EDITE le 27 janvier au matin : la première partie est inchangée (quelques coquilles corrigées), mais j'offre un complément qui vient après deux astérisques à la suite de la présente étude.
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J'ai déjà annoncé à plusieurs reprises l'importance de la comédie Le Bois de Glatigny sur mon blog. Il s'agit d'une source à la fois pour "Credo in unam", "Ce qui retient Nina" et "Tête de faune".
Je m'explique. La comédie Le Bois en un acte et en vers a été publiée à la fin de l'année 1869 par Lemerre (impression du 20 novembre), mais elle a été reconduite quelques mois plus tard dans le volume de 1870 qui réunit trois titres de Glatigny : Les Vignes folles, Les Flèches d'or et Le Bois. Rimbaud composait certains de ses poèmes en prenant directement pour modèle des pièces de Glatigny : "A la Musique" qui date vraisemblablement de juin 1870 et "Vénus anadyomène" qui date sur un manuscrit de la fin du mois de juillet 1870 sont deux preuves que Rimbaud lisait de très près les poésies de Glatigny à ses débuts. "Vénus anadyomène" s'inspire d'un poème "Les Antres malsains" des Vignes folles, tandis que "A la Musique" s'inspire de "Promenade d'hiver" des Flèches d'or, chassé-croisé qui ne peut que nous convaincre d'une lecture du volume réunissant les trois ouvrages principaux jusque-là publiés par Glatigny. J'ignore la date exacte de publication en 1870 du volume réunissant Les Vignes folles, Les Flèches d'or et Le Bois, mais la préface fournie pour l'occasion par Glatigny est une source indiscutable au poème "Ce qui retient Nina", puisque le poème de Rimbaud sur Nina reprend la forme de la "Chanson de Fortunio", poème clef dans les intrigues de la comédie de Musset Le Chandelier et de l'opéra-comique d'Offenbach La Chanson de Fortunio (1861). Glatigny compare la comédie et l'opéra-comique. Il est clair que Rimbaud a lu directement le volume des poésies de Glatigny qui réunissait Les Vignes folles, Les Flèches d'or et Le Bois, puisqu'il s'est inspiré de la préface qui ne se trouve qu'en cet ouvrage. On peut envisager que Rimbaud a pu lire ce volume avant d'envoyer "Credo in unam" à Banville. Pourquoi penser cela, me direz-vous ? Outre que Glatigny est très proche de l'esprit de la poésie de Banville, la comédie Le Bois est introduite par une épigraphe tirée d'un poème des Cariatides de Banville, "Erato", et si, au-delà de l'extrait exhibé, on se reporte à la lecture du poème "Erato" lui-même, on découvre un discours très proche en pensée du développement offert par "Credo in unam" :
Nature, où sont tes Dieux ? ô prophétique aïeule,Ô chair mystérieuse où tout est contenu,[...]Où s'est enfui le chœur de tes Olympiens ?[...]Aïeule au flanc meurtri, Nature, où sont tes Dieux ?Jadis, avant, hélas ! que l'Ignorance impieT'eût dédaigneusement sous ses pieds accroupie,Nature, comme nous, tu vivais, tu vivais ![...]
De ce début du poème, Glatigny a cité les trois derniers vers. J'avertis mon lecteur que je cite par défaut la version définitive du poème, n'ayant pas mon édition de 1864 des Cariatides sous la main. En tout cas, j'en profite aussi pour citer cette Nature qui abritée par des monts est ainsi tutoyée et décrite :
Où tu dormais la nuit dans ta ceinture d'arbres.
Suit un développement assez hugolien où les constellations sont des yeux vivants, où les vents sont une haleine qui révélait des chevelure dans les rameaux des bois qui ploient. Et Banville exprime sa foi, par un refus du désespoir :
Non, vous n'êtes pas morts ! [...]
Vénus est mentionnée, mais c'est ici la Muse Erato qui est mise en avant, c'est la Muse Erato qui a fait l'élection poétique d'un Banville. Erato et Banville vont ramener sous les milliers d'yeux de la Nature tous ses Dieux, parmi lesquelles la pourvoyeuse de volupté qu'est Vénus.
Il n'est pas question ici de réécritures de la comédie Le Bois dans "Credo in unam", ni même de réécritures du poème "Erato", mais il est question d'une parenté d'esprit sensible entre ces compositions, et dans le cas de Rimbaud et de Banville il est directement question d'exposer une foi poétique.
Intéressons-nous maintenant au contenu de cette comédie Le Bois. Ne tenant qu'en un acte, elle n'a que deux personnages : une femme humaine Doris et un faune Mnazile. Un première didascalie nous apprend que l'action a lieu "En Thessalie, dans les temps héroïques", ce qui fait écho au discours du poème "Erato" mis en exergue par Glatigny, puisque Banville prétend ramener la vision de ces "temps héroïques", mais cela fait écho également au poème "Credo in unam" avec ces vers :
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,Des Satyres lascifs, des faunes animaux,Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux,Et dans les nénuphars baisaient la nymphe blonde ![...]
