On peut échanger sur Rimbaud comme on le fait d'un accessoire Vuitton: "Oui, je l'adore, il me fait penser à la mer, etc" Beaucoup de gens tendent à cette simplification abusive de l'échange littéraire : pour eux, la poésie, ça ne s'explique pas, c'est donc du Paco Rabane: Il n'est plus question que de parler de son ressenti personnel le plus diffus : "Oui alors, moi, quand je lis Rimbaud, je pense à ce que j'ai vécu dans ma vie" Mais ce que vous suggère Rimbaud reste personnel et ce genre de rapports n'est que gratuité de la conversation quotidienne: Encore y a-t-il bien un intérêt pour quelques-uns : la volonté de briller devant un public comme on tape à l'oeil en portant du Versace: On donne des gages de notre valeur intellectuelle ou culturelle, de la pertinence qu'il y a à nous tenir compagnie, à échanger avec nous, parce que nous citons Rimbaud et que nous témoignons d'une sensibilité de bon goût, sinon y prétendons: Et on peut remarquer que cette nécessité de briller en disant "moi, je lis Rimbaud" ferme tout accès à telle ou telle discussion réelle sur l'oeuvre qui mettrait en péril la posture adoptée:
Or, l'échange sur Rimbaud doit être celui de la mise en commun, la lecture doit être pensée dans le domaine de ce qui est partageable par tous: C'est en tout cas en ce sens seulement qu'il reste quelque chose d'une conversation sur Rimbaud, c'est en ce sens seulement qu'il n'y a pas gratuité des échanges: Certes, celui qui va déclarer "commenter c'est traduire et traduire c'est trahir" tournera le dos à cette réalité et refusera encore d'admettre que dans l'opposition entre "poésie objective" et "poésie subjective" que fait Rimbaud nous trouvons un désir du sens objectif mis en commun et non des propagations diffuses de la subjectivité à partir d'un texte:
Mais, les adeptes de l'échange sur le seul ressenti n'ont qu'à pas se convier dans les échanges qui mettent en commun: Les règles de la discussion sont posées : les échanges gratuits, c'est par là, les échanges intelligents c'est par ici: Et on rejettera dans la même sphère de la brillance mondaine, celui qui, loin de discuter, pose une thèse sur la table dont aucune ligne ne saurait changer, qui raille tout le monde en étant assez fin pour faire mouche à quelques reprises, mais qui fondamentalement s'est engagé à défendre tout ce qu'il pense comme sa croûte:
Ici, il convient d'être prudent, il est normal qu'un débat accroche, normal même de voir qu'on défend ses thèses d'une façon similaire à ce que nous venons de décrire, mais au moins pour m'expliquer de manière imagée une personne ne se butera pas à refuser de s'interroger sur les angles quand on parle des triangles: Le débat doit être admis dans toute sa profondeur et toute son acuité: Il faut aussi juger si, dans la longue durée où le débat accroche, les gens cherchent dans les phases du dialogue à se mettre dans la peau de l'autre pour comprendre comment ils procèdent, comprendre le moment où ça coince, etc, d'autant que ce conflit peut être vraiment long dans le temps: Le dialogue conflictuel n'empêche pas non plus le retour sur soi-même, vertu essentielle:
Il me resterait une dernière catégorie d'individus à cibler comme dérangeante dans un débat d'idées, car certains acceptent que la discussion ne soit pas gratuite, mais ils attendent de l'autre une vulgarisation rapide, facile à consommer, qui, s'ils en retiennent des bribes ou les lignes générales, leur servira à la manière d'un bracelet Versace, ou bien tout ce que vous leur direz de haute volée ne leur servira qu'à des fins instrumentales bornées au mépris, parfois piquant, des envolées qu'ils vous ont invité à développer devant eux: Des gens peuvent aimer vous entendre discourir ambitieusement, n'en prendre pour eux que des éléments à instrumentaliser, et vous dire plus tard ou dire à quelqu'un d'autre leur indifférence, leur mépris même pour les idéaux et grands idées fécondes, ne reconnaissant que du bout des lèvres quand ils ont été utiles, quand ils ont fait l'Histoire: Car il ne faut pas se leurrer la sublime intelligence peut être instrumentalisée par une pensée qui n'est pas sortie de l'époque des bactéries : on attaque avec ce qu'il y a de mieux, on bouffe tout le monde, y compris avec de la délicatesse:
Mais, cette dernière catégorie est peu concernée par Voyelles, en-dehors de l'instrumentalisation des moyens de séduction du poète:
Tout ce préambule m'amène enfin à parler du sonnet Voyelles précisément:
Il s'agit d'un poème hermétique, et partant de là les tenants des impressions personnelles parasitent les échanges de ceux qui prétendent mettre en commun: Mais encore la lecture du sonnet devient un espace concurrentiel où ce qui peut être mis en commun, ce qui est partageable par tous, est parfois perdu de vue au profit de la brillance mondaine, de la face à ne pas perdre, etc, au profit aussi d'une réflexion où le sens de Voyelles importe moins que ce que cela nous inspire comme moyens pour séduire en société, où le sens de Voyelles importe moins que l'autorité qu'on peut prendre en en parlant:
Mais, il y a encore une dimension intéressante, c'est la place que peut prendre en nous le commentaire du texte: Là, je ne m'adresse plus qu'au public de bonne foi qui souhaite le partageable sur ce poème: Qu'est-ce qui peut être mis en commun par tous à la lecture de ce sonnet ?
