Edité le premier décembre, ajout sous les astérisques plus bas !
Avant l'an 2000, je lisais énormément de recueils de poésies. Je pratiquais des sondages dans les librairies, je lisais les recueils accessibles dans les bibliothèques universitaires. J'achetais aussi des livres, mais à plusieurs reprises j'ai dû m'en défaire étant donné les aléas de l'existence. Le volume de Léon-Paul Fargue Epaisseurs suivi de Vulturne dans la collection Poésie Gallimard m'avait marqué. Je sentais qu'une certaine magie verbale opérait, que cela pouvait coller jusqu'à un certain point avec une forme d'héritage rimbaldien dans le phrasé. Je n'ai pas acheté ce recueil, il s'agit donc d'observations précoces de ma part, entre 1996 et 1998 peut-être. Ce poète n'est pas très connu, il en est bien d'autres qu'on cite avant lui comme références pour la littérature du vingtième siècle. Or, je me suis enfin acheté ce volume pour deux euros et c'est l'occasion d'en parler et d'éprouver mes intuitions.
Je ne lis pas le recueil tout d'une traite. Il y a des recueils que je dévore, d'autres où je suis plus patient. Je prends le temps de les lire. Pour l'instant, j'ai lu le début du recueil Epaisseurs avec le poème liminaire en vers de sept syllabes "Gammes", puis les poésies en prose "La Drogue", "Colère", et je me suis arrêté à la quatrième page de "Mirages".
Pourquoi rendre compte d'une lecture inachevée ? Mais parce que je ne veux pas que mes pensées s'échappent, et mieux parce que je n'ai pas envie de suspendre les réflexions. C'est ainsi que je dois agir si je veux les mener à maturité et ne rien délaisser.
Voici donc mes premières nouvelles impressions. Pour l'instant, je n'ai pas encore retrouvé la vivacité à la lecture que mes souvenirs font entendre. J'imagine que cela peut venir plutôt du second recueil Vulturne ou bien il va y avoir un moment où le récit s'emballe dans "Mirages", mais j'ai deux confirmations. Premièrement, Léon-Paul Fargue sait écrire et il offre le relief d'une écriture dans la continuité de la prose rimbaldienne. Rimbaud est né en 1854, Léon-Paul Fargue en 1876, ce qui fait une génération d'écart. Rimbaud et Fargue partagent du côté de l'écriture en prose une manière d'expression moins lyrique et plus fortement encadrée par une sorte d'élégance qui caractérisait aussi Théophile Gautier et qui a l'air aussi d'une langue élégante favorisée par un enseignement scolaire propre au dix-neuvième siècle. Deuxièmement, Fargue a une maîtrise réelle et spontanée du vocabulaire, ce qui fait que facilement l'intérêt de sa lecture est rehaussé, on se sent en confiance. Enfin, il y a un troisième point qui se confirme, c'est l'influence directe de Rimbaud. Et, pourtant, malgré tous ces éléments favorables, Fargue ne va pas devenir un poète important du vingtième siècle et là c'est peut-être un aspect d'avenir de mon investigation actuelle, puisque je veux pouvoir expliquer ce fait.
Avant de parler des quelques poèmes que j'ai pu lire, je reviens sur la présentation générale de Léon-Paul Fargue. Il s'agit d'un enfant naturel qui n'a pas été reconnu par son père avant l'âge de seize ans, mais ce qui m'intéresse, c'est l'écart d'une génération avec Rimbaud 1854-1876 et l'importance de l'intelligence dans la lignée des Fargue. Colette, née en 1873, est elle aussi très intéressante à comparer avec Rimbaud, d'autant qu'avec la série des Claudine elle fournit des récits de son enfance rebelle et sauvage. Fargue n'a pas le même profil, mais il partage avec Rimbaud un rapport à l'intelligence. Arthur Rimbaud est très différent de son père et, malgré ses livres, ce père n'est sans doute pas le modèle le plus net d'intelligence, mais Rimbaud, différent de son frère aîné Frédéric, était un premier de la classe, du moins dans les matières littéraires, et au plan scientifique, Rimbaud est demeuré assez velléitaire, mais sa vie africaine témoigne assez qu'il aurait aimé accéder à plus de compétences de ce côté-là du monde de l'intelligence. Rimbaud n'a pas été mis sur les rails du monde scientifique et lui-même n'était pas capable de dépasser les premières difficultés. En revanche, il a été mis sur les rails dans le domaine littéraire et là il a su à un moment donné prendre les choses en mains. Léon-Paul Fargue est le fils naturel d'un ingénieur et le petit-fils d'un ingénieur plus réputé encore. Fargue a effectué de brillantes études, mais il a renoncé à être normalien pour pouvoir devenir poète. Il s'intéresse aussi à la peinture et au piano. On dit qu'il a pu suivre les cours de Mallarmé lors d'un passage à Condorcet, mais ce n'est pas très clair, puisque plus tard c'est Henri de Régnier qui l'a introduit ultérieurement aux "mardis" de Mallarmé. J'observe qu'un de ses premiers contacts littéraires n'est autre qu'Alfred Jarry, ce qui pour moi est une fausse note. Il va connaître des musiciens intéressants : Debussy, Satie, Ravel. Au plan littéraire, je suis un peu perplexe : Jarry, Larbaud, Valéry, Tristan Klingsor, etc. Rien de pertinent se dégage. Valéry est un brillant versificateur et a une aura intellectuelle, mais c'est un peu incohérent et ça sent le reportage pour amuser la galerie. Qui plus est, il publie assez peu avant la Première Guerre Mondiale, privilégie la critique d'art et les mondanités.
