J'ai acheté le volume de Bardel et Oriol préfacé par Murphy de fac-similé en couleurs des Illuminations, j'en rendrai compte la semaine prochaine. J'en ferai de même pour le volume de commentaires d'Alain Bardel qui sortira en janvier 2026, mais en attendant ces deux articles je voulais encore une fois montrer qu'il est facile de renforcer la preuve de la pagination allographe.
Je vais commencer par un rappel. Alain Bardel a publié deux articles clefs sur le manuscrit "Promontoire" de Rimbaud. Le premier date de 2013 et est parfois cité par Bardel, mais le second date de janvier 2025 et n'a pas à passer inaperçu.
Voici le lien pour l'article initial du 6 octobre 2013 qui est parfois cité par Alain Bardel sur son site internet Arthur Rimbaud : cliquer ici pour lire "Les enseignements du manuscrit de 'Promontoire' "
Dans cet article, Bienvenu fournit en illustration un fac-similé du manuscrit autographe de "Promontoire" qui sert de référence à Bardel lui-même sur une page de son site où il offre des liens aux gens qui le consultent pour consulter les fac-similés connus des Illuminations. Bardel offre une recension sous le titre : "Les 35 fac-similés des 34 feuillets manuscrits connus des Illuminations". Ce titre est inexact, puisque non avons aussi les fac-similés des versos de tous les feuillets paginés 1 à 24, et pas seulement du cas particulier de transcriptions au recto et au verso pour "Fête d'hiver", "Marine" et "Nocturne vulgaire". Mais peu importe.
La suite des 24 pages est en consultation libre sur Gallica et nous trouvons également sur Gallica les fac-similés de quatre des cinq poèmes qui ne furent pas publiés la première fois par La Vogue, mais par Vanier. Il n'y manque que le manuscrit de "Génie". Il n'existe aucun fac-similé des transcriptions de "Dévotion" et "Démocratie", nous ignorons où se trouvent leurs deux manuscrits, ou leur unique manuscrit, ni si ce manuscrit ou ces manuscrits existent encore. Une remarque est à faire malgré tout à ce sujet. "Promontoire" avait été vendu à un docteur Octave Guelliot qui n'était pas connu du monde des études littéraires. Ce manuscrit avait été acheté avec un exemplaire de l'édition de Vanier des Illuminations et d'Une saison en enfer en 1892 (à ne pas confondre avec l'édition de 1895). On peut se demander si le ou les manuscrits de "Dévotion" et "Démocratie" n'ont pas connu un sort similaire à ce moment-là. Le manuscrit de "Promontoire" est réapparu en 1933 et on ne sait si un jour réapparaîtront les manuscrits ou le manuscrit de "Dévotion" et "Démocratie", poèmes plus sulfureux, l'un au plan politique, l'autre au plan de la provocation obscène.
Sur sa page dédiée à la localisation des manuscrits et aussi des fac-similés consultables sur internet, Bardel fournit une série de liens pour tous les manuscrits qui ne figurent pas sur Gallica. Et pour ce faire, Bardel utilise une numérotation indue : 25 pour "Promontoire" et ainsi de suite, jusqu'à 35 pour "Solde". Il offre parfois plusieurs liens pour un même document. "Génie" est en fac-similé sur un catalogue de ventes d'un collectionneur, mais aussi sur une page du site d'Alain Bardel.
La pagination est indue, parce qu'elle consiste à paginer les poèmes en prose dans la continuité du dossier de 24 pages pensées comme relevant d'une numérotation autographe, mais aussi parce qu'elle fait l'ellipse de "Démocratie" et "Dévotion". Ils auraient dû se glisser entre "Bottom - H" et "Fairy", les pages 29 et 30 du dossier constitué par Bardel. Elle est indue encore parce qu'elle escamote la réalité de la publication dans la revue La Vogue de poèmes en vers "nouvelle manière" à côté des poèmes en prose pour les numéros 7, 8 et 9 de la revue. Je veux bien qu'on prétende ne retenir que les manuscrits des poèmes en prose sinon en vers libres modernes considérés comme les exclusives Illuminations, mais rendre ces documents invisibles contribue à acclimater les lecteurs à l'ordre que nous connaissons, alors que justement les poèmes en vers sont une preuve que les manuscrits n'avaient aucun ordre préétabli.
En tout cas, pour les trois poèmes en prose du numéro 7 de la revue La Vogue en 1886, Bardel propose pour liens un renvoi à la photographie de l'article de 2013 de Bienvenu, puis pour le manuscrit allographe de "Promontoire" dont nous allons parler plus bas un lien au catalogue de la vente Bérès, alors que le même article de Bienvenu de 2013 le fournit à partir des droits réservés du Musée Rimbaud de Charleville, puis Bardel fournit aussi des liens pour "Scènes" et "Soir historique" du côté du catalogue de la vente Bérès en les doublant de renvois à ses propres pages. Toutefois, il y a une erreur dans la recension, car le catalogue Bérès contient plusieurs fac-similés de manuscrits de Rimbaud, mais pas celui de "Soir historique", cela est compensé par le lien sur une page même du site de Bardel.
