vendredi 17 janvier 2025

Les poèmes d'enfance et de jeunesse de Mallarmé : quelques enseignements à en tirer !

Dans l'histoire du vers, Mallarmé qui n'a pas composé une quantité exceptionnelle d'alexandrins occupe tout de même une place importante. Pour moi, sa célébrité est surtout liée au fait qu'il partage avec Rimbaud et dans une moindre mesure Nerval le fait d'avoir produit une poésie hermétique fascinante. Je suis plus réservé quant à son importance pour l'histoire du vers et même je suis un peu réservé quant à ses conceptions syntaxiques qui donnent souvent l'impression d'effets de manche. Il est tout de même l'un des trois poètes mis au centre du livre de Benoît de Cornulier Théorie du vers avec Verlaine et Rimbaud, ce qui coïncide avec l'habitude que nous avons de considérer Verlaine, Rimbaud et Mallarmé comme les trois poètes inspirés par Baudelaire, et situés au-delà du Parnasse, qui ont fondé une nouvelle étape de poésie moderne dont, bon an mal, la génération symboliste a été la première héritière.
Tout ça est pour moi un peu à démêler, d'autant que je pense que, contrairement à Verlaine et Mallarmé, Rimbaud est un poète hugolien contrarié par la baudelairophilie de Verlaine, des zutistes et du milieu poétique parisien de son époque. Rimbaud était en effet un provincial, il venait de Charleville, pas encore Charleville-Mézières, et il était à même de voir que le refoulement de Victor Hugo par les élites parisiennes était problématique. Mais notre sujet du jour c'est l'évolution du vers.
Je prévoyais de sortir avant cet article sur Mallarmé une étude sur les deux premières éditions du recueil des Odes funambulesques de Banville en 1857 et 1859, mais ça prend du temps, et j'ai quelque chose de rapide à rédiger en ce qui concerne Mallarmé et qui ne manque pas d'intérêt.
Dans Critique du vers, Jean-Michel Gouvard fait lui aussi une place importante à Mallarmé. Plus précisément, c'est paradoxalement Rimbaud qui est celui des trois poètes étudiés par Cornulier dans Théorie du vers qui est le moins mis en avant par l'étude de Gouvard, lequel accorde une importance toute particulière à Verlaine, et Mallarmé joue un rôle non négligeable avec des listes de vers commentés sur plusieurs pages.
Je n'ai pas le volume de Cornulier sous la main, ce qui me gêne dans la mesure où j'ai un vers dont je ne comprends pas qu'il ne soit pas traité par Gouvard. Je parie qu'il doit s'agir d'une coquille dans un volume de la collection de La Pléiade, mais on va en parler tout à l'heure. En tout cas, les conclusions de Gouvard sont postérieures à celles de Cornulier et je vais revenir sur certaines conclusions avec des arguments.
Donc, dans Critique du vers, nous avons une bibliographie en fin d'ouvrage qui a été faite plus rigoureusement et une bibliographie à l'intérieur de l'ouvrage qui fait doublon, a été conçue moins rigoureusement et qui s'intitule "Corpus général".
A la page 136, au sein du "Corpus général", nous avons l'alinéa suivant à propos de Mallarmé :
Stéphane Mallarmé : Poésies complètes (1859-98, 2787)
Je n'ai pas inversé les italiques et les caractères romains pour signifier que je faisais une citation. Le chiffre en italique "2787" correspond au nombre d'alexandrins que contiendrait le volume consulté par Gouvard et qui a été intégralement analysé. Vous avez aussi une fenêtre chronologique qui va de 1859 à 1898. Je fais remarquer que tous les vers de Mallarmé sont donc postérieurs à la publication des Fleurs du Mal en 1855 (pré-originale en revue) et en 1857 (édition condamnée), postérieurs aussi au recueil de 1855 de Leconte de Lisle. Mais on va faire d'autres constats plus précis ensuite. Je cite maintenant l'alinéa consacré à Mallarmé dans la véritable "Bibliographie" de fin d'ouvrage, là encore sans inverser les italiques et les caractères romains :
Mallarmé, S., 1983 : Œuvres Complètes I : Poésies, édition de Carl Paul Barbier et Charles Gordon Millan, Flammarion.
Ce n'est pas l'édition que j'utilise. J'ai quelques volumes de Mallarmé dans la collection "Poésie Gallimard", mais je ne les ai pas là sous la main, et je travaille ici avec l'édition des Œuvres complètes Poésie - Prose dans la collection de "La Pléiade" avec "Introduction, Bibliographie, iconographie et notes par Henri Mondor et G. Jean-Aubry", imprimée en 1961.
Mon volume s'ouvre par une très courte introduction de quatre pages et demi, par un "Avant-propos" de deux pages et par une "Chronologie de Stéphane Mallarmé" en style quasi télégraphique, mais plus conséquente, et j'en arrive à la section des "Poëmes d'enfance et de jeunesse (1858-1863)".
Dans cette section, nous avons les poèmes suivants : "Cantate pour la première communion" (1858), "Sa fosse est creusée !...", "Sa Fosse est fermée" de juin et juillet 1859, "La Prière d'une mère" de juillet 1859, "L'Enfant prodigue", "Galanterie macabre", "A une petite laveuse blonde" et "A un poëte immoral" de 1861 tous deux, "Contre un poëte parisien" sonnet adressé "à E(mmanuel) des E(ssarts)", "Soleil d'hiver", "Mysticis umbraculis (Prose des fous)" de 1862, "Sonnet" ("Parce que la viande...") et "Le Château de l'espérance". Il y a 21 pages de poèmes (pages 3-23). En fait, on va voir qu'il faut diviser cet ensemble en deux parts distinctes. Il y a d'abord un ensemble qui va jusqu'en juillet 1859, et qui n'a aucune césure déviante, aucune influence complètement évidente des Fleurs du Mal, puis à partir de "L'Enfant prodigue" jusqu'au "Château de l'espérance", on voit se superposer la pratique des césures acrobatiques et les emprunts continus à Baudelaire.
Vous avez déjà le grand mot sur l'intérêt du présent article.  On va étudier le détail, mais je vais me servir aussi des notes de fin d'ouvrage. Je vais aussi dire certaines choses sur les premiers vers de 1858 et 1859 qui peuvent intéresser la réflexion d'un rimbaldien. Evidemment, je prends soin aussi de consulter les notes de fin d'ouvrage, parce qu'il y a d'autres vers inédits de jeunesse qui y sont cités, et parce que les informations intéressent ma réflexion.
Je trouve que les pages de mon volume de la collection La Pléiade ne sont pas faciles à tourner et la recherche n'est pas toujours évidente quand on doit retrouver à quel page commence les notes. Donc, la section des "Notes et variantes" commence à la page 1379 et l'introduction démarre à la page 1381. Les éditeurs nous expliquent que tout ne nous est pas parvenu, que certains textes attestés n'ont pas encore été retrouvés ou ne le seront peut-être jamais, etc. Nous avons un extrait de poème en vers de huit syllabes cité dans une lettre par Eugène Lefébure, puis des textes des débuts que les éditeurs ne voulaient pas mettre en avant "L'Ange gardien (narration)" texte en prose, "Pépita", six quatrains en alexandrins de mars 1859 et "Mélancolie" poème en vers courts de huit et six syllabes. "Pépita" et "Mélancolie" font partie de la même lettre de Mallarmé, encore collégien, à un ami lycéen Espinas à Paris.
Chaque pièce au dossier a son importance. J'ai dit tout à l'heure qu'il y avait deux époques dans les vers de jeunesse de Mallarmé, celle qui va jusqu'en juillet 1859 et celle qui suit et est marquée par l'influence des Fleurs du Mal. Qui plus est, l'essentiel des vers de la première époque date précisément de juin et juillet 1859. Seule une pièce de 1858 fait exception en gros. Or, les deux poèmes envoyés à Espinas dont l'un est daté de mars 1859 doivent faire partie de cette première période. Et pourtant, le poème "Mélancolie" est composé en faux-quintils. Le faux-quintil est un emblème des Fleurs du Mal, mais Baudelaire pratique le faux-quintil en répétant le premier vers en cinquième vers, puis petit à petit il lui accorde une relative autonomie en altérant la répétition. Mallarmé pratique lui le faux-quintil sur un mode chansonnier, le cinquième vers n'est pas une répétition du premier, mais il s'agit d'une sorte de refrain si je puis dire qui vient se coller à un quatrain en rimant avec lui, et le changement de mesure permet de souligner le caractère particulier de l'allongement strophique. Toutefois, le modèle est altéré en cours de route, nous avons deux authentiques quintils traditionnels qui se mêlent à l'ensemble :

