mercredi 17 avril 2024

Et pourtant... Le tragique et l'impossible

Dès 2009, avec mon article "Les ébauches du livre Une saison en enfer", j'avais placé dans le cadre officiel des études rimbaldiennes que les trois histoires du "Livre nègre ou Livre païen" revendiquées auprès de Delahaye correspondaient à une forme originelle en trois récits de la section "Mauvais sang" du livre définitif.
J'avais explicitement dit que le premier récit gaulois et donc païen correspondait aux séquences 1 à 3 de "Mauvais sang", le récit nègre aux séquences 5 à 7, et comme le prouvait le brouillon qui nous est parvenu les sections 4 et 8 avaient formé un récit originel contre la vie française. J'avais précisé que le motif de l'innocence correspondait aussi à "Mauvais sang" et qu'il y avait une présence minimale des motifs du païen et du nègre au début de "Nuit de l'enfer".
Dans son essai Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable, Alain Bardel préfère arbitrer une vieille lune où il oppose la thèse plus que fragile de Nakaji (les huit séquences courtes de "Mauvais sang" sont presque les neuf histoires dont il est question à Delahaye) à la thèse souvent mise en place, et ici attribuées à Frémy, puis Guyaux, que les trois histoires sont trois des sections titrées d'Une saison en enfer.
Les rimbaldiens n'arrivent pas à comprendre que les trois histoires ont fusionné pour donner le récit de "Mauvais sang". Et c'est aussi ce qui explique en partie la thèse dérisoire selon laquelle Rimbaud aurait modifié son plan originel de récit gaulois ou nègre en récit infernal, thèse partagée par Henri Scepi dont je vantais un article récemment, thèse donc qui fait très largement consensus chez les rimbaldiens.
En général, les rimbaldiens se disent que Rimbaud a composé les trois sections "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "Alchimie du verbe" au moment où il écrit à Delahaye, ce qui s'appuie sur le fait que Verlaine ait possédé des brouillons de ces trois parties-là précisément du récit.
Mais les anomalies devraient jurer par les deux yeux dans cette présentation des faits. Quand Rimbaud écrit à Delahaye, il est à Roche, loin de Verlaine, et Verlaine a vécu à Londres avec Rimbaud deux mois plus tard. Il n'y a déjà aucune logique à prétendre confondre les trois récits revendiqués début mai avec les trois brouillons détenus par Verlaine au-delà du drame de Bruxelles. Cela n'a aucun sens. Deuxième anomalie, les brouillons offrent deux exemples de discontinuités. Nous n'avons que la fin du brouillon correspondant à "Alchimie du verbe" et nous n'avons pas un brouillon de "Mauvais sang", mais un brouillon des seules sections 4 et 8 qui forment un tout avec une exclusion nette à tout le moins des sections 5 à 7. Les rimbaldiens ne comprennent visiblement pas ce que ça implique. C'est pourtant très simple. Autant ils peuvent prétendre que nous n'avons qu'une partie du brouillon de "Mauvais sang", il manquerait tout le début avec les trois premières séquences, autant ils sont obligés d'admettre que le récit des sections 5 à 7 ne fait pas partie du texte à ce moment-là de rédaction du brouillon. Là, ce n'est pas le brouillon lui-même qui est complet, puisque les rimbaldiens veulent qu'on leur dise tout explicitement par le menu.
Evidemment, dans l'absolu, les hypothèses sont multiples. Soit il s'agit d'un récit indépendant, soit ce récit n'est pas encore écrit, et s'il n'est pas encore écrit : soit il a d'abord été indépendant, soit il s'agit d'un développement qui s'est fait immédiatement sur le corps du texte qui nous est parvenu sous forme de brouillon.