On mentionne ses publications comme autant d'événements anecdotiques, et la consécration des recueils Epaisseurs, Vulturne et Sous la lampe vient particulièrement tard. Ce sont des recueils de 1928, le poète a plus de trente ans de carrière littéraire derrière lui, et cette reconnaissance vient d'une action solidaire de ses pairs pour le mettre en avant.
J'en viens maintenant aux poèmes que j'ai lu. Le poème en vers de sept syllabes "Gammes" n'est pas mauvais. Il manque toutefois une musicalité ou du moins une capacité à accentuer les rythmes. Toutefois, il y a une maîtrise de la langue qui permet quand même de capter l'attention. Il sait jouer sur la subordonnée relative en "qui" avec un verbe d'une syllabe stable : "Hachures de chair qui dansent", il est à l'aise pour placer un adjectif plus recherché, mais pas évident en soi, qui va bien se marier au débit phrastique : "saut interrogateur", sinon "allure verticale", il sait compléter habilement un nom par un groupe prépositionnel ou une subordonnée relative : "Aux confins de la rumeur" ou "Dans les rues qui se démaillent", et cela s'enchaîne naturellement avec variété et sans devenir prévisible ou forcé. Pourtant, il a des amorces pédantes, surtout quand il veut inventer des mots et qu'il a la maladresse de les énumérer : "Fantômes de caracames, / De fatagins, de marmoses, / [...]". J'aurai du mal à l'expliquer, mais il arrive aussi à mieux gérer la reprise d'une syllabe en tête de deux mots rapproches : "Dans la bouche des boutiques". Je n'ai pas acheté le recueil en Poésie Gallimard de Paul Morand, sinon j'aurais pu vous donner des exemples maladroits et forcés. Fargue est plus subtil et plus souple. Desnos aussi dans Corps et biens fournit des exemples maladroits et forcés, mais forcés par principe qui plus est.
La chute du poème "Gammes" est pleinement réussie : "C'est le nom d'un souvenir / Que mon rêve regardait."
Mais, on passe ensuite à des poèmes en prose. Or, Fargue ne fait pas ici dans le poème en prose concis, il se lance dans des récits en prose de plusieurs pages, et là mon idée c'est que au plan tactique en littérature, mais la tactique pour réussir une œuvre autant que pour plaire au public, il aurait mieux fait de s'en tenir à des poèmes pas trop longs. Il n'a pas le souffle lyrique, il ne met pas assez d'émotion dans ce qu'il écrit, ou il ne met pas assez d'effets de rythme dans son phrasé. Il ne peut que lasser. Il va plaire un temps jusqu'à ce qu'on trouve cela monotone, toujours la même chose. Et l'autre raison pour laquelle il devrait être plus court, c'est qu'un récit long de plusieurs pages qui se veut de la poésie cela suppose un énorme développement, et là on ne le sent pas le développement. On se dit que Fargue rallonge son récit. Ce que je trouve intéressant de constater, c'est que sa poésie devient un peu un emploi du langage pour faire tourner le langage sur lui-même. Il y a une sorte de vacuité qui s'installe et qui ne pardonne pas. On le sent à un moment donné qu'un poète n'a pas vraiment quelque chose à dire. Il gagnerait beaucoup à être plus concis, et notamment celui lui permettrait de mieux se consacrer à valoriser un propos et à créer une dynamique littéraire à partir de ce propos. Il devrait travailler les détails de son propos pour trouver des idées de style, etc. Là, il fait de la copie, il allonge la poésie.
