lundi 22 avril 2024

Compte rendu du Parade sauvage n°34 (partie 3 : reprise des chercheuses de poux et problème de douane)

Problèmes cumulés de fatigue et de mal de tête, je ne peux pas écrire la suite comme je le voulais, mais pour bien faire comprendre à Dieu qu'il n'aura pas le dernier mot, je m'en fous, j'écris en mode improvisé et je me défoule en m'imaginant lui planter un coup de fourche dans sa face avec une pointe qui fait jaillir le pus de son oeil et déchire la paupière, une deuxième pointe qui traverse la cloison nasale et la troisième pointe qui lui retourne bien la lèvre et lui transperce le bout de la langue.
Allez, c'est parti !
Je remets la lecture de "Oraison du soir" à plus tard et je passe au sonnet "Les Douaniers" expliqué par Murphy.
Mais, avant, je reviens sur une remarque critique faite au sujet des "Chercheuses de poux". J'ai dit qu'il était inacceptable de proposer une lecture des "Chercheuses de poux" sans entériner la relation parodique, bien sûr pas pastichielle, au poème "Le Jugement de Chérubin" de Catulle Mendès. Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas dans le cas de figure d'une comparaison minimale.
Le premier quatrain des "Chercheuses de poux" est propre à Rimbaud. La correspondance commence au second quatrain des "Chercheuses de poux" dont l'attaque reprend directement le début du poème de Mendès : "Elles assoient l'enfant...", est clairement la contraction de : "Elles firent asseoir sur un divan de moire / Cet enfant décoré du nom de Chérubin [...]" Et les deux derniers du second quatrain de Rimbaud reprennent les deux derniers du premier quatrain de Mendès :
Elles assoient l'enfant devant une croisée
Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs.
Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs. (Rimbaud)

Elles firent asseoir sur un divan de moire
Cet enfant décoré du nom de Chérubin,
Rêveuses de mêler leur chevelure noire
A ses lourds cheveux d'or parfumés comme un bain. ("Le Jugement de Chérubin")
Il faut remarquer que, Rimbaud se posant nécessairement des questions de versification sur le choix des rimes et la conformation des césures, il a visiblement repéré la rime interne : "asseoir" / "moire" du premier vers, et l'a évitée tout en en gardant l'écho sonore avec le choix du mot à la rime "croisée" en écho à "assoient". Il a aussi éviter de dire l'emmêlement sensuel par deux mots trop synonymes : "chevelure" et "cheveux", préférant l'idée des mains érotiques qui passent dans les cheveux, et autre écho phonématique et orthographique il a créé une séquence où les cheveux touchés par la rosée sont comme un "fouillis de fleurs". On notera que Rimbaud a conservé la construction "ses lourds cheveux", ce qui prouve bien que nous avons affaire à un travail de réécriture et démarcation.
Notons que, dans le poème d'origine, la mention "divan de moire" signifie une certaine richesse. Une rapide recherche Google me donne dans une maigre moisson de résultats, soit le "divan de moire" d'un bey riche en or dans un poème des Chants d'exil de Delâtre (1843) et un ustensile du salon de l'impératrice dans une Revue de l'exposition universelle de 1855. Et si Rimbaud a évité de reprendre les mêmes rimes, il a déplacé la rime en "-in" : "Chérubin" / "bain", dans le premier quatrain et aux mêmes vers 2 et 4 : "rêves indistincts" / "ongles argentins", avec une même touche de préciosité : "argentins" et "bain" en fin de quatrain.
Mais, il ne faudrait pas croire que le premier quatrain des "Chercheuses de poux" est tout inédit à Rimbaud puisque "le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes" est pris au second quatrain du "Jugement de Chérubin", et la citation de ce second quatrain s'impose :
Leurs yeux enveloppaient d'une caresse humide
Son front rougissant comme un front de jeune Miss ;
Alpheos n'était pas plus beau sous la chlamyde,
Pâtre ingénu suivant la chasse d'Artémis !
Chez Mendès, l'enfant rougit d'émoi érotique. Dans le poème de Rimbaud, il y a plus d'ambivalence entre émoi érotique, souffrance causée par les poux et possibilité de révolte sociale sous un crâne. Mais, dans le poème de Mendès, il n'échappera à personne que l'enfant en principe masculin n'est autre que l'androgyne Chérubin et il est ici comparé à une femme. Nous avons la suggestion d'une scène de triolisme lesbien.
