La première partie de cette étude commence par une introduction et se poursuit par deux commentaires de poèmes en fonction uniquement des répétitions de mots. Mais elle s'arrête là et ne présente pas de conclusion ou synthèse.
J'ai préféré l'attention aux deux poèmes, ce qui est in fine le plus important.
J'ai déjà publié un article sur le poème A une Raison et un autre sur le poème Barbare, et en principe en 2015 paraîtra un article avec le commentaire des poèmes Enfance I, Barbare et Matinée d'ivresse.
Je ne souscris pas aux lectures du poème Barbare par Bruno Claisse, Yves Reboul et Michel Murat.
L'étude de la composition du poème en fonction d'une distribution précise de répétitions ne retient pas l'attention des critiques. Est-elle perçue comme trop formelle? trop scolaire? Le reproche que cela soit trop formel, et certains diront trop structuraliste malgré l'anachronisme patent et un rapprochement à vue de nez, n'est pas recevable. L'art doit exiger quelque chose de l'ordre de la finesse d'exécution. Le surréalisme a fait un tort énorme à la culture française qui est une culture dont les forces sont liées à une réflexion sur les problèmes formels, non à leur escamotage. L'art moderne ou contemporain abuse impunément de l'absence d'exigence dans la finesse d'exécution, des créations dérivées d'un concept sont imperturbablement présentées comme des oeuvres d'art, sans que rien de fin ne se dégage pour l'oeil ou pour l'oreille. L'art est abandonné à la spontanéité créatrice avec pertes et fracas.
Quant au reproche que ce relevé des répétitions puisse être trop scolaire, c'est une injure faite à Rimbaud, mais aussi une injure que ceux qui aiment Rimbaud et qui rejettent ce genre de relevés se font à eux-mêmes, puisque, d'une part, qu'on le veuille ou non, c'est l'art de Rimbaud que ceux qui estiment la subtilité de l'auteur ne veulent pas voir et doivent finalement admettre comme une part simple de la beauté de ces poèmes qui sont du coup loin de cette "incohérence harmonique" dont parlait Valéry, et puisque, d'autre part, une approche méthodique de ces répétitions permet de fortement relativiser l'hermétisme de la plupart de ces poèmes.
Il n'est pas difficile de bien voir que dans Barbare nous avons trois alinéas de rejet. On peut faire identifier scolairement à un collégien les reprises "Bien après, loin des", puis de lui montrer que cela se rattache à trois alinéas qui reprennent constamment la mention "Le pavillon".
Il n'est pas difficile pour ces six alinéas de montrer que nous avons d'un côté ce que rejette le poète et qui vient du monde, et de l'autre le refuge du côté du pôle arctique avec une attirance pour un étrange "pavillon en viande saignante".
Il n'est pas difficile de montrer que les quatre autres alinéas décrivent des éruptions arctiques, un mélange de pluie et de feux désirés qui s'opposent justement aux vieilles flammes, comme le pôle arctique aux vieilles retraites, ce qui explique la parenthèse du septième alinéa puisqu'un spectacle nouveau chasse l'ancien.
Le style liturgique est clairement imité : "éternellement carbonisé pour nous". Le "coeur terrestre" se substitue donc à Dieu. Enfin, il n'est pas difficile de comprendre le caractère sexué de ce spectacle.
Le sens du poème est indiscutablement l'expression fantasmée d'un rejet du monde ambiant avec une célébration sexuelle des forces déchaînées de la Nature dans un lieu soustrait à la présence des hommes.
Or, les lectures du poème manquent complètement ce que l'analyse méthodique simple des répétitions révèle, puisque l'opposition est envisagée comme un conflit de soi à soi du poète et puisque, pire encore, ce poème pourrait solder les illusions du "voyant".
Je pourrai rendre compte ultérieurement de ces lectures.