La morsure d'amour fait songer à la pièce à venir "Tête de faune", et les mentions jumelles : "Satyres" et "faunes" confortent la pertinence du rapprochement. Mais, dans "Erato", Banville, s'il était moins cru, n'en était pas moins érotique, en jouant sur deux motifs : la chevelure et les seins. Je cite cette fois ce passage érotique du poème "Erato" des Cariatides :
Les constellations étaient des yeux vivants,Une haleine passait dans le souffle des vents ;Leur aile frissonnante aux sauvages alluresQui brise dans les bois les grands feuillages roux,En pliant les rameaux courbait des chevelures,Et dans la mer, ces flots palpitants de courrouxAinsi que des lions, qui sous l'ardente lameBondissent dans l'azur, étaient des seins de femme.
On comprend bien qu'il y a un lien thématique fort entre "Credo in unam" et "Tête de faune", ce qui intéresse tout particulièrement l'approche du second poème réputé plus hermétique. Mais, au-delà des liens directs entre Banville et Rimbaud, entre "Erato" et "Credo in unam", la comédie Le Bois vient prendre place et on s'attend à ce qu'elle fournisse des passerelles qui justifient de passer de "Credo in unam" à "Tête de faune" sans discontinuité métaphorique.
Une nouvelle didascalie nous apprend que la scène de la comédie de Glatigny se déroule en "Une clairière dans un bois touffu." Ce cadre est un peu en forme inversée un équivalent de la feuillée de "Tête de faune". Cette clairière est tout de même une aire abritée où vont se rencontrer les deux personnages, le faune et la femme. Et Glatigny précise l'éclairage du lieu : "Une lumière abondante tombe du ciel, tamisée par le feuillage." C'est bien là l'équivalent d'un "écrin vert taché d'or".
La comédie contient de nombreux enjambements qui sont pratiqués comme des à-coups qui portent l'accent sur certains mots ou qui sont pratiqués comme des moyens de rehausser le ton continuellement au milieu des phrases prononcées. Le procédé a ses limites, mais il caractérise nettement la pièce (je souligne en bleu les deuxièmes hémistiches pour rendre sensibles les césures et entrevers :
[...]Toujours ces compliments monotones, hélas !Toujours la même plainte amoureuse ! L'oreilleSaigne à force d'entendre une chanson pareille.O Doris ! tes cheveux, or vivant, sont légersComme un souffle. Entends-tu les aveux échangésPar la rose, ta sœur, avec le frais zéphyre ?[...]
La femme est ici un personnage quelque peu orgueilleux. Elle joue celle qui est fatiguée des mots d'amour, mais cela flatte son ego malgré tout. Le paradoxe, c'est que le faune va commencer par l'ignorer, ce qui va la blesser dans son amour-propre, et nous allons avoir dans un second temps la naissance du sentiment amoureux qui correspond à l'idée que s'en font nos poètes Banville, Glatigny et Rimbaud.
Le début de la comédie ne coïncide donc pas du tout avec le discours de "Tête de faune", mais vous êtes prévenus que Glatigny fait entendre le faux pour faire jaillir le vrai. Par conséquent, ne boudons pas les premiers rapprochements malgré le contraste entre les situations décrites. Doris se moque ainsi de ses amoureux éconduits qui lui parlent de ses "dents de perles". Il est question d'un "rire" qui "perle" sur l'une des versions manuscrites connues de "Tête de faune". Les amoureux sont rabaissés à l'image non d'un "bouvreuil", mais de "merles", mot qui rime ici avec "perles".
Agacée par les "fades madrigaux" et tout un "langage" "écœurant à force d'être tendre", Doris cherche un "coin ignoré sous les cieux", un endroit "Loin, dans la profondeur du bois silencieux, / Où s'apaisent enfin ces soupirs qui de l'âme / Montent incessamment vers une pauvre femme !" La formulation laisse planer un doute sur la capacité de résistance de la femme à tous ces beaux discours.
Et ce que connaît alors Doris, c'est le recueillement :
La brise errante court du brin d'herbe à la feuille !O calme pur ! repos suave ! On se recueilleIci ! rien ne vous trouble. [...]
La rime "feuille"/"recueille" est précisément la rime finale de "Tête de faune". Les mots défilent dans le même ordre, mais une fin d'autre rime s'intercale entre les deux :
[...]Son rire tremble encore à chaque feuilleEt l'on voit épeuré par un bouvreuilLe baiser d'or du Bois, qui se recueille.
Doris est en train de s'enfuir, tandis que le recueillement de "Tête de faune" vient après la fuite du faune lui-même. Toutefois, il y a un autre rapprochement qui se superpose à cela, puisqu'au moment même où elle prétend qu'elle se recueille, Doris est surprise par un bruit. Je reprends ma citation où je l'avais laissée :
[...] On se recueilleIci ! rien ne vous trouble. O fraîcheur ! se retournant.Hein ! quel estCe bruit ? Il m'a semblé que ce berceau voilaitUne forme ? Quelqu'un, encore !Frappant du pied.Quel martyre !Je n'y puis échapper ! C'est le jeune satyreDont me parlais Chrysis, hier.Avec un dépit mêlé de coquetterie.Résignons-nous ![...]
L'image du berceau et la métaphore verbale "voilait" favorisent la comparaison avec "écrin" et surtout "broderie" dans "Tête de faune". Et le désir de "fuir", mais par jeu vu la réaction de coquetterie, reprend de plus belle : "Mais où donc fuir ?"
N'en déplaise au féminisme malade de notre époque, Rimbaud et Glatigny supposent qu'il est naturel à une femme d'aimer que des hommes sifflent sur son passage.