Alors, pour les rimbaldiens, officiellement, c'est Mérat qui ne supportait pas que Rimbaud et Verlaine affichent un comportement homosexuel. Quant au rejet de Rimbaud par d'autres poètes, il est expliqué par les divergences politiques (Silvestre, Mendès, etc.) ou bien par le comportement insupportable en société d'un Rimbaud éméché (Banville, Cros, Carjat). Ami et premier biographe de Paul Verlaine, Lepelletier a essayé de se ranger dans la catégorie de ceux qui reprochaient à Rimbaud son arrogance asociale sauf que nous savons que le 16 novembre 1871 dans le périodique Le Peuple souverain Lepelletier a pondu un article de fait divers sous le pseudonyme de Gaston Valentin qui épinglait le comportement sulfureux de Rimbaud et Verlaine en public, lors d'une représentation du Bois de Glatigny à l'Odéon, (au passage, cet acte en vers est une source au poème "Tête de faune", et Rimbaud le connaît par ailleurs depuis une édition  par Lemerre de 1870) :
[...] Tout le Parnasse était au complet, circulant et devisant au Foyer, sous l'œil de son éditeur Alphonse Lemerre. On remarquait çà et là le blond Catulle Mendès donnant le bras au flave Mérat. Léon Valade, Dierx, Henri Houssaye causaient çà et là. Le poète saturnien, Paul Verlaine, donnait le bras à une charmante jeune personne, Mlle Rimbaut. [...]
Banville dira du Rimbaud chevelu du tableau Coin de table de Fantin-Latour qu'il a l'âge de Chérubin, dans un article de la mi-mai 1872 paru dans Le National et ici il est assimilé à une jeune demoiselle qualifiée de "charmante". Dans "Les Chercheuses de poux", c'est les deux "grandes soeurs" qui sont dites "charmantes" (vers 3) et il n'est pas difficile de sentir l'écho entre "le front de jeune Miss" et la formule "Mlle Rimbaut". Or, Lepelletier insiste lourdement sur les insinuations de son petit tableau, puisque vous remarquez deux répétitions qui n'ont rien de naturel. Il reprend la formule "çà et là" qui contribue à uniformiser l'impression d'une société qui papillonne, sauf que l'autre reprise établit un malaise : "donnant le bras". Mendès et Mérat sont deux hommes à femmes qui singent Verlaine et Rimbaud, deux hommes qui ont l'air de très bien se passer des femmes entre eux deux. Il est d'ailleurs intéressant de relever que Lepelletier dit de manière exagérée que "tout le Parnasse" est présent, ce qui est inexact, ce qui n'est en tout cas pas bien reflété par les noms qu'il choisit de citer. Ceci dit, Ricard étant en exil, Mendès est le seul patron du mouvement parmi la jeune génération en quelque sorte. Et Lemerre l'éditeur est présent, et est cité par la chronique de Lepelletier. En clair, Mendès et Mérat sont en train de faire passer tacitement le message à Lemerre qu'il doit se garder de publier Rimbaud, sinon Verlaine. Et la soirée a dû être beaucoup plus houleuse qu'il n'y paraît, vu que le lendemain 17 novembre, la revue du XIXe siècle publie un entrefilet qui évoque une nouvelle réunion lors d'une première au théâtre des 'petits poètes du Parnasse contemporain" "tous présents à l'appel" en les accusant de compromission à venir assister à une représentation d'un proche de la princesse Mathilde et du régime déchu de Napoléon III, puisque c'est la première de L'Abandonnée de François Coppée. Et l'entrefilet, sans le citer nommément, dénonce le fait que Verlaine ivre ait battu sa femme, toute jeune maman.
