Il est trois heures et quarante minutes du matin, je n'arrive pas à dormir. Alors, je vais écrire et creuser plus avant dans ma quête de savoir à travers les poèmes de Rimbaud.
Le monde s'endort tranquille dans des heures sombres bien plus au bord du précipice qu'en 1961. Certains analystes prétendent refroidir le danger, ils analysent finement les opérations militaires, mais ils sont acquis à l'idée que rien ne va déraper. Ils se ridiculiseraient après tout s'il ne se passait rien après une alerte maximale, tandis que s'il se passe quelque chose ils ne seront plus là pour en parler. Le pensent-ils vraiment ? Ils s'accrochent à deux thèses : première thèse, le président alzheimérien n'a pas donné officiellement son accord pour tirer sur la Russie dans la profondeur, ce qui est de toute façon contrebalancé par un aveu officiel a posteriori ; deuxième thèse, ils opposent la CIA au Pentagone, sauf que les militaires qui utilisent les missiles longue portée sont bien sous les ordres du Pentagone. Puis, porte-parole du Pentagone, Thomas Buchanan tient bien en public des propos hallucinants sur la prétention des Etats-Unis à l'emporter contre la Russie dans un conflit nucléaire. C'est complètement immature. La Russie fait dix-sept millions de kilomètres carrés et le pays a déjà des bunkers pour minimiser les coûts humains, alors qu'une seule bombe russe fera s'effondrer l'économie américaine et ruinera à jamais écologiquement et humainement l'une ou l'autre des deux façades océaniques de l'Amérique. La morgue des américains est complètement insensée. Quand l'Inde et le Pakistan se menaçaient l'un l'autre d'une guerre nucléaire, les Etats-Unis et la Russie étaient les adultes qui raisonnaient les enfants. En 1961, Kennedy a réussi à sortir de l'impasse de l'escalade dans la fierté à ne pas plier en proposant un échange gagnant-gagnant avec le retrait des implantations américaines du côté de la Turquie et donc des missiles russes du côté de Cuba. Aujourd'hui, nous revivons une telle crise, mais avec des idiots au pouvoir du côté occidental. Il n'y a pas que le risque de dérapage immédiat. On peut toujours se dire que chaque pas n'est pas encore celui du non-retour, nous sommes en train de structurer de nouveaux rapports de force et de nouvelles tensions à surveiller qui seront là dans dix ans quand les dirigeants auront encore changé. Nous n'aurons pas tout le temps un président à la tête froide aux commandes de la Russie, et le peuple russe n'est pas à l'abri de passer comme les américains dans une sorte de confiance enthousiaste abusive. L'Ukraine est gouverné en sous-main par les Etats-Unis, mais directement par un comédien au sens propre qui ne maîtrise rien à ce qu'il fait dans le jeu politique, il fait tirer autour d'une centrale nucléaire dans la zone au sud de l'Ukraine reprise par les russes (puisque ce sont des terres historiques russes et pas du tout ukrainiennes) et et il a voulu s'essayer à la centrale nucléaire proche de Koursk. La France a un président qui est un roi, mais le roi des bouffons, agent débilitant mis en place encore une fois au profit des américains pour détruire le pays des gouvernés.
