Extrait des Oeuvres complètes de Charles Coran (3 volumes), recueil Sous les rides, De 1867 à 1869 :
Alter ego
(rhythme à trois temps)
J'ai vu jadis, au Vatican, un hermès d'homme
Qui m'est resté de mes six mois passés à Rome
La tête avait double visage : un grave, un fou
Amalgamés, par le ciseau, sur un seul cou
Le grave était un amateur de paix obscure,
Sur son front clair on relisait tout Epicure
Son doux regard, droit devant lui cherchant à voir,
Semblait trouver la volupté sous le devoir
Son compagnon, le fou, portait plaisante oreille,
Les yeux d'un faune, et, dans ses yeux, gaîté qui veille
Sa bouche ouverte avait gardé l'amour des vins
Et des baisers cueillis au frais chez les sylvains
- Presque attendri, tournant autour du marbre jaune,
Je l'adulais, l'humble penseur doublé d'un faune
Et je disais, en emportant ce souvenir :
Un devin grec m'aura sculpté pour l'avenir
Oui, c'est bien moi, tel qu'en mes vers mi-fous, mi-sages,
Mon humeur double est un hermès à deux visages
Le trimètre n'est qu'un vers d'accompagnement qui se trouve mélangé à des alexandrins, donc dans une suite de vers aux hémistiches égaux de six syllabes métriques chacun
J'ai découvert cette unique exception chez Charles Coran, un poème tout en trimètres
On appréciera que s'il fallait lire ce poème en alexandrins classiques, les mots "Vatican", "amateur", "relisait", "devant", "volupté", "emportant" seraient tous coupés après leur première syllabe et qu'on rencontrerait encore des césures féminines : "double + visage", "l'humble + penseur", des césures sur proclitiques monosyllabiques (à savoir les déterminants du nom et, mais ici ce n'est pas représenté, les pronoms soit sujets, soit placés entre le sujet et le verbe en gros du genre "je vous + y prends" ou "je l'y + reprends" ou "que je + comprends") : "par le + ciseau", "de mes + six mois", "est un + hermès", des césures sur préposition monosyllabique : "et, dans + ses yeux", "tel qu'en + mes vers" Il ne manque que la césure à l'italienne et une césure sur conjonction ou pronom relatif monosyllabique ("et", "que", etc) pour faire le tour des proscriptions à la césure
On appréciera la feinte du titre et la précision du sous-titre
Malgré cette dualité annoncée, je ne crois pas à la pertinence ici d'une lecture forcée en alexandrins binaires qui pourrait concurrencer la lecture ternaire clairement appelée par le sous-titre
Je ne connais aucun travail sur la versification ayant cité ce poème, mais je n'ai pas tout lu bien évidemment
Charles Coran a proposé un autre poème dont il a senti l'originalité métrique puisque, alors que l'oeuvre de ce poète est assez régulière, il l'a aussi accompagné d'un sous-titre attirant l'attention sur la forme Il s'agit ici d'un jeu sur le faible écart syllabique de vers à vers, et plus précisément d'hémistiche du premier à hémistiche du second vers
Passons donc des pages 5-6 ci-dessus aux pages 71-72
Sur l'herbe
(rhythme brisé)
Suprême orgueil de l'homme, ô soif de l'infini,
Je puis te subir t'abreuver ? nenni !
Mon esprit n'entre pas dans l'inintelligible :
Qu'il s'enferme heureux dans le Beau tangible!
Pour nombrer l'éternel, mesurer l'absolu ! -
Mes ans, mes calculs n'auraient rien valu
Je plains vos longs discours, docte métaphysique
L'inconnu n'admet rien que la musique
Laissez les sons plonger dans l'Océan divin
Les mots, prose ou vers, le sondent en vain
Que n'ai-je, au lieu de plume, une réelle lyre !
Je modulerais un vague délire
A défaut d'harmonie, essaye, ô ma raison,
Le silence ému dans l'humble gazon
Couché la face en l'air, sous le céleste abîme,
De l'universel j'ai l'instinct sublime
Mais, vision sacrée, extatiques amours,
Je vous sens venir::: Raison, au secours!
Vous, distiques ici saccadés par prudence,
Des alexandrins rompez la cadence,
De peur que leur accord, lyrisme harmonieux,
Ne m'aide à chercher le secret des cieux
Un passage fait songer à Mystique de Rimbaud
A vous de remettre les points, les points-virgules et de remplacer les trois doubles points par trois points de suspension Le second et le quatrième distiques sont les plus piégeux, avec éventuellement le tout dernier hémistiche en clausule
J'ignore comment Rimbaud aurait pu lire ces deux poèmes, s'il les a lus, et donc dans quelle forme de recueil Je travaille ici sur les trois volumes des Oeuvres complètes ou plutôt sur les impressions numériques qu'il m'en reste
Du recueil Elégances j'ai retenu un grand nombre de poèmes à la Musset dont Ninon est l'égérie, un en sizains d'octosyllabes intitulé Ninon, un autre Château de Saint-Germain dédié "A ma dame" dont le premier mot est "Ninon", plusieurs autres Le Songe, Des Ailes, Les Cheveux gris, Convalescence et Tout passé dédiés "A Ninon", qui laissent supposer que la "Maîtresse" de poèmes avoisinants est la même Ninon toujours, un autre qui comporte l'hémistiche : "Mon vin rit, Ninon brûle", un autre intitulé A Ninon, un autre Satiété qui parle de "Ma Ninon", un autre Le Malheur n'entre pas ici où "Ninon n'est plus qu'un souvenir"
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