La deuxième scène permet au personnage à pieds de chevreau de faire son entrée. Il salue le sentier fleuri par le sauvage églantier, il célèbre la rosée qui va étinceler sous l'effet irisant du matin et l'expression suspendue à la rime "Je ris" achève de donner au personnage sa dimension symbolique. Se regardant dans la source, il découvre qu'il n'est pas seul. Doris réagit en repoussant des avances amoureuses, sauf que le faune n'a encore rien dit. Il prend au mot le discours de Doris qui prête au faune la prétention de mourir d'amour, et il réplique qu'au contraire il veut vivre en appréciant ce printemps de la Nature :
[...] La forêt, embelliePar le retour d'Avril, éclate en floraisons,Et les taillis charmants ne sont plus que chansons !Et je voudrais mourir, moi, quand l'immense joieDu soleil sur mon front enchanté se déploie !Qui t'a conté ce conte ? ô nymphe ? dis-le nous.Mourir ? ce bois est-il donc la maison des fous ?
La césure du dernier vers cité est remarquable avec la forme "donc" repoussée dans le second hémistiche. C'est particulièrement acrobatique. Mais, relevez le second hémistiche "éclate en floraisons", qui contient à la fois le motif floral et une occurrence du verbe "éclater". Dans "Tête de faune", c'est pour avoir mordu les fleurs qu'une "lèvre éclate en rires sous les branches."
Du côté de la comédie Le Bois, la versification est particulièrement acrobatique et implique aussi la rime :
Quoi ! tu ne venais pas à moi, tremblant et blême,Me dire ton martyre amoureux, la suprêmeAngoisse où t'a jeté mon visage, et tous cesPropos dont tes pareils m'obsèdent ? [...]
La suite est un peu à l'inverse du cliché développé dans "Tête de faune". Mnazile ne guettait pas Doris, c'est lui, au contraire, qui a été surpris, car il se croyait "seul sous l'ombre" d'un "bois mystérieux" "Où nul œil jaloux ne [l]e vient espionner". Il allait se nourrir de fruits saignants, figues et mûres, des "baies / Rouges comme le sang divin tombé des plaies / Du chasseur Adonis."
Fierté offensée, Doris n'a reçu aucun mot d'amour. Elle est décidée à se faire aimer du faune et revient à la charge. Elle lui dit qu'il rit, mais au sens où il se moque à se contenter du lieu sans avoir le cœur qui palpite. Elle lui dit qu'il vit, qu'il sent, qu'il n'est pas une pierre ! Elle lui parle du dieu qu'est l'amour. Mnazile avoue alors un amour pour la Nature, pour le monde de la déesse Cybèle qui apparaît ici à la rime, tout comme dans "Credo in unam" de Rimbaud. Le discours est tout de même précis, et il faut bien l'entendre : le "bois" qui donne son titre à la comédie est un "Abri mystérieux de la grande Cybèle, / Où la nature abrupte, effrayante, rebelle, / Semble se souvenir encore des Titans[.]" Ces trois vers que nous venons de citer ont un sens soutenu en regard de l'épigraphe tirée du poème "Erato" de Banville. On retrouve le regret rimbaldien de l'antique jeunesse... Paradoxalement, Doris qui demande à Mnazile s'il a un cœur qui bat est la plus ignorante et la plus impie des deux. Les amours du faune, c'est le "bois vaste et sourd, / Immense, fourmillant". Et le faune décrit ce lieu comme étant lui-même "effaré" :
Oui, nymphe, tu dis vrai ! J'aime ce bois sacré,Auguste, frissonnant, palpitant, effaré !
Selon les versions du poème, le "faune" de Rimbaud est soit "affolé", soit "effaré", le thème de la folie étant présent également dans notre comédie comme nous l'avons noté plus haut sur l'équivoque à propos du verbe "mourir".
Obtuse, Doris insiste sur la valeur exclusive de l'amour pour une femme. Elle dit le plaindre. Et c'est là qu'elle tient un propos clef qui ouvre des perspectives :
Mais cette forêt même,Palpitante d'amour, commande et veut qu'on aime!
Amplifiant son propos, Doris le pare des mots "feuillée", "baiser" et "rires éclatants" :
Tu n'aimerais donc pasA voir s'incliner l'herbe et les fleurs sous les pasDe quelque bien-aimée aux beaux yeux, dont les voiles,Glissant sous la feuillée aux lueurs des étoiles,Feraient battre ton cœur, délicieusement ?Tu le hais donc, enfin, l'adorable tourmentDe vivre dans un autre, et de sentir son âmeMonter, en un baiser, aux lèvres d'une femme ?Tu n'as donc jamais vu, dans tes songes flottants,Passer une ingénue aux rires éclatants,[...]
Non seulement par les mots mentionnés ce passage est à rapprocher de "Tête de faune", mais sinon l'hémistiche adverbe "délicieusement", du moins le rejet en tête de vers "Monter" rappelle la croissance vénusienne des images du poème "Credo in unam".
C'est la fin de la deuxième scène. Doris est arrivée à ses fins et joue à piétiner les sentiments naissants du pauvre Mnazile. Le retournement de situation est complètement hugolien dans le traitement. Mnazile rêve désormais de la "lèvre purpurine" de Doris, il trouve le poème de sa vie désormais ennuyeux. Il songe alors à une dénommée Ianthé (trois syllabes) dans laquelle il retrouve son goût pour les lèvres et les fruits saignants :
IanthéA quinze ans. Elle est belle : un sourire ! Sa boucheArquée, aux coins moqueurs, a la rougeur faroucheDe la fraise des bois et de la mûre, et, longsEt doux, jusqu'à ses pieds, coulent ses cheveux blonds ![...]
