vendredi 21 mars 2014

Vérifications : que disent-ils sur "Il faut être absolument moderne"?

Bon, passons au panorama du jour.


Yoshikazu Nakaji, Combat spirituel ou immense dérision ?, 1987 :

En revanche, la déclaration de la "victoire" s'effectue par des propositions portant un sujet inerte ou impersonnel et qui visent à l'effet d'une objectivité sereine : "la victoire m'est acquise" / "Il faut être absolument moderne" / "il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps." (p.222)
L'assimilation concrète de la "vérité", de la prise de position "absolument moderne", reste à réaliser. (p.224)

Pierre Brunel, l'édition critique, je ne l'ai pas sous la main, donc pour l'instant note ou commentaire dans l'édition au Livre de poche, La Pochothèque (1999).

Note pour "tenir le pas gagné" : "Ne pas reculer d'un pas quand on a avancé d'un pas ; donc mettre fin à ces hésitations qui ont marqué sa 'saison' ".
Passages de la notice préfacielle :

La vie nouvelle, dans "Adieu", exclura les "cantiques", non la musique. [...] c'est un adieu aux cantiques, un adieu à la "vieillerie poétique" qui était encore celle de la chanson à refrain, de l'espèce de romance, au profit de l' "absolument moderne". [...] le crédo d'une éthique avancée, "Il faut être absolument moderne" [...] une victoire dont on veut conserver l'acquis : "tenir le pas gagné".
Henri Meschonnic, Modernité Modernité, Folio Essais, 1988, " 'Il faut être absolument moderne', un slogan en moins pour la modernité", pp.123-127 (extraits, attention, car ce n'est pas toujours très bien écrit, il: est un peu bizarroïde dans le style et se la pète maladroitement) :

Phrase-drapeau combien de fois agitée. Manifeste en raccourci du modernisme. Brève, isolable, isolée.
Justement. On n'a pas pris garde que la valeur du mot moderne est péjorative, chez Rimbaud. Dans l'inclination même selon laquelle la modernité se penche sur elle-même, elle n'a pu choisir, dans l'ambivalence du terme, que la valeur laudative, placée sur l'esthétique.
Mais le moderne de Rimbaud vient au contraire, dans le poème, sonnet de la fin de la saison : "Oui, l'heure nouvelle est au moins très sévère." Fin des "paroles païennes" qui commençaient Une saison en enfer dans "Mauvais sang". Le "sauvé" est le perdu, le "Maintenant je suis maudit" est celui qui est sauvé, poétiquement. Pour nous. Et qui écrit, prophétie privée, l'histoire de l'autre, "Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds", mêlée au programme en rêve [...]
Moderne, chez Rimbaud, pas plus que chez Baudelaire, n'a une valeur d'exaltation, ni du présent ni de l'avenir. [...] "Pourquoi une monde moderne, si de pareils poisons s'inventent !" [...] "Ils signalent aux lois modernes les faunesses."
Moderne est du côté de la "Société", dans la première "lettre du Voyant", et s'oppose radicalement au "Voyant". Moderne est du côté du "français, c'est-à-dire haïssable au suprême degré".
Là où Rimbaud parle de ce que nous, aujourd'hui, nous désignons du mot de moderne pour la poésie, il emploie le mot d'inconnu, qui sort des catégories contemporaines : "Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens". [...] "car il arrive à l'inconnu !" [...]
Cet inconnu est plus que le nouveau [...] : "En attendant, demandons aux poètes du nouveau - idées et formes. [...]"
Le "Il faut être absolument moderne" se trouve dans "Adieu", poème clausule d'Une saison en enfer, juste après "Matin" : "Je crois avoir fini la relation de mon enfer" [...] [C'] est une phrase impersonnelle qui s'oppose, comme valeur du discours, aux emplois du je. Dans "Adieu", les je jouent un rôle actif, ils sont les créateurs de la vision, dite au passé continu du sujet (le "passé composé") [...] Le je est associé à la poésie, à la vision. A la révolte, même impuissante : "Damnés, si je me vengeais!", qui précède immédiatement, avec la pause rythmique d'un passage à un autre paragraphe, le "Il faut être absolument moderne." Les il faut, dans Une saison en enfer, sont, comme la grammaire élémentaire le leur reconnaît, l'expression d'une obligation impersonnelle qui contraint le sujet, le subordonne à l'impératif en question. [Pour soutenir sa thèse qui est ici est fausse, farcesque et abusive, Meschonnic cite tous les "il faut" convergents de Vierge folle] Le il faut signale que l'action se mène à partir d'un en dehors du sujet. Ici, un dehors qui écrase le sujet.
[...] [l'enfer sujet du livre est assimilé à la poésie par Meschonnic en gros] Par quoi "Adieu" dit un adieu à la poésie. Ce qui fait du "Damnés, si je me vengeais!" le dernier sursaut de l'enfer. Après quoi "Il faut être absolument moderne" se situe de ce côté-ci de l'enfer.
Dans, ou vers le monde moderne. La société moderne. L'enfer moderne. Envers de l'autre. L'enfer réel. Du côté de la "punition" finale dont parlait "Mauvais sang", le côté du "temps", du "Je m'y habituerai. Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !" Phrase-programme immédiatement suivie de "Point de cantiques : tenir le pas gagné", au début du paragraphe où "je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau", [évoque peut-être...] et qui se termine sur : "mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul." Le côté de la "veille", de la patience, dans ce que celle-ci implique de passivité et de souffrance, de passion : "Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes".
[...]
[Cette phrase pivotale de basculement vers le monde réel] loin qu'elle claironne une proclamation de modernisme poétique, elle dit la dérision. Qu'accentue alors ironiquement le "absolument", en même temps qu'elle fait le jeu du langage du réalisme. L'acceptation, amère, du monde moderne.
[...]