Le tir 'oreshnik" ne fut pas du tout un tir de missile intercontinental et il ne s'agit donc pas d'une arme de guerre ultime. Contrairement à ce qui se dit, elle ne peut pas sans charge nucléaire avoir l'effet d'une bombe nucléaire, c'est mentir que de dire cela. En revanche, elle a deux effets très significatifs. La frappe sur Dnipropetrovsk n'avait pas de charge explosive et donc elle a eu par sa vitesse un effet de pénétration dans le sol, dans les bunkers, meilleur que s'il y avait eu une charge explosive. C'est ce qu'on n'ira pas clamer dans les journaux. Le deuxième point, c'est que cette arme en étant non pas un missile intercontinental, mais un missile balistique intermédiaire rappelle la crise des missiles des années 1990. En clair, les russes montrent une arme qui n'atteint pas les Etats-Unis, sauf à la poser à la limite extrême-orientale de l'Asie, mais qui atteint les pays européens de l'Otan. C'est une arme qui fait savoir que la défense de l'Otan est découplée désormais. La mise en danger de l'Europe ne concernera pas directement les Etats-Unis. Par ailleurs, dans son discours, Poutine parle d'avertir les populations civiles et les pays amis si une frappe est opérée en Ukraine, mais beaucoup de commentateurs confondent avec la phrase précédente sur le fait que la Russie se réserve le droit de frapper les installations militaires de pays qui fournissent de quoi tirer dans la profondeur en Russie. Ils disent que si la Russie tire sur un pays de l'Otan elle préviendra pour permettre l'évacuation des civils, alors que j'ai compris deux discours distincts : 1) on se réserve le droit de tirer sur les installations militaires de ceux qui arment l'Ukraine contre la Russie, 2) si on utilise le missile Oreshnik en Ukraine à nouveau on préviendra pour permettre une évacuation des civils. Les dirigeants français, allemand et anglais sont complètement irresponsables. Ils mettent en danger leurs populations respectives en remettant sur le tapis l'envoi des troupes et l'autorisation de tirer dans la profondeur. Il y a une autre dimension inquiétante. Au mois d'août, les ukrainiens ont attaqué les régions boisées et peu peuplées dans la région dite de Koursk. Ils étaient censés prendre en quelques jours une centrale nucléaire pas loin de la ville de Koursk, mais ils ont échoué au bout de cinq jours. L'opération était devenue complètement absurde, et pourtant ils se sont accrochés. Ils envoient depuis le mois d'août quantité de troupes sur ce territoire envahi mais sans intérêt militaire et impossible à tenir à long terme. On nous vend un objectif secondaire qui serait que ce sera un moyen d'échange lors des négociations, ce qui est complètement débile comme point de vue, mais c'est un fait qu'au lieu d'assurer la défense sur le front est au niveau du Donbass le commandement militaire ukrainien sacrifie massivement ses troupes, et parmi les meilleurs, à tenir quelques centaines de kilomètres carrés de régions boisées peu densément peuplées. Les tirs de missiles dans la profondeur sont peu efficaces apparemment, ils vont devoir en utiliser beaucoup pour peu de résultats, dirait-on, mais en réalité ils se concentrent sur les systèmes de défense antiaérienne des russes, ce qui pourrait favoriser la création d'un couloir pour reprendre l'offensive, et cela laisse penser que finalement ils n'ont pas renoncé à viser la centrale nucléaire à proximité de Koursk. Cette simple menace potentielle liée aux faits de guerre permet de comprendre que la situation est réellement préoccupante. La guerre se joue pour partie au plan des combats, mais elle se joue aussi quelque peu au plan nucléaire, et le plan nucléaire est le seul où les américains peuvent espérer reprendre la main... Cette obstination joueuse des "élites" américaines, visible au quotidien, est très inquiétante. Il faut aussi évaluer ce qu'ils ont à perdre, puisque si la guerre se termine rapidement il va être difficile de faire taire les reproches : tout ça pour ça, et pour soutenir un pays où plane plus qu'on ne veut bien le dire l'idéologie nauséabonde qui a marqué le vingtième siècle. Il y a beaucoup d'argent, de postes de pouvoir, de moyens de pression à perdre dans