Cette évocation est l'occasion d'une description de scène qui fait nettement songer à "Ce qui retient Nina", tandis que au bout d'un trimètre à la Hugo se retrouve une deuxième occurrence clef du mot "feuillée" :
Ensemble nous irions, par les sentiers ombreux,Perdant nos pas, mêlant nos cœurs, sous la feuillée ;J'épierais, couché sur l'herbe fraîche et mouillée,Sa démarche d'oiseau si légère...
La scène de "Tête de faune" prend corps, le faune commence à épier lui-même et l'être aimé devient petit oiseau. Les fleurs ne sont plus en sécurité :
Je cueillerais des fleurs que j'irais déposerA ses pieds, et j'aurais en échange un baiser !
Le poème de Rimbaud n'a pas gardé l'idée d'une telle prosternation, toutefois!
Face à cette révélation, Mnazile se précipite auprès de Doris pour lui en faire part. Et il lui tient ce discours, avec reconduction lexicale pour "éclatante", avec folie à constater dans ses deux yeux :
Mais tu m'as révélé l'ineffable mystèreQui fait que le mortel devient pareil aux dieux !Vois ma joie éclatante et folle, vois mes yeuxEblouis. O Doris ! j'aime : j'aime ! te dis-je.
Mnazile s'enflamme ensuite avec une vision de la forêt qui fait tout se taire pour écouter l'appel à l'amour de Doris :
Pendant que tu parlais, ô Doris ! la forêtFaisait taire les nids et paraissait jalouse.J'oubliais les rochers, la source, la pelouse,Et je voyais briller dans l'enfoncement noirDu taillis redoutable, asile où dort le Soir,Une apparition, un fantôme, une femme,Dont le regard disait : Viens donc ! je te réclame !
Je ne peux manquer de comparer les relatives entre les deux poèmes Le Bois et "Tête de faune" : "où dort le Soir" et "où le baiser dort", puisque les lieux sont comparables et dans un cas il est question d'éveiller un "Baiser d'or" et dans l'autre cas il s'agit de cerner l'apparition d'une femme au fond du sommeil du soir, si je puis dire !
Avec son ambiance de vaudeville, la comédie de Glatigny se permet un nouveau "couac !" Doris se montre curieuse du nom de la femme aimée et l'inconscient lui balance celui de "Ianthé". Il en vante même les cheveux blonds, ainsi que sa "joue en fleur, riante", puis "Sa lèvre charmeresse". La scène 4 tourne en querelle. Doris se plaint de la traîtrise de Mnazile et si les propos sont une suite de petits riens habituels à ce genre de comédie sur les sentiments amoureux il y a tout de même une superposition intéressante dans les propos de Doris. Elle a éveillé Mnazile à l'amour, mais le voulait pour elle, et elle formule assez finement ce projet avec une coloration métaphysique :
O dieux ! je me berçaisDe ce rêve : animer une âme ! [...]
Voyant pleurer Doris, Mnazile découvre qu'il se trompe, il croyait sincèrement aimer Ianthé, alors qu'il est finalement amoureux de Doris. Cette fois, le retournement de situation n'est justifié par aucune subtilité de brillant dramaturge. Et il nous faut citer la tirade de lumière de Mnazile avec une métaphore de l'amour lumière qui se retrouve dans "Tête de faune" et une nouvelle occurrence de l'adjectif "éclatant", avec l'image du "bois qui se réveille" qui là encore fait nettement écho à "Baiser d'or du Bois qui se recueille" :
Ma voix trompait mon cœur. Lorsque l'aube, levantSes voiles gris et froids sur le dôme mouvantDu bois qui se réveille, apparaît, on hésite.Le jour sort lentement de l'ombre parasite ;Tout est confus encore, et dans nos yeux troublésLuttent péniblement les rêves envolésAvec les vrais objets qu'effleure la lumière !Moi, cette aube d'amour, Doris, est la premièreDont les rayons charmants soient venus m'éblouir !C'est le jour triomphal, l'obscurité va fuir.Tout est confus encore et trouble dans mon être,Mais, tu le sais, l'amour n'est pas longtemps à naître:Il est né ! le voilà qui vient, je me soumets.Je nommais Ianthé, mais c'est toi que j'aimais,Et tu le savais bien, puisqu'en te parlant d'elleJe subissais ton charme éclatant qui m'appelle.
Doris avoue son amour et confie leur hymen au bois enchanteur, mais Mnazile clôt la pièce en s'adressant directement au public, ce qui nous invite à citer ces huit derniers vers qui font office de morale :
Mesdames et Messieurs, notre chanson est vieille ;Nos fils la rediront pourtant toute pareille :C'est celle que l'on fait sous les rameaux flottants,Aux brises de l'Eté, quand sonnent les vingt ans.Les premiers vers en sont tombés des lèvres d'Eve,Nous la continuons éternelle et sans trêve :Pour la chanter chacun est assez bon chanteur !Excusez, s'il vous plaît, les fautes de l'auteur !