Pour "Mouvement", Bardel fournit son propre lien. Pour "Bottom" et "H", le lien est corrompu.
Maintenant, j'en reviens à l'article de 2013 de Jacques Bienvenu. Le critique commente la mention en marge du manuscrit autographe : "Illuminations page 34 légères variantes." En clair, ce manuscrit a été un document de travail pour Vanier qui a mentionné que le texte du manuscrit autographe ne correspondait pas exactement à ce qu'avait imprimé la revue La Vogue. Mais ici, il y a un détail auquel apporter de l'attention. Vanier a-t-il lui-même compris qu'il fallait opposer ce manuscrit autographe à un manuscrit allographe confectionné par la revue La Vogue ? Or, le point n'est pas très clair à la lecture de l'article de Bienvenu, mais la page 34 dont il est fait mention n'est pas celle de la revue La Vogue, mais bien celle de l'édition Vanier de 1892, ce qui veut dire que Vanier n'a pas daigné remanier la version fournie par La Vogue, même si cela apportait quelques ajouts inédits. N'étant pas graphologue, il n'a pas compris que la transcription sur deux pages de "Promontoire" n'était pas de Rimbaud. Bienvenu devrait plutôt donner tout à la fois les photographies des publications par La Vogue en revue puis en plaquette et la photographie de la page 34 de l'édition Vanier de 1892.
L'essentiel demeure tout de même : Bienvenu fournit les deux photographies fac-similaires du manuscrit allographe de "Promontoire", explique la raison de cette copie allographe qui sera utilisé par les protes et fait remarquer les modifications. Toutefois, il resterait à commenter les ratures et l'apparence de biffures du manuscrit de "Promontoire", car le fait étrange c'est que la revue La Vogue semble avoir considéré qu'un passage était biffé et a adapté cela de manière fort approximative.
Je verrai cela de plus près sur les photographies en couleurs de mon exemplaire commandé du livre de Bardel et d'Oriol.
Bienvenu faisait alors remarquer que le manuscrit autographe était le seul manuscrit non paginé de tous les poèmes manuscrits de Rimbaud publiés par la revue, alors que le manuscrit allographe est paginé.
Mais, en janvier 2025, Bienvenu est revenu sur ce sujet pour apporter de nouvelles précisions. Et cette fois, l'article n'est jamais mentionné par Bardel sur son site.
L'article s'intitule : "Retour sur la pagination des Illuminations" : Cliquer ici pour consulter cet article du 19 janvier 2025 .
Cette fois, si Bienvenu a reporté les trois illustrations des fac-similés de "Promontoire", la version autographe et la version allographe, il y a ajouté le manuscrit de "Scènes" qui porte le chiffre 3. Il ne s'agit plus simplement d'un manuscrit unique qui n'aurait pas été paginé dans l'ensemble autographe. Dans ce cadre, le chiffre 3 au-dessus de "Scènes" ne peut pas provenir de Rimbaud, et partant de là toute la pagination des manuscrits publiés au-delà de la série de vingt-quatre pages ne peut provenir de Rimbaud, puisque de fait c'est les éditeurs qui ont mis le numéro 3. Et s'ils paginaient les manuscrits, cela fragilise plus que considérablement la thèse d'une pagination autographe du dossier de 24 pages.
En effet, les 24 pages coïncident avec deux numéros de la revue seulement, sachant que Fénéon parle aussi d'un changement de personnel qui coïncide avec les changements des noms des protes mentionnés sur les manuscrits comme l'a remarqué depuis longtemps Bienvenu. Donc, la première équipe pouvait très bien paginer par-dessus le changement de numéro de revue les manuscrits, tandis que la deuxième équipe optait plus volontiers pour une numérotation distincte numéro de revue après numéro de revue, tandis que Vanier n'a pas eu d'autre choix que de numéroter en chiffres romains de I à V ce qui lui est parvenu entre les mains, et comme il existe une pagination concurrente des manuscrits I à V en chiffres arabo-indiens on peut se demander si les chiffres arabo-indiens ne sont pas l'ordonnancement initialement prévu par la revue La Vogue. Voilà un sujet qui n'existe pour ceux qui ne jurent que par des suites accumulées de paginations autographes. Et on retrouve l'idée que la pagination de Bardel de 1 à 35 jusqu'à "Solde" est indue, puisque cela consiste à choisir entre la pagination de Vanier et celle en chiffres arabo-indiens, pour imposer que Vanier ait par je ne sais quelle bonne fortune retrouver l'ordonnancement rimbaldien que la revue La Vogue aurait brouillé, puisque jusqu'à un certain point Murphy et Lefrère avec le compte rendu au sujet de l'édition des oeuvres complètes de Rimbaud dans la collection de La Pléiade, et plus nettement encore Alain Bardel sur son site internet Arthur Rimbaud, affirme l'importance de conclure Les Illuminations sur "Solde" et non pas sur "Génie".
Là, il y a un problème majeur qui se pose au vu de l'étude manuscrite des paginations des manuscrits.
