivent prendre le temps à la lecture d'apprécier cette facétie métrique. Remarquez qu'un peu plus loin Hugo pratique comme Racine dans Athalie une interruption sur la préposition "pour" avec des points de suspension, sauf qu'il va mettre la préposition correctement après la césure cette fois. Je suis en train de vous prouver que les césures de Victor Hugo viennent d'un recensement d'érudit qu'il a pris le temps de faire en relisant toutes les tragédies et comédies classiques de Molière, Corneille et Racine, en plus d'avoir prêté attention au deuxième vers des Tragiques d'Aubigné. Voilà à côté de quoi sont passés Cornulier, Gouvard, mais aussi Bobillot, Dominicy, tous les métriciens et historiens du vers, tous les spécialistes de Victor Hugo, etc.
On dit qu'il tient conseil pour...
Nous avons des césures sur prépositions d'une syllabe ou sur des déterminants d'une syllabe dans plusieurs drames hugoliens (j'ai cité le vers 777 de Cromwell, mais il y a aussi le vers 5798 "trop oublié" ai-je écrit dans un article de 2006, il faudra que je le retrouve moi-même. Vous en avez deux dans Marion de Lorme : les vers 546 et 1124, et vous en avez deux dans Ruy Blas les vers 1838 et 2233.
Cela fait un total de six vers sur trois pièces. Vous avez à y ajouter le "sans me reposer" du poème "Le Mariage de Roland" en 1859, mais ce dernier exemple est postérieur à de premiers exemples baudelairiens. Il n'en reste pas moins que Baudelaire connaissait très bien les drames en vers de Victor Hugo et d'Alfred de Musset, il relativise dans un article l'échec des Burgraves en 1843.
La pratique attribuée à Baudelaire vient de Victor Hugo. Elle n'a été que fort ponctuellement exploitée par d'autres poètes, notamment Musset. Ils n'ont pas persévéré.
Je cite tout de même la césure sur "c'est un" dans "Marion de Lorme" qui a l'intérêt de prouver que Baudelaire cite Hugo en faisant la césure après la forme "comme un", tout en citant Musset qui nous a fait l'entrevers : "Comme une / Aile de papillon", la rime sur "une" de Musset étant une citation de la césure sur "un" de Marion de Lorme. Baudelaire cite plus directement Hugo encore quand il reprend carrément la phrase "c'est un secret" à cheval sur la césure dans un sonnet des Fleurs du Mal.
C'est bien joli la rigueur scientifique qui ne se veut pas intuitive dans les études métriques, mais le vrai scientifique il fait aussi de l'histoire littéraire. Et on n'interdit pas arbitrairement les connexions entre vers de théâtre et vers de recueils de poésies.
Il y a un moment où il faut être sérieux dans son travail.
Cela fait vingt ans que je dénonce ce problème d'attribution abusive à Baudelaire des césures acrobatiques. C'est lassant à la longue ! Non ?
Et cela empêche aussi de comprendre que les césures, y compris de Vertaine et de Rimbaud, sont souvent affaire de citations de césures antérieures, les cas de "jusqu'à", etc.
Enfin, vu que Racine et Molière pratiquaient les césures interdites moyennant le recours à la suspension de la parole, ce qui concerne la comédie Les Plaideurs bien analysée par Cornulier, il se trouve que la césure au milieu d'un mot a été pratiquée dans un texte publiée en 1661, la comédie de Dorimond L'Ecole des cocus ou la précaution inutile. Je vous conseille d'aller consulter directement le texte imprimé en fac-similé sur le site Gallica de la BNF. Faites défiler les pages parce que ça permet aussi de se représenter que la mise en page a pu être flegmatique. On sait que Rotrou ne relisait pas les copies de ses pièces envoyées à l'impression, ce qui nous vaut quelques problèmes d'édition de ses pièces. On peut supposer que dans le cas de l'enjambement de mot, le mot pédant "dispotaire" était accentué sur sa première syllabe. En tout cas, c'est sans aucun artifice de présentation que le mot "dispotaire" chevauche la césure dans le texte imprimé, et Gouvard a lui-même exhibé ce document dans son livre Critique du vers. Je cite l'extrait qui nous intéresse (Acte unique, scène 4, vers 141-142) :
Le Docteur
Il faut donc que je jette un œil de Galien,
Pour cela, dans son dispotaire féminin.
Il s'agit d'aller jeter un œil dans un double pot... Nul doute que la césure est voulue comme expressive. Il n'y avait pas besoin d'une humanité plus moderne pour inventer les effets de sens à la césure.
Hugo aurait connu ce vers qu'il ne se serait pas retenu de pratiquer à son tour les enjambements de mots expressifs.
Je reviendrai sur ce sujet, mais avant Banville et son "pensivement", avant madame de Blanchecotte, Pétrus Borel l'a pratiqué dans son recueil Rhapsodies : "Adrien que je redise encore une fois". la césure passe au milieu de "redise". Hugo a pratiqué la césure sur trait d'union. Quand, dans "Réponse à un acte d'accusation", il est question de date dans la tragédie de Racine Mithridate, Hugo fait allusion au tout premier vers de son drame Cromwell : "Demain, vingt-cinq juin mil six-cent-cinquante-sept", et la césure après "mil" n'y est pas de peu d'effet comique.
Je citerai prochainement les césures de Victor Hugo dont j'ai indiqué ici les références. Je prévois aussi un article où je vais revenir sur la partie "Pensées" du livre de Sainte-Beuve : Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Le nom "Delorme" vaut allusion au drame Marion de Lorme, mais comme Lamartine n'a guère surenchéri du côté de la versification enjambante à la Chénier, et que cela n'a pas l'air de vraiment concerner Nodier, les frères Deschamps et à plus forte raison les Delavigne et consorts, voire les chansonniers Béranger, on se retrouve avec des "pensées" qui décrivent la versification d'une masse de poèmes assez faible finalement : deux drames hugoliens Cromwell et Marion de Lorme, un recueil hugolien des Orientales, les poésies de Vigny publiées dans la décennie 1820, les premières poésies et premières comédies en vers de Musset. J'ai envie d'étudier à l'épreuve de ce corpus restreint le propos de Sainte-Beuve sur l'alexandrin romantique comme tout d'une coulée, j'inclurai tout de même les vers de Chénier lui-même.
Ici, je devrais m'amuser à mettre une longue liste de noms de spécialistes reconnus de Victor Hugo anciens ou toujours actifs, une longue liste de spécialistes reconnus de l'histoire de la versification en langue français anciens ou toujours actifs, une liste des spécialistes de Vigny ou des poètes à la versification révolutionnaire comme Mallarmé, Verlaine, Rimbaud, voire Banville, Leconte de Lisle et Baudelaire.
Comment ça se fait que les faits objectifs que je relève et qui appartiennent à une simple lecture un peu passionnée des vers du dix-neuvième siècle ne soient rapportés par personne d'autre ?
Il faut m'expliquer.
Et j'allais oublier le vers de Ratisbonne à la fin de sa traduction en vers de La Divine Comédie de Dante.
Tel étais-je devant l'étrange phénomène.Je voulais voir comment notre effigie humaineS'adapte au cercle et comme elle y peut pénétrer.
Nous avons sur un seul verset deux césures successives qui réunissent les mots "comment" et "comme", le mot "comme" étant clairement ici synonyme de "comment". En 1852, nous ne sommes pas dans un cadre favorable à l'influence baudelairienne sur Louis Ratisbonne... Seul Hugo a pu influencer ce trait métrique de la part de Ratisbonne.
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