Quelques dernières envolés de fou furieux ensuite pour repartir sur le sujet du livre.

Je ne pense pas avoir les articles de Jean-Pierre Bobillot, Shoshana Felman et quelques autres dans mes dossiers. Bruno Claisse s'est réclamé à plusieurs reprises de l'analyse d'Henri Meschonnic, le sous-titre de son article sur le poème Mouvement en témoigne. Pour le concours de l'Agrégation en 2010, il a proposé dans le volume dirigé par Arnaud Bernadet, Rimbaud l'invisible et l'inouï, une dissertation autour de cette formule, mais je n'ai pas le volume sous la main. J'ai aussi un sujet de la fac de Toulouse qui date de 1996, mais sur lequel je n'ai pas moi planché à l'époque.
Mais Bruno Claisse ne s'aligne pas sur l'interprétation d'Henri Meschonnic. L'amer adieu à la poésie n'est pas admis, et Bruno Claisse envisage plutôt l'ironie comme distanciation amusée.
Bruno Claisse a l'air de donner une grande importance à des penseurs récents, Vladimir Jankélévitch dont le volume L'Ironie est pour moi un bavardage imbuvable, illisible (de la fatrasie)  et Clément Rosset, dont le volume Logique du pire est une exposition très claire et bien conduite d'un échafaudage intellectuel assez artificiel et dérisoire. Mais, tout en polluant l'approche du texte de Rimbaud avec un outillage philosophique anachronique et un peu grotesque, Bruno Claisse s'approche le plus de la portée de la formule extraite d'Une saison en enfer. Voici une citation tirée de la revue Europe, numéro 966 spécial Rimbaud, 2009, étude reprise dans son récent livre Les Illuminations et l'accession au réel :

Il faut être absolument moderne.
L'oralité poétique se concentre ici dans la manière brève d'un phrasé, constitué d'une intonation qui, à la fois, énonce résolument un devoir, jugé essentiel par le sujet, et rend cette énonciation inspérable d'une note de dérision : ne s'agit-il pas, en effet, de quitter un enfer (celui du délire métaphysique) pour un autre - bien réel, lui, car radicalement historique -, celui de la "barbarie" contemporaine, l'adverbe "absolument" interdisant même quelque échappatoire que ce soit à la "réalité rugueuse".
[...] [L]e nouveau ne devient accessible, malgré la dureté du moment, [...] que par l'entremise d'une règle absolue : se confronter, sans restriction aucune ("absolument") au seul monde existant, c'est-à-dire au monde "moderne", afin d' "étreindre" sans naïveté ni faiblesse, sa "réalité rugueuse", dès lors que l'esprit critique aura dissipé les illusions des mythes scientistes.
[...] Henri Meschonnic a parlé d' "ironie amère". Mais la notion d'humour et même d'humour noir n'est sans doute pas moins adaptée [...]
Dans un volume pour l'Agrégation 2010 de Lettres Modernes, je note d'Yves Vadé " ' tenir le pas gagné : avancées et blocages de l'Histoire dans Une saison en enfer ", Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud, sous la direction de Steve Murphy, Presses Universitaires de Rennes, 2009.

"Il faut être absolument moderne." S'agit-il d'un mot d'ordre ? d'une fatalité ? d'un énoncé contradictoire ? Les commentateurs sont divisés. Pierre Brunel, qui en fait le titre d'un chapitre de son Rimbaud de 2002, l'entend comme "un véritable commandement pour la poésie, mais aussi pour la vie qui en est indissociable". Un impératif catégorique. En radicalisant la "nécessité d'être en avant", Rimbaud poserait un principe esthétique, mis en oeuvre un peu plus tard dans Les Illuminations. Dans sa Critique de la raison poétique, Claude Esteban étendait la référence à l'entreprise du "voyant" (sur laquelle pourtant la Saison tirait un trait), aussi bien qu'aux différentes avant-gardes : "l'absolument moderne" rimbaldien marquait pour lui une "compulsion de l'instantané", l' "apparition, sur la scène mentale et verbale, de l'instant absolu, du moment brut".
Avec sa vigueur coutumière, Henri Meschonnic s'est inscrit en faux contre les interprétations qui feraient de la maxime rimbaldienne "un slogan pour la modernité". Rappelant les connotations négatives du mot "moderne" dans la Saison (les "souffrances modernes", "Pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s'inventent!", L'Impossible), il voit dans cette "phrase constatation d'une dure nécessité : "Les il faut, dans Une saison en enfer, sont [...] l'expression d'une obligation impersonnelle qui contraint le sujet, le subordonne à l'impératif en question. [...] Le Il faut signale que l'action se mène à partir d'un en dehors du sujet. [...] Le dehors de l'enfer. [...] La société moderne. L'enfer moderne. [...] L'enfer réel."
C'est plutôt à l'adverbe "absolument" que s'attachait dès 1972 Shoshana Felman pour dénoncer la contradiction entre le moderne et l'absolu. C'est par l'impossibilité même d'être "absqolument moderne" que Rimbaud marquerait sa modernité - celle-ci "ayant pour statut le problématique", et ne pouvant être proposée comme point de départ, origine ou fondement. [...] On peut penser qu'il y va moins, dans le texte de Rimbaud, des avant-gardes à venir que d'une situation historique : moins de l'histoire des formes que de l'Histoire. Et si l'on était tenté d'oublier que l'histoire humaine est aussi celle de l'Esprit (avec majuscule, comme déjà dans Mauvais sang, les lignes d'Adieu qui suivent seraient là pour le rappeler avec une force nouvelle et proprement inouïe : "Dure nuit ! le sang séché fume sur ma facer [...] Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes [...]."