Bien sûr, je n'ai pas poussé la lecture jusqu'à expliquer le "pavillon", je m'en suis tenu aux limites fixées par l'étude des répétitions, et je me suis très nettement contenté de paraphrases indiquant les articulations de chacun des deux poèmes. Je fais ce que personne ne fait en commentant Rimbaud, je prends le lecteur par la main et je lui fais voir le texte, en pointant du doigt ce qu'il faut voir, un peu comme si lors de la dissection en classe d'une grenouille je montrais un muscle de la patte, etc.
Evidemment, les mêmes qui ne supportent pas le commentaire critiqueront qu'on propose aux gens de regarder un détail du poème qui est visible et qui, une fois bien vu, ne peut qu'être admis comme un élément clef de la lecture.
Ces études sur les répétitions vont nous mener plus loin, dans les relations entre poèmes. Car on voit bien le rapprochement allégorique patent avec même opposition du monde ancien à l'allégorique nouveau dans A une Raison et Barbare. Je vais dans d'autres parties de cette étude étudier les poèmes Antique, Being Beauteous, Fairy, Génie, Matinée d'ivresse, Aube et cet ensemble formera une unité claire et nette avec les poèmes A une Raison et Barbare. Les allégories et discours de ces poèmes sont liés de manière homogène. Cela me permettra de combattre des lectures que j'estime erronées de poèmes tels que Barbare, Being Beauteous, Matinée d'ivresse et Aube. Je précise aussi, parce qu'on m'en a fait la remarque, que si j'utilise le conditionnel ou les modalisateurs ("probablement", etc.), cela est lié aux contraintes de la publication. J'offre une lecture en laissant le lecteur se faire le jugement. Il va de soi que pour une part il y a des éléments de réflexion plus subjectifs de ma part, comme il va de soi que quand j'apporte un élément nouveau j'emploie les modalisateurs et le conditionnel pour rendre moins passionnel le débat, non pas parce que je suis à moitié convaincu par ce que je dis.
Je vais aussi indiquer l'habile distribution des répétitions dans plusieurs autres poèmes et j'établirai des relations avec les poèmes précités, par exemple les poèmes Les Ponts et Démocratie imposeront des rapprochement avec A une Raison et Being Beauteous.
Ainsi, la méthode d'approche par les répétitions permet encore d'éclairer le sens des poèmes en les comparant entre eux.
Passons maintenant à un cas très intéressant en soi, le poème Après le Déluge. Il s'agit là encore d'un résultat que j'ai déjà publié.
Plusieurs études de ce poème ont été publiées, mais une seule a marqué, celle d'Yves Denis qui a mis en avant l'idée d'une allusion à la Commune voilée métaphoriquement.
Il me semble qu'il est important également de se confronter à la composition habile du poème.
Je vais m'en tenir à un commentaire en fonction des répétitions, en précisant toutefois que le début du poème n'est pas édité de la même manière par tout le monde. Le manuscrit porte un ajout à l'encre "après" biffé au crayon. Selon qu'on estime ou non cette intervention étrangère à Rimbaud, on éditera "Aussitôt après que" comme c'est le cas d'André Guyaux dans l'édition de la Pléiade en 2009 ou "Aussitôt que" comme c'est le cas de Pierre Brunel dans celle du Livre de poche en 1998.
Le crayon est une intervention de typographe, ce n'est pas Rimbaud qui a supprimé cet ajout, alors que l'ajout est bien de la main de Rimbaud.
Conclusion, la précision insistante "Aussitôt après" a été voulue et finalement maintenue par Rimbaud, et cette idée se comprend aisément quand on lit un poème qui déplore la soudaineté avec laquelle le monde se remet à vivre comme si aucun déluge n'avait eu lieu.
Mon commentaire recoupe des éléments de publications antérieures, encore que je prenne parti pour certaines lectures contre d'autres. L'aspect original, c'est l'étude en fonction des répétitions, et le renforcement des rapprochements avec d'autres poèmes, notamment Barbare, plus quelques éléments originaux par-ci par-là.