cette affaire. Il ne faut bien sûr pas se leurrer sur la passation de pouvoir. Trump est une des élites vulgaires de l'Amérique qui se contrefiche, tout comme les Clinton et compagnie qu'il y ait de belles créations industrielles dans le monde grâce à des peuples passionnés, qui se moque du degré de finesse dans l'art, qui se moque de tout et même de ce qui les porte. La femme de Trump est un trophée fourni par Epstein, après tout. Tout de même, on se libère de l'étau strict des mondialistes, il faut prendre le maximum de changement dans l'affaire et que cela soit le plus possible irréversible. Mais il est encore des américains pour croire qu'ils vont découpler la Russie et la Chine. Non, la Chine a besoin que la Russie tienne, elle ne peut pas imaginer les américains investir la Sibérie et la détruire, et les russes ont besoin de la Chine comme partenaire et soutien. L'alliance va au-delà avec le grand mouvement des Brics. Puis, je n'arrive pas à comprendre comment au nom d'une vision de l'occident on se réjouisse d'une guerre qui fait bientôt un million de morts, d'autant que la natalité est inexistante en occident ou peu s'en faut. C'est d'une horreur glaçante qui me dépasse. La destruction de Nordstream est admise sans broncher avec toutes les conséquences catastrophiques que cela peut avoir pour l'Allemagne et du coup tous ceux qui sont bons pour l'hôpital quand elle s'enrhume. Je ne comprends pas très bien pourquoi mes concitoyens se réjouissent avec les milliardaires américains issus de systèmes corrompus, de mafias. Je ne comprends pas. Je ne comprends d'ailleurs même pas les milliardaires américains qui se réjouissent dans leur haine de la Russie, j'ai beaucoup de mal à comprendre que tous les milliardaires se sentent gagnants à long terme dans des spéculations à court terme sur les dépenses militaires engendrés par la guerre. Il y a un pactole immédiat qui les réjouit, mais c'est quand même assez irrationnel si on veut considérer les choses à long terme.
Les populations ont l'air de vivre très bien ces instants. Je vois ça autour de moi. Il y a bien le sentiment d'une crise sociétale et économique d'ampleur qui se prépare, mais ils doivent croire que tout se résout avec un peu de bonne volonté des gouvernants en matière de politique intérieure. Je ne comprends pas le "zombisme" ambiant. C'est un suicide collectif comme il n'y en aura sans doute plus de cette ampleur dans l'histoire de l'humanité, et je ne parle pas du nucléaire, je parle de la fin du règne de l'occident sur le monde. Ils jouissent comme jamais encore en ce moment même, mais ils sont en train de tout perdre, cela se passe sans qu'ils n'en aient nettement conscience.
La chanson est magnifique, apaisante, avec même une pointe triste mélancolique de dépit sur la marche du monde, mais moi je veux au contraire connaître beaucoup de ce que l'Histoire a à m'apprendre pour nous sauver, et bien voir la réalité mondiale en face, sans rester à hauteur de nombril.
Enfin, parlons de Rimbaud.
Je parle en ce moment des sources aux poèmes de Rimbaud. Rimbaud a-t-il pris à Banville ou bien à Murger ou bien à Hugo ou bien à Coppée, ou bien un petit peu à tous ces poètes convoqués ?
Il est évident qu'il existe aussi une question de l'originalité propre à Rimbaud. Son poème "Ophélie" n'est pas une resucée du poème de Murger et il est évident que la recherche des sources est diffuse du côté de Banville et doit être approfondie au-delà des mentions à la rime du nom "Ophélie", mention à la rime qui renvoie à Hugo et à un poème des Orientales. J'ai toujours trouvé invraisemblable le propos du professeur Izambard qui disait que le sujet "Ophélie" avait été proposé en classe de latin. J'ai lu le recueil Les Nuits d'hiver de Murger, et je suis tombé par hasard sur le poème intitulé "Ophélie", et là j'ai compris beaucoup de choses. J'ai lu ensuite l'article de Chevrier sur Murger et Rimbaud, en me disant qu'il avait dû en parler du poème "Ophélie", mais non il n'y en a aucune mention, ce qui m'a surpris. Et je n'ai découvert qu'après encore l'article de Robic qui citait le poème de Murger, sauf que cela n'est pas passé ensuite dans les articles rimbaldiens eux-mêmes.