Puisqu'Espinas, ô Falstaff, pense
Qu'ils sont un peu trop folichons
Les grelots dont sonne la panse,
- Voilant nos ris de capuchons
         Pleurnichons ! Pleurnichons !

Puisqu'une fleur en la rosée
Luis semble de pleurs arrosée,
Non de perles, - geais, qui nichez,
Rieurs, sous la feuille rosée,
        Pleurnichez ! Pleurnichez !

Puisqu'il s'affole de Racine
Qui fait pleureur jusqu'aux bichons,
- Qu'en gémissant on déracine,
Pour le ceindre, dix cornichons !
         Pleurnichons ! pleurnichons !

Puisqu'il trouve Horace un peu terne,
Lui, dont les pleurs sont du falerne,
Qu'il ne rit chez Scarron, ni chez
Rabelais, merle de taverne, -
          Pleurnichez ! Pleurnichez !

Puisqu'en l'art et la poésie,
Il soit deux mouchoirs - deux torchons ! -
Où chacun pleure l'Aspasie
De ses "rêves d'or" godichons
         Pleurnichons ! Pleurnichons !
 
Non... moi, je te laisse, Héraclite,
Mouiller ton luth hétéroclite,
Aux nuits dédier tes sanglots,
Ma muse n'est point carmélite
Et noierait son rire en tes flots !
 
Aux pleureurs pour tenir ta cour
D'un vieux corbillard fais ta niche !
Sois fidèle à feu ton amour
Comme à l'invalide un caniche
         Et pleurniche ! et pleurniche !
 
Des psaumes de la pénitence
Avec les tiens fais ta pitance !
Que, pour vos larmes, de l'enfer
Le ciel vous donne la quittance,
- Nous, avec Pluck croisons le fer !
 
Cet été, prends "l'Arrosement -
Public" si tu veux être riche !
Sur le macadam lentement
Promène-toi comme un derviche
Traînant ton triste régiment
   Qui pleurniche, pleurniche !
 
                                       Mallarmé
                                      Sans rancune !
 