Mais, justement, la lettre à "Laitou" de mai 1873 parle des motifs du païen, et des motifs du nègre et de l'innocence. Les brouillons qui nous sont parvenus ne parlent pas du tout de ces trois motifs, puisque le motif du païen concerne les séquences 1 à 3 de "Mauvais sang", et pas explicitement les séquences 4 et 8, et le motif du nègre ne concerne que le récit des séquences 5 à 7. Autrement dit, c'est la preuve que les brouillons reçus par Verlaine ne forment pas un ensemble complet de ce qu'avait rédigé Rimbaud à un moment donné. Les récits du gaulois et du nègre sont selon toute vraisemblance antérieurs, et comme le récit du français en quête d'innocence des sections 4 et 8 est d'une seule coulée, forcément nous sommes invités à considérer que à l'origine il y avait trois histoires autonomes pour "Mauvais sang". C'est du pur bon sens.
Troisième anomalie dans le consensus rimbaldien, la section "Nuit de l'enfer" contient explicitement le motif de la damnation, alors qu'on nous soutient péremptoirement que le projet de livre nègre ou païen n'est pas la même chose qu'un récit infernal avec damnation. Je suis désolé, mais le brouillon "Fausse conversion" introduit dans la contradiction dans vos thèses complètement fumeuses. Evidemment que le païen ou le nègre soulève de toute façon le problème de l'exclusion du paradis, et donc de la damnation.
Pourquoi passez-vous autant d'années à raconter autant de conneries ? C'est ridicule.
A propos de la lettre à Laitou, j'ai été frappé par son style littéraire proche de celui de la Saison elle-même, avec une même intériorisation psychologique du débat dans l'écriture. Je citais en particulier la répétition brisée du mot "innocence". Le mot est répété jusqu'à ce que la quatrième mention soit rompue par le mot "fléau".
Je faisais remarquer également que la répétition "innocence" est comparable aux deux séries de quatre répétitions du mot "danse" dans la section 5 de "Mauvais sang". J'estime selon toute vraisemblance que la composition précise des séquences 5 à 7 sous forme d'histoire autonome est toute fraîche quand Rimbaud écrit à Delahaye et que la phrase "innocence" répété quatre fois jusqu'à l'interruption "fléau" est un prolongement de l'état inspiré dans lequel venait de se plonger Rimbaud pour la rédiger. C'est même un événement unique dans l'histoire de la Littérature de goûter ainsi dans une lettre le prolongement immédiat de l'enthousiasme créateur.
Mais visiblement ça encore les rimbaldiens ne s'en aperçoivent pas...
J'ai creusé l'idée, et j'ai encore d'autres éléments que je n'ai pas encore développés sur mon blog. Dans Une saison en enfer, nous avons des formules : "connais-je encore la nature ?" ("Mauvais sang", précisément dans le récit nègre) et "La nature pourrait s'ennuyer peut-être" ("L'Impossible"). Or, dans la lettre à Laitou, Rimbaud est précisément en train de parler de la Nature, bien que sur un ton de persiflage farcesque. Nous avons l'expression obscène : "la contemplostate de la Nature m'absorculant tout entier", la légende en "hexasyllabe" au dessin : "O nature, ô ma mère" et puis nous avons l'idée d'un ennui à la campagne dans le regret de la ville. Je n'ai pas commenté ces liens-là. Et puis, comme j'ai commenté les liens des motifs "nègre", "païen", "innocence" avec Une saison en enfer, j'ai aussi relevé la mention "avoir horreur de" commune à la Lettre à Laitou et Une saison en enfer. J'ai aussi souligné le motif des "payans", et j'ai insisté sur le lien étymologique entre les mots "païen" et "paysan" en soulignant que le renvoi à la condition de "Paysan" dans "Adieu" ne pouvait qu'être une idée de départ de Rimbaud quand il songe en mai 1873 à rédiger un "Livre païen". Quand vous composez un livre, vous pouvez rédiger certaines parties en dernier, il n'en reste pas moins que vous avez un schéma d'idées en tête et que même si certaines sont rédigées à la fin elles découlent du projet initial. Les rimbaldiens n'ont visiblement pas ce niveau élémentaire dans la réflexion. Rimbaud se dit "rendu au sol", "Paysan", ils prennent ça pour une idée tardive de Rimbaud, il a eu l'idée comme ça en cours de route, il n'a rien anticipé. C'est comme ça que raisonnent les rimbaldiens.