Dans Parade sauvage n°20, 2004, Yann Frémy propose une étude de la section Adieu et il se penche lui aussi sur cette formule. Il le fait dans le cadre d'une approche quelque peu linéaire. Il vient de traiter de la velléité de la vengeance et entame une nouvelle sous-partie de son article intitulée "Mots d'ordre : 'Point de cantiques : tenir le pas gagné', 'Il faut être absolument moderne" :

Rimbaud, qui sait le danger toujours menaçant, a alors recours à un "mot d'ordre" pour définitivement éloigner ce qui est peut-être encore en lui : l'enfer. "Il faut être absolument moderne" : la formule est l'expression d'une ferme volonté, d'un volontarisme dont la rigidité n'a d'égal - et à cet égard elle en constitue la réponse et en dit l'appréhension - que l'infinie plasticité du feu de la géhenne. La nécessité d'être "absolument moderne" marque une rupture... incompréhensible toutefois si on ne la replace pas dans son contexte. On a beaucoup écrit sur cette formule - et à raison, puisqu'il s'agit incontestablement d'un temps fort, d'une scansion remarquable, non seulement à l'intérieur d'Adieu, mais au vu même de l'ensemble de la Saison. Cette formule de rupture ne se définit que dans l'opposition avec ce qui est "relativement moderne" : et, par cette expression in absentia, il nous faut comprendre l'ensemble des tentatives - dérèglement et dégagement - pour vaincre le monde "ancien". Cette modernité relative, par l'enthousiasme qui paradoxalement la minait, a pu facilement être réinscrite au sein même de ce que Rimbaud entendait combattre. "Il faut être absolument moderne" est donc se faire toujours un devoir d'aller quérir une modernité dans le rapport que celle-ci établit face aux "humains suffrages", aux "communs élans" (L'Eternité), mais "absolument", c'est-à-dire de la manière la plus "achevée" qui soit, dans le sens du travail fini : de l'ergon, dans l'oubli des séductions propres à l'energeia. Cela signifie rejoindre une modernité suffisamment absolue, sèche et rêche, avec la conscience du travail achevé, de la profération définitive, du scellement, pour que le retour à l'ancienne poétique de l'enfer, corruption et tentation mêlées, soit tout à fait impossible.
Il est dès lors déconseillé d'entonner des cantiques, car tout chant consisterait à réactiver la poésie de l'enfer dans l'infinie plasticité que lui conféraient notamment les ritournelles de Délires II. [...] Face à cette menace, il s'agir donc de "tenir", et puisqu'une avancée a eu lieu, de "tenir le pas gagné". La notation très précise signifie que le damné a d'ores et déjà fait un pas en avant, est entraîné dans un mouvement qui, matériellement, doit le mener hors de l'enfer. Il veut donc tenir le pas gagné comme on dit qu'il est nécessaire de "tenir une position" dans le langage militaire. [...] D'une certaine manière, le locuteur "s'oblige" à résister à ce qui est proche : l'enfer, et à ce qui en constitue l'expression, l'énergie négative. [...]

Passons à notre dernière citation, un extrait de l'édition revue du livre L'Art de Rimbaud de Michel Murat en 2013 :

[...] [M]ot d'ordre conclusif qui a fait couler beaucoup d'encre : "Il faut être absolument moderne". Dans son contexte, la phrase est assez claire. Elle oppose une bonne façon d'être moderne, à une mauvaise : celle de "l'Ecclésiaste moderne, c'est-à-dire Tout le monde" (L'Eclair), qui déifie la science ; en d'autres termes, le christianisme comme "déclaration de la science", opinion de "M. Prudhomme" (qui est aussi "tout le monde"). La bonne façon d'être moderne est de rompre les ponts entièrement avec le christianisme. Le locuteur vient de se tourner vers les "damnés" dans un dernier geste de défi. Mais il doit renoncer à ce défi même, et ne pas se glorifier de son succès : "Point de cantiques", ajoute-t-il aussitôt. "Absolument" dit bien ce détachement et ce voeu d'une modernité pure, ascétique, comparable à l'éthos de "l'être sérieux" qui sera le témoin de Soir historique. Je ne crois pas que Rimbaud, à la différence de Baudelaire, se soit préoccupé de définir la modernité, ni que l'adverbe vise à réfuter la conception baudelairienne de la modernité double, à la fois éternelle et transitoire. Il définit pour lui-même une postulation capable d'éclairer et de dicter sa conduite. Mais la formule consonne avec la revendication nihiliste des avant-gardes et leur désir de faire table rase. Ce ne sont pas les futuristes, mais les théoriciens de l'avant-garde qui s'en empareront, et feront de Rimbaud le héraut d'une cause qui n'était pas exactement la sienne.
**

Voilà un peu les principales positions. J'avais moi-même écrit sur cette formule. Le "moderne" est le transitoire, le relatif, et la rencontre de l'absolu et du relatif pose problème : "Il faut être absolument relatif". Le problème, c'est que la philosophie oppose radicalement les termes "absolu" et "relatif" comme inconciliables, mais cette opposition n'est pas tenable, ni au plan des expériences courants, ni au plan intellectuel. Les absolus dont nous parlons sont toujours conditionnés, précisés dans une gamme d'emplois, à tel point qu'on a voulu sauver le concept en opposant "absolu" avec un petit "a" et "Absolu" avec un grand "A". Mais de ce dernier nous ne savons rien, nous ne pouvons rien nous en représenter, pas même conceptuellement. Nous ne pouvons qu'en formuler une définition négative. En réalité, l'absolu et le relatif sont toujours conciliés dans nos expériences de pensée. C'est pour cela que je n'ai jamais assumé de publier ce que j'avais écrit initialement sur le sujet. J'avais enrichi cette analyse de considérations étymologiques sur les mots "mondes", "moderne", "modèrent", etc. Je relevais à quel point ces mots s'appelaient l'un l'autre quand on s'attachait à repérer leur présence dans le texte d'Une saison en enfer, par exemple la proximité "immondes", "modèrent", juste avant notre formule, mais pas seulement. Je pourrai toujours revenir là-dessus. Mon constat était aussi celui d'un emploi métaphorique banal de l'abverbe "absolument", en sachant que même ramené à du style familier, l'oralité d'Une saison en enfer ne pouvait l'exclure. Ce n'est pas un synonyme de "vachement", mais c'est le même principe : "C'est absolument nécessaire", comme on pourrait avoir "totalement" ou "complètement". Enfin, la notion de "moderne" ne peut comme ça sans examen être assimilée au relatif. La modernité d'une époque ne prétend pas simplement à l'avènement de sa mode temporaire. J'ai bien compris qu'une analyse grossière ne m'était pas permise. J'aurais pu avoir tout un brio de démonstration linguistique pour rien.
Mais, ici plus haut, j'ai cité pas mal de développements un peu portés à des considérations philosophiques ou bien portés à des considérations engageant notre âme politiquement, avec une tension entre une lecture au premier degré de la formule et des interprétations, ne faisant pas la part possible et nuancée de l'ironie, mais l'affirmant pleinement.