 On jurerait le style des Odes funambulesques, il y en a tout l'esprit, et ça en respire les procédés. Vous avez un abus de la rime riche, un abus des jeux sur des noms propos, des saillies les unes sur les autres, plutôt allusives (il faut comprendre les allusions aux Plaideurs, etc.). Nous avons le suspens fort à la rime du premier vers de "pense", c'est complètement une manière d'écrire funambulesque, le côté je pirouette sur la rime, pirouette préparée par la saturation du vers d'Espinas à Falstaff en "a" et en sifflantes. La rime "folichons"/"capuchons" est très banvilienne aussi. La rime "pense"/"panse" est à rapprocher du poème "Bal des pendus" de Rimbaud, pièce de jeunesse fondée sur les allitérations, le goût des vers satyriques chargés d'effets phonétiques. Pour le sujet qui nous intéresse, nous avons un enjambement à la rime extrêmement banvillien : "ni chez / Rabelais" et cet enjambement remet en cause la bipartition claire entre une première époque de sage versification jusqu'en juillet 1859, puisque nous avons ici la première audace d'enjambement en date de Mallarmé. Celui-ci avait dû lire à la fois les Stalactites et les encore récentes Odes funambulesques dont la deuxième édition allait voir le jour cette année même. Rappelons que l'édition des Odes funambulesques en 1857 est dominée par les poèmes en vers courts sur des modes chansonniers anciens avec "triolets", "villanelles", "rondeaux" et j'en passe, les poèmes satiriques en alexandrins "Occidentales", "Evohé" étant plus diffus, comme noyés dans l'ensemble chansonnier. Banville en 1857 ne s'adonne pas encore aux césures audacieuses, cas à part d'un vers des "Folies nouvelles", mais Banville s'autorise les mêmes audaces à la rime. D'ailleurs, il s'autorise l'article indéfini "une" à la rime dans un poème, et l'article indéfini "un" à la césure dans ses "Folies nouvelles", et la forme à la rime "dans une" est reprise par Rimbaud dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" : "Dans une / Cabane de bambous". Je le dis depuis quelque temps que les équivalences d'enjambements audacieux à la rime ont été sous-évaluées dans les études métriques portant sur la césure. Il faut étudier parallèlement les deux, ce qui relève du pur bon sens. Je rappelle aussi que dans ses Odes funambulesques Banville offre un poème inspiré d'une pièce assez connu de Vincent Voiture, poète du dix-septième, avec le titre "sur l'air des landriry". Le refrain "landriry" et "landrirette" est repris à un poème précis de Voiture, ce que ne cache bien sûr pas Banville, qui cite sa source en justifiant... des licences orthographiques pour la rime en "y" !
Mais, je pense aussi à un autre modèle, le célèbre chansonnier Béranger. Je ne suis pas spécialiste encore de Béranger. Il faut vraiment que je me mette à tout lire de lui systématiquement. Je sais que dans l'une de ses chansons en vers courts il y a un déterminant "nos" suspendu à la rime. Et dans l'édition ici de Mondor et Aubry dans La Pléiade, on apprend qu'à ses débuts Mallarmé voulait ressembler à Lamartine et Béranger justement.
Et il y a cette question du faux quintil. Vous avez vu que "Mélancolie" est un poème en neuf strophes qui mélange des structures en réalité bien distinctes. Nous avons d'abord ce que j'appelle cinq faux-quintils, autrement dit cinq quatrains couplets accolés à un vers de refrain qui rime avec le dernier vers de quatrain-couplet. Le quatrain est en octosyllabes de rimes croisées ABAB et le vers de refrain est en six syllabes avec la rime B. Je vais parler de refrain, même si les répétitions sont bien sûr approximatives, variation de terminaisons verbales "-ez" et "-ons" pour commencer.
Nous avons ensuite deux quintils traditionnels qui apparaissent sans refrain, mais ils ne sont pas successifs. Les sixième et huitième quintils sont donc d'authentiques quintils d'octosyllabes AABAB. L'absence de refrain invite à comprendre que nous passons à un mode deux couplets un refrain, mais c'est plus dissolu que ça. Le septième quintil des faux-quintils initiaux : un quatrain ABAB allongé du refrain d'hexasyllabe, mais la dernière strophe forme un ensemble de six vers avec une alternance des rimes ABABAB. Cinq vers sont des octosyllabes et le dernier est toujours en hexasyllabe. Mais il est encore deux altérations à relever. Au septième quintil, le vers refrain ne joue plus la variation de terminaison d'impératif : "-ons" ou" -ez", mais sur une altération du mode d'énoncé : "Et pleurniche ! et pleurniche !" Toutefois, la scansion binaire d'une répétition à l'identique est conservé. Dans le dernier vers, la scansion binaire qui justifiait le refrain est attaquée : "Qui pleurniche, pleurniche !"
Vous l'aurez compris : au plan de la versification, ces vers de jeunesse sont loin de l'absence d'intérêt. Et on peut comparer ce poème à "Honte" de Rimbaud, par exemple, qui date de 1872, parce qu'on voit bien que la logique d'altération des strophes a une origine chansonnière et populaire, tant chez Mallarmé que chez Rimbaud.
L'autre poème "Pépita" dont le titre fait songer à Musset et puis Gautier est en alexandrins réguliers, avec très peu d'enjambements à la Chénier : "Aux flots noirs", et il convient d'y prêter attention, vu qu'il illustre combien le poème de juillet 1872 de Rimbaud : "Est-elle almée ?..." est d'évidence liée à un cliché d'époque qu'avec le temps nous ne percevons plus très bien :
[...]
Ce soir-là, je chantais un corsaire, Folco,
Roi des mers, qui mieux est, roi d'une courtisane.

[...]
Et Pépita la pâle, aux pleurs donnant essor,
Pour la vie a couvert ses tresses d'or d'un voile !

Tous deux à l'espérance avaient fermé leur coeur !
Oh ! l'espoir ! Cette brise au frais parfum qu'un ange
Souffle sur notre coeur, comme sur une fleur,
Qui lui donne la vie et des chagrins le venge !
 