Enfin, il y a un point qui m'a frappé, mais dont je n'ai pas réellement réussi à tirer tout le parti que spontanément je croyais pouvoir m'en promettre. Petite maladresse d'écriture dans la "Lettre à Laitou", Rimbaud emploie deux fois l'adverbe "pourtant" à trop peu d'intervalle :
[...] La mother m'a mis là dans un triste trou. Je ne sais comment en sortir : j'en sortirai pourtant. Je regrette cet atroce Charlestown, l'Univers, la Bibliothè.., etc... Je travaille pourtant assez régulièrement ; je faisd de petites histoires en prose, titre général : Livre païen ou Livre nègre. C'est bête et innocent. Ô innocence ! innocence ; innocence, innoc... fléau !!
Notons déjà qu'il y a un parti à tirer de cet extrait. Vous pouvez voir qu'il y a un parallèle d'interruption au milieu d'un mot "Bibliothè." est coupé comme "innoc..." un peu plus bas, signe que Rimbaud médite bien l'intérêt littéraire de la suspension de parole au milieu d'un mot. La phrase : "j'en sortirai pourtant" parle d'échapper à un endroit assimilable à un enfer, et justement un des moyens de s'échapper est de travailler régulièrement à l'écriture de ce qui deviendra Une saison en enfer et l'adverbe "pourtant" relie précisément les deux phrases dans l'extrait cité : "j'en sortirai pourtant" et "Je travaille pourtant..."'
C'est amusant à relever. Mais l'emploi de cet adverbe "pourtant" est aussi frappant au plan psychologique. Rimbaud l'utilise deux fois à une phrase d'intervalle, c'est le signe qu'il est taraudé par la réflexion : "pourtant... pourtant..."
J'ai relevé cinq mentions de l'adverbe "pourtant" dans Une saison en enfer, mais une seule figure dans "Mauvais sang" :
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
Je n'ai pas trouvé un emploi de "pourtant" dans une phrase résolument synonyme ou proche au plan rhétorique des deux phrases de la lettre de "Laitou". Je note tout de même que cette mention "pourtant" est associée  à l'idée d'un endroit dont s'extirper : l'ici-bas, une sorte de "Laitou".
Mais, l'adverbe "pourtant" étant révélateur d'une angoisse qui ronge le poète, il n'est pas vain d'en considérer la portée sur l'ensemble du récit Une saison en enfer, ce qui fait que nous allons donc tous les relever.
La deuxième occurrence est mise dans la bouche de la "Vierge folle" et le rapprochement avec la lettre à "Laitou" me paraît trop forcé pour qu'on s'y attarde :
[...] Tout pourtant m'est permis, chargée du mépris des plus méprisables cœurs.
Les trois autres occurrences ont un distribution notable d'une par séquence successive : une mention dans "L'Impossible", une dans "L'Eclair", une dans "Matin" :
Pourtant, je ne songeais guère au plaisir d'échapper aux souffrances modernes.

Et pourtant les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le cœur des autres...

Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer.
Certes, on constate surtout que l'emploi de l'adverbe "pourtant" est un peu (pardon pour l'analyse littéraire d'une œuvre majeure !) une sorte disons de "tic" de langage quand Rimbaud exprime un raisonnement avec une part d'implicite. Et il peut employer ce "pourtant" pour tout type de sujet. Il s'agit tout de même d'un marqueur d'une sorte d'intensité du ruminement de la pensée, il trahit aussi une façon de s'interroger : Il y a ceci, et pourtant, il y a ça, et pourtant, je fais ça et pourtant... Notez que la dernière mention dans "Matin" se rapproche de la phrase "j'en sortirai pourtant" écrite à Delahaye, puisque Rimbaud formule très précisément qu'enfin il sort de l'enfer. Malgré tout, je m'en sortirai dans un cas, malgré tout, je crois que ça y est je m'en suis sorti dans le mouvement final de la Saison.
Moi, je trouve remarquables de pareilles symétries nourries d'échos précis.
Quant à la mention dans "L'Impossible", elle me fait dériver sur une autre idée. La fin de la section "L'Impossible" est connue pour sa pirouette finale : "Par l'esprit on va à dieu. / Déchirante infortune !" Cela ressemble fort à l'expression brisée : "innocence, innoc... fléau !"
