Le lecteur peut constater avec cette série d'articles sur les inférences à la lecture de Voyelles que nous sommes encore montés en puissance dans le déploiement analytique J'essaie à la fois de montrer ce qu'on peut faire en travaillant les inférences de manière logique, mais resserrée, et en même temps chaque partie de cette étude a son propre objet théorique particulier
Je me concentre ici sur les vers 5 et 6 et surtout sur le passage du noir au blanc qui offre un cas unique de glissement d'une couleur à l'autre dans le poème
C'est l'occasion pour moi de quelques remarques sur les couleurs
En 2003, j'ai développé une lecture suivie où j'ai envisagé l'idée d'un immense lever du jour dans le poème avec le noir de la nuit, le blanchiment de l'aube et le bleu du ciel où l'on scrute jusqu'à l'ultime rayon du spectre J'annexais le vert à l'idée d'une lumière se diffusant sur la planète Seul le I rouge ne contenait pas d'éléments permettant de se représenter directement une telle image du jour, mais j'assimilais malgré tout le rouge à un phénomène auroral symboliquement Je montrais à l'aide du Sonnet des sept nombres dédicacé à Rimbaud par Cabaner que cette idée d'aube n'était visiblement pas négligeable, puis j'insistais sur cette constante image de l'aube dans la poésie de Rimbaud
De là est née ma lecture solaire dont on ne pourra admettre qu'elle soit mise dans la dépendance du discours de Jacques Gengoux sous le prétexte assez mince d'une antériorité d'un rapprochement avec Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs, puisque et ce sera l'objet d'un article à part le discours "solaire" de Gengoux ne ressemble en rien au nôtre
Mais, suite à mon article de 2003, deux personnes différentes m'avaient proposé de lire non pas une aube, mais le déroulement une journée entière, le "O bleu" virant au violet pouvait être la nuit et les "strideurs" de petites étoiles Cela m'agaçait profondément, car cette déformation de ma thèse était à la fois peu pertinente pour la production du sens et supposait assez gratuitement que le poète n'avait pas su équilibrer les parties de sa composition, prenant tous les quatrains pour l'aube, un tercet pour des faits supposés se dérouler dans l'espace d'une journée on ne sait pourquoi, et un tercet pour le couchant
C'était surtout brader la puissance symbolique de l'aube
Je n'ai évidemment pas hésité à me rabattre sur la symbolique de la lumière, sachant que dans tous les cas l'aube est capitale pour la compréhension des vers 5 et 6, sachant que le symbolisme d'avènement est conservé dans l'idée de lumière se propageant
Cette prudence est salutaire
Parmi les témoins d'une allusion à l'aube ou à la lumière désormais, il y avait bien sûr un fabuleux passage du poème Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs dont il me semblait et il me semble toujours ahurissant qu'il ne soit pas signalé à l'attention par les rimbaldiens, et qu'il ne soit jamais cité dans les notes des éditions courantes au sujet de Voyelles
Je trouve cela carrément bizarre
Et j'ai noté la présence du terme "dioptriques" lié à la réfraction de la lumière, sachant que la décomposition de la lumière en sept couleurs de l'arc-en-ciel à l'aide d'un prisme est elle-même un phénomène dioptrique L'adjectif "dioptrique" s'emploie naturellement pour des couleurs issues de la réfraction et peut s'appliquer à celles de l'analyse newtonienne
Mais, pourtant, jamais, au grand jamais, je n'ai dit que les couleurs étaient dioptriques dans Voyelles
En effet, il y a quatre types de création des couleurs pour l'oeil à distinguer
Prenons des objets, pour les voir il faut une source lumineuse, exposons-les donc au soleil
Premier cas, l'absorption : les ondes lumineuses sont absorbées, l'objet nous apparaît noir
Deuxième cas, la réflexion : des ondes lumineuses sont réfléchies, si elles le sont toutes l'objet est blanc, sinon il prend la couleur des ondes réfléchies ou de la composition que supposent les diverses ondes réfléchies, ce qui veut dire en ce cas qu'il y a à la fois des ondes absorbées et d'autres reflétées
Troisième cas, la transmission où on va retrouver la question de la réfraction et celle-ci concerne les objets transparents avec certains effets particuliers
Quatrième cas, la diffusion, la lumière n'est pas exactement réfléchie mais, n'étant pas absorbée par l'objet, les ondes lumineuses vont dans tous les sens, propagation diffuse donc