Le poème "La Drogue" m'a mieux plu que le suivant "Colère" où j'ai plus senti les effets de manche, la déperdition des énumérations pour inutilement épater la galerie.
Le début du récit "La Drogue" est très bon :
Il y avait longtemps que je m'en doutais. J'en étais sûr. Ne l'avais-je pas dit dans deux ou trois conversations ? Avais-je parlé ? Je n'avais pas vu dans leurs yeux qu'ils eussent entendu. Je ne pensais pas à la chose, elle me pensait ; je n'agissais pas, elle m'agissait. [...]
On voit la référence au "On me pense" de Rimbaud, mais la partie la mieux écrite va plus pour moi jusqu'à "entendu", à tel point que je me demande si "Avais-je parlé" n'est pas inspiré du "si je me souviens bien" du début d'Une saison en enfer. La langue de Fargue dans ce récit "La Drogue" est plus proche de celle de Rimbaud dans ses Illuminations. Parfois on pense aussi aux phrases sans verbe de la Saison : "Plus de confiance en la parole, plus de confiance en personne." Mais je tiens à insister sur la plus discrète et solide relation à la prose des Illuminations. Surtout si c'est un peu involontaire :
[...] Il me souvenait de certaines périodes ardentes et dissimulées de mon enfance, pleines de rumeurs, de rayons humides et de larmes de plaisir, d'états de colère ou de silence, où le médecin de mes parents discernait de légers troubles, imputables, disait-il, à mon activité précoce, excédée d'impressions vives, que je n'avais garde de trahir, et qui me criblaient de baisers amers, de la part de quelque merveille implacable comme un coquillage dans une vitrine, l'atlas d'un dictionnaire d'histoire naturelle, un navire en miniature au musée de la marine, ou quelque jouet absurdement riche et que je ne pouvais posséder. [...]
Passons sur le côté ampoulé de l'amorce : "Il me souvenait..." On a peu d'adjectifs et ici quand on en a ce sont presque des expressions toutes faites "impressions vives", "histoire naturelle" ou bien on a un adjectif précis mais basique : "baisers amers", on a des constructions simples de groupes nominaux : nom préposition et nom : "larmes de plaisir", mais en balance avec une construction nom et adjectif : "rayons humides", et justement on a aussi ces formules binaires peu lyrique : "d'états de colère ou de silence", on a les subordonnées qui ont aussi une résonance d'une certaine époque du style où Rimbaud avait sa place : "et que je ne pouvais posséder", et qui me criblaient de baisers amers", on a la rencontre de "quelque (jouet)" et "absurdement riche". Fargue privilégie des successions de phrases où on repart sur un sujet bref et un verbe. Il y a des juxtapositions de phrases aux amorces verbales comme simples, mais rythmiquement ordonnées : "J'avais mis mes affaires en ordre. Je me hâtais comme un voiturier que la nuit gagne." Ou bien : "Je me suis levé, je suis parti, comme on court jouer, quand on sent la veine." Et dans les deux cas que je viens de citer, même les comparaisons insérées ont une sorte d'aura de nonchalance rimbaldienne. On a tel suspens dans une phrase qui se refuse au lyrisme : "Le prévenu, moutonné, s'est mis à table." Fargue se perd dans le récit, où là il ressemble à la plus grande masse des romanciers avec l'enchaînement narratif des verbes à l'indicatif passé simple, et par moments il se ressaisit : "Son allure devint saccadée, puis onduleuse, sa tête s'ourla d'un liséré bizarre, les bords de son corps, puis le centre, commencèrent à s'éclaircir [...]". J'observe qu'il y a un certain art de la phrase d'allure lacunaire mais précise dans le domaine descriptif, ça aussi ça concerne Rimbaud ou Théophile Gautier. Et là il faudrait tout relire une deuxième fois pour réveiller tout ce que j'ai pensé à la lecture de tout à l'heure, mais je vous donne déjà un peu les bases de mon constat et bien sûr je vous retrouve les indices que Fargue s'appuie aussi sur des citations de Rimbaud pour justifier sa propre écriture, ce qui pour le coup apparaît comme des effets de manche maladroits à mon regard expert : "Ah ! je suis un fantôme occidental actif !" "Colère" se pare d'injonctions