Notez bien que tout ce que je fais remonter souligne très précisément les efforts rhétoriques de composition d'ensemble d'Une saison en enfer ! C'est la base de l'analyse littéraire !

Pour compléter cet ensemble, je me propose de revenir sur l'article que Bruno Claisse a consacré à la section "Adieu" d'Une saison en enfer. Son article a été publié en 2009 dans le numéro 966 spécial Rimbaud de la revue Europe : c'est un article court de six sinon sept pages avec les notes : "L'irréductible tragique d'Une saison en enfer" pages 164-171).
Comme moi ci-dessus, Bruno Claisse ironise sur les lenteurs des rimbaldiens : il a fallu attendre 1988 et un livre d'Henri Meschonnic pour qu'enfin soit envisagée l'ironie amère de la formule : "Il faut être absolument moderne", jusque-là lue comme un slogan pour la modernité et le jeunisme.
En réalité, Claisse devrait nuancer, puisqu'entre lui et sa lecture de Meschonnic il y a eu des réactions de rimbaldiens, et en tout cas il y a un article du rimbaldien Jean-Pierre Bobillot qui si je ne m'abuse est antérieur aux premières mentions de Meschonnic dans les écrits de Bruno Claisse. Par ailleurs, avant 2009, le débat est tendu au sujet de cette phrase. Yann Frémy notamment trouvait que ce n'était pas si évident de considérer que la phrase était ironique sans autre forme de procès. Et malgré son hommage à Meschonnic, Claisse développe en réalité une lecture corrigée de Meschonnic, une lecture ironique plus subtile qui contredit Meschonnic sur certains points.
Sur ce blog, depuis quelques mois, vous l'avez vu ! j'ai souligné que Rimbaud s'inspirait de l'actualité du théâtre de son époque et des débats moraux autour des pièces osées d'Alexandre Dumas fils. Rimbaud et Verlaine assistaient à Londres à des représentations de pièces de Dumas fils et ils lisaient dans la presse des débats autour de Dumas fils qui impliquaient des sympathisants de la Commune hostiles à Dumas fils et aussi l'ancien zutiste Camille Pelletan, et je fais remonter une véritable bombe pour les études littéraires, en montrant que Rimbaud s'inspirait de plaquettes rapides à lire de Dumas fils et de son opposant Tony Révillon. Avec : "Il faut être absolument moderne" en alinéa simple, Rimbaud réécrit la phrase attribuée à l'hypocrisie consensuelle des écrivains par Tony Révillon : "Il faut être de son temps" et la phrase : "La vision de la justice est le plaisir de Dieu seul", à proximité, est elle aussi un prolongement de la même plaquette de Tony Révillon qui épingle Dumas fils se réservant de donner des conseils à Dieu. Notez bien que "Il faut être absolument moderne" n'est en effet rien d'autre qu'une expression synonyme ampoulée de "Il faut être de son temps".
On sent que l'humour de cette phrase va au-delà de ce que lui prête Bruno Claisse, lequel analyse aussi au premier degré la formule "posséder la vérité dans une âme et un corps", sans voir poindre l'ironie finale de quelqu'un qui vient d'avouer ne pas avoir la vérité mais qui s'oppose aux mensonges du monde ambiant jusqu'au bout.
On sent que la thèse de lecture de Claisse pour "Adieu" ne sortira pas indemne de l'opération quelles qu'en soient les qualités.
Mais je voulais justement revenir sur un point subreptice qui pose problème dans la lecture de Claisse.