Alors, en bon belge, encore que mes diplômes sont français et qu'il y a peut-être de l'imposture à prendre une parole autorisée en tant que belge, je vais commencer par poser la question : "Mais est-ce que Rimbaud a jamais lu un seul livre de la philosophie dans sa vie, et en tout cas à l'époque où il écrivait ?" Il a bien dû lire de la philosophie politique, encore que le témoignage de Delahaye soit plus que probablement de la broderie fine. Mais pour assimiler ce genre d'ouvrages, il faut lire et relire. Il a parcouru sans doute des passages de Pascal et Montaigne, Izambard l'atteste pour ce dernier, mais Pascal et Montaigne sont quelque peu à part. Je ne pense que les élèves de terminale étudient souvent un texte de Montaigne ou de Pascal en cours de philosophie à l'heure actuelle. Rimbaud a-t-il lu ce Descartes qu'il accuse d'ergoter sur le moi ? A-t-il un seul philosophe allemand, sans que ça ne lui tombe des mains ? A-t-il lu un volume d'Aristote, un dialogue de Platon ? Et ne lire qu'une fois un dialogue de Platon, c'est n'avoir rien lu du tout. Il me semble qu'il y a un monde entre une mobilisation de lectures telles que Rosset, Jankélévitch, etc., etc., et le bagage intellectuel de Rimbaud. Les connaissances de Rimbaud ne sont en rien méprisables. Sa poésie manifeste effectivement un embryon de pensée qui aurait pu lui assurer un brillant devenir en philisophie ou dans une quelconque branche de la réflexion intellectuelle. La richesse de la pensée pour les auteurs du dix-neuvième siècle ne passaient pas foncièrement par la lecture de notre noyau actuel de philosophes classiques, et il est certain que le miracle de Rimbaud est de présenter une pensée de la valeur d'un philosophe, à supposer que les philosophes aient trouvé et résolu beaucoup de choses, parce que leur prestige est un peu surfait, et cette pensée nous est livrée selon les modalités de la poésie.

Maintenant, il y a cette formule "Il faut être absolument moderne." Ce n'est pas un aphorisme tiré de l'oeuvre de Nietzsche, ce n'est pas un énoncé philosophique perdu dans un paragraphe condensé de prose illisible, mal torché, à la Kant. Bon, c'est vrai que c'est un peu hermétique et que la bière pourrait avoir favorisé l'inspiration. Mais quand même!

Bon, trêve de plaisanteries. L'analyse doit relever du commentaire de texte.
Et si on parle, il en est plusieurs fois question dans les citations précédentes, de remettre la formule dans son contexte, cela veut dire qu'on va s'interroger sur l'enchaînement d'un texte phrase après phrase, puisque Rimbaud ne jette pas ainsi des énoncés carrés qui contiennent le monde, mais il fait avancer une narration, et au moment d'écrire "Il faut être absolument moderne", son souci était de poursuivre de manière cohérente un récit où il venait d'être question d'une hypothèse de vengeance. Les articulations ne nous apparaissent pas forcément, mais on peut un peu essayer de retrouver le lien directeur entre les paragraphes, ce qui veut dire porter son regard à partir de cette formule tant en aval qu'en amont.
Cette phrase n'est pas non plus le mot conclusif d'Une saison en enfer. Cette formule tombe au milieu d'un texte qui se trouve être la dernière partie de la dernière section titrée du livre, mais elle n'a pas une position de relief final, ni formellement, ni au plan argumentatif, puisque les raisonnements se poursuivent sans lui accorder d'autorité décisive. En termes de raisonnement, aucun surplomb n'est accordé à cette formule. Il n'y a pas de "et maintenant que ce mot est donné, on peut ouvrir la perspective avec ça, ça et ça". Non, la phrase, bien qu'isolée typographiquement, est prise dans un raisonnement qui se poursuit.
Evidemment, cette phrase est particulière, elle a un tour impersonnel qu'Henri Meschonnic a eu raison de commenter, à ceci près que cette nécessité qui se pose en dehors du sujet n'est pas non plus une machine à plier le sujet. Là, il y a un dérapage insensible du commentaire meschonnicien qui a une thèse à sortir ensuite. Le sujet est déjà libre de se mettre ou non sous la contrainte de ce "il faut", il est libre de chercher aussi à le remettre en cause. La soumission à cet impératif n'est pas non plus d'office problématique pour le sujet.
Sur un plan plus large, il convient de se demander de quoi parle cette phrase. Pour l'apprécier, nous devons observer de plus près et le contexte immédiat, les phrases avoisinantes, et le contenu du livre.
De ce point de vue là, Meschonnic a raison de montrer l'emploi péjoratif du mot "moderne" dans l'ensemble du livre Une saison en enfer, voire dans d'autres textes du même auteur, mais le cadre d'Une saison en enfer apporte des éléments de réponses suffisamment intéressants, et surtout nous sommes dans la même unité. Rimbaud peut employer le terme "moderne" dans un esprit qui n'a rien à voir avec celui d'Une saison en enfer. Il le pourrait en tout cas.