rimbaldiennes, et y va de sa petite note ésotérique : "musique muette des nombres". Certaines suites verbales sont très proches de passages rimbaldiens : "les rais s'épointent, les souffles s'attristent, l'uranie s'endort contre vos plaques, vos chevaux de pierre montent dans le ciel, vos larmiers verdissent,...", mais le côté hirsute du vocabulaire dessert mal le projet poétique. A un moment j'ai trouvé "prendre du dos" et non "renversant de ventre" dans un passage où j'étais en train de me dire que définitivement le phrasé de Fargue est plus proche de celui de Rimbaud, alors même qu'il s'inspire des Chants de Maldoror. il y a ensuite un passage sur le regard du pou qui confirme l'influence d'Isidore Ducasse, mais l'influence de Ducasse va être plus intellectuelle, alors qu'au plan grammatical et lexical Fargue n'a aucun mal à se rapprocher de Rimbaud, parce que cela lui est tout simplement naturel. Evidemment, Fargue n'a pas du tout les capacités poétiques de Rimbaud, mais il part de codes stylistiques comparables acquis visiblement dans le cadre scolaire, une sorte de langue littéraire scolaire d'époque mais qui est infra-littéraire, qui peut modeler l'élégance de nombreux écrits non voués à être de la poésie, qui peuvent être de la vulgarisation scientifique ou de la littérature sans prétention, mais Rimbaud, Fargue ou Gautier sont dans ce secteur de déploiement de leur style littéraire en prose. Je le perçois, et il faut que j'arrive à bien poser cela, à mettre une vraie connaissance experte là-dessus avec des mots.
J'ai relevé d'autres allusions voilées à Rimbaud dans les quelques pages lues de Fargue. J'ai des petites idées subtiles, mais je vous ai exposés quelques exemples qui donnent une idée du fonctionnement des poètes du début du vingtième siècle qui tous citent Rimbaud en le singeant, en l'incorporant à leur propos par une petite imitation, par une petite citation qui vient comme donner de l'importance à leur propre déploiement littéraire. Répéter une idée de Rimbaud, c'est comme planter une graine dans sa propre création pour la vivifier. Et ça se fait sur la bande. On va démarquer un passage de Rimbaud auquel le lecteur ne pensera même pas directement, mais d'évidence beaucoup de poètes de la première moitié du vingtième siècle jouaient avec cette astuce. Cela devait contribuer à les rassurer sur eux-mêmes, j'imagine.
***
Fatigué, j'ai interrompu ma rédaction plus tôt que je ne voulais.
Je donne ici un florilège des allusions les plus nettes à des passages en prose de Rimbaud. Ma lecture inclut les textes suivants de Fargue : "La Drogue", "Colère" et cette fois l'intégralité de "Mirages", pas seulement les quatre premières pages d'introduction.
Dans "La Drogue", j'ai relevé deux échos significatifs. Je cite d'abord l'allusion surprise au "Je est un autre" : "On t'a fait ton pardessus dans un café ? Ne cherche pas, ce n'est pas un autre." Ce passage est suivi immédiatement par le développement sur le pou qui s'inspire des Chants de Maldoror, et c'est à très peu de distance que nous tombons sur la formule rare "prendre du dos" :
[...] Si tu fixes sur la grève un pour de mer entre mille poux de mer, si tu ne le quittes pas des yeux, tu le fascines. Les autres s'en vont, dans un frémissement multiplié, sassés par la peur, lui reste sur place avec son gros oeil. Tu en fais autant pour un insecte dans la campagne. Ton regard lui pèse. Tu peux le voir prendre du dos, cisailler à vide avec ses pinces, [...]
Loin de la thèse de lecture exclusivement obscène des rimbaldiens, Fargue analyse "prendre du dos" comme le fait de grossir son dos, J'ai déjà cité une occurrence contemporaine de Rimbaud où "prendre du dos" s'employait pour les livres, et plus loin dans le même recueil, dans "Mirages", Fargue écrit ceci : "des livres qui faisaient le gros dos."
De toute évidence, Fargue a effectué une recherche lexicale correcte autour de l'expression rare déployée par Rimbaud dans "Parade".
Dans "Colère", Fargue cite cette fois le mot d'ordre du poème "Vagabonds" des Illuminations : "vous ne pouvez pas trouver la formule[.]"
