Vous avez pu observer le glissement de la césure comme repos entre des groupes de syllabes unies rythmiquement (je n'entre dans aucun détail, trop laborieux) et la césure comme borne après un accent fixe
Et à côté des accents fixes qui en réalité ne sont que superposés sans rigueur et justification à l'idée classique de "repos" entre des groupes de syllabes unies rythmiquement
Pour les accents fixes, les groupes de syllabes unies sont les hémistiches
Pour les accents mobiles, c'est en fonction de la syntaxe mais coton à définir
Vous remarquerez aussi que Cornulier cite un passage en majuscules qui ne traite pas de l'accent mobile, mais de la césure mobile
A la façon des poupées russes, mes citations de Cornulier contiennent cette citation de Tenint et d'autres citations encore
Toutefois, j'ai déjà fait remarquer, ce qui n'a pas été relevé par Cornulier, que ni Tenint ni Banville ne parlent d'accent dans le vers
En réalité, la théorie des accents était neuve en 1844 Quicherat en est un important promoteur dans la mesure où son traité est celui de référence pour le dix-neuvième siècle
Mais, on voit que Cornulier a conscience du problème, puisque plusieurs fois je vois qu'il écrit "accent ou coupe mobile", ce qu'il n'a pas dit c'est que les théories de l'accent mobile vont fragment l'hémistiche en supposant des accents, mais que Tenint a repris ce principe en parlant simplement de coupes entre les groupes de syllabes et non d'accents
Accent mobile, c'est dans la théorie des accents
Coupe mobile, c'est dans la théorie sans accent, mais pas toute théorie sans accent, précisément celle de Tenint
Dans le cas de Banville, c'est un peu plus compliqué, mais son exposé du répertoire des mètres s'en tient à l'unique césure traditionnelle, cela devient confus différemment par la suite
Il y a aussi un problème à observer, c'est celui de poètes qui avaient lu les nouveaux traités de leur temps
C'est un problème délicat pour la réflexion, non pas sur la métrique -la démonstration-réfutation de Cornulier est claire -, mais sur les extrapolations rythmiques qu'on peut prêter aux vers
Il reste aussi à étudier pourquoi les poètes du XIXème parlaient bien d'enjambement libre et de césure mobile, cela est lié à une paresse intellectuelle, et cela a beaucoup de conséquences fâcheuses car on jurerait (à tort) que les poètes prétendent noir sur blanc qu'ils ne tiennent plus compte de la césure
Je vais revenir là-dessus
Voici ce que je voulais dire de fort
On remarque dans les vers scandés avec des accents mobiles que les "maîtres" se permettent d'étonnantes fantaisies puisque l'accent vient après un article "la", après le "e" féminin de "vivent", etc
Comme la méthode n'a pas encore été exposée par Cornulier, c'est quand on relit une deuxième fois (ou quand on sait déjà de quoi il retourne) qu'on comprend le sel de pas mal de ces citations cocasses
Mais il y a encore une chose qui me tient à coeur
Cornulier montre que seules les césures fixes sont nécessaires, et qu'elles peuvent s'appeler simplement césures, ajouter "fixes" c'est faire un pléonasme
Les césures mobiles n'ont pas de sens métrique, puisqu'elles ne prouvent rien On n'est pas avancé quand dans un hémistiche on croit avoir montré 2-4, 3-3, 1-1-2-2, etc Il y a six syllabes et on peut passer en revue toutes les formes d'addition, cela n'a aucun intérêt pour dire que nous avons affaire à un vers
Mais la dichotomie entre les césures mobiles et les césures fixes va plus loin que le constat que les unes sont inutiles et fausses, que les autres sont nécessaires et vraies
Car l'opposition des accents mobiles et des accents fixes quand on étudie les exemples des maîtres infirme la pertinence de l'approche accentuelle de manière radicale
En effet, les accents mobiles se trouvent parfois à l'intérieur d'un mot, alors que quand des mots ont chevauché la césure ou l'entrevers ç'a été la révolution