Je pense que l'étude des sources est capitale au-delà de la vérité de La Palice que cela suppose en surface. On peut étudier le brio personnel de Rimbaud à composer "Ophélie", mais si on n'a pas toutes les clefs en main apprécie-t-on avec justesse la finesse de l'exécution ? Et puis, dans ses premiers poèmes, Rimbaud témoigne de ce qu'il a accumulé sur plusieurs années, de ce qui l'a décidé à devenir poète, et il témoigne d'une innutrition littéraire et des premières directions qu'il impose à toute cette matière. Et pour retrouver la voix même de Rimbaud, il faut savoir distinguer pas mal de plans. Il y a les sources, le contexte d'époque, il y a la rhétorique qui est plutôt objectivable, il y a les indices de la personnalité propre à Rimbaud, et il faut aussi savoir faire la part de ce qui vient de notre voix de lecteur.
Tout à l'heure, j'ai écouté le début d'une lecture à haute voix du roman L'Etranger par son auteur Albert Camus lui-même.
Sa manière de lire m'a surpris. Malgré le dépouillement et le style dit télégraphique, j'ai une lecture nettement plus lyrique, nettement plus raffinée et rythmée des phrases de ce court roman. Camus n'est sans doute pas le meilleur lecteur pour une prestation orale, même s'il lit assez correctement, mais il effectue aussi des choix qui me surprennent.
Il élève la voix pour la première phrase prononcée très solennellement : "Aujourd'hui, maman est morte", pour ensuite tomber dans une oscillation désinvolte un peu bafouillée : "Ou peut-être hier, je ne sais pas." J'ai trouvé ça maladroit pour exprimer le contraste des deux phrases car c'était justement une oralisation complètement chargée au plan rhétorique. La lecture des phrases télégraphiques est accentuée en terme de détachement comme si c'était un tiers qui lisait ces mots pour l'intéressé, mais un tiers de l'administration indifférent à tout esprit d'humanité. Les phrases du roman ne m'obligeaient pas à lire en y mettant cette intention-là précisément. Le "Cela ne veut rien dire" est prononcé avec une affectation de mépris comme quand on fait le reproche à quelqu'un. On n'a pas l'interrogation de soi à soi, et on découvre alors une lecture orale où Camus fait ce qu'il peut pour mettre de nouveaux éléments rhétoriques qu'il n'a pas su faire jaillir sous sa plume. Le détachement est très net, quand Camus tombe dans le travers de finir certaines phrases en accentuant lourdement la dernière syllabe, en allongeant une voyelle à la Giscard d'Estaing épinglé par Thierry le Luron : "je rentrerai demain swââr". J'ai trouvé ça assez décevant. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron (à mon patron est ronflant). Il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille (là encore une lecture accentuée traînante "excuse pareille" avec des syllabes presque mangées). La lecture est particulièrement typée et d'époque, une lecture très sociologique qui ne transparaît pas dans la composition des phrases que, moi, personnellement, je lis autrement.
J'en reviens dès lors aux premiers poèmes de Rimbaud.
Le poème "Les Etrennes des orphelins" n'est pas supposé être compliqué, et la mort de la mère n'est en aucun cas une surprise ménagée au lecteur. Le poème plaint deux orphelins qui n'étaient pas dans la situation sociale la plus pauvre. Rimbaud tourne-t-il en dérision le misérabilisme à la Hugo dans ce poème ? Qu'est-ce qui permet de le dire ? Je ne trouve pas ça convaincant. Le dernier vers est perçu comme grinçant. Les étrennes du titre sont à comprendre comme un cadeau fait le premier jour de l'an, et cela suppose l'idée d'un cycle de vie qui repart. On suppose que le poème se termine sur une note sarcastique : les enfants confondent les objets funéraires avec des étrennes qui leur seraient réservés. Pourtant, ce n'est pas ça que dit explicitement le poème, puisque la mention "A notre mère" nous dit au contraire que les étrennes sont offertes à leur mère par les enfants. Et moi à cinq ans, j'avais une idée très claire de la mort. C'est une époque de prise de conscience métaphysique dont je me souviens très bien. J'identifie dans le récit une évolution comparable au contre d'Andersen de la jeune fille aux allumettes, traduit en français depuis au moins 1848, récit qui se déroule un premier de l'an, et la vision du paradis avec la mère ange des berceaux qui les visite dans leur sommeil c'est comparable à la vision de la grand-mère avec la dernière allumette dans le conte d'Andersen, et jusqu'à plus ample informé le récit d'Andersen est ambivalent, puisque si la fille meure en rêvant à sa grand-mère il y a une magie apaisante des derniers instants. Dans le cas du poème de Rimbaud, on veut croire que le rêve n'est rien et que le dernier vers est grinçant. Je ne suis pas convaincu, ce n'est pas l'impression qui se dégage d'une prestation expressément lyrique.