[...]
 Pour justifier un propos tenus plus haut, j'ajoute la citation de Mallarmé suivante, page 1381 de mon édition, elle est adressée à Verlaine :
J'ai traversé bien des pensions et lycées, d'âme lamartinienne avec un secret désir de remplacer, un jour, Béranger, parce que je l'avais rencontré dans une maison amie. Il paraît que c'était trop compliqué pour être mis à exécution, mais j'ai longtemps essayé dans cent petits cahiers de vers qui m'ont toujours été confisqués, si j'ai bonne mémoire.
Voici maintenant la strophe inédite fournie par Lefébure :
Des pas sur les pierres sonnèrent :
Un pauvre passait dans ce lieu,
Or les blancs lilas s'inclinèrent
Et les oiseaux des bois chantèrent,
Le pauvre étant l'ami de Dieu.
Il s'agit clairement, comme le montre assez le dernier vers, d'un poème plein de réminiscences de la lecture des recueils de Victor Hugo avec des poncifs d'époque pour l'écriture en vers, poncifs qu'on retrouve chez Glatigny ou Rimbaud : "s'inclinèrent", "passait", "oiseaux des bois chantèrent".
Venons-en maintenant aux poèmes que Mondor et Jean-Aubry ont préféré admettre au seuil des Œuvres complètes. Nous avons d'abord une "Cantate pour la première communion" qui date de  juillet 1858. Mallarmé a déjà seize ans. Imaginez l'écart avec Rimbaud qui a composé à seize ans et trois quart en juillet 1871 le poème autrement ambitieux "Les Premières communions".
Le poème est dominé par le recours à l'octosyllabe, mais il contient le premier alexandrin connu de Mallarmé, qui tout unique qu'il est dans la composition est répété quatre fois avec le refrain :
De vos ailes couvrez ce joyeux sanctuaire[.]
La pièce est très clairement lamartinienne et elle est d'une mystique pieuse frappante, puisque Mallarmé va devenir un baudelairien qui raille Dieu très peu de temps après, mais on voit  que le goût affecté de Mallarmé s'est complu dans l'expression de la foi à un moment donné. Et quelque part, les premiers vers de Mallarmé permettent d'identifier ce qu'il y a d'affectation dans son art à partir d'une production non hermétique des plus lisibles. Dans les notes, Mondor et Jean-Aubry précisent toutefois que le poème s'inspire plutôt de Louis Racine que de Lamartine, ce qui a du sens. Le modèle classique d'un Louis Racine est plus prégnant, se justifie bien ici, mais cela n'exclut pas d'identifier un Mallarmé encore dans une période lamartinienne de son existence poétique, ça va de pair.
On relève aussi déjà cette manière de syntaxe épouvantable propre à Mallarmé :
Enfant, dans le Dieu de l'enfance
Qu'a su charmer ton innocence,
Dans cet hymen mystérieux
De la force et de la faiblesse
Ne vois-tu pas, ô douce ivresse !
Un prélude au bonheur des cieux ?
Le raccord de "dans le Dieu de l'enfance" n'est pas très heureux.
Nous nous retrouvons ensuite un an plus tard, et dans la succession des poèmes ainsi présentés nous avons l'épreuve de la mort qui semble mettre un terme à la foi pieuse. Nous avons deux pièces conséquentes en alexandrins qui se font écho : "Sa fosse est creusée !..." (titre et non incipit) puis "Sa fosse est fermée".
Le poème "Sa Fosse est creusée !..." est subdivisé en trois parties numérotées par des chiffres romains I, II et III. Nous avons une dominante d'alexandrins et de quatrains, mais cela est un peu irrégulier. Au début de la partie II, nous avons une insertion lyrique d'un dizain (au sens classique ABABCCDEDE, pas coppéen) en vers de huit syllabes, et notez que dans ce dizain à côté du quatrain ABAB le sizain a une forme plutôt réservée aux tercets de sonnet : CCDEDE au lieu de CCDEED. Dans le troisième mouvement, les deux derniers quatrains ont un vers final court, mais l'un a un vers de six syllabes : "- Et moi, je maudirai !", et l'autre un vers de huit syllabes : "Combien faut-il donc de nos pleurs !"
Pour moi, la forme et le fond du poème témoignent nettement d'une influence lamartinienne. Le traitement un peu laxiste de la forme fait songer à Lamartine et Musset. L'insertion du dizain lyrique est complètement d'obédience lamartinienne.
Dans leurs notes, Mondor et Jean-Aubry précisent que le critique Albert Thibaudet avait montré que les deux poèmes de jeunesse de Mallarmé "Sa fosse est creusée"/"Sa fosse est fermée" s'inspirent des Contemplations de Victor Hugo et précisément des poèmes "Charles Vacquerie", "A Villequier" et "Claire". Je suis d'accord avec ce constat, j'ai identifié des vers inspirés d'Hugo qui concernent aussi "Les Etrennes des orphelins". Toutefois, j'insiste tout de même sur un point. Hugo n'a pas de laxisme dans la forme et il s'inspire lui aussi de Lamartine, jusqu'au titre Contemplations d'ailleurs. La référence à Hugo n'exclut bien sûr l'évidente apparence lamartinienne des deux compositions de Mallarmé, d'autant plus que la révolte contre Dieu chez Lamartine a souvent une apparence sui generis qui pour moi ne transparaît pas dans la poésie hugolienne. Lamartine, c'est le poète qui écrit "Le Désespoir" puis qui va se faire pardonner son blasphème en plaçant le poème dans un recueil où un poème moins percutant fait la critique nécessaire du blasphème. On sait tous que le mystique chrétien a le droit de douter de Dieu : sainte Thérèse d'Avila ou autre, etc. Or, Lamartine, qui n'est pas un mystique chrétien, est souvent très suspect dans la composition retorse de ses recueils. Les poèmes les plus importants sont ceux de la fascination pour la révolte et pour la mort, il ne faut pas prendre les lecteurs pour des idiots. Je pense que même s'il s'inspire de Victor Hugo Mallarmé donne un sens à ses vers qui est plus proche de ce qu'un lecteur révolté contre Dieu peut retenir de savoureux à la lecture de Lamartine et de Musset.
Oui, à la lecture des vers, la syntaxe hugolienne prédomine tout de même sur le modèle lyrique lamartinien. On relève aussi de nombreux vers où se développe la manière de Mallarmé, que je ne trouve pas génial, plutôt maladroite, mais qui va devenir sa marque de fabrique, ce que je ressens comme une écriture alambiquée parce qu'à la va comme je te pousse :

Elle aura vu tomber son front, où l'auréole
Qui d'ans en ans pâlit étincelait encor !

Il sera dit, - malheur ! - que, fleuri sous ta serre
Son berceau, frêle espoir, fut son cercueil un jour,
Sans avoir vu dans l'ombre errer un nom d'amour !

Non ! - sa joue est de flamme et son sein s'aërise !

N'ornes-tu pas son front qu'afin qu'elle s'envole ?