Rien de nouveau dans le discours tenu par Rimbaud dans "Tête de faune", c'est une chanson vieille ! Je dirais que c'est tout de même une épure de la comédie de Glatigny sans les fautes vaudevillesques de l'auteur. Rimbaud s'est recentré sur l'idée clef d'un amour érotique qui met Vénus dans la Nature, ce dont l'amour de Doris et Mnazile se détache quelque peu...
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Il n'est pas vain de rappeler que pour "Tête de faune" Steve Murphy avait identifié que le vers 8 était une réécriture du dernier vers du poème "Sous bois" de Glatigny. Ultérieurement, Murphy a découvert que le titre "Sous bois" de Glatigny était commun à un poème des Cariatides de Banville, et que Rimbaud lui-même avait relevé ce fait, puisqu'une partie des rimes de "Tête de faune" sont reprises au poème "Sous Bois" de Banville.
La comédie Le Bois a un titre proche précisément de "Sous bois" et l'épigraphe du poème "Erato" renvoie à nouveaux aux Cariatides de Banville. Tout se tient.
Maintenant, il y a d'autres éléments à préciser.
En 1870, Rimbaud est quelque peu captivé par la poésie de Glatigny. Il a lu le volume de Lemerre qui réunit une préface nouvelle, Les Vignes folles, Les Flèches d'or et la comédie Le Bois, pourtant à peine parue sous forme de plaquette. Rimbaud connaissait-il les publications érotiques sous le manteau de Glatigny en 1870 même ? On peut prétendre que Bretagne l'aurait informé.
Toutefois, Rimbaud n'a rien emprunté au recueil Joyeusetés galantes et autres du vicomte Bonaventure de la braguette paru sous le manteau en 1866 avant sa montée à Paris pour rejoindre Verlaine. C'est au début de l'année 1872 que Rimbaud a composé le poème "Tête de faune" à une époque où il peut assister à des représentations sur scènes de pièces de Glatigny, sachant que Rimbaud reprend au même moment, en février 1872, dans "Les Mains de Jeanne-Marie", la rime "usine"/"cousine" de la comédie de Glatigny Vers les saules jouée ou sur le point d'être rejouée sur les planches à Paris.
Le volume Joyeusetés galantes contient par ailleurs un poème "Ballade pour Sidonie" où le nom féminin fait songer à quelques poésies de Charles Cros, mais poème qui contient en un vers la citation latine "Per amica silentia lunae" qui sert de titre à Verlaine pour un poème de son propre recueil publié sous le manteau Les Amies. Notons que le recueil Les Amies implique le recours aux vers de dix syllabes, comme le poème "Sous bois" de Banville. Qu'il en ait eu connaissance ou non avant, c'est surtout à Paris en compagnie de Verlaine que Rimbaud a lu le volume Joyeusetés galantes... et en a tiré parti.
Comme il s'agit d'une source indiscutable au poème "Tête de faune", je voudrais apporter quelques précisions.
Commençons par rappeler le texte du poème "Sous bois" de Glatigny. Il s'agit d'un poème en rimes plates de seize vers. Le poème "Tête de faune" est en trois quatrains, quatre vers de moins, et il faut opposer une prestation de Glatigny en alexandrins à une composition en vers de dix syllabes, à césure après la quatrième syllabe.
Le poème est assez peu obscène, mais il exalte l'immédiateté d'un désir amoureux, puisqu'en gros nous avons un motif du coup de foudre repensé en désir sexuel immédiat.
Nous avons l'idée du sommeil latent : "couché", "Tu savoures", "les yeux demi-fermés", "la paix", "sommeilles", etc. Le sommeil langoureux est apporté par le soleil. Cela donne une idée de ce qu'est un "Baiser d'or du bois, qui se recueille." L'idée chez Glatigny précède l'éclat de rire, puisque forcément celui-ci est mentionné au dernier vers. Nous retrouvons le "jour voilé" qui correspond à un "écrin vert taché d'or". Nous retrouvons l'idée des lèvres rouges comme saignantes avec les fruits : "barbouillé de mûres", idée renforcée par le gâchis qui suit : "Tu laisses échapper tous les beaux fruits cueillis[.]" Dans "Tête de faune", c'est la lèvre elle-même qui est décrite comme saignante, enivrante, rougeoyante, mais je vais montrer plus bas qu'il ne faut pas se limiter à la lecture du seul poème "Sous bois" parmi les récits du vicomte Bonaventure de la braguette. Sur ce poème, j'ajoute que je relève trois répétitions du mot "yeux", ce qui est assez conséquent en seize vers, deux fois il est question du faune : "les yeux demi-fermés", "et tes yeux [...] / S'allument", et comme si cela ne suffisait pas il y a mention de ceux de la proie amoureuse : "Naïs aux yeux charmants". On retrouve le motif des cheveux blonds comme dans la comédie Le Bois et à la sensualité de la protégée de Diane : "de son pied nu caressant les pervenches" répond la fougue enthousiaste de l'être bestial : "Et ton rire lubrique éclate sous les branches[,]" ce que Rimbaud a repris au milieu de son poème, au dernier vers du quatrain médian : "Sa lèvre éclate en rires sous les branches" (variante : "Sa lèvre éclate en rires par les branches"). Rimbaud crée un calembour métrique en brisant à la césure l'expression "éclater de rire" : "Sa lèvre éclate en rires sous les branches."