Claisse formule le propos dialectique suivant où Rimbaud est placé en faveur dans la résolution de synthèse. Donc, nous avons une alternative philosophique aux deux pôles inconciliables. D'un côté, Leibniz considère que nous vivons dans le meilleur des mondes qu'il est possible de concevoir car il est le fruit de la perfection divine, et de l'autre nous avons l'idée d'un monde créé par une volonté qui n'a aucun but, et donc créateur ou non le monde a un déploiement purement mécanique. La synthèse proposée par Claisse m'a l'air bancale. Rimbaud ferait fi de l'opposition entre création parfaite et création purement accidentelle pour ne s'intéresser qu'à la loi du devenir mécanique en situation. Je trouve ça un peu bancal, puisque de facto Rimbaud est plus proche de la thèse de Schopenhauer que de celle de Leibniz à ainsi présenter les choses. Certes, on ménage la possibilité de l'existence d'un Dieu bon, ce qui coïncide avec la phrase : "La vision de la justice est le plaisir de dieu seul" que ne rappelle pas Claisse, mais à laquelle il pense vu la dialectique qu'il déploie ici, mais malgré tout le Rimbaud selon Claisse ne fournit qu'une analyse mécanique déterministe en situation, et donc il s'agit simplement d'une microlecture de détails du réel sans préjuger si l'ensemble est déterministe ou non. Au plan philosophique, j'ai du mal à cerner l'intérêt de la résolution dialectique proposée par Claisse.
Certes, dans Une saison en enfer, on voit bien que le poète va se concentrer sur ce qu'il lui est seulement permis de connaître, il ne va pas prétendre à l'omniscience métaphysique, mais notez qu'en jetant comme un pavé dans la mare que la phrase sur la vision de la justice par Dieu seul reprend un persiflage à l'égard de Dumas fils je désamorce toute la grandiloquence que place Claisse dans la thèse philosophique qu'il attribue à Rimbaud. La vérité axiale du texte de Rimbaud n'est pas calée sur la thèse de Claisse.
Il y a un autre problème important dans la thèse de lecture de Claisse. Claisse va soutenir que Rimbaud s'oppose au dualisme religieux Dieu et Satan d'un côté et à l'idéologie du progrès de l'autre. Et de fait, j'ai dit récemment, sans avoir ce texte de Claisse à l'esprit, que Rimbaud s'opposait à la morale d'une société française qui lie la religion et l'idéologie du progrès comme deux forces d'enrégimentement pour contrôler les esprits. Cependant, il y a un écart entre mon analyse et la thèse de Claisse. Claisse ne lie pas le progrès et la religion comme les deux faces d'une même pièce, et surtout Claisse dit que Rimbaud s'oppose non pas à la religion, mais au dualisme Dieu et Satan, se servant opportunément de la phrase sur la damnation dont on ne peut sortir à cause du baptême. Et en réalité c'est inexact. Rimbaud s'oppose en même temps dans "Mauvais sang" à la religion et à l'idéologie du progrès, il n'y a pas exactement ce jeu de succession d'une providence puis l'autre, et surtout quand il exprime ce double rejet de la religion et de l'idéologie du progrès le poète n'a pas encore rejeté Satan ! Il ne le rejettera pas complètement d'ailleurs, mais à la limite peu importe ; en tout cas, pour rejeter la religion, il va vers Satan et on voit le poète qui revendique avoir bu la gorgée qui le jette en enfer après les propos tenus dans "Mauvais sang" contre la religion, le progrès et le sentier de l'honneur français. Il y a donc un problème d'escamotage des perspectives dans la lecture de Claisse. Rimbaud ne rejette pas directement les illusions de Dieu, de Satan et du progrès. La thèse est clairement mal posée, même si pour diverses raisons elle permet de dire pas mal de choses très justes sur le déploiement du discours dans Une saison en enfer. Puis, comme tous les rimbaldiens, Claisse dit n'importe quoi sur la dénonciation du dualisme par Rimbaud : "posséder la vérité dans une âme et un corps" est une phrase en soi dualiste, et Claisse veut l'identifier comme moniste en prétendant que la vérité passe à la fois par le corps et par l'âme. Non ! Si on écrit "âme et corps", on pense de manière dualiste, point barre !
Cela n'empêche pas Claisse de dire des choses intéressantes sur la "tendresse réelle", sur une "ardente patience", etc., mais il a plaqué sa synthèse personnelle de lectures philosophiques anachroniques (Jankélévitch, etc.) sur Rimbaud et cette thèse philosophique a des effets réducteurs à la lecture d'Une saison en enfer. Au profit d'une dénonciation, elle efface notamment l'idée d'autocritique et rend un peu frivole la demande de pardon pour avoir soi-même cru aux illusions comme toute la société.

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