Les rejets à la Hugo sont un peu abrupts ici, ou l'enjambement du troisième vers cité ci-dessous :

Elle aura vu tomber son front, où l'auréole

Non ! - la rose qui naît sur une tresse blonde
Au bal, [...]

Qu'un céleste reflet luit à ton front, tu pleures... -

Je relève tout de même la tournure particulière du vers suivant, un effet de pirouette hugolienne à la césure :

Heure par heure, glisse un pas dans les ténèbres :
et puis, j'ai un peu le sentiment d'une jonglerie mal assurée avec les mots grammaticaux et les pronoms qu'il faut placer pour donner de l'espace aux hémistiches :
Dépouille-t-elle ici ce qu'elle y doit laisser ?
J'y sens une circulation tâtonnante.
La prosodie du vers suivant est elle aussi déconcertante :
Il sera dit qu'honni tu gardes ton tonnerre !
Dans "Sa fosse est fermée", nous avons au dernier vers, un "couche-m'y" de futur professeur d'anglais :
Couche-m'y, sombre mort, je ne sais vivre seul !

J'ai un peu l'impression qu'avec le temps Mallarmé a transformé ses faiblesses-là en forces. Il est parti d'une base maladroite qui lui plaisait bien, qu'il a acceptée, et il en a fait une forme d'exhibition affectée qui avait son charme.
Ces poèmes sont intéressants à observer de près car ils donnent une idée des thèmes poétiques qui pouvaient dominer un esprit de lycéen de dix-sept ans à l'époque. Nous savons que "Les Etrennes des orphelins" ou "Credo in unam" sont des pièces de Rimbaud qui ont une origine scolaire. Et le poème "Les Premières communions" est aussi lié au fait que Rimbaud soit un adolescent, il y a peu encore scolarisé, et pas encore émancipé du foyer familial avec la mère pieuse. Il y a douze ans d'écart entre Mallarmé et Rimbaud, et on peut faire des parallèles sociaux entre leurs premiers poèmes. Le thème de l'orphelin, le thème de la communion, le motif de la mort avec l'espoir en l'au-delà ou non, on voit les échos, et forcément Hugo avec le poème "Claire" est à envisager à deux reprises comme source, un Hugo qui s'inspire du poème de Jean Reboul à l'origine des "Etrennes des orphelins" dans pas mal de pièces des Contemplations, dont "Claire". Le poème "La Prière d'une mère" est dans la continuité, il date lui aussi de juillet 1859 comme "Sa fosse est fermée!" Et le poème qui parle de "Harpe" est clairement dans l'esprit des Harmonies poétiques et religieuses de Lamartine. Cependant, Mallarmé reproche la mort des êtres chers à Dieu et dénonce son sourire qu'il communique à l'univers au mépris de ceux qu'on oublie. On cerne un Mallarmé encore sous l'influence du métier d'un Lamartine et d'un Hugo, mais avec une prédisposition à la révolte radicale qui annonce son penchant baudelairien. Musset n'assumera pas pleinement la révolte, Lamartine la refoulera. A partir de la découverte des Fleurs du Mal, qu'elle ait eu lieu en 1857 même ou pas, ou après juillet 1859, éventuellement, Mallarmé va rapidement adopter un nouveau maître.
Le poème "L'Enfant prodigue" signifie le tournant baudelairien de Mallarmé, il n'est pas daté dans mon édition. On suppose en général que ce poème date de 1862. Nos éditeurs penchent pour l'année 1861 même sous prétexte que le style baudelairien doit résulter de la lecture de la seconde édition des Fleurs du Mal parue cette année-là. Mais, comme tous les poèmes qui suivent sont autant saturés d'emprunts à Baudelaire, l'argument n'est pas recevable. On peut dire que le poème est postérieur à la seconde édition du recueil de Baudelaire en 1861, mais on ne sait pas si c'est de 1861 même, de 1862, voire plus tard. Gouvard a considérée comme acquise l'année 1862 dans Critique du vers.
Pour moi, l'important, c'est que Mallarmé écrive après la découverte des Fleurs du Mal. Peu importe le moment précis. Certaines conclusions s'imposent et auraient dû s'imposer plus nettement à Gouvard. Mallarmé va produire de premières césures audacieuses en même temps qu'il ne cesse d'emprunter à Baudelaire, à la limite du plagiat. Donc, Mallarmé ne fait que surenchérir à partir de l'exemple donné par le recueil de 1861 de Baudelaire, et j'insiste sur la référence à la seconde édition, puisque de 1855 à 1857 les césures chahutées publiées par Baudelaire sont peu nombreuses, peu fréquentes.
Le poème "L'Enfant prodigue" est composé de cinq quatrains en deux parties numérotées I et II. Le poème est saturé d'emprunts à Baudelaire, dois-je répéter et le premier vers du troisième quatrain est une démarcation du vers : "A la très belle, à la très bonne, à la très chère" avec césure sur le même article défini "la" :
O la mystique, ô la sanglante, ô l'amoureuse,
[...]
La forme de trimètre découle mécaniquement du modèle suivi et il s'agit même d'un choix exprès. Lisez "L'Enfant prodigue", et vous n'aurez aucun mal à identifier les citations "Le Gouffre", "La Géante", "l'amour est une orange sèche", "un vieux parfum", "Un fétide torrent de fard mêlé de vin !", "Quel Dmon te tordait le soir...", "Je veux plonger ma tête", etc., etc.
Le poème "Galanterie macabre" est du même ordre : "Dans un de ces faubourgs où vont des caravanes..." Il est clair qu'il s'agit de reprendre un maximum d'éléments pour sonner comme Baudelaire.
Je relève un entrevers pourtant pas tellement baudelairien dans l'exécution : "presque / En gésine", encore que ! Et il est suivi par la césure sur le mot "comme":
- Sans sacrements et comme un chien, - dit sa voisine.
 Il y a plusieurs "comme" à la césure dans l'édition de 1861 des Fleurs du Mal, ce qui n'était pas le cas auparavant (1855-1857). Le "comme" à la césure apparaît aussi en 1855 chez Leconte de Lisle, et il y en a une vingtaine d'occurrences hugoliennes auparavant. La volonté de ressembler à Baudelaire est ici patente, j'ignore à quel point Mallarmé ignorait les antériorités hugoliennes au moment de composer son poème. Je remarque un emploi en suspens à la rime de l'adverbe "puis", ce qui est spécifiquement hugolien. Le dernier quatrain exhibe l'équivalent de ce "Puis", un "Mais" à la rime procédé de Corneille à la césure dans Suréna, mais aussi par Hugo et bien sûr par Banville dans le premier poème des Odes funambulesques de 1857 "La Corde roide".
Or, l'autre césure audacieuse du poème "Galanterie macabre" est précisément sur la préposition "sous". Même si Mallarmé pouvait ignorer son emploi à la rime dans Marion de Lorme de Victor Hugo, il a pu l'identifier dans "Le Beau navire" de Baudelaire et il peut savoir que c'est la toute première audace en date de Leconte de Lisle dans son recueil de 1855 au côté d'un "comme" à la césure.
En clair, le poème "Galatnerie macabre" fait la recension de premières césures audacieuses que Mallarmé a relevées à la lecture, il choisit "comme", "sous", "puis", "mais" et le trimètre avec "la", donc il montre qu'il a une idée à peu précise des vers emblématiques qui sont en train de peser dans l'évolution en cours des césures.
Mallarmé prend soin aussi de jouer avec la référence superposée du trimètre, mai référence instable qui peut se dissoudre en simple allure ternaire non symétrique :