Mon commentaire recoupe des éléments de publications antérieures, encore que je prenne parti pour certaines lectures contre d'autres. L'aspect original, c'est l'étude en fonction des répétitions, et le renforcement des rapprochements avec d'autres poèmes, notamment Barbare, plus quelques éléments originaux par-ci par-là.
Je ne vais pas citer le poème tel quel pour gagner de la place, il suffit de se reporter à une édition face à l'écran. Le poème est composé de treize alinéas. Mais la plupart de ces alinéas vont deux par deux et permettent de subdiviser le poème en groupes précis d'alinéas.
Je vais donc d'abord citer les trois premiers et les trois derniers alinéas du poème qui se répondent. Ensuite, je citerai la partie centrale de sept alinéas.
Aussitôt après que l'idée du Déluge se fut rassise,
Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient déjà.
[...]
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
— Sourds, étang, — Écume, roule sur le pont, et par-dessus les bois ; — draps noirs et orgues, — éclairs et tonnerre, — montez et roulez ; — Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, — oh les pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! — c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient déjà.
[...]
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
— Sourds, étang, — Écume, roule sur le pont, et par-dessus les bois ; — draps noirs et orgues, — éclairs et tonnerre, — montez et roulez ; — Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, — oh les pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! — c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
Les trois premiers alinéas sont beaucoup plus courts que les trois derniers et il faut une certaine attention pour voir que nous avons une réponse que nous dirons par commodité de langage "symétrique" entre le début et la fin du poème.
On voit bien que le mot "Déluge" du premier alinéa est repris au pluriel dans l'avant-dernier alinéa, que le verbe "dit" est repris dans l'avant-avant-dernier alinéa où j'ai du coup souligné également en gras la forme verbale "entendit" qui suppose elle aussi un rapprochement du sens. On observe enfin que les mentions "pierres précieuses" et "fleurs" passent du second alinéa au dernier alinéa du poème.
Ces répétitions ne concernent que les trois premiers et trois derniers alinéas. Les reprises ne se font pas dans le même ordre, mais elles ne concernent jamais qu'un seul alinéa à la fois.
On comprend que les trois premiers alinéas sont mis en regard des trois derniers alinéas. Et le sens final du poème est très clair.
Procédons aux recoupages qui s'imposent par couples d'alinéas.
Aussitôt après que l'idée du Déluge se fut rassise,
— Sourds, étang, — Écume, roule sur le pont, et par-dessus les bois ; — draps noirs et orgues, — éclairs et tonnerre, — montez et roulez ; — Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.
Le premier alinéa corrompt quelque peu le titre, nous ne sommes pas après un Déluge, mais après une idée de Déluge, ce qui est une façon de minimiser l'événement. L'avant-dernier alinéa en appelle à plusieurs Déluges, chacun pris séparément étant plus qu'une idée. Il y a donc une double amplification d'une "idée du Déluge" à un Déluge, et d'un seul Déluge à plusieurs Déluges.
Le poète critique donc le monde qui se refait après l'événement diluvien, mais il critique aussi la très nette insuffisance du premier déluge.
Et si le déluge a été insuffisant, c'est qu'il s'agit d'un motif d'origine biblique qui suppose une table rase. Tout le poème montre que la table rase n'a pas eu lieu, le monde se reforme tel quel, et il faut bien rester sur cette "idée" que le Déluge avait une fonction. Le poète fait partie de ceux qui en appellent aux Déluges. Il y a une religion mise en place contre un monde avili. Evidemment, ce que nous savons de Rimbaud permet d'exclure une filiation chrétienne pure et simple. Le poème décrit la société et il est assez naturel de songer à la Commune comme essai de déluge.
Rimbaud en appelle clairement à une violence plus grande encore que le Déluge.
Certains diront qu'il ne faut pas voir la Commune dans le poème. En clair, il faut lire dans le poème un appel à une violence plus démesurée pour que la table rase ait lieu et débarrasse le monde des "étals", des "caravanes", etc. La violence hyperbolique du poème impose un lien avec la réalité. Si la violence ne doit être que littéraire, sans arrière-pensée quant au monde, on ne voit pas très bien pourquoi le poème est d'une violence hyperbolique. C'est un simple problème de bon sens.