Ce qui manque sans doute à l'analyse de Meschonnic, c'est une idée de l'orientation d'ensemble du livre Une saison en enfer. Il est resté calé sur un repérage des notions "ancien", "nouveau", "moderne", "inconnu". Il aurait pu aller plus loin d'ailleurs, mais c'est déjà suffisant pour montrer brillamment que Rimbaud est un poète qui cherche "l'inconnu" et qui se met en porte-à-faux avec la modernité.
Alors, comment que ça se présente ce bazar-là ?
Vous avez un poète, le héros du livre, à qui un souvenir improbable a été inculqué selon lequel il a connu un festin où tous les coeurs sympathisaient entre eux. Mais lui ne sait qu'une chose, il s'est enfoncé dans la révolte et cette révolte est tournée contre les valeurs chrétiennes de la société, et contre l'amour même.
Néanmoins, il ne veut pas mourir, ce qui le fait hésiter, la charité semble s'opposer à son parcours de mort, et donc Dieu à Satan. La prose liminaire nous annonce d'emblée que le poète ne choisira pas la charité, l'odeur de soufre va rester.
Suivent alors les récits. Les premiers nous apprennent ce qu'a été la vie infernale du poète : Mauvais sang, Nuit de l'enfer, Délires I et II, et L'Impossible nous offre un extrait de philosophie infernale.
A partir de L'Eclair, le poète fait surgir une valeur, le travail, mais la définition du travail par le monde ambiant ne lui convient pas. On peut bien penser que la fin du livre va participer d'une volonté de définition de ce travail personnel à accomplir. Matin et Adieu consacrent un refus de mourir, mais au profit d'une nouvelle façon de concevoir le travail que le poète doit accomplir. Il ne sera plus en conteur à rêver amours fantastiques, à se plaindre, etc. Il va se mettre au travail. Et c'est ce travail qu'il définit dans les dernières sections du livre Une saison en enfer. La conscience du travail a éclairé l'abîme du poète.
Matin est le texte des aspirations qui vont permettre de sortir de l'enfer et Adieu est la mise en place du dispositif.
Or, le texte d'Adieu peut et doit nous surprendre. Le poète va demander "pardon pour [s']être nourri de mensonges". Est-ce à dire que le poète qui refusait le christianisme ou dont la conversion tournait mal rentre finalement dans le rang ? Tout le livre Une saison en enfer pour ça : le poète qui s'entêtait plus et disait "non" ne s'entête plus et dit "oui"?
En fait, la subtilité du texte, c'est que le poète décharge son fardeau, ses mensonges à lui. Il se recrée une façon d'être, mais il se maintient dans l'opposition. Il fait partie des "esclaves" et "damnés", il a été victime de gens dont il voudrait se venger. Cette demande de pardon, ce n'est pas rentrer dans le rang. C'est simplement prendre qu'il prend conscience du caractère inadapté de ses réactions. Il demande "pardon", parce que lui a changé, mais pas le monde qui l'entour. Evidemment, il va redécouvrir des valeurs qu'il avait rejetées, la patience au premier chef. Mais, est-ce que le poète revient pour autant au "festin ancien", et la réponse à cela nous éclaire sur la valeur de l'Adieu ? Non. Au contraire, l'Adieu est précisément scindé en deux parties qu'une problématique pourtant conjoint. Dans la première partie, il est question de trouver "une main amie" au bout de sa transformation, mais dans la seconde où affleure le désir de vengeance il y a un renoncement à l'amitié, et donc à la charité, au profit d'une valeur supérieure qui est la vérité. Le monde du festin est maintenu dans le mensonge et nous avons bien l'idée que la "charité" comme "clef" d'un festin d'harmonie entre les hommes est la preuve que toutes ces thèses sur l'harmonie entre les coeurs est un rêve, car la charité n'est pas de ce monde. Nous passons ainsi nettement du révolté "armé contre la justice" à un personnage plus résigné "arm[é] d'une ardente patience", le pluriel solennel de la formule "armés..." étant quelque peu ironique à partir du moment où le poète renonce à trouver une main amie.
Evidemment, comme le monde n'a pas changé, l'idée des "splendides villes" est une idée d'acceptation qui ne va pas sans un certain second degré.
Henri Meschonnic s'égare visiblement quand il parle d'ironie amère et Bruno Claisse a raison de penser plutôt à de l'humour, s'il pouvait seulement nous épargner la référence à des pitres désinvoltes comme Jarry et les surréalistes.
Le plan de l'amertume est là depuis longtemps, puisque c'est l'épisode la révolte avec la Beauté sur les genoux qui a révélé l'amertume. Du coup, cela n'a pas vraiment de sens que de supposer la découverte d'une solution caractéristiquement amère.
Mais, il faut dès lors se concentrer sur la formule "Il faut être absolument moderne" en contexte.