C'est à cette époque que les contributions à l'Album zutique de Rimbaud ont cessé, album détenu par Léon Valade qui est cité par Lepelletier et qui est un ami proche de Mérat. Je rappelle que l'Album zutique, après le sonnet liminaire "Propos du Cercle" contient une fournée de transcriptions de Rimbaud qui commence par le "Sonnet du Trou du Cul" coécrit par lui et Verlaine, se poursuit par le quatrain "Lys" qui épingle Armand Silvestre, l'auteur de livres contre la Commune sous le pseudonyme de Ludovic Hans, tout comme l'a fait Mendès, il se poursuit par deux parodies de l'anticommunard François Coppée avec allusion immanquable "mois de mai" et "prairie communale". L'Album zutique, avec Léon Valade et Charles de Sivry notamment, fait état de l'actualité de la pièce Fais ce que dois de Coppée jouée en octobre 1871 avec un texte paru dans la presse, Le Moniteur illustré au même moment. Et en bas de la page, à la suite des deux dizains, nous avons un monostiche attribué à Louis-Xavier de Ricard, qui est un communard en exil, mais qui était le créateur du Parnasse contemporain aux côtés du peu communard Catulle Mendès. Et plus tard, il y a eu des retours d'interventions sur ces deux pages manuscrites de l'Album zutique. Pelletan, journaliste au Rappel, a parodié Charles Cros en marge du "Sonnet du Trou du Cul" et Valade à côté de "Lys" a produit un quatrain "Autres propos du Cercle" où il cite Mérat, et ultérieurement sont apparus deux quatrains zutiques de Rimbaud dits "Vers pour les lieux" dont l'un cible ouvertement Mérat. Et à son tour, Rimbaud a ajouté à côté du "Sonnet du trou du cul" sur la page voisine un poème en trois quatrains parodiant Léon Dierx qui contient à la rime le mot "écarlatine" repéré dans un poème de Mendès, lequel Dierx a publié en octobre 1871 une plaquette politique occultant la Commune au profit coppéen de la seule question de la guerre franco-prussienne Paroles du vaincu.
En clair, il est manifeste que sur le corps de l'Album zutique, qui était lu au moins par Mérat, tout un petit groupe de poètes pestaient contre l'actualité littéraire et politique de Léon Dierx et surtout François Coppée, et on comprend tout le poids de l'entrefilet du 17 novembre qui reproche à ce groupe perçu comme hypocrite d'être allé assister à la représentation de L'Abandonnée de François Coppée.
Vous comprenez aisément que "Oraison du soir", "Les Chercheuses de poux", voire "Les Douaniers", puis bien sûr les deux sonnets "Immondes" complétant la parodie de Mérat et les quatrains "Vers pour les lieux" sont des prolongements zutiques de cette ambiance délétère au sein du mouvement des poètes parnassiens.
Si c'est difficile à comprendre pour vous, pour moi, Pas !
"Je ne sais pas quand 'Les Chercheuses de poux' a été composé, alors je ne veux pas me prononcer... ! Je ne sais pas quand 'Oraison du soir' a été composé alors je ne veux pas me prononcer... !' Vous croyez que vous allez aller loin comme ça ?
Déjà, les deux soeurs entre elles suggèrent le lesbianisme, tant dans le poème de Mendès que dans le poème de Rimbaud, mais l'enfant est grammaticalement indéterminé, sexuellement indéterminé pour dire encore mieux ! Félicien Chamspaur a imaginé une scène où on lit devant Catulle Mendès un extrait précisément des "Chercheuses de poux". Je rappelle qu'avant 1990 et la révélation du "Jugement de Chérubin" comme source personne au monde ne disait des "Chercheuses de poux" que ce poème avait un lien étroit avec Mendès... Peut-être que Champsaur et Mendès en savaient plus...
Je poursuis la comparaison. Dans le troisième quatrain, nous relevons la mention en attaque de vers "Reprises", il s'agit en réalité d'un effet métrique en lien avec le mot "salives" en contre-rejet à la rime du vers précédent :
Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.
Rimbaud reprend visiblement à dessein la mention "reprise" à la rime dans le troisième quatrain du "Jugement de Chérubin" :
Les deux femmes étaient de celles-là qu'on prise
Pour le rayonnement liliaque des chairs,
Et tel dont l'habit porte au coude une reprise
N'a jamais becqueté leurs sourires trop chers.