Rire le cuivre, et, sous la pluie, un brin de buis...

Par la lucarne, avec une échelle, à grands pas.
On ne va pas inventer que Mallarmé prend déjà confiance et qu'il sait déjà assouplir le trimètre en semi-ternaire. Si Mallarmé pratique en même temps le trimètre et l'allure ternaire asymétrique, et cela dès ses débuts dans les césures audacieuses (dès son deuxième essai), c'est que le semi-ternaire n'est qu'une illusion rétrospective créée par la critique littéraire. Le vers qui commence ainsi "Par la lucarne", n'est pas un semi-ternaire avec un hémistiche de quatre syllabes. La forme de quatre syllabes est un résidu de l'évitement du trimètre, pas une espèce de garde-fou nécessaire. Puis, les probabilités d'avoir un trimètre ou d'avoir un semi-ternaire potentiel soit 48 soit 84 sont bien distinctes, sont incomparables même en principe.
Je remarque enfin que les enjambements sont beaucoup mieux justifiés désormais sous la plume de Mallarmé : "Dont le matin rougit + la flamme", "Dont le rêve me hante + encore", "presque / En gésine", "et comme + un chien", "Montre le mur blafard + par ses trous", "Toutes chaises attendent + la bière", "il est permis qu'on meure / Pauvre", etc. Mallarmé a désormais appris le métier des enjambements, et cela par imitation de Baudelaire et aussi d'Hugo : "Montre le mur blafard + par ses trous". Il comprend mieux la logique sémantique, la logique grammaticale, la logique énonciative qui permet de justifier les audaces métriques, de les faire passer naturellement dans un poème. Il progresse aussi au plan prosodique avec le cas d'enjambement harmonisé qui suit :
Dont la cire a déjà pleuré plus d'un mort, puis[...]
Il sait que la forme ciselée "pleuré plus d'un mort" permet de maîtriser les heurts à la césure et à l'entrevers.
Mais quelque chose ne vous a pas fait tiquer dans les vers que je viens de citer :

Trois chaises attendent la bière : un cierge, à terre,
[...]
On attribue à Rimbaud avec le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." les premières césures lyriques au sens fort du terrme de la poésie française depuis Villon, depuis leur proscription à l'époque de Jean Lemaire de Belges. Or, ici, nous en avons une sur "attendent".
Cornulier et Gouvard n'ont pas relevé ce vers. Ai-je affaire à une coquille ?
Pour l'instant, j'en suis là. Je n'ai pas la réponse. Quelque chose m'échappe. En tout cas, intuitivement, je perçois que "L'Enfant prodigue" et "Galanterie macabre" sont deux poèmes contemporains l'un de l'autre. Le poème est daté sur un manuscrit de 1861, manuscrit qui est la propriété de l'éditeur même Henri Mondor. Celui-ci prétend minimiser la référence à Baudelaire, au profit de Gautier, il a visiblement manqué de sens de l'observation. La versification renvoie exclusivement à Baudelaire, et un emploi à la rime du mot "lésine" suffit à prouver les préoccupations de Mallarmé.
Vu que Gouvard tient compte de vers des poèmes "Galanterie macabre" et "L'enfant prodigue" dans Critique du vers, je ne comprends pas pourquoi il n'est pas question de la césure lyrique camouflée orthographiquement "attendent" dans son analyse, ni dans celle de Cornulier auparavant, mais peut-être que Cornulier a écarté ce vers. Une coquille pour "attendant", moins probablement pour "attendaient" ?
Je dois mener des recherches à ce sujet.

A suivre !

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Un instant tout de même ! Quelques autres points intéressants à commenter.