Nous savons, et Meschonnic l'a rappelé, que le moderne est pris en part négative dans cette oeuvre. Tant qu'il se révoltait, le poète pouvait dire "Pourquoi un monde moderne si de pareils poisons s'inventent?", encore qu'il est un peu hypocrite sur le sujet des tabacs et de l'alcool.
En tout cas, Rimbaud s'est moqué du crédo de "l'Ecclésiaste moderne".
Michel Murat dans son commentaire croit que s'opposent clairement une bonne et une mauvaise façon d'être moderne.
Mais, pour cela, il faut déterminer le contenu, dire "c'est quoi la bonne façon d'être moderne qui se différencie de l'en avant de l'Ecclésiaste moderne". Michel Murat remplit cette définition en annexant le mouvement parallèle de refus du christianisme dont témoigne la fin du livre, mais le texte de Rimbaud ne dit pas exactement cela de la modernité. Oui, il y a une modernité qui pousse le christianisme vers l'ancien. Là, l'observation est juste, mais la définition de la bonne modernité non je ne la reconnais pas, d'autant que dans la parole de "l'Ecclésiaste moderne" il est question de substituer la science à l'Evangile, pas d'accorder les deux comme cela a pu être pourtant envisagé ailleurs dans le livre. Les formules "Il faut être absolument moderne" et "tenir le pas gagné" ne font rien de tel. Les termes de la comparaison ne sont pas suffisamment bien déterminés dans l'analyse de Murat, ce qui pose le problème des amalgames. En plus, même si l'ironie est sensible, la phrase "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul" est plus une mise entre parenthèses qu'une modernité refus du christianisme. Sur un autre plan, on peut toujours dire que le "Point de cantiques" se démarque de la "prière" moderniste, mais, est-ce si pertinent quand le texte d'Adieu est lu de toute façon comme une suite de slogans, de formules phares. Ce n'est pas des cantiques, c'est des pétards pour la fanfare, je ne vois pas la différence au change.
Ce sont quand même des énoncés moraux, programmatiques.
Le "Il faut être absolument moderne" est ainsi de l'ordre de la concession. Il est indéniable que Rimbaud s'aligne alors sur un modèle qu'il a dénoncé tout au long du livre.
Mais, si nous reprenons le texte au moment où surgit cette phrase, de quoi est-il question ?
Le poète exprime le désir de se venger, ce qui est une conception dévoyée de la justice.
On ne peut pas penser que la formule "Il faut être absolument moderne" ne réponde pas à cette hypothèse. Nous savons que personne d'autre que le poète, si ce n'est Satan et la Vierge folle, n'a l'occasion de prendre la parole. Les "esclaves" et les "damnés", ce sont des adresses en esprit, le poète doit répondre lui-même. Il y a bien sûr un dialogue intérieur, comme dans tout bon conflit intérieur.
La scansion du texte qui se découpe alors en alinéas est bref est dans le refus de la vengeance. La velléité de vengeance est une ultime épreuve infernale.
Le poète y répond par une comique affirmation d'absolue modernité. Il a découvert une nouvelle patience, un en avant, un horizon de progrès que son travail défini personnellement va lui permettre d'accomplir.
C'est un effet de la lecture d'ensemble d'Une saison en enfer qui nous interdit la contradiction d'un poète qui tantôt maudit la modernité, tantôt la sublime.
Nous sommes ici dans le positionnement. Le poète se fixe l'objectif d'être "absolument moderne", sans que cela ne soit le moins du monde le dernier mot de sa nouvelle morale.
Et cette phrase est d'ailleurs prise dans le cours d'un dernier et ultime raisonnement qui va aboutir à une nouvelle révélation qui, par la force des choses, n'est consciente au poète qu'après l'énonciation de la phrase "Il faut être absolument moderne."
Bref, on a donné une valeur d'emploi à cette formule qui est en contradiction avec le mouvement de révélation en cours que suppose la fin du livre Une saison en enfer.
Par ailleurs, j'ai annoncé plus haut qu'il allait être question de s'intéresser au texte tant en aval qu'en amont.
L'amont, c'est l'hypothèse de vengeance "Damnés, si je me vengeais!" Donc, une réponse ou une fin de non-recevoir sont attendus.
Or, parfois, l'étirement du texte permet d'observer une réponse rendue de manière diffuse qu'un peu d'inattention laisserait échapper au lecteur.
Et, justement, après la formule "Il faut être absolument moderne" qui peut sembler n'être rattachée à rien, c'est d'ailleurs assez sensiblement ainsi qu'elle a été traitée dans les diverses interprétations, on a un paragraphe où il est question de "tenir le pas gagné", de "bataille d'hommes" et d'une "justice" réservée non simplement à Dieu, mais au "plaisir de Dieu seul". Le paragraphe suivant parle alors d'une "tendresse réelle" à accueillir, et puis le dernier conclut précisément sur le fait que l'absence de "main amie" ne doit pas être un réel problème quand on peut opposer le mensonge à la vérité.
Nous sommes donc dans un moment de conscience lucide face à un monde du mensonge. Le poète renonce et à la vengeance et à l'amitié, si la vérité ne doit pas être là au bout du compte.
L'esprit sain dans un corps sain a à voir avec la possession de la vérité. Cette absolue modernité, c'est surtout le renoncement à la vengeance en tant que pourvoyeuse de mensonges. Dans L'Eclair, le poète qui refuse de travail se réfugiait dans la querelle et dans les rêves. Le poète consent à se situer dans l'en avant moderne. Il se met en phase avec le mouvement, mais le regarde comme un univers de mensonges. Il ne consent à cette absolue modernité que pour s'attacher à la vérité dont le plan ne se confond pas avec ce qu'il faut bien bon an mal an accepter comme "réalité rugueuse" du destin.
Et "tenir le pas gagné", cela veut clairement "maintenir le pas gagné". C'est à la fois participer de l'en avant de l'Ecclésiaste moderne, accepter qu'il y a un travail à faire en ce monde, mais c'est aussi ne pas faiblir, ne pas montrer l'apparence de la faiblesse par la vengeance.
C'est une tâche difficile comparée à une guerre. Il n'est donc pas question d'un enthousiasme de la modernité. Le poète dit simplement qu'il faut quand même aller dans le sens de la vie, en dehors point de salut. Evidemment, les méchants et fainéants tombent sur le coeur des autres comme le poète l'a dit précédemment, mais la résistance ne doit pas être dans la vengeance, mais dans la possession de la vérité.
L'indicatif futur simple "il nous sera loisible" permet au poète de modérer quelque peu sa prétention. Il montre qu'il va mieux, qu'il repart de l'avant, et nous ne sommes pas face à la leçon dernière de la philosophie. Notons tout de même que ce n'est pas la vérité simplement qui est visée, mais la vérité en amour, ce qui confirme pleinement que la réflexion des "feuillets" du damné portait bien sur la validité de la notion de charité chrétienne en ce monde.