Le verbe "Sourds" à l'impératif donne un caractère insurrectionnel à ces déluges. Insurrection comme sourdre ont à voir avec la racine latine surgere: "se lever, surgir".
Et le gonflement des eaux est celui des "tristesses", avec une liaison "étang", "écume", "Eaux et tristesses". Rappelons qu'à la fin d'Enfance II "Les nuées s'amassaient sur la haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes", et que dans Barbare nous avons un spectacle de pluie diluvienne érotisée avec aussi des "larmes blanches, bouillantes". Voilà pour une liaison patente entre poèmes.
Et remarquons qu'entre nos deux alinéas la reprise singulier pluriel de "Déluge(s)" est renforcée par l'opposition volontaire entre "rassise" et "relevez".
L'alinéa d'insurrection est caractérisé par des répétitions immédiates qui lui sont propres, par une présentation d'images qui ont un fort caractère livresque de révolte romantique et il contient une très discrète allusion au motif de l'arche de Noé, avec les mentions "pont" et "bois": l'écume doit rouler par-dessus le pont et les bois de l'arche, donc engloutir l'arche elle-même, variation capitale sur le motif biblique qui permet d'inscrire sa reprise dans une charge contre-évangélique. Cette variation confirme que le sens est réorienté et qu'il n'y a pas ici continuité avec la pensée chrétienne. L'arche elle-même est à attaquer. Evidemment, cela cible une société qui se pense comme élue et promise à la bienveillance divine, celle même qui une fois "l'idée du déluge" écartée reprend ses activités de commerce, d'appropriation du monde jusqu'au pôle, etc., si on me permet de m'en référer à la partie centrale du poème par anticipation.
Rapprochons maintenant le troisième alinéa du dernier.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient déjà.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, — oh les pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! — c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
Le troisième alinéa est intégralement repris : même interjection "oh" et mêmes extensions pour les deux répétitions en jeu, puisque "s'enfouissant" fait écho à "qui se cachaient" et "ouvertes" à "qui regardaient".
Mais, le dernier alinéa introduit par la conjonction "Car" formule une conclusion importante au poème, qui se subdivise ainsi une déclaration d'ennui et une inquiétude quant au silence de la Sorcière, dont au moins un précédent rapprochement du déluge insurrectionnel avec les "larmes" de Barbare impose comme la présence allégorique de maints et maints poèmes de révolte rimbaldiens.
L'opposition "sait" et "ignorons" est également à rapprocher de la conclusion de Conte : "La musique savante manque à notre désir."
Le discours revient sur l'idée d'un Déluge rassis en employant étrangement le pluriel, en liaison avec le précédent alinéa, ce qui est grammaticalement étrange "Car depuis qu'ils se sont dissipés" et introduit de la subjectivité dans les jugements. Y a-t-il eu une "idée du déluge" ou des "Déluges" finalement? Nous sommes dans des énoncés modalisés. Il y a eu un événement tantôt critiqué comme "idée du déluge", tantôt regretté comme "Déluges".
La "braise" "dans le "pot de terre" permet de relever un autre lien avec Barbare puisque sur le manuscrit qui nous en est parvenu Rimbaud a supprimé la répétition "fournaises" originelle pour la reprise du mot "brasiers". Et le brasier dans le pot de terre, c'est l'équivalent sous forme d'euphémisme des brasiers du "coeur terrestre éternellement carbonisé pour nous".
Et on comprend le lien de chaleur avec les eaux et tristesses qui vont relever les déluges, avec l'étang qui sourd.
Tout se tient.
Ce Déluge accompli sera aussi la fin d'une ignorance et il est rejet de cette "époque-ci qui a sombré".
Le couple des "pierres précieuses" et des "fleurs" est surprenant, car les pierres s'enfouissent en guise de refus de quelque chose et les fleurs s'ouvrent à l'inverse de façon accueillante.