Dans Critique du vers, Gouvard cite les alexandrins "CP6" de Mallarmé pour la période qu'il délimite de 1861 à 1863.
Gouvard date de 1861 le vers : "Rire le cuivre, et, sous la pluie, un brin de buis..." et de 1862 le vers "O la mystique, ô la sanglante, ô l'amoureuse
Il s'agit des deux vers commentés plus haut.
Puis il cite trois autres vers, je les rapporte tels que Gouvard les fournit :

1862 Ni les bonbons, ni les carmins, ni les Jeux mièvres,
1862 S'ils sont vaincus, c'est par un ange très puissant
1863 Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture

De cette liste de cinq vers, Gouvard affirme que Mallarmé soutient exprès l'audace à la césure par le recours au trimètre ou une forme approchante le semi-ternaire.
Le premier vers joue sur le trimètre comme on le voit par l'assonance du digraphe "ui" :

Rire le cuivre, et, sous la pluie, un brin de buis...
La question ne se pose pas pour les deux vers "O la mystique..." et "Ni les bonbons..."
Les deux derniers vers seraient des semi-ternaires 48 : "S'ils sont vaincus..." / "Se traîne et va". Celui de 1863 est potentiellement lisible en trimètre : "Se traîne et va, / Moins pour + chauffer / sa pourriture", sans que ce ne soit évident à cause du manque de naturel si on respecte l'effet cherché à la césure, le respect de la césure normal favorisant de lire d'une traite "chauffer sa pourriture". Le vers "S'ils sont vaincus..." aurait une césure à l'italienne sur le mot "ange", donc pour moi ce n'est pas cohérent, mais Cornulier et Gouvard acceptaient (ou acceptent) l'idée pour les ternaires dans leurs modèles théoriques.
Gouvard lâche tout de même une information essentielle : Gouvard comprend que mallarmé s'inspire directement de vers de Baudelaire, puisqu'il l'admire, et il cite pas le même trimètre que moi tout à l'heure, il cite un ternaire approximativement trimètre :
O ma si blanche, ô ma si froide Marguerite ?
Je pense que c'est plus exactement une mélange d'influence des deux vers de Baudelaire : "A la très-belle,..." et "O ma si blanche..."
Mais comparez avec ma démarche tout à l'heure, j'ai réfuté l'idée que le trimètre était vécu comme une nécessité en citant un vers avec une césure sur une préposition dissyllabique, ce que Cornulier et Gouvard ne prennent pas en compte alors qu'il s'agit malgré tout de césures chahutées à l'époque, à un degré moindre, mais de manière bien réelle tout de même avec tout ce que cela suppose de dérangeant pour l'harmonie.
Heureusement, même dans un cadre exclusivement "FMCPs6", j'ai des contre-arguments chronologiques à apporter à la pseudo-statistique de Critique du vers, vrais démentis, vrais contradictions apportées au système. Et j'ai remis en cause la datation de deux trimètres clefs de madame Blaznchecotte qui passent de 1855 à 1871.
Je passe à un autre problème. Le vers : "Ni les bonbons, ni les carmins, ni les Jeux mièvres" a plusieurs variantes et celle de Gouvard n'apparaît dans mon édition. Il s'agit d'un vers du poème "Placet" devenu "Placet futile".
Le poème "Placet futile" figure à la page 30 de mon édition avec un vers bien différent :
Ni la pastille ni du rouge, ni jeux mièvres
 Je pense que ce vers est la version définitive suite à un remaniement à la fin de la décennie 1880. Le titre "Placet futile" est tardif et postérieur à des échanges avec Verlaine pour "Les Poètes maudits".
Dans la section des Notes et variantes, la rubrique consacrée au poème va du bas de la page 1414 au milieu de la page 1416. Nous apprenons que ce fut le premier sonnet publié par Mallarmé le 25 février 1862 dans un numéro du Papillon. Le titre n'était que "Placet". La version initiale nous est livrée et le vers ne correspond pas à la leçon fournie par Gouvard :

Ni ton bonbon, ni ton carmin, ni tes jeux mièvres,
Le poème a ensuite été publié dans Les Poètes maudits par Verlaine, mais en 1883 seulement dans la revue Lutèce, et parmi les variantes, nous avons pour ce vers :
Ni tes bonbons, ni ton carmin, ni tes jeux mièvres,
et on le voit à trois reprises nous avons un vers différent de la citation de Gouvard !
Il y a eu encore d'autres publications en revue, mais là j'ai un petit problème. Gouvard cite-t-il un manuscrit inédit de 1862. L'un ou l'autre, Gouvard ou Mondor, éditerait mal le vers en question tel qu'il a été initialement publié ?
Je vais essayer de trouver  ça sur Wikisource, déjà.
A suivre ! 

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EDIT : 18 janvier 11h : Il y a des facs-similés de numéros de la revue Le Papillon sur le site Gallica de la Bnf, mais je ne trouve que la page de sommaire du numéro du 25 décembre 1862 avec mention de Mallarmé et de la poésie qui y est publiée sous le titre "Placet". Impossible pour moi d'accéder au fac-similé du poème. La mise en ligne semble avoir été faite en dépit du bon sens.

 
Vous remarquerez une contradiction : Nous avons bien affaire au fac-similé de la revue Le Papillon le 25 février 1862, mais il a été classé au 25 décembre 1862, jour de Noël, sur le site Gallica.

Voici un lien pour consulter une mise en ligne des deux versions de 1862 et 1887 à défaut du fac-similé lui-même. Le texte donné est identique à celui de Mondor et Jean-Aubry dans les "Notes et variantes" du volume de La Pléiade, moyennant une correction des traits pour les attaques de tercets après "Nommez-nous", sauf pour le vers qui nous occupe. Je cite la version en ligne du lien ci-dessous :

 Ni tes bonbons, ni ton carmin, ni tes jeux mièvres,

Lien du site de Fontainebleau qui offre une transcription du poème paru en 1862 !

 "Ni tes bonbons" (Fontainebleau) contre "Ni ton bonbon" (Pléiade Mondor), leçon "Ni tes bonbons" qui serait celle de la publication de 1883 dans la revue Lutèce au sein des Poètes maudits. La transcription de Gouvard semble sortir de nulle part.

Soit, le site de Fontainebleau fournit la version de 1883 en l'assimilant à celle de 1862, soit La Pléiade a commis une coquille "ton bonbon", mais soit Fontainebleau, soit La Pléiade a raison. Le mot "carmin" a toujours été au singulier, et il y avait des possessifs et non des articles définis.