Sous boisÔ bon faune ! couché dans les fourrés épais,Tu savoures, les yeux demi-fermés, la paixQui tombe du soleil sur la cime des chênes.Les lianes, pendant comme de vertes chaînesA tous les bas rameaux, emplissent la forêtOù court un jour voilé, langoureux et discret.Tu songes, barbouillé de mûres, et sommeillesSous le vol circulaire et pesant des abeilles.Mais tout à coup, muet, courbé sous le taillis,Tu laisses échapper tous les beaux fruits cueillis ;Tu frémis, et tes yeux, dans ta face cornue,S'allument... C'est qu'au fond de la verte avenue,Naïs aux yeux charmants, chère à Diane encor,Svelte et laissant flotter ses vives tresses d'or,Paraît, de son pied nu caressant les pervenches...Et ton rire lubrique éclate sous les branches.
J'ai souligné en bleu les seconds hémistiches pour que vous remarquiez que quand il concerne le faune le mot "yeux" est à chaque fois calé devant la césure, et pour souligner aussi le rejet expressif "de mûres". La mention du mot "rameaux" doit nous rappeler le poème "Erato" de Banville avec la métaphore de la chevelure, mais ce rappel est un peu accessoire ici. Le mot "pervenches" nous rappelle que dans Les Vignes folles la première césure audacieuse de Glatigny s'appliquait à un alexandrin contenant cette même mention de fleurs. Dans la comédie Le Bois, le faune célèbre un églantier et dit aimer les cheveux blonds. Ces détails et d'autres reviennent à maintes reprises dans les poésies de Glatigny, créant un jeu d'identification de l'auteur à son faune. La présence des églantiers est particulièrement remarquable. J'imagine que Rimbaud était en tant que lecteur sensible à tous ces faits. Je relève aussi ici une rime "encore"."or", avec licence sur le mot "encor", ce qui est à rapprocher de la rime "dort"/"d'or" insolemment pratiquée par Rimbaud dans "Tête de faune", poème qui exhibe pourtant des rimes reprises à Banville, le censeur.
Un autre détail retient notre attention. Dans les Illuminations, Rimbaud produit un complément à "Tête de faune" avec le poème "Antique" et il y apparaît cette relative intrigante "où dort le double sexe" qui est un écho patent à "où le baiser d'or" et partant aux relatives symboliquement similaires que nous avons repérées dans les vers faunesques de Glatigny.
Ai-je fait le tour de mon sujet, maintenant que je semble n'avoir rien à dire de plus sur le poème "Sous bois" lui-même ?
Eh bien, pas tout à fait.
Dans l'économie du recueil Joyeusetés galantes... le poème "Sous bois" est précédé du poème "Hermance" à vers courts (quatrains de trois vers de six syllabes conclus par un vers de quatre syllabes), il y est question d'une fille de joie tatouée où ses seins invitant aux morsures permettent de téter du vin. Cette fille est assimilée à une faunesse et je ne peux manquer non plus de citer la caractérisation érotique de sa lèvre :
Sur ta lèvre écarlateAvec ivresse éclateLa superbe splendeurDe l'impudeur !Bien ! ardente faunesse,Tu veux que l'on connaisseLes triomphants accordsDe ton beau corps ;Et ta forme lascive,Largement expansive,Comme le soleil rouxBrille pour tous !
Ce quatrain sur la "lèvre écarlate", dans l'économie du recueil, anticipe clairement le vers final de "Sous bois" que Rimbaud a adapté en son poème. Le mot "écarlate" qui équivaut à "écarlatine" à la rime dans le poème en trois quatrains "Vu à Rome" est lui-même intéressant à relever, d'autant qu'à quelques reprises Glatigny compose plutôt à la rime l'ensemble "lèvre purpurine". Nous avons la mention "lèvre", la mention "éclate" à la rime, sachant que chez Rimbaud elle est à la césure. Plus loin dans le même poème, nous avons la rime "lèvre"/"fièvre", la "lèvre" apaisant la "fièvre". Glatigny raille les amours qui se cachent, et les impuissants, et revient à l'exaltation d'une sexualité débridée et vigoureuse avec le personnage d'Hermance (avec Glatigny, on est un peu dans l'immoralité à relent nazi de la supériorité sexuelle), et il nous faut encore citer le quatrain suivant pour son "rire" et ses "yeux" :
Mais adorable Hermance,Dont la sage démenceS'en va, les yeux ardents,Le rire aux dents,[...]
Je précise que
L'expression "vin vieux" a déjà été employée par Rimbaud en 1870, elle fait son retour dans "Tête de faune", mais là encore le recueil sous le manteau de Glatigny a pu jouer un rôle dans cette réactivation avec le quatrain suivant du poème "L'Idiote" :
Car nulle, nulle ivresse au monde,Jaillissant des vins les plus vieux,Ne donne l'ivresse profondeQui coule pour moi de tes yeux.
J'ai remarqué un emploi du mot "broderies" au pluriel et à la rime dans "Pothey", ainsi que pas mal d'emplois du verbe "crever" dans les poèmes érotiques de Glatigny, notamment : "crevant d'amour" ("Buloz"), "ma culotte qui crève" ("La Nuit de mai"), "et je crève / De mon cul anguleux" ("Le préjugé vaincu").