Certes, dans les cas "majestueu+sement", "Nabucho+donosor", "Avec BriTANniCUS je me réCONciLIE", la théorie des accents manque de légitimité, mais le traitement de ces exemples ne la met pas par terre par une contradiction insupportable, sauf tout de même qu'on se demande pourquoi ces mots n'ont pas plus tôt chevaucher la césure en profitant de leur accent, alors que dans l'exemple suivant de Martinon il y a un problème qui pointe le bout de son nez, celui de l'accent mis non sur la dernière syllabe stable d'un mot mais sur l'avant-dernière : "Cependant, - par un sort - que je ne con - çois pas"
Martinon s'en sortirait en prétextant qu'il y a une manière d'enclitique avec le second adverbe de la forclusion négative "pas", c'est "ne conçois pas" qui formerait un mot insécable en quelque sorte
Tout de même, malgré cela, l'exemple est difficile à digérer "con-çois" ou "que je ne con-çois pas", on voit bien que le découpage n'est pas naturel, quelque idée qu'on se fasse de ce que doit être l'accent ou la suspension pensée par Martinon
Dans mon souvenir, une note du traité de Quicherat laissait passer une bévue, une forme à enclitique avec trait d'union, du genre "entendez-moi" où il parlait de l'accent sur l'avant-dernière syllabe, mais ma consultation sur Gallica m'amène à constate qu'il n'y a pas bévue, simplement l'affirmation du report de l'accent à cause du pronom Il note bien que la forme fait corps
Ceci, "entendez" ou "entendez-moi", il va falloir se lever tôt pour prouver que "entendez" se prononce différemment dans les deux cas, je ne mets pas plus d'accent dans le second cas, juste que le [e] est un peu mangé parce que j'articule déjà la dernière syllabe "moi", mais pas de montée d'intonation, rien du tout
Aucune différence sensible
Après, je peux m'amuser à me contredire en faisant exprès d'opposer la prononciation des deux mots et m'autopersuader qu'il y a une différence et que je l'ai dégagée
Pour moi, la notion de "repos" associée à la césure est plus juste, mais le repos n'est pas nécessairement un suspens de la voix, le repos c'est un impondérable, la perception des points d'articulation dans la formulation des mots et groupes de mots
C'est des moments d'inflexion quand on parle, et ce n'est pas forcément un suspens de la voix En revanche, quand les vers sont déviants mais qu'il faut maintenir la césure et supposer un effet de sens, le lecteur a intérêt à privilégier le suspens, et non l'intonation forte ou que sais-je, dans la plupart des cas
Vu qu'il est question d'effets de sens, tout est possible, une intonation forte peut être pertinente pour une réponse "Non" par exemple au théâtre, que sais-je? Mais le suspens me semble bien la base pour faire sentir une césure peu marquée, et la lecture lente favorise inévitablement le repérage des césures difficiles
Les pages qui suivent dans ce que nous avons encore à rendre compte de l'ouvrage vont signaler que la césure n'existe pas, c'est les hémistiches qui existent et la césure n'est rien d'autre que le revers négatif, la frontière qui découle du fait qu'on admet l'existence des hémistiches
Cornulier illustre cela par l'exemple suivant
ANTICONSTItutionnellement
La frontière entre les deux parties du mot est une abstraction, elle n'existe pas sur le papier
Cornulier fait remarquer que l'obsession du repérage de la césure est telle que nous croyons la déterminer sur un indice ponctuelle: par exemple un blanc à cet endroit du vers
Mais le blanc n'est que l'absence de liaison entre les lettres d'un mot, et il y a de toute façon plusieurs blancs dans un vers
Or, il faut, puisque la césure n'est que l'idée que nous passons d'un hémistiche à un suivant, au moins de poser la question de l'unité mélodique de chaque hémistiche
Je remarque que malheureusement cette unité mélodique est rendue fuyante, mais qu'il y a tout de même un argument mélodique important La butée d'un hémistiche doit être plus volontiers dissyllabique, à tel point que les césures sur une préposition de deux syllabes est tolérée mais pas une césure après une préposition d'une syllabe chez les classiques, et cela vaut pour des conjonctions "tandis + que", etc
Voilà
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