10 commentaires:

  1. Bonjour et merci pour ce blog. Si vous en avez le temps et l'envie, je serais curieuse de savoir si vous opposez cette recherche de la vérité en amour dans la Saison et au "dévouement/charité" et à "l'amour terrestre" dont il est question de pouvoir "mourir". L'amour terrestre dont il est question serait-il selon vous plutôt cette vérité en amour que vous évoquez ou la "luxure" qui dans "Mauvais sang" est "magnifique" comme sont "aimables" les "pavots" du début? En bref, l'auteur renverrait-il deux types d'amour mortel dos à dos pour un amour inédit ou opterait-il pour l' "amour terrestre" tout en en cherchant à le "réinventer"?

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  2. Bonjour, je vais répondre à votre question et y consacrer de mon temps. En fait, l'amour divin et l'amour terrestre sont les deux formes de l'amour chrétien. Rimbaud définit l'amour terrestre comme étant le dévouement, à l'aide d'une reprise : "mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement", et très rapidement après il trouve insolemment que ni l'amour divin, ni le dévouement ne lui sont nécessaires : "Plus besoin de dévouement, ni d'amour divin." La fin du texte, c'est un amour vrai qui est cherché, la "tendresse réelle", le dévouement des coeurs sensibles est taxé de fausseté. Après, il y a un souci du poète pour les damnés qui apparaît dès Mauvais sang. Je vais vous répondre plus précisément dans de prochains articles. Il y en a un sur papier que je pourrais éventuellement mettre en ligne, j'y attache une très grande importance "Les ébauches du livre Une saison en enfer". J'y commente le premier tiers de la saison et les notions de vice, beauté et poison.

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    1. Merci. L'amour "terrestre" est alors l'amour du prochain. C'est sur "terrestre" que je faisais un contresens, là je comprends que Rimbaud s'explique avec les 'deux plus grands commandements', amour de Dieu et du prochain. Rien à voir avec un amour passion comme je le comprenais. Pour la notion de poison je vous lirai avec beaucoup d'intérêt, parce que c'est vrai que sa liste de poisons est surprenante dans "si de pareils poisons s'inventent". Jusque-là je comprends le sens péjoratif des "dévouements" dans la liste des poisons. Mais comme vous le dites, il est un peu hypocrite avec "l'ivrognerie et le tabac." J'imagine aussi qu'il faut faire abstraction de "Matinée d'ivresse" ("nous avons foi au poison"). Quant à l' "ignorance", elle fait aussi partie des poisons et pourtant la "science" ne me semble pas avoir bonne presse non plus dans la Saison. En tout cas vous montrez qu'en s'armant d'une "ardente patience" on finit par s'y retrouver!

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    2. Voilà, amour de Dieu et du prochain, c'est ça la révélation qui fait qu'on "amour divin" puis une correction immédiate "non deux amours". C'est limpide et clair.

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  3. Il serait utile de distinguer explicitement deux analyses syntaxiques (pré-interprétatives) qui, non explicitées, on pu conduire à des interprétations divergentes :
    – Il faut être absolument-moderne (modernité-absolue, non relative)
    – Il faut-absolument être moderne (devoir-absolu de modernité)
    La seconde analyse (devoir absolu… d’être moderne), non conforme à l’ordre des mots de Rimbaud, conduit à une interprétation peu vraisemblable chez Rimbaud, que Meschonnic critique à juste titre, mais sans paraître contester cette analyse-même (d’où son recours, contesté plus haut, à une interprétation de « il faut » comme « obligation impersonnelle » extérieure au sujet… pour neutraliser ce « il faut »).
    La première analyse (devoir d’être absolument-moderne), conforme à l’ordre des mots de Rimbaud, et où « absolu » dé-relativise « moderne », n’a pas l’inconvénient immédiat de la première, et dispense de construction interprétative ad hoc pour y échapper. C’est apparemment l’analyse de l’auteur du présent blog et, parmi les commentateurs qu’il cite, de Felman et Frémy.
    Cela étant, je ne comprends pas ces lignes de l'auteur du blog ci-dessus :
    « Mon constat était aussi celui d'un emploi métaphorique banal de l'abverbe "absolument", en sachant que même ramené à du style familier, l'oralité d'Une saison en enfer ne pouvait l'exclure. Ce n'est pas un synonyme de "vachement", mais c'est le même principe : "C'est absolument nécessaire", comme on pourrait avoir "totalement" ou "complètement". »
    Car cette remarque semble supposer l’analyse en devoir-absolu de modernité (il faut-absolument). Est-ce une distraction momentanée du blogueur ? ou l’avons-nous mal compris ?