Vous pouvez penser que "salives / Reprises sur la lèvre" et la "reprise" d'un vêtement ça n'a rien à voir, mais dans un cadre de réécriture déjà bien assez fixé comme évident je vous fais remarquer que Rimbaud avait des poux selon le témoignage de Mathilde, l'ex-femme de Verlaine et qu'on a donc le contraste entre deux femmes qui désirent couvrir de baisers un pouilleux et deux femmes qui ne se réservent qu'aux riches impeccables et qui ont donc reconnu le Chérubin comme digne de leur société, un Chérubin avec de "lourds cheveux d'or" ! Rimbaud a supprimé cette qualification "d'or" quand il a repris l'énoncé "ses lourds cheveux". L'enfant Chérubin a aussi des cheveux "parfumés comme un bain", ce qui n'est pas le cas du pouilleux. L'idée du parfum est reportée aux "silences": "silences / Parfumés".
A la différence de Rimbaud, et sans doute sous l'influence d'un modèle latin classique, Mendès poursuit son poème par un jeu à deux vois des soeurs, ce qui s'accompagne d'une altération au plan des strophes, puisque nous passons de quatrains à rimes croisées à des distiques de rimes plates.
Notons que les deux soeurs s'appellent Aline et Paule (déformée ensuite en Paola). Paule c'est le féminin du prénom de Verlaine. Et, avec son initiale en A, Aline est un personnage des quelques sonnets d'Henri Cantel qui ont inspiré le "Sonnet du trou du Cul" et l'emploi de la rime "praline"/"câline" par Rimbaud dans les tercets. L'idée de lesbianisme est renforcée dans le poème de Mendès puisque Paola dit admirer les yeux de Chérubin pour leur ressemblance à ceux d'Aline, et Aline retourne le même compliment en sens inverse. Et les yeux de Rimbaud sont cités favorablement par Verlaine dans ses témoignages ultérieurs. L'expression "rouges tourmentes" rencontre la forme verbale de Mendès dans ces deux vers attribués à Paola :

Comme un souffle brûlant tourmente une voilure,
L'haleine de ma bouche enfle ta chevelure !

Ces deux vers pourraient être l'occasion de parler de "Oraison du soir", de Baudelaire, etc., mais notez aussi qu'ils contiennent la mention "haleine" dont vous aurez pu noter l'occurrence au troisième quatrain cité plus haut des "Chercheuses de poux". Les haleines sont dites "craintives" ("plaintives" dans la citation problématique de Champsaur") et justement après deux vers prononcés par Aline, la nouvelle réplique de Paola nous offre les mentions "caresses" et "craintif" :
J'amollirai pour toi mes farouches caresses,
O jeune faon craintif qui dompte les tigresses !
En clair, le second hémistiche du vers : "Il écoute chanter leurs haleines craintives" concentre la reprise de "haleine" et "craintif", tandis que le mot "caresses" figure à la rime du dernier quatrain des "Chercheuses de poux", tandis aussi que l'extrait : "Salives / Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers", contient non seulement la reprise par homonymie de "reprise" du poème de Mendès, mais un passage cette fois mis dans la bouche d'Aline du distique suivant :
Comme un coquelicot dans les blés, si tu veux,
Se mêlera ma lèvre à l'or de tes cheveux !
Ce distique est entre les deux distiques de Paola qui ont généré la création "haleines craintives" et l'expression "si tu veux" annonce le mot "désirs" justement, les "baisers" étant un emmêlement supérieur érotiquement à l'idée des lèvres sur les cheveux.
Aline désigne aussi Chérubin comme un "despote charmant", alors que dans "Les Chercheuses de poux", le statut social n'est maintenu que pour les seules soeurs : "ongles argentins" et "ongles royaux", pas de cheveux d'or et d'autorité royale du pouilleux.