Il faut dès lors travailler sur les origines scolaires de la composition avec le poème de Jean Reboul, avec le premier essai en latin "Jamque novus" pour cerner les intentions précises de Rimbaud. J'ai l'impression que la critique rimbaldienne est réticente à envisager que le poète se laisse porter par l'imaginaire libérateur de la fantaisie créatrice. Rimbaud n'a que des choses importantes à dire comme si la poésie était un essai philosophique délivrant une pensée éprouvée avec un raisonnement aux assises scientifiques.
Comment Rimbaud lirait-il les deux quatrains de "Sensation" ? Ce n'est pas Yann Frémy qui a inventé la lecture faisant l'hypothèse du manque dans la comparaison finale : "comme avec une femme". Toutefois, cette lecture vient d'un détachement par rapport au texte, on médite sur "heureux comme avec une femme" en soi et pour soi, au lieu de considérer qu'il s'agit d'un élément articulé d'un ensemble. Le poète sera heureux à voyager par la Nature comme on peut l'être au plan érotique en compagnie d'une femme. La lecture du manque n'est pas ici défendable, même si elle est cultivée par certains lecteurs qui ne se laisseront pas récuser leurs émotions personnelles à la lecture du poème.
Je remarque aussi un point de lecture particulier. Je me demande comment vous lisez "Picoté par les blés". Il y a une accumulation et je me demande combien de lecteurs arrivent à ne pas lire "Picoter" rythmiquement comme un infinitif, mais rythmiquement comme un participe passé. On me dira que personne ne pense à un infinitif en lisant "Picoter", puisque la phrase n'aurait pas de sens. Pourtant, j'ai l'impression quand je lis le poème que je dois éviter le piège d'une lecture rythmique absurde au plan du sens. Je ressens une différence de lecture selon que je lis tous les "é" du poème d'une même façon contagieuse ou selon que je module astucieusement la relation du premier hémistiche "Picoté par les blés" au second : "fouler l'herbe menue". Comment lisez-vous ? "Je ne parlerai pas, je ne penserai rien..." avec un relief lyrique ou au contraire avec le moins possible d'enthousiasme manifesté. Ce vers 5 est sans doute celui qui explique le rapprochement mécanique qui peut être fait avec "Demain dès l'aube...", pièce des Contemplations, à cause du croisement entre les futurs de l'indicatif et le repli intérieur sans parole, ni pensée intrusive. Le vers 6 : "Mais un amour immense entrera dans mon âme" a tout un prolongement dans "Credo in unam" : "Son double sein versait dans les immensités", "C'est qu'il n'a plus l'Amour", "émergeant dans l'immense clarté", "L'amour infini dans un infini sourire", "immense lyre", "immense baiser"... "Le monde a soif d'amour !" On comprend mieux pourquoi le poète se dit "heureux comme avec une femme !" La Nature qui le caresse, c'est aussi Vénus qui vient apaiser sa soif !
L'image du bonheur comparé à la compagnie d'une femme a aussi son répondant dans "Credo in unam" avec une image maternelle cette fois :
L'Homme suçait, heureux, sa Mamelle bénie,Comme un petit enfant jouant sur ses genoux !