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  4. Eh! on cherche la bagarre, lol. Distraction? Non ! Mais peut-être une étape à rejeter de mes atermoiements sur le sujet. Exact il n'est pas écrit "Il faut absolument être moderne" où "absolument" modifierait l'ensemble du groupe verbal "être moderne" en langage de grammaire générative si je ne m'abuse, alors que "Il faut être absolument moderne", absolument peut aussi bien être modificateur du groupe entier "être...moderne" qu'adverbe précisant "moderne", mais avec une seconde hypothèse plus naturelle. Il faut être vachement moderne, cela irait dans mon sens, je ne vois pas en quoi il y a court-circuit dans ma logique. "vachement" n'est pas un choix heureux, mais je veux dire que si on oppose radicalement l'absolu et le relatif, même en philo et sciences, on ne va pas loin. Mais, en plus, absolument, qu'on dise "c'est absolument certain", "Il faut absolument que tu fasses cela", "Il faut être absolument présent ou fin prêt, etc.", c'est un emploi métaphorique, une façon d'hyperbole. C'est une critique que je faisais à mon analyse de départ, pas du tout envers l'analyse de Meschonnic que je conteste plus pour la portée qu'il donne à l'énoncé et l'ironie qu'il implique dans sa lecture sans la justifier bien rigoureusement. L'importance de mon propos consiste à relier "damnés si je me vengeais" à "la justice plaisir de Dieu seul", car cela fait apparaître les articulations du texte, l'auteur suit une idée, alors qu'on traite toutes ces phrases comme autant de considérations autonomes sur un même thème. A suivre. Je vais affiner.

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    1. Dans "Il faut absolument être moderne", absolument modifie plutôt "il faut" que "être moderne", je me mélange les pinceaux. Oui "il faut absolument"=devoir absolu, alors que "Il faut être absolument moderne", absolument modifie l'adjectif "moderne", lecture la plus naturelle, comme on pourrait avoir "il faut être très moderne", adverbe marqueur de degré pour l'adjectif. Coincé entre le verbe et l'adjectif, on pourrait hésiter pour certains adverbes, soit ils modifient "être moderne", soit "moderne", mais ici intuitivement je ne vois pas d'autre lecture comme modificateur de l'adjectif. Si je remplace par un pronom, je dirai "Moderne, il l'est absolument", et "non moderne, il l'est, absolument" où l'adverbe alors de phrase a un autre sens.
      Je ne vois pas en quoi "vachement" revient au modèle grammatical de Meschonnic. Quand je prends l'exemple "Cela est vachement nécessaire", sans m'en rendre compte, j'étais bien dans le modèle deux, et je ne m'occupais pas du sens "vachement nécessaire" qui n'a rien à voir avec la phrase de Rimbaud. Je voulais juste me dire à moi-même que Rimbaud n'a pas écrit ironiquement "Il faut être absolument relatif", mais sa phrase a un sens tout à fait acceptable. Ce qu'il y a, c'est que j'étais d'accord avec Claisse et Meschonnic pour dire que ce n'était pas là un mot d'ordre dévoué, mais leurs lectures avaient un caractère d'ironie métaphysique que je n'encaissais pas.

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    2. "Moderne, il l'est absolument." Ou "Absolument moderne, il l'est" Si si l'adverbe peut être plus près du verbe ou plus près de l'adjectif, mais dans tous les cas il modifie la structure attributive "être plus adjectif", alors que dans "Il faut absolument... être moderne, que vous soyez moderne", absolument donne un degré à "il faut" et donc au devoir.
      Quant à ma lecture en contexte, elle se conçoit ainsi "Il faut être absolument moderne, non, ne nous vengeons pas, tenons le pas gagné, après tout la justice est le plaisir de Dieu seul", ce qui englobe l'idée d'être absolument moderne dans quelque chose de moins dogmatique, de plus joueur.

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    3. Moderne, il ne l'est pas absolument / Absolument moderne, il ne l'est pas. Ce n'est plus important pour le débat, mais j'ai du mal à calibrer en pensée les rections de l'adverbe "absolument" au sein de la structure attributive. Juste que de toute façon, oui l'opposition soulevée plus haut vise juste. Merci donc. Oui, mon ironie était dans le fait que Meschonnic associait "Il faut être absolument moderne" au "il le faut" de la Vierge folle, ce qui n'était pas tenable, mais je réagissais intuitivement.

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    4. Il est médecin, il est quoi? (être verbe d'état) attribut du sujet
      Il est malade, il est quoi? (être verbe d'état) attribut du sujet
      Il est très bien, il est comment? (il est quoi? plus familier)
      Il s'appelle Jean (appelez-le Jean) Il s'appelle comment? attribut de l'objet
      Il est moderne. Il est comment? Il est quoi?
      Moderne, il l'est absolument. Moderne, il l'est comment?
      Absolument moderne, il l'est. L'est-il?
      J'ai l'impression qu'au-delà de toutes les manipulations "absolument" ne peut que modifier l'adjectif "moderne", le verbe "être" a un rôle de copule phrastique.
      Donc, on a l'opposition "Il faut absolument être moderne", où "absolument" accompagne le sens du verbe "falloir", et "Il faut être absolument moderne" où "il précise l'adjectif "moderne".
      Le deuxième choix s'impose.
      Le devoir n'est pas absolu, il convient d'être absolument moderne, mais ce n'est pas un impératif catégorique.
      Meschonnic reste dans le "il faut" impérieux, malgré sa critique du slogan moderniste, un "il faut" fatum.
      Cela ne s'impose pas.
      La phrase "Il faut être absolument moderne", moins impérieuse, est ouverte à différentes possibilités d'emploi, mais en contexte elle est conditionnée par la préoccupation du poète qui songeant se venger laisse la justice à Dieu. Le poète accepte surtout d'aller dans le sens de la vie.
      Sur un autre plan, le "moderne" n'est pas purement et simplement le relatif et "absolument" peut très bien qualifier "moderne" en lui enlevant son caractère relatif. Mon idée initiale était que "absolument moderne" est un peu absurde genre "absolument relatif", "éternellement éphémère", etc, mais outre qu'éternellement éphémère se défendrait quelque peu, "absolument" a un emploi essentiellement métaphorique dans tous les cas, et "moderne" a une propension à marquer un nouvel avènement, plutôt qu'à indiquer la mode du présent.

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