Je soupçonne que le rapprochement des mots "nègres" et "enfer" au début de "Mirages" est une conséquente mécanique de la lecture de "Mauvais sang", ce que confirmerait la mention "marais" venant de "L'Impossible" : "les grandes dames conquises en mangeant des plats nègres, la virée de l'enfer dans le marais salant du jour[.]"
Fargue à très peu de distance un peu après cite "Matinée d'ivresse" : "mais nous avons foi dans son poème". Et puis, il fond les allusions à "Enfance V" et "Nuit de l'enfer" : "A présent, je suis maître des transformations de force en matière et des réciproques..." Il faut dire que je soupçonne des influences plus ténues des récits de la série "Enfance" de Rimbaud, des "Déserts de l'amour", etc., et je ne cite que ce qui s'impose avec évidence. Vers la fin de "Mirages", je vous donne un exemple de rapprochement troublant, mais qui n'a pas le même statut d'évidence : "Des machines toussent sourdement dans la nuit". J'ai pensé spontanément à "De petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières." Pourtant, la construction grammaticale n'a rien à voir. Si j'allonge la citation à cet endroit, je vois une allusion possible à la "mélancolique lessive d'or du couchant" qui se superpose : "La grande fille se fait les ongles, la ménagère lave son deuil. - Des machines toussent sourdement dans la nuit, jusqu'à l'aube [...] jusqu'à l'heure où les eaux tièdes rinceront pour un jour les vitamines." Ces rapprochements sont plus délicats à justifier, mais il est clair qu'il y a de la matière. Je pense aussi à "Enfance V" et aux brumes qui s'assemblent pour cet extrait. Selon moi, Fargue crée sous l'impression forte de passages divers des poésies en prose de Rimbaud. J'ai d'autres idées dans le genre, et évidemment j'ai mis un point d'honneur à mentionner ce qui s'apparente à des quasi citations, à de quasi reprises telles quelles. Parce que si je relève plusieurs faits saillants, c'est que je ne dois pas vraiment me tromper de beaucoup sur les rapprochements plus flous.
En continuant ma lecture de "Mirages", j'ai eu la surprise de constater que j'avais raison sur le mythe de l'intelligence chez Fargue, il mentionne l'intelligence comme acteur, la confronte à la bêtise et son récit se termine sur une évocation du père ingénieur qui vient de la réalité biographique. Je précise aussi qu'il est question de "souvenirs d'enfance" dans "Mirages", ce qui justifie aussi les allusions à la série "Enfance " rimbaldienne au plan de la filiation littéraire que veut établir Fargue.
Il y a un autre passage où l'imitation de Ducasse est très nette, la séquence où Fargue répète à plusieurs reprises l'apostrophe "homme". Et, à ce moment-là, par exception, la prose de Fargue parvient à faire entendre un peu de la note des Chants de Maldoror dans son phrasé.
Pour le plan rimbaldien, Fargue joue donc sur la reprise rythmique des pronoms "Je", "Il" en tête de phrase, sur la juxtaposition de phrases qui commencent par sujet et verbe. Il joue aussi sur des énumérations de segments syllabiques de longueur moyenne, ce qu'on retrouve chez Rimbaud, il y a une longueur rythmique moyenne qui se dégage. Fargue joue à imiter les reprises soudaines par Rimbaud avec des phrases négatives marquées, sans verbe : "Plus de...", etc. Il le fait assez souvent. Il joue avec les injonctions, comme tant d'autres, mais on sent le modèle rimbaldien vu les convergences de style et de thèmes. Il y a un rythme de phrases plus sèches aussi qui apparaît : "Un papier glisse de la table. Le monôme des ombres traverse la chambre." On peut noter que l'emploi de l'article indéfini "un" peut très vite devenir un marqueur de littérature hermétique de tendance rimbaldienne.
Je vais continuer à mener des recherches de cet ordre.
J'ai aussi une réflexion à conduire sur les formes participiales et leurs équivalents adjectivaux, ou bien une réflexion sur les prépositions. Fargue ne va pas correspondre complètement à Rimbaud, mais je pense que j'arrive à m'orienter dans ma recherche au fur et à mesure. L'exercice définitoire s'affine.
Et puis, moi aussi, je peux imiter l'emphase mystique rimbaldienne. Même si ce blog n'a pas le nombre élevé de lecteurs qui mérite son sujet, un seul lecteur suffit pour l'avenir : la transmission a lieu, la poésie est sauvée.
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