Dans ses différents ouvrages, recueils de poésies, comédie Le Bois, etc., Glatigny affectionne l'emploi à la rime de l'adjectif "incertain". Nous en avons deux emplois ici dans "Passant à Rennes" et surtout dans "Pour une dévote" : "Si j'étais, dans l'ombre incertaine," ce à quoi Rimbaud fait écho, même s'il n'emploie pas l'adjectif à la rime : "Dans la feuillée, incertaine et fleurie". Glatigny emploie aussi à plusieurs reprises le verbe "trembler" ou l'adjectif "tremblant" et souvent à la rime dans ses poésies érotiques. J'aurais pu citer aussi les emplois de "fuir" et "s'enfuir". L'imprégnation est donc réelle sur la composition du poème "Tête de faune", mais comme il existe une variante "perle", je me permets encore de citer ces vers du poème fort explicite "La Branleuse" plutôt situé au début du recueil :
Je suis celle qui branle ! Et cependant, parfois,Quand je vois, comme au temps où la sève des boisMonte et bouillonne et perle à la pointe des branches,Jaillir des nœuds pressés le foutre en larmes blanches,Je songe que l'un d'eux, marqué du sceau fatal,Pénétrera demain dans mon con virginal !
Rimbaud a cité le mot "branches" à la rime en le couplant au pluriel "rires, et précisément au vers 8 qui est la reprise du dernier vers de "Sous bois" de Glatigny :
Sa lèvre éclate en rires sous les branches. / variante : Sa lèvre éclate en rires par les branches.
Dans le dernier quatrain, le rire est soit associé au verbe "tremble", soit au verbe "perle" :
Son rire tremble encore à chaque feuille / variante : Son rire perle encore à chaque feuilleDans ma lecture de "Tête de faune" en décasyllabes littéraires à césure exclusivement reportée après la quatrième syllabe, les verbes "tremble" et "perle" sont tous deux devant la césure, comme le verbe "éclate" au vers 8, ce qui signifie déjà comme un éclaboussement de ces rires aux césures, et dans la citation que j'ai faite du poème "La Branleuse", nous avons dans le même vers : "perle" calé devant la césure et "branches" à la rime, sachant que chez Rimbaud il y a une correspondance de "sous les branches" ou "par les branches" / "à chaque feuille".
Je voulais enfin revenir sur le poème "Les Petites amoureuses".
J'ai déterminé que "Ce qui retient Nina" est né de la lecture de la préface de Glatigny à son recueil de 1870 Poésies de Albert Glatigny : Les Vignes folles, les Flèches d'or, Le Bois. Je cite l'extrait clef de la préface "A J. Lazare" où Glatigny fait une référence implicite à l'opéra-comique d'Offenbach :
[...] D'ailleurs, de même que l'on conserve les portraits d'un homme aux différents âges de sa vie, il est bon de conserver les portraits distants de l'âme d'un poëte. Toutes ces choses puériles, enfantines, ces grandes douleurs à propos d'une piqûre d'épingle, c'est la vérité après tout. Fortunio dit : j'en mourrai ! avec conviction. Plus tard, gras, riche, positif, il sourit en songeant aux déclamations des premières années qui, maintenant, seraient grotesques dans sa bouche.
Difficile de ne pas rapprocher la formule "Toutes ces choses puériles, enfantines" et quelques autres remarques désinvoltes de passages de la lettre de Rimbaud à Banville de mai 1870 : "enfant touché par le doigt de la Muse", "pardon, si c'est banal", "mes bonnes croyances, mes espérances, toutes ces choses des poètes", "je suis jeune". Dans sa préface, Glatigny poursuit en disant : "D'autres illusions m'éblouissent aujourd'hui", ce qui équivaut au mot "chimères" et à la répétition abondante de "espérances" dans la lettre de Rimbaud, lequel avec sa dérision : "c'est bête, n'est-ce pas, mais enfin ?" semble là aussi s'inspirer de la manière de Glatigny : "D'autres illusions m'éblouissent aujourd'hui. Valent-elles mieux que celles dont ce livre me rappelle le souvenir ? Je ne sais. Ce que je sais, c'est que je vous serre la main franchement et de tout mon cœur, et que les vieilles amitiés, plus heureuses que les vieilles amours, n'ont jamais de rides." J'en suis même à me demander si "tendez-moi la main" et "les poètes sont frères" ne sont pas des adaptations de la dernière phrase de cette préface : fraternité pour "vieilles amitiés" et "tendez-moi la main" pour "je vous serre la main".
Rimbaud a donc composé "Ce qui retient Nina" devenu "Les Reparties de Nina" à partir de la préface de Glatigny. Il avait donc identifié aussi la référence à l'opéra-comique d'Offenbach intitulé clairement La Chanson de Fortunio. "Ce qui retient Nina" a la forme de la "Chanson de Fortunio", quatrains où les vers impairs sont des octosyllabes et les vers pairs des quadrisyllabes. Nina est un personnage du répertoire lyrique de Musset que les poètes ont repris ensuite à l'envi, ainsi que les prosateurs tels que Zola. Nina fait aussi un peu songer à Ninon de Lenclos, mais c'est la référence au cliché de Musset qui prime ici bien entendu, et Rimbaud en reprenant la strophe de la "Chanson de Fortunio" savait que celle-ci dans les éditions des poésies de Musset côtoyait précisément le poème "Réponse à Ninon".