Procéder à de tels rapprochements au plan de poèmes réunis dans une même lettre, c'est faire un sort à la thèse de lecture privilégiant le sentiment du manque au dernier vers de "Sensation", non ?
Je prévois de citer prochainement toutes les mentions du mot "Anadyomène", notamment à la rime, dans l'édition de 1864 des Cariatides de Banville, ainsi que bien d'autres éléments. Je vais citer toutes les rimes avec "corolles", "saules", "épaules", "roseaux" et "eaux". Je citerai des vers dont le rapprochement ne s'impose peut-être pas de prime abord : "Par la cruelle soif de l'amante idéale" avec un peu plus bas la formule "d'un oeil terrible et doux" que Rimbaud adapte en "front terrible et doux" à cheval sur la césure dans "Credo in unam". Et un tel rapprochement ne fait pas du poème de Rimbaud un simple centon, car ce rapprochement ne s'impose pas si naturellement à l'esprit et il permet de méditer les écarts de la transposition rimbaldienne.
Je vais citer plein de vers des Cariatides de Banville et évaluer ce qu'ils peuvent nous faire entendre sur la genèse particulière aux vers de "Credo in unam". Et si Banville mentionne un "cabaret" dans ses vers, l'information n'est pas perdue non plus pour moi qui la relève scrupuleusement.
Benoît de Cornulier a commenté l'irrégularité dans la distribution des rimes pour "Credo in unam". Le poème est tout en rimes plates, sauf à un moment donné où nous avons deux rimes croisées sur quatre vers : "bleus", "s'étoile", "mystérieux", "voile". Rimbaud semble avoir joué avec la réalité matérielle des manuscrits envoyés à Banville, puisque l'anomalie joue sur la mise en relief éventuelle du haut d'un feuillet manuscrit. L'irrégularité joue aussi sur l'équivoque sexuelle : "Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile[.]" Mais un autre trait frappant nous transporte vers "Ophélie". La rime "étoiles"/"voiles" est la première du poème "Ophélie", vers 1 et 3 du premier quatrain à rimes croisées. Et cette rime est reprise par le bouclage du dernier quatrain qui répète en partie le premier, notamment au plan des rimes. Notons que "bleu" au singulier est aussi un mot à la rime dans "Ophélie", mais il est couplé à "feu", tandis qu'en fait de "ciel mystérieux" nous avons le vers "Un chant mystérieux tombe des astres d'or" où la mention "chant mystérieux" me semble reprise à un passage des Cariatides, ce que je ne peux encore confirmer à cause de mon écriture en pattes de mouche sur mon carnet de relevés systématiques auxquels j'ai procédé il y a deux jours.
Le poème "Ophélie" est indéniablement lyrique au plan de la voix rimbaldienne. J'identifie la mention "romance" dans un quatrain aux répétitions chansonnières : "Voici plus de mille ans..." vers 5 et 7. J'identifie un travail très délicat sur les sonorités, j'identifie plusieurs jeux musicaux sur les répétitions. Dans "Credo in unam", je relève d'autres répétitions qui sont de véritables injonctions que le poète s'applique à lui-même : "Je crois en Toi ! Je crois en Toi !" Il y a des reprises qui témoignent d'une volonté de s'imposer une foi à soi-même : "Et tout vit ! et tout monte !" ou "Ô Vénus ! ô Déesse !" Il y a donc bien une aspiration lyrique sincère de la part de Rimbaud dans ses vers. Je n'identifie pas une élaboration factice.
J'ai encore bien d'autres idées. Par exemple, au début de "Credo in unam", Rimbaud pratique un effet de débordement de la césure :
Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons,
puisque l'adjectif monosyllabique "gros" calé à la césure est suivi, si on perçoit le calembour recherché, par l'explosion en second hémistiche des mots "sève" et "rayons" supposés jaillir du corps enceint comme un œuf. Le procédé est d'origine hugolienne, mais j'identifie là un écho d'un vers à effet métrique similaire à la fin du poème "La Voie lactée", quand précisément Banville rend hommage au poète Victor Hugo :
Cerveau lumineux, cœur où déborde l'amour[.]