L'accentuation érotique est évidente dans le poème de Mendès : "Et mon boudoir est moins parfumé que mon lit !", ce que Rimbaud amplifie encore avec l'idée de "silences / Parfumés" qui rende le désir irrépressible : "Voilà que mon en lui le vin de la Paresse[.]" On trouve une forme verbale du baiser dans les propos d'Aline : "Oh ! je baise mes bras quand ton regard s'y pose !" Et si la fin du poème célèbre les larmes précieuses des deux belles, le poème du pouilleux fait entendre que le pouilleux est lui-même celui qui a un "désir de pleurer", sauf que nous sommes cette fois dans la non retenue de l'équivoque séminale. Il s'agit d'une inversion, à tel point que je rapprocherais aussi : "Voilà que monte en lui le vin de la Paresse" du vers : "Laisse tomber un mot de ta bouche déclose !" Chérubin en "doux jeune homme" prend la parole avec des propos rapportés entre guillemets dans la pièce de Mendès, ce qui n'est pas le cas du silencieux pouilleux où soupçonner une feinte des plus graveleuses quand le vin monte en lui et qu'il se sent une envie de pleurer par un orifice qui n'est sabs doute ni un œil, ni une bouche.
Vous connaissez la fin du poème de Rimbaud, je vous cite les deux derniers quatrains du poème de Mendès pour la comparaison :

"Mesdames, répondit alors le doux jeune homme,
Je ne saurais choisir car vous vous ressemblez
Comme deux feuilles d'arbre ou deux étoiles, comme
Deux larmes de l'aurore à la pointe des blés !"

Aline et Paola versèrent une perle.
"Des pleurs ? Par Cupido, quel cas embarrassant !
Paola, ma colombe, Aline, mon doux merle,
Baisez-moi, toutes deux, si Vénus y consent !"

Notez que vous avez un nouvel emploi verbal de "baiser", Rimbaud opte pour la répétition symétrique de "désir(s)" : "désirs de baisers", "désir de pleurer". Notez aussi la condition finale : "si Vénus y consent" qui a du sens dans le cadre de réplique rimbaldienne d'un pouilleux homosexuel.
Dans tout ce que j'ai développé ci-dessus vous avez clairement une identification d'un propos parodique à l'encontre du poème de Mendès. A un moment donné, je ne sais pas ce qu'il vous faut !
Oui, je n'ai pas lu jusqu'au bout l'article de Cornulier, parce qu'il n'a pas su m'intéresser, il n'a pas su me convaincre, il ne répondait plus à mes attentes, je n'en attendais plus rien. Je le lirai une autre fois, mais j'ai estimé pertinent de signifier que l'article m'était tombé des mains d'ennui. C'est un compte rendu comme il doit en exister de temps en temps.
Evidemment, si Rimbaud n'a pas altéré la suite de quatrains dans son poème, il va de soi que le vers : "Il écoute chanter leurs haleines plaintives" correspond à toute la séquence des distiques alternés où Paola et Aline clament leur admiration pour Chérubin, avec le subtil à l'idée d'un dialogue par des "silences / Parfumés".
Le meilleur lecteur des "Chercheuses de poux" à l'heure actuelle, c'est moi, Steve Murphy étant relégué à la deuxième place même si c'est lui qui a découvert la source dans Philoméla. Et l'article de Cornulier, il n'est pas bon, il ne va pas. Et on ne peut pas accepter de rejeter l'allusion au poème de Mendès, le dossier étant déjà solide quand Murphy l'a exhibé la première fois. Il y a déjà eu une fin de non-recevoir avec l'étude de Reboul, on a maintenant un article de 185 pages qui rejoue la fin de non-recevoir. Nous sommes en 2024, et les rimbaldiens ne se repentent jamais pour leurs propres affirmations. Il y a des tas de gens qui aimeraient écrire dans la principale revue d'études rimbaldiennes qu'est Parade sauvage, même si la qualité n'est pas automatiquement au rendez-vous. Non, il faut arrêter le massacre et la perte de temps. Je maintiens que c'est inacceptable de traiter aussi cavalièrement les liens évidents des "Chercheuses de poux" au "Jugement de Chérubin" et à la nouvelle "Elias" du même Catulle Mendès.
Là, il faut arrêter le sketch, ça ne sert à rien.

Bon, pour la suite, je vais parler des "Douaniers". Avec mon état, je n'ai pas encore lu tout l'article qui est très long ; soixante-deux pages. L'article reprend longuement des choses déjà dites depuis longtemps, sur la césure "azur frontières", sur les allusions aux mains jusque dans l'étymologie du nom "Fausts", on lit des pages et des pages de mise en contexte où il n'est plus question directement du poème.