La dioptrique concerne le passage de la lumière d'un milieu à un autre et je n'ai pas constaté qu'il était question de ce phénomène dans Voyelles
Le blanc des glaciers, le noir des mouches, les ombres des golfes, le rouge du sang craché ou des lèvres, etc, ce n'est pas là des phénomènes dioptriques
La seule chose à établir entre les deux poèmes, c'est l'intérêt pour l'optique, pour la science des couleurs, dans un cas trois couleurs sont qualifiées de "dioptriques", dans l'autre la trichromie rouge vert bleu est d'autant plus clairement mentionnée qu'il est évident que le premier vers offre l'image d'un tout et que le violet va se substituer au bleu
On n'a pas à poursuivre impunément les inférences et à chercher à expliquer les trois couleurs bleu vert et rouge de manière dioptrique en exploitant une source aléatoire
On n'a pas à poursuivre impunément les inférences et à chercher à expliquer les trois couleurs bleu vert et rouge de manière dioptrique en exploitant une source aléatoire
Et il n'y a pas non plus à chercher à tout prix à expliquer tout vers de Voyelles en supposant que ces images sont significativement liées à des considérations fines sur l'optique, la science des couleurs
Je ne ressens pas le besoin de justifier la trichromie ailleurs que dans les vers 1 et 14 C'est comme si j'essayais de retrouver la notion d'alphabet ailleurs que dans l'égrènement des cinq voyelles
Bien sûr d'autres éléments peuvent venir à nous, malgré tout, pour enrichir l'idée, et il convient alors de les laisser venir naturellement C'est le cas avec l'idée importante de la vibration que partagent les couleurs et les voyelles en tant que sons Mais c'est aussi le cas avec le tournant du vers 5
Ce qui nous intéresse crûment, c'est la théorie des couleurs, et pas du tout une trichromie pour la photographie en couleur, ou pour le cinéma en couleur L'existence des applications de notre trichromies dans le cas de la photographie en couleur ultérieurement, ce n'est qu'un plus sur l'importance de la trichromie engagée, mais ce qui est important c'est la trichromie en tant que théorie des couleurs
Mais c'est quand même là où une prise en compte plus fine d'Helmholtz me fait progresser
Les couleurs n'existent que parce quelqu'un les perçoit Et nous sommes capables de percevoir différemment les mêmes ondes, car nos yeux ne sont pas tous identiques Par ailleurs, les mal voyants et les images astronomiques en "fausses couleurs" montrent assez qu'il y a une subjectivité des couleurs Des animaux ne voient qu'en noir et blanc, d'autres voient des rayons ultra violets invisibles pour nous, etc Et n'étant pas spécialiste, j'oserai la boutade : "Mais ces infra violets, ils les voient en rouge ou en une couleur inimaginable pour nous ?"
Mais bref, l'intérêt, c'est que l'étude d'Helmholtz est physiologique, qu'elle annule l'arbitraire du choix des couleurs et qu'elle fait entrer dans des considérations sur la perception, et cela nous ramène à la figure du poète contemplateur, rien moins
Enfin, il y a un cas particulier à traiter, c'est le noir Les objets noirs absorbent toutes les ondes lumineuses susceptibles d'être vues par l'oeil humain, et donc le noir ne se diffuserait pas comme c'est le cas du blanc, du rouge, du vert et du bleu
Or, c'est là qu'intervient la réponse physiologique d'Helmholtz, nous voyons bien quelque chose de noir et nous avons bien la sensation de cette couleur, et voilà désormais qu'il est question de sensation des couleurs à la lecture du sonnet Voyelles
Contrairement à Gengoux,Gysembergh, voire d'autres, mon intérêt pour le mot "dioptrique" dans un poème à rapprocher ou pour la trichromie dans Voyelles ne m'a pas fait dire que le spectacle du sonnet était dioptrique ou photographique Je me suis contenté longtemps d'une théorie abstraite des éléments suffisants pour composer toutes les couleurs, et désormais j'accomplis le progrès suivant d'envisager perception et sensations des couleurs par la contemplation du poète
Cette idée est essentielle dans le cas du "A noir" et je développerai ultérieurement un article spécial sur les couleurs, Helmholtz et Voyelles
Le présent petit article de transition est pas mal en soi, je n'ai pas ce soir envie de rédiger plus, à bientôt
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