Pierres et fleurs s'opposent ici. Or, les fleurs sont également prises en bonne part dans d'autres poèmes, tandis qu'il est sensible par notre rapprochement avec Barbare que les pierres précieuses ont à voir avec le "Solde de diamants sans contrôle".
J'hésitais quelque peu sur le sens de ces mentions quand j'ai publié ma lecture du poème Après le Déluge, à cause précisément de ce traitement particulier pour les fleurs.
Ou bien l'interjection pour les pierres précieuses et les fleurs renvoyaient à l'idée du Déluge, ou bien à ce qui se passe immédiatement après.
La cohérence du texte qui égrène les mentions "Aussitôt après que", "Depuis lors", "Car depuis", impose de lire l'adverbe "déjà" comme un renvoi à la situation de réveil de la Nature après le Déluge. Les fleurs sont ici sauvées des eaux. Rimbaud regrette donc l'enfouissement des "pierres précieuses" et le retour aux "fleurs" habituelles. Les "fleurs arctiques" lui sont plus chères.
La cohérence du texte qui égrène les mentions "Aussitôt après que", "Depuis lors", "Car depuis", impose de lire l'adverbe "déjà" comme un renvoi à la situation de réveil de la Nature après le Déluge. Les fleurs sont ici sauvées des eaux. Rimbaud regrette donc l'enfouissement des "pierres précieuses" et le retour aux "fleurs" habituelles. Les "fleurs arctiques" lui sont plus chères.
Le poème se termine aussi sur l'idée d'un conflit possible avec la Sorcière. Le nom de "Sorcière" est important, il confirme le détournement du motif biblique à des fins contre-évangéliques. La Sorcière s'oppose par définition à Dieu. Il confirme aussi que Rimbaud adopte une constante dans sa poésie, l'expression d'une foi en un être suprême substitué à Dieu et opposé à lui, qui prend éventuellement diverses formes, par exemple masculin avec le Génie, féminin dans plusieurs autres poèmes.
J'affirme bien entendu que cette constante vaut pour la lecture de Voyelles, de Being Beauteous ou encore de Beams qui est un poème de Verlaine, car la plupart des rimbaldiens n'ont pas l'air de tirer les conséquences nécessaires de la liaison entre un très grand nombre de poèmes en prose allégoriques, et Credo in unam et Voyelles, à tel point qu'identifier la présence de la Vénus-Raison est pour eux exclue dans le cas de Voyelles, que Being Beauteous pourrait n'être qu'un phallus ou qu'il soit inenvisageable que dans Beams Verlaine rende hommage aux allégories de Rimbaud.
Je précise que si je publie autant sur ces poèmes et ce problème de l'allégorie ces identifications entre poèmes je les ai faites spontanément sans le secours d'aucune effort d'analyse littéraire. C'est pour moi une évidence depuis ma première lecture des poèmes de Rimbaud et depuis ma première lecture de Beams dans le recueil Romances sans paroles.
J'essaie de faire comprendre ce que j'estime une évidence, et ce n'est pas gagné.
Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
Comme l'étude du sens du "pavillon" de Barbare ne saurait se limiter à une approche sur les répétitions, les deux alinéas en présence ne vont pas ici livrer tout leur sens par ces seuls rapprochements.
Nous observons tout de même que la répétition "dit" extrêmement discrète et que personne ne relève quand il y a commentaire du poème est prolongée par l'emploi de la forme verbale "entendit" qui suppose une écoute à un autre dit. Nous observons également qu'il est à chaque fois question d'un paysage avec des animaux personnifiés.
Le monde rassurant d'après le Déluge est identifié à un printemps, et on voit une reconnaissance du lièvre sauvé du déluge. Nous avons bien affaire à une société qui se croit sauvée du déluge et le traitement est quelque peu comique, puisque nous avons droit ici non à la prière humaine mais à une scène animalière.