Puis, à un moment donné, sans crier gare, le poème "Le Douanier" de Bartro est cité, alors que c'est un inconnu. Je suis allé vérifier. Le poème "Le Douanier" tenait sur une plaquette de quatre pages, un autre poème connu de Bartro, patriotique, tient aussi sur quatre pages, et puis il a un poème sur la naissance du Christ légèrement plus long où un "douanier" s'exprime. Il se trouve que Bartro était douanier. Murphy cite Bartro en précisant que c'est un témoignage, pas une source au poème de Rimbaud. J'ai trouvé ça bizarre. Je l'ai lu le poème de Bartro, je ne construirais pas du tout mon article comme l'a fait Murphy.
 Alors, je ne suis pas spécialiste du sonnet "Les Douaniers", je connais la lecture d'Yves Reboul et je l'ai considérée comme faisant progresser la compréhension tout en restant en-dessous de son objet, mais le présent article de Murphy ne me donne pas l'impression non plus que le poème soit complètement dominé. Il va de soi que j'adhère à l'allusion au Zutisme derrière le premier vers : "Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache", et j'adhère à l'idée de sous-entendus sexuels dans ce sonnet. Maintenant, ce sonnet est saturé de références : "macache", "débris d'Empire", "Soldats des Traités", "lois modernes", "faunesses", "Fausts", "Diavolos", "les anciens", "les ballots", "sa sérénité", "Le Douanier", "Délinquants", et je me dis qu'une bonne recherche par quelqu'un de féru en histoire littéraire devrait facilement cerner les allusions du poème. Murphy vient de fournir un travail considérable, les soixante-deux pages n'arrêtent pas de témoigner de recherches systématiquement conduites et poussées à fond. Mais la façon de rendre compte de l'enquête a aussi de airs de dérobade.
Je reprendrai ça si je le peux dans les mois suivants, et encore ! Je pense que je prendrai bien mon temps. Il y a besoin de pas mal de lectures. Pour "grands coups d'hache", je suis évidemment intéressé par le rapprochement avec le mot composé cassé à la césure dans un vers de Glatigny, recueil du Fer rouge. Le mot "faunesses" est suffisamment rare, l'exploitation des poèmes de Banville, du poème de Chansons des rues et des bois est prometteuse, et puis il y a l'extrait cité des Misérables qui spontanément a l'air de correspondre au plus près à ce que dit le sonnet sur les "gaîtés" et les "faunesses".
Au-delà de l'approche par les noms qui seraient assez rares et précis pour fixer des allusions à des sources bien identifiables, il y a d'autres éléments qui retiennent mon attention. L'expression "Sont nuls, très nuls" fait penser à une manière d'injurier avec retenue qu'adopte Belmontet dans le poème "La Jeunesse dorée de 1845". Il dit trois fois que les jeunes de 1845 sont "nuls". Je ne vais pas dire que c'est une source, mais le vers 3 commençant par "Sont nuls, très nuls" imite forcément une manière de parler de ceux qui exaltent l'image militaire des douaniers. Belmontet a fait l'objet de deux poèmes d'emprunts à réécritures minimales dans l'Album zutique de la part de Rimbaud : "Vieux de la vieille" et "Hypotyposes saturniennes ex Belmontet", sachant que "macache" est un équivalent de "Zut" à la rime du vers 1 du sonnet "Les Douaniers", sonnet écrit par Rimbaud à Paris peu après la période zutique selon toute vraisemblance.
La mention "débris d'Empire" est peut-être trop clichéique pour être attribuée à un auteur, mais le bonapartiste Belmontet emploie très souvent son équivalent, et je crois qu'elle figure aussi dans des textes de Napoléon III lui-même.
L'expression "Pipe aux dents" a un côté retour d'une inspiration première de Rimbaud qui lorgne du côté de Gautier et de Leconte de Lilse. L'expression à caracère oral "pas embêtés" mériterait aussi une enquête. Je suis aussi sensible à la structure grammaticale des vers 7 et 8 : "Ils s'en vont + verbe à l'infinitif", il y a un côté hugolien que je ressens spontanément dans ce moule grammatical, mais j'aurais du mal à fixer spontanément des vers hugoliens de référence. On a une suite qu'on peut dire anaphorique des vers 7 à 10, avec le "Ils" trois fois en tête de vers et de phrase.