J'ajoute aussi ceci à la démonstration de Bienvenu. Rimbaud aurait d'autant moins pu mettre un "3" de pagination au poème "Scènes" que sa transcription de "Promontoire" tient en une seule page. Il aurait noté "2" le manuscrit de "Scènes" et 3 celui de "Soir historique", alors que là nous avons le manuscrit allographe de "Promontoire" qui est paginé 1 et 2, puis le manuscrit de "Scènes" qui est paginé 3, puis le manuscrit de "Soir historique" qui est paginé 4, "Scènes" et "Soir historique" étant bien des transcriptions autographes. Et la numérotation continue 5, 6 et 7 pour les poèmes en vers "nouvelle manière" publiés à la suite de "Promontoire", "Scènes" et "Soir historique" dans le numéro 7 de la revue La Vogue.
Donc, maintenant, je vais attendre l'arrivée de mon volume fac-similaire en couleurs, je vais étudier une façon de faire un tableau pour expliquer le rôle crucial de la page 9 dans le démenti de la pagination autographe. Il faudra que vous puissiez visualiser le problème.
Je vais aussi vérifier par le menu la pagination des poèmes en vers "nouvelle manière", je vais mettre le dossier bien au complet.
Mais j'en profite ici également pour faire remarquer un autre point important.
La revue La Vogue a dû composer avec un ensemble qu'elle n'a pas perçu comme classé, d'évidence parce qu'il n'y avait aucune pagination, mais même dans l'état final on a plusieurs paginations de groupes de manuscrits, ce qui est aberrant si on ne comprend pas que cela vient de la reprise des publications dans de nouveaux numéros d'une revue ou plus tard par Vanier. Notons aussi que la revue La Vogue a publié les poèmes en plaquette dans un ordre différent de la revue, preuve que la pagination n'était pas perçue comme une indication de l'ordre du recueil, ce qui serait tout de même étrange si celle-ci avait été autographe. Ils ont publié les poèmes dans un nouvel ordre, parce qu'ils savaient pertinemment que la pagination initiale était de leur fait et ne prouvait rien.
Je prévois aussi de publier un tableau du changement d'ordre de défilement des poèmes, et je montrerai que les modifications sont très similaires aux modifications à la marge avec "Après le Déluge" avant la série homogène et le recto et verso de "Nocturne vulgaire", "Marine" et "Fête d'hiver" à deux pages de la fin de la série homogène. On verra que les manipulations sont à la marge et timides, mais du coup avérées.
Mais, derrière tout ça, il y a Verlaine qui entre en ligne de compte.
Verlaine était en mesure si la pagination ou plutôt les différentes paginations étaient autographes de dire que les manuscrits devaient être publiés dans un ordre précis. Il aurait pu fournir le manuscrit avec un sommaire que n'avait pas fourni Rimbaud, par exemple.
Il n'y a pas que Rimbaud qui n'a pas eu le temps pour paginer en dix minutes correctement.
Je rappelle enfin que les manuscrits paginés en chiffres romains de I à V correspondent à une édition séparée de Vanier, puisque Vanier a publié le dossier de La Vogue en 1892 sous le titre Illuminations à côté du livre Une saison en enfer, mais c'est séparément en 1895 qu'il a publié les poèmes "Fairy", "Guerre", "Génie", "Jeunesse" et "Solde" dans une série exclusive de cinq poèmes en prose mis à la suite d'une édition des poèmes en vers première manière en incluant "Tête de faune". Le titre Poésies complètes de 1895 est trompeur, ou il sous-entend que les seules poésies sont les poèmes en vers première manière, ce à quoi nos cinq poèmes en prose seraient une sorte d'annexe pour compléter le volume de 1892. Et du coup, ce propos critique selon lequel le recueil des Illuminations doit se clore sur "Solde" plutôt que sur "Génie" est une extrapolation à partir d'une réflexion de Vanier qui lui ne se demandait que comment classer au mieux les cinq poèmes en prose qu'il a isolés dans l'édition de 1895.
Voilà, donc attendez-vous à très prochainement un article sur le volume fac-similaire où je prendrai la peine enfin de monter mes petits tableaux je l'espère lisibles. Je prévois aussi de revenir sur les articles du blog d'Alain Bardel, parce que l'idée est la suivante. A partir du moment où les arguments contre la pagination autographe ne sont pas admis comme des preuves, parce qu'ils ne sont pas compris visiblement, il y a une sorte de construction intellectuelle vague à partir d'autres indices manuscrits comme les filets de séparation, mais tout cela était déjà développé dans l'article de 2001 de Steve Murphy. Bardel ne fait que reprendre des arguments déjà fournis à l'époque et qui font simplement un peu écran, alors que l'idée clef de l'article de 2001 c'était bien de prétendre que la pagination des 24 pages était nécessairement autographe, sentiment d'évidence qui a vécu.
Voilà on va enterrer définitivement le mythe du recueil clairement ordonné par Rimbaud d'ici janvier 2026. Le glas a sonné.
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