Ce traitement comique s'accompagne de calembours sensibles "saints foins" dans "sainfoins", "clochettes mouvantes" offre le diminutif "-ettes", éventuellement un écho avec "sables mouvants" mais ce serait à creuser et infirmer ou confirmer. Deux autres jeux de mots sensibles apparaissent. Le lièvre "dit sa prière", ce qui peut être équivoque, il peut remercier par une prière comme il peut se recommander à Dieu face à un danger de mort, puisque l'expression "dire sa prière" peut avoir ces deux sens. Le premier sens tend naturellement à s'imposer, mais cette prière est faite tout de même à travers une toile d'araignée et faite à un "arc-en-ciel". Or, le nom "arc-en-ciel" contient le mot "arc" qui fait songer que le lièvre prie pour ne pas être tué d'une flèche. Précisons toutefois que la lecture littérale qui s'impose est celle d'une prière de reconnaissance à Dieu, l'arc-en-ciel symbolisant la fin du Déluge. Mais le texte est traversé de tensions. La "toile d'araignée" invite à percevoir l'envers du décor, le piège, et je pense que, un peu plus loin dans le poème, l'expression "le sceau de Dieu" n'est pas innocemment équivoque "sot de Dieu" au plan sonore (phonétique).
Le poème est en tout cas conçu sur le refus de ce prétendu printemps, sur le refus de la position d'orant du lièvre.
Et il faut analyser ce qui se dit et s'entend pour cerner les positions des uns et des autres.
Je n'irai pas plus loin dans le commentaire pour cette fois.
Passons maintenant à la partie centrale. Je me contente de citer les sept alinéas concernés en plaçant simplement deux astérisques pour les séparer en deux parties, une de trois versets, une de quatre. Et je souligne en gras les répétitions qui permettent d'établir de part et d'autre de ces deux groupes des mises en regard d'un alinéa par rapport à un autre.
Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les
barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, — aux abattoirs, — dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les "mazagrans" fumèrent dans les estaminets.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, — aux abattoirs, — dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les "mazagrans" fumèrent dans les estaminets.
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Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et les
premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
On observe clairement que ces versets se répondent également d'un groupe à l'autre. Et cette fois, les répétitions reviennent dans le même ordre.
Le premier alinéa de chaque série commence par les mêmes mots, procédé d'anaphore qui permet nettement de prendre conscience des séries à la lecture simple et immédiate du poème. Ce rapprochement entraîne celui des mentions "sales" et "encore ruisselante" qui permettent de voir que nous avons une représentation de ce qui se passe immédiatement après le déluge, puisque le ruissellement et la saleté sont les traces, les témoignages non encore effacés de son action.
Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
On remarquera que l'image anormale d'une mer étagée correspond aux "merveilleuses images", puisque la "mer" est comparée à une "gravure".
Il s'agit de figures d'aliénations, et il convient de prolonger cette remarque par le relevé d'une autre répétition du poème, mais qui ne rentre pas dans le cadre de la distribution du poème en quatre parties successives. Le verbe "regardèrent" pour les enfants fait écho à la forme "regardaient" pour les fleurs, sachant que ce regard est porté immédiatement après le déluge, mention "déjà" pour les fleurs et "maison de vitres encore ruisselante" pour les enfants.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, — aux abattoirs, — dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
Le suivant rapprochement ne se fonde pas exactement sur une répétition d'un alinéa à l'autre. Il y a bien un jeu de répétition propre au premier de ces deux alinéas. L'autre alinéa offre toutefois une réponse quelque peu symétrique, puisqu'à la reprise "coula" et "coulèrent" il fait correspondre l'écho entre "claqua" et "éclatante".
Les mentions "coula" et "claqua", qui comptent deux syllabes chacune avec un même phonème initial [k] et un autre phonème [l] commun, sont toutes deux au passé simple, avec la même terminaison de troisième personne du singulier, et elles sont toutes deux en début d'alinéa pratiquement. La reprise "coulèrent" clôt l'alinéa où figure la mention "coula" en créant une espèce de boucle, laquelle est renforcée par la reprise du sujet initial "Le sang". Dans l'autre alinéa, Rimbaud n'a pas repris le verbe, mais un écho de phonèmes demeure sensible entre "claqua" et "éclatante", écho qui n'est pas innocent non plus au plan du sens.