La réflexion propre à la préface de Glatigny devient un élément important quant à la compréhension des visées de sens du poème "Ce qui retient Nina", mais cela vaut aussi pour "Mes petites amoureuses", poème qui reprend la strophe de "Ce qui retient Nina" et donc de la "Chanson de Fortunio". Or, le titre "Mes petites amoureuses" permet à la fois une référence à Alphonse Daudet avec son recueil Les Amoureuses et plus directement encore à Glatigny avec son poème "Les Petites amoureuses". A cause du "mouron" et des "caoutchoucs", il est clair que Rimbaud vise aussi Daudet dans "Mes petites amoureuses", mais pour le cas de Glatigny cela semble un peu plus compliqué. Quelle pourrait bien être l'intention satirique à l'égard de Glatigny un poète qu'apprécie Rimbaud et qui fait dans l'obscène débridé et l'exaltation sexuelle ? La préface de Glatigny permet de réorienter quelque peu la réflexion sur les visées critiques de "Ce qui retient Nina" et "Mes petites amoureuses".
Mais, il y a aussi le cas du poème "Les petites amoureuses" qui fait partie du recueil Les Flèches d'or.
Il s'agit d'un poème en quarante alexandrins à rimes plates.
Le propos est certes un peu plus mièvre quand on compare avec les pièces publiées sous le manteau, voire avec d'autres poèmes des Vignes folles ou des Flèches d'or, mais on ne comprend pas très bien pourquoi Rimbaud haïrait les "amoureuses" mêmes plus mièvres ici d'un poème de Glatigny. Le poème décrit des amours vécus à quinze ans. Si on prend le parti d'exploiter les mots de Glatigny sur Fortunio, il y a un peu l'idée que le poète a mûri en âge, mais ce n'est sans doute pas suffisant. Glatigny décrit trois amoureuses, la première connue à quinze ans : Lucile, Laurette et Suzanne. Il s'agit ici d' "Enfantines amours". Les verbes au passé entrent en résonance avec "Mes petites amoureuses" : "Est-ce vous que j'aimais la première" et "nous admirions" contre "Nous nous aimions à cette époque". Le garçon a un amour inexpert : "Sans savoir / Pourquoi, je regardais Laurette à son miroir." Laurette manifeste une réserve de convenance et aspire au modèle bourgeois : "un homme ne sait / Qu'être méchant toujours ; elle faisait la dame." Il est question de "longs regards humides sous les cils". Il reste un souvenir charmant pour des filles qui ont joui d'une compagnie amoureuse sans aucun aveu. On peut bien sûr envisager que Rimbaud raille la nostalgie des amours tout en retenue pour des filles bien sages, mais la critique ne porte guère quand il s'agit de l'auteur licencieux qu'était Glatigny. La liaison à Glatigny du titre "Mes petites amoureuses" est plutôt liée au rôle joué par la préface de Glatigny dans l'émergence de la réflexion rimbaldienne sur les rapports amoureux des poètes aux femmes. Je n'identifie pas une satire de Glatigny en tant que telle. Qui plus est, en-dehors du titre, les liens sont dérisoires entre le prétendu modèle et ce qui en serait la parodie.
Là encore, il convient de se reporter à l'économie du recueil Les Flèches d'or pour identifier d'autres sources possibles. Le poème "Les petites amoureuses" est suivi par la pièce "Les Rêves" où le poète s'est fait plumer par une espèce de Nina. On passe ensuite au poème "Les Jouets" où l'amoureux s'identifie à un jouet brisé par la belle qui passe à autre chose. Et ensuite, nous avons un poème en vers courts de sept syllabes "Le Donec-Gratus... De la rue Monsieur-le-Prince". Rimbaud n'anticipait sûrement pas qu'il y aurait un logement un jour, mais ce poème est une source évidente pour "Mes petites amoureuses", je vous cite son premier quatrain :
Je me souviens d'une époqueOù nous nous aimions au mieux ;Chaque fois que je l'évoque,Des pleurs me viennent aux yeux.
Il ne faut pas se contenter du minimum. Il faut lire toutes les pièces qui côtoient le morceau "Les Petites amoureuses" pour identifier les sources chez Glatigny à "Mes petites amoureuses".
Je peux amener d'autres citations : "Nous dépensions à main pleine [...]", "Et nous donnions leur volées / Aux rires, de cent façons." La prosodie et la tournure grammaticale des phrases mises en vers de "Mes petites amoureuses" est clairement proche de ce poème. Un élément ressort de tous les poèmes ici convoqués de Glatigny, c'est que le poète semble souvent être abandonné des amoureuses. L'amour ne dure pas toujours, et cette inconsistance du sentiment amoureux est un argument implicite de la pièce satirique rimbaldienne à n'en point douter.
Ce sera tout pour cette fois.
Dans l'article du mercredi 6 janvier 2021, j'écrivais déjà ceci : "C'est évidemment le discours explicite de Mnasyle dans la comédie Le Bois de Glatigny, et j'ai un paquet de mentions clefs du bois à mettre en valeur dans les vers de Glatigny pour achever de convaincre le public d'un pont symbolique à faire avec les vers de Rimbaud."
RépondreSupprimerLe mercredi 16 décembre 2020, dans l'article "Le lien des décasyllabes de Tête de faune à Glatigny", j'écrivais plus tôt encore : "la pièce Le Bois qui est une source essentielle aux trois quatrains "Tête de faune" de Rimbaud". J'y citais d'autres sources potentielles pour "Tête de faune", le poème "Lydia" par exemple...