Vu ce que j'ai cité plus haut, le rapprochement doit désormais vous paraître évident, non ?
Et j'en ai encore plein des vers à citer, rapprocher, commenter...
Je fais d'autres recherches en parallèle. Par exemple, pour le ventre "brodé de mousse noire" et pour certains éléments je me demande si Rimbaud ne s'inspire pas carrément et déjà ! du recueil Amours et priapées d'Henri Cantel, bien avant la composition du "Sonnet du Trou du Cul". Je dois vérifier cela en pensant aussi à des contre-épreuves. C'est un travail de longue haleine.
Comme j'ai identifié avec raison que Rimbaud lisait Les Cariatides dans l'édition de 1864, j'ai aussi une réflexion qui me taraude en me faisant rapprocher le poème liminaire "Envoi" du poème en prose "Veillées II", sachant que le mot "frises" est lui à la rime dans le poème suivant au nom du recueil "Les Cariatides".
Une vraie connaissance de l'innutrition littéraire initiale de Rimbaud et par conséquent de ses préoccupation poétiques premières se met en place comme jamais. Je souhaite conduire cela à bien assez rapidement, parce que je voudrais aussi consacrer quelques années de ma vie à identifier les sources de poèmes en prose des Illuminations en me confrontant à cette moindre référence préférentielle à la poésie en vers toute balisée. Et j'aimerais produire une réflexion d'ampleur sur les mérites, les singularités et parfois même les insuffisances de la prose rimbaldienne. Je pense être le seul capable de le faire. En tout cas, j'ai des idées que je ne vois fleurir nulle part, même sous forme d'ébauche encore un peu vague.
Je ne produis plus depuis longtemps ces analyses de tous les détails d'un poème, les rimbaldiens n'étant clairement pas désireux de m'accorder des points en la matière. Je travaille sur ces objectivations minutieuses et à la fin c'est évidemment encore plus humiliant et frustrant pour les rimbaldiens confrontés à mon insolente abondance de trouvailles. Mais, moi, je m'en fous, ma vie peut s'arrêter demain. Qu'est-ce que ça change ? Je n'ai pas de projet pour être à l'affiche en société. Je pouvais en avoir, mais je ne le serai pas. Je suis content de mes performances, et puis voilà.
Pourquoi rapprocher le "Par les beaux soirs d'été" de "Par un bois soir d'été", quand les deux poèmes n'ont rien à voir et que la source de l'emprunt est identifiée chez Coppée ?
RépondreSupprimerMais, "Par un beau soir d'été", c'est ce César qui se trouva seul qui regardant les enfants de son âge "ne se dit rien" sauf qu'il aspire à "sa liberté sauvage", à "Sa course vagabonde aux sables du rivage" et aux "enivrements" du cœur "soucieux". Il va rencontrer Sténio la Lyre et lui dire "ses désillusions," "Ses premiers jours de foi", et comme Rimbaud dans sa lettre à Banville "Ses espoirs". Les sources que je fais remonter, c'est un fleuve souterrain qui relie Rimbaud à Banville...
Prenez le premier poème en sizains de la série "Ceux qui meurent et ceux qui combattent", vous avez une source sensible au poème "Bénédiction" qui ouvre Les Fleurs du Mal : "Puisque la seule enfant qui pouvait sur la terre ...", mais aussi une source au poème "Roman" :"On sent que...", "Lorsque vint à passer une fort belle femme", "Ses pieds savaient conter toute son origine", "Ces histoires d'amour font un énorme bruit", "Il sortit sans courroux, fit une bonne lieue, / Rentra, puis, allumant sa cigarette bleue,... se dit... Et là commence la source de Baudelaire.