L'image des "clochers de partout" fait entendre une idée de totalité, mais la proximité de la mention verbale "tourna" m'invite au rapprochement avec le poème A une Raison où le couple "se détourne", "se retourne" est au centre du poème et l'adverbe "partout" à la fin, son dernier mot.
Je me contente de l'indiquer ici.
Maintenant, il y a le problème du verset en trop. Curieusement, malgré d'évidentes symétries, nous avons cette fois une confrontation entre un groupe de trois alinéas et un autre de quatre alinéas. Nous avons montré la symétrie de premiers alinéas, mais il nous en reste un pour deux désormais.
Plutôt que de penser que Rimbaud a pu oublier la retranscription d'un verset, il vaut mieux considérer que le poète n'a pas voulu une symétrie parfaite, et nous proposons ici de comparer un alinéa à un groupe de deux alinéas.
Les castors bâtirent. Les "mazagrans" fumèrent dans les estaminets.
Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
La reprise du verbe bâtir est patente du passé simple au passé antérieur entre deux de ces alinéas, mais l'alinéa qui fait exception comporte toutefois le verbe "établit" qui peut être quelque peu apparenté au plan du sens à "bâtir".
Je remarque par ailleurs que la seconde série contient un passage du singulier au pluriel du nom "enfant(s)" et que la présence des enfants est encore impliquée par celle de "premières communions", sachant qu'il s'agit du titre d'un long poème en alexandrins de Rimbaud. La série n'est pas exclusivement enfantine, puisqu'il est question de "Madame", de "bâtisseurs" et de "Splendide Hôtel". Je remarque également pour la série véhiculant la répétition du nom "enfant(s)" un écho possible entre "merveilleuses images" et "Splendide Hôtel", deux figures d'aliénation dans le poème, puisqu'il s'agit du splendide et merveilleux de ce qui est finalement défini comme le terrible "ennui" contrant "l'idée du déluge".
Et j'observe d'emblée que la création d'un "Splendide Hôtel" au "pôle" s'offre comme la négation du spectacle paradoxalement nommé "douceurs" de pluie de feux et choc des glaçons aux astres dans Barbare.
Mais, les alinéas concernant les enfants sont ici symétriques d'alinéas traitant de la reprise d'activités commerçantes, l'étagement de la mer, et traitant aussi de massacres, un peu comme une distinction entre un monde des adultes et un monde des enfants.
Mais je n'entre pas ici dans le détail, je veux juste indiquer les parallèles possibles que fait jouer la mise en regard d'alinéa à alinéa.
Pour ce qui concerne notre rapprochement entre un alinéa d'un groupe et deux d'un autre, au-delà de la série "bâtirent", "établit", "fut bâti", il me semble, mais ce serait à étayer, que le poète joue sur les échos entre les débuts de plusieurs mots : "castors" fait écho à "caravanes", "cathédrale" (bâties par des castors? en tout cas figure d'une arche géante pour tous "cent mille autels"), voire "chaos" avec opposition pour le sens. J'irais, mais là c'est très flou, jusqu'à ne pas exclure les parallèle entre "Madame" et "mazagrans" ou entre "fumèrent" et "fut bâti". Ces dernières remarques sont formulées sont toute réserve.
L'important demeure le sens du poème et, dans tous les cas, on peut assez facilement faire jouer la mise en regard d'alinéas d'un premier groupe face à un (ou deux) d'un groupe qu'on dira "symétrique", "parallèle" ou conçu en écho en fonction de répétitions de mots essentiellement.
L'opposition comme dans Barbare, comme dans Being Beauteous, comme dans Métropolitain, est celle du monde contemporain ambiant à un monde sur lequel Rimbaud s'unit à une présence allégorique qui vaut contestation.
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