Il y a tellement d'éléments dans ce sonnet que c'est étonnant qu'on n'arrive pas à mieux identifier les sources précises de Rimbaud et le propos historique du sonnet.
Oui, quelque chose d'approchant au sein de tout ce que développe tantôt Murphy, tantôt Reboul, mais je ne suis pas satisfait par les mises au point. Il manque quelque chose. Il est vrai que je dois finir la lecture de l'article de Murphy, mais j'en ai lu les deux tiers, j'ai survolé la fin, et je sens bien que l'article ne commente jamais vraiment le sonnet au plus près des phrases qui y sont formulées. La lecture n'est pas naturelle après tous ces apports, c'est ce que je ressens.
Ensuite, j'en profite pour épingler quelques digressions de Murphy.
A propos de "Vénus anadyomène", il évoque le fait que les "Cahiers de Douai" soit au programme du Bac, en principe pour trois ans, et il dit ne pas en vouloir aux éditions courantes qui n'ont pas eu le temps de mieux se renseigner, puisque les manuscrits ne sont pas des cahiers ou un cahier. Je signale que la principale édition vient tout de même de deux rimbaldiens connus, Jean-Luc Steinmetz et Henri Scepi, une édition parascolaire remercie Adrien Cavallaro pour... l'établissement de la ponctuation des textes !
Puis, les livres d'articles critiques sur Rimbaud, ils sont lu par qui ? Et quand on publie, même dans l'urgence, un livre sur Rimbaud, il faut combien de jours et d'heures pour lire des synthèses de pointe dans une rapide recherche en bibliothèque ?
Mais ce qui me dérange, c'est que Murphy joue à distribuer des points, en tançant avec indulgence les éditeurs, et en se prévalant d'avoir lui-même démontré que l'ensemble remis à Demeny ne tenait pas dans des cahiers, ni dans un cahier. Le problème n'est pas là : le problème, c'est que Brunel, Murphy et quelques autres rimbaldiens affirment sans preuve que nous avons affaire à deux recueils de poèmes en vers de Rimbaud avec l'ensemble de 1870 remis à Demeny et l'ensemble paginé essentiellement recopié par Verlaine. L'opposition à ce discours n'est jamais ne fût-ce que citée. Il y a de moi un article intitulé "La Légende du 'Recueil Demeny' " sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu, dont personne dans la revue Parade sauvage n'indique la simple existence, alors qu'il contient des arguments massue. Je précise que Christophe Bataillé dans son article sur "Vénus anadyomène" paru dans le numéro 34 de la revue Parade sauvage qui contient la singularité de Murphy sur "Vénus anadyomène" et l'article sur "Les Douaniers" de toujours Murphy contient une phrase dont la réserve me paraît des plus éloquentes : il dit à un moment que certains pensent que l'ensemble remis à Demeny forme un recueil, ce qui veut dire que lui, Bataillé, réserve son avis à ce sujet, qu'il n'est pas convaincu par cette idée qu'on a un recueil entre les mains... Petit moment de dissidence au sein de l'équipe Parade sauvage. En revanche, comme Bataillé rappelle que le mot "anus" a aussi le sens de "vieille femme" selon une révélation de feu Ascione en 1984, Murphy écrit lui aussi un article sur ce point précis, puis il rappelle encore cette idée au début de son article sur "Les Douaniers", les répétitions dans un même article aidant, on doit avoir cinq ou six fois l'affirmation que "anus" veut dire "vieille femme" dans ce seul volume 34 de la revue. Il faut arrêter le sketch ! Dans "Vénus anadyomène", le mot "anus" n'a qu'un seul sens, celui que tout le monde connait. En revanche, oui, le poème "Anus" avec l'autre sens de "vieille femme" a été médité par Rimbaud pour composer "Vénus anadyomène", le lien entre les deux poèmes étant que "anus" est un mot obscène par excellence et Rimbaud a choisi de le faire figurer dans son sens premier au dernier mot d'un sonnet de sa composition, et Rimbaud a médité la forme du poème "Anus" pour d'autres aspects. Et qu'on ne vienne pas dire : "Ah il ne veut pas du sens de "vieille femme", mais ça l'arrange de briller personnellement en rapprochement "Anus (la vieille femme)" de "Vénus anadyomène" pour les compositions d'ensemble, il en a du culot !" Non, non ! De toute façon, quoi qu'on pense de moi personnellement, ce qui restera à la fin, c'est que le mot "anus" n'a qu'un seul sens dans "Vénus anadyomène", mais que Rimbaud s'est inspiré de la forme d'un poème de Gautier publié sous le manteau où la valeur obscène du mot "anus" était partiellement adoucie par le recours au double sens. Ce n'est pas la même analyse, la même perception de la réalité littéraire.