3 commentaires:

  1. La coquille "attendent" pour "attendant" est hautement probable, elle est confirmée par les mises en ligne du poème que je consulte. Les coquilles de Gouvard pour le trimètre de "Placet" ne changent rien à l'analyse historique. Tout de même, les coquilles de Gouvard montrent à quel point le "Corpus général" farci d'erreurs d'inattention n'est pas une base scientifique rigoureuse pour une étude statistique.
    Au plan de la méthode statistique, un scientifique se pose aussi la question : de quel droit trouver normal de se limiter au FMCPs6 définis par les métriciens actuels (et non les poètes d'époque) pour dégager une tendance au recours au trimètre sinon au semi-ternaire ?
    Il y a plein de biais d'analyse dans l'approche de Critique du vers.
    Au-delà des antériorités qui sont connues, mais anormalement mises de côté, au-delà des dates non vérifiées, si on s'en tient aux dates connues des publications, on a un effondrement de la diversité de poètes pratiquant les vers CP6 dans la décennie 1850, exit Blanchecotte, exit aussi Villiers dans la mesure où il se réclame de Baudelaire. Hugo ne se réclame que de lui-même qui a les antériorités de Cromwell. Il reste un cas isolé de du Camp, un cas isolé de Nerval en 1853, et puis donc le duo Baudelaire et Leconte de Lisle, avec antériorité et ascendant de Baudelaire sur l'autre.
    Banville (1857), Villiers (1858 et 1859) et Glatigny (1860) sont les premiers à réagir de manière précoce de 1857 à 1860 inclus, et ils sont tous les trois sous l'influence d'époque de Baudelaire pour les césures. A partir de 1861, c'est la seconde édition des Fleurs du Mal et le fait que Banville, et cette fois Blanchecotte, publient en 1861 des vers audacieux en même temps que Baudelaire qui précipitent un engouement connu de tous.
    Les parnassiens publieront peu de temps après, mais Mallarmé, et les Verlaine, Coppée n'ont pas pratiqué les césures audacieuses avant la publication de la 2nde édition des Fleurs du Mal. Ajoutons que "La Reine Omphale" de Banville a été publiée dans la Revue fantaisiste de Mendès qui est le galop d'essai du mouvement parnassien à venir.
    Les CP 6 trimètres ou CP6 ternaires faux trimètres sont un jeu culturel d'époque qui ne s'est jamais soucié de sauver l'harmonie du vers quand la césure est ébranlée. Certes, des suiveurs pouvaient superstitieusement accorder de l'importance à la compensation, mais ce n'est pas le truc téléologique qu'on nous vend.

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  2. Vous allez peut-être me dire que dans les grandes lignes on n'apprend rien de neuf sur les rôles de chacun puisque Gouvard et Cornulier mettent en avant le rôle premier de Baudelaire et les autres ont suivi dans l'ordre qu'ils le disent en gros, comme ils n'ignorent pas les antériorités du théâtre d'Hugo et ils argumentent pour justifier la cloison.
    Non ! Malgré les constats, Gouvard écrit que l'émergence des césures CP6 est un fait collectif qui ne revient à personne (j'ai cité la phrase) et il fait des remarques sur la création comme si les vers de théâtre n'existaient carrément pas (ce qui est différent encore de cliver deux histoires du vers).
    Puis, du coup, l'historique des faits est transformé en terrain neutre pour une théorie d'apparition transcendantale des césures CP6.
    Moi, je suis dans le concret : au-delà d'un vers de Villon, de trois de Dorimond, d'un de Voltaire, de deux de Sébillet, le lancement vient du Cromwell d'Hugo avec de premiers remous, et Baudelaire relance le truc, suivi immédiatement par Leconte de Lisle, quelques têtes enchaînent mais peu jusqu'en 1861 où là les initiateurs passent à la vitesse supérieure, de nouveaux venus les relaient et Villiers, Blanchecotte et Banville songent à pousser plus loin le jeu sur trois points. Et que Verlaine attribue l'invention à Baudelaire, ça veut dire qu'il ne lisait pas attentivement les vers de théâtre d'Hugo (s'il les lisait), mais aussi de Musset "Mardoche". Hugo jouait avec la vigilance du lecteur, Baudelaire a exhibé.
    Dans ce cadre, les audaces s'expliquent par émulation entre poètes. Mallarmé fait telle césure typique de Baudelaire, il s'en sert de modèle en fait, il y a un "comme un" par exemple qui est concerné. Il y a eu un raté complet des études métriques sur la justification de ces apparitions de CP6 au cas par cas.

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    1. Il faut aussi comprendre le problème de la méthode statistique, les choix ne sont pas neutres. C'est un préjugé de dire que c'est uniquement si la césure est FMCPs6 que le poète va ressentir le besoin d'une compensation en trimètre, puisqu'il y a un fourre-tout de mots laissés de côté (et, ou, si, qui, que, etc.) par les critères FMCPs6, puisqu'il y a une méconnaissance des rejets à la Chénier, du grand retour des rejets et contre-rejets d'épithètes, et l'abondance nouvelle des césures sur mots grammaticaux de deux ou trois syllabes. Si on veut ne garder que les critères FMCPs6, il faut déjà étudier avec d'autres critères et vérifier si l'exclusion se défend.
      Avec des critères étendus, je démens la chronologie du trimètre. Et même avec des critères resserrés, je la démens avec les vers de Pétrus Borel, un décasyllabe de Desbordes-Valmore, et les effets à la rime, et les vers de théâtre d'Hugo, de Dorimond, Villon "Se frères vous clamons pas n'en devez" (où est le trimètre dans ce décasyllabe à césure sur "vous" avec sujet sous-entendu ? on va dire que c'est un ordre inverse 64 sans étude historique et l'affaire est réglée ?). La césure lyrique, Villon est également la preuve que ce n'est pas un fait inné dont on n'aurait pas conscience qui conduit à l'éviter, c'est un fait d'exclusion culturelle qui pèse sur les consciences. Donc, la psychologisation des statistiques pose là encore problème dans Théorie du vers de Cornulier et dans Critique du vers de Gouvard, alors qu'on prône une méthode objectivable.

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