Dans les premières pages de son article, Murphy dénonce que certains n'ont jamais cité Ascione parce qu'il n'était pas l'un des plus importants, parce qu'il dérangeait, ce qui est vrai, et ce qui a concerné aussi Antoine Fongaro, mais moi j'aimerais qu'on m'explique pourquoi parce que je ne suis rien et que je dérange on laisse passer le refus de la coquille "outils" pour "autels", le refus de la signature "PV" pour "L'Enfant qui ramassa les balles...", le refus d'évidence du déchiffrement des deux vers illisibles de "L'Homme juste", avec le déploiement d'élucubrations grotesques de la part de Marc Dominicy... Et je pourrais allonger la liste : recueil Demeny, pagination non rimbaldienne des manuscrits des Illuminations, etc., etc. J'en ai du dossier sous le pied. Ils sont pour quand vos articles de référence sur "Voyelles" où je n'aurai aucun droit de cité de plus que maintenant ?
Je ne sais pas, je pose la question.
Puis, prenons le cas de "Sarrebruck", Murphy affirme que Chambon a eu raison de voir le tréma sur "Sarrebrück" comme un fait exprès de la part de Rimbaud pour situer la ville à l'étranger, par peur peut-être d'une confusion avec un nom alsacien. Mais, dans la presse, dans le journal Le Monde illustré notamment, le mot est écrit avec un tréma comme c'est le cas pour Rimbaud. Rimbaud écrivait bêtement le mot comme il le lisait dans la presse... Qu'est-ce que c'est que ce délire parfaitement absurde sur le tréma faute d'orthographe exprès dans "Sarrebrück" ? ça n'a aucun sens, strictement aucun ! C'est de la merde, et rien d'autre. Il n'y a aucune intelligence à ce que Rimbaud fasse ça, strictement aucune. Vous montez en épingle des trucs dérisoires comme pas permis. Murphy se demande ensuite pourquoi le mot est sans tréma dans "Le Rêve de Bismarck", plus précisément dans la version imprimée par Jacoby et sans doute retapée par Jacoby, l'unique version connue.
Et on a droit aussi à des théories de Murphy sur l'avant-gardisme de la métrique de Rimbaud héritée de Baudelaire contre celle plus retenue de Victor Hugo.
Mais à cette aune, on peuit dire que Mérat, mendès, Silvestre et quantité de parnassiens obscurs ont une métrique plus méritoire que celle de Victor Hugo. Et surtout, Baudelaire, il l'a piquée à qui l'idée de faire des césures chahutées. A Hugo ! Baudelaire imite Hugo dans Cromwell, Marion de Lorme et Ruy Blas, et son "comme si" à la césure des Odes et ballades, et le comme de Victor Hugo dans des vers à la fois de théâtre et de poésie lyrique, et il s'inspire de Musset avec le "Comme une" à la rime des Marrons du feu. Baudelaire a exploité le "comme un" qui est une citation explicite de Musset et derrière de Victor Hugo.
Non, le Rimbaud qui dérègle les vers, on le doit à Hugo, puis Banville et Verlaine, avec sans doute un discours louangeur de Verlaine qui a introduit Baudelaire et son "comme un" dans les références à partir de "Accroupissements". Seuls les débiles mentaux croyant que Rimbaud n'avait aucun contact avec Verlaine avant mai 1871... Vivement qu'on arrête le cirque de la baudelairophilie mal placée.
Enfin, bref ! On va passer à "Oraison du soir" la prochaine fois.

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