La discussion apaisée ou l'échange de soi à soi amène à une compréhension partielle du poème, et à un ralliement à telle ou telle thèse de lecture, plus par conviction intime que par un réel avènement explicatif:
Et une bonne mesure de cela, ça peut être de relire les nombreux et divers textes hermétiques de Rimbaud après avoir lu des analyses qui entraient dans le détail du texte:
Car la performance c'est alors de sentir que se dégage du texte même que nous lisons le sens formulé dans les commentaires et non pas de se permettre une simple superposition de la lecture du poème avec des remémorations de commentaires critiques qui jettent bien des éclairs, mais sans jaillir du texte:
Evidemment, c'est un exercice limite, d'autant que le commentaire a un ancrage pertinent: Le commentaire d'un mot ou d'un groupe de mots, vous allez vous dire que ça jaillit du texte: En fait, c'est un peu plus subtil que ça la relation attendue à l'oeuvre: Il faut vraiment lire en se laissant porter par le poème, l'allumage des idées on doit sentir que ça part du texte, même si nous avons été préalablement informés par des commentaires: Et si le sens a l'air bien commenté pour quelques mots, il s'agit d'éprouver si ce sens s'impose si naturellement à l'esprit à la lecture de ce qui précède dans l'oeuvre, ou s'il se maintient ensuite:
Ce que je viens de dire n'est sans doute pas aisément compréhensible sans exemple concret, car il est question du degré de pertinence des commentaires et on peut bien penser que ceux qui ont publié des avis contradictoires estimaient chacun de leur côté qu'ils étaient pertinents, que leur lecture allait de soi, etc:
Pourtant, bien que ma lecture de Voyelles de 2003 (publiée dans la revue Parade sauvage n°19) allât dans le bon sens, je n'ai pas éprouvé personnellement que je revenais pour autant au texte en déclenchant alors de meilleurs automatismes de lecture: En revanche, je suis convaincu que mes articles récents sur ce blog n'ont cessé de progresser en faveur d'une reconnaissance immédiate par les réflexes de la lecture spontanée du sonnet: Quand je lis le sonnet, désormais je me sens en phase avec lui:
Mais, là encore, je dois préciser que la lecture suppose pour moi des efforts consentis: On peut lire n'importe quoi sans prendre garde au sens, ou alors si on prend garde au sens immédiat des mots et des phrases on ne se mobilise pas pour entendre ce que le texte construit:
Dans le cas où les commentaires ne nous sont pas connus, certes on aura peur de vouloir trop bien faire et de mal nous investir dans la compréhension, mais, dans le cas des commentaires épluchés, nous pouvons éprouver ce qui marche ou ne marche pas, et si ça ne marche pas il y a toujours une alternative : ou le commentaire n'est pas bon, ou nous n'avons pas réellement assimilé ce qui fait la justesse du commentaire, autrement dit nous n'avons pas assimilé les réflexes de lecture que suppose le commentaire:
Mais il faut sans doute aussi savoir ce que c'est que lire de la poésie: Un poème est fait de phrases et de mots, et il est normal de lire de la poésie comme nous lirions un texte en prose, mais cela n'est vrai du moins que jusqu'à un certain point: S'il n'y a pas de différence de nature entre une poésie et un texte en prose, nous pouvons opposer le texte informatif, scientifique, journalistique au texte poétique dans leurs principes: Un texte poétique, aussi clair soit-il, joue avec les inférences, alors que les autres types de textes mentionnés ici ne s'y soumettent pas aussi volontiers, sauf pour quelques effets d'accroche:
Un texte poétique suppose que nous fassions des liaisons mentales particulières: Il ne s'agit pas seulement d'avoir une connaissance du vocabulaire employé et de bien maîtriser les règles de la grammaire: Ces connaissances sont importantes, mais très vite on admet devoir les prolonger pour ce qui est des thèmes et motifs d'un poème par une certaine connaissance du contexte dans lequel il a été composé, par une connaissance du moins de son époque de composition: Or, ces éléments de contexte ne sont plus de l'ordre d'une approche infaillible des textes: Connaître le sens des mots, comprendre le sens d'une phrase au plan grammatical, c'est à de rares exceptions près non problématiques, mais la science du contexte et de l'époque d'une oeuvre n'est plus de l'ordre de l'infaillible: Il faut déterminer ce qui est pertinent: Et le problème ici s'aggrave de ce que le contexte ou l'époque cela ne se conçoit pas en même temps que nous lisons le texte, et il appartient donc aux lecteurs de se cultiver, mais aussi de revenir au poème éprouver si ce qu'ils ont appris délivre du sens dans l'oeuvre:
Un poème peut très bien parler d'un fait d'époque sans le nommer: Sa connaissance va éclairer ses virtualités, par exemple:
Mais, une grande partie des liaisons mentales sollicitées par le poème peuvent être opérées lors de la lecture spontanée: Le problème, c'est, comme pour le contexte d'époque, que les inférences ne sont pas toujours infaillibles: Il ne s'agit pas de dérouler une règle de grammaire ou de prendre un dictionnaire pour éclairer le sens de manière décisive:
Toutefois, nos inférences sont liées à un souci de pertinence, et si j'emploie le mot d'inférence, plutôt que le mot de "liaison" ou un autre, c'est à dessein, puisque je pense aux recherches linguistiques actuelles et aux avancées de Paul Grice (livre non traduit In the way of the words), de Deirdre Wilson et Dan Sperber (La Pertinence), et je ne résiste pas à la tentation de mentionner pour l'occasion les deux livres posthumes d'Austin (Quand dire c'est faire et moins connu mais plus important encore Le Langage de la perception): J'ajouterai même le Traité du sublime attribué à Longin et traduit par Boileau à l'horizon de mes réflexions actuelles autour de la question du sens à partir du sonnet Voyelles de Rimbaud:
Je ne vais pas résumer ou présenter ces ouvrages dans le corps du présent article, mais cela pourra se faire sur le blog ultérieurement: L'influence de Longin et d'Austin sur mon discours se voit plus par touches dans mes articles actuels, tandis que l'influence des deux précédents ouvrages est plus fondamentalement directrice dans la suite à venir du présent article puisque je m'appuie sur les notions d'inférence et de pertinence qu'ils affûtent en les appliquant à des idées miennes que j'ai développées il y a près de quinze ans maintenant sur les liaisons des phonèmes, des répétitions, sur les symétries de césures, etc, sur l'importance de la lecture du texte dans sa continuité : la fin du texte ne précède pas sa fin, même si le commentaire permet de traiter en même temps plusieurs endroits du poème, ou de voyager dans les deux sens: Je n'ai pas persévéré au plan théorique et j'ai privilégié les lectures des poèmes dans mes publications, car mon discours théorique a rencontré un tel mur d'indifférence que je n'ai eu sur ces questions aucun échange fructueux, aucun vis-à-vis sérieux me permettant de rebondir: Les livres choisis ici me permettent de revenir en force sur ces sujets et il s'agit ici de montrer qu'une lecture contrôlée par inférences peut fonctionner dans le cas de Voyelles: L'intérêt, c'est d'éduquer les gens à la lecture, l'autre intérêt plus ponctuel c'est de faire entrer la lecture que j'offre de ce poème dans le domaine du partageable, dans le champ de cette fameuse mise en commun des échanges intellectuels: Il ne doit plus s'agir seulement de lire le sonnet et de prendre sur une autre étagère un commentaire dont il ne reste qu'à dire qu'il est celui qui nous convient le mieux ou le moins: Les gens croient qu'au vingt-et-unième siècle on inventera peut-être un procédé pour rendre la vue aux aveugles, mais cela est complètement idiot puisque cette invention existe déjà dans un film de Charlie Chaplin où le héros rassemble l'argent pour permettre à la jolie fleuriste d'accéder à de tels soins: Ici, il s'agit en présentant un peu les inférences à faire d'éduquer les lecteurs pour qu'ils découvrent la vue en lisant Voyelles: J'entre ici dans un commentaire linéaire, non seulement vers après vers, mais quasi mot à mot, encore que j'abrège tant que possible pour ne pas lasser la patience des gens dont je me soucie, et ce sera l'occasion de quelques remarques encore jamais fournies, notamment sur les "vibrements" du vers 9 pour ceux qui, malgré tout, voudraient ne lire ce qui suit qu'en diagonale:
Un dernier propos général pour commencer : le poème offre des images, des juxtapositions, des symétries, des rimes, des césures, etc Les inférences sont à faire à tous ces plans et d'autres encore: Qui dit "rime" dit inférence pour le sens:
Je passe sur le titre, n'ayant rien d'original à dire:
La lecture commence par une abstraction "A noir", à moins d'envisager une lettre simplement peinte en noir:
Le traitement est différent sur la copie de Verlaine "A, noir" la virgule souligne qu'il y a eu un effort de liaison, comme l'ultime rempart d'une dissociation possible, les autres versions du poème (revue Lutèce de 1883 et manuscrit autographe) ne modifient pas réellement cette idée de construction attributive "le A est noir", mais elles la présentent plus crûment comme indivisible "A noir":
A un tel stade, la lecture ne va pas très loin:
A noir, E blanc,
A ce moment de la lecture, nous comprenons qu'est engagé un processus d'égrènement associant chacune des voyelles de l'alphabet à une couleur: La succession des voyelles de l'alphabet sur l'ensemble du premier vers est d'ores et déjà pressentie et elle le serait même en cas d'ignorance du titre et si le poème venait à s'y dérober nous comprendrions cela comme une rupture: Cette inférence spontanée vient de la succession A et E qui est autrement inexplicable, et de la symétrie lettre-couleur qui convient à l'intention énumérative: Mais une deuxième inférence s'impose, le noir et le blanc sont deux contraires: La succession noir blanc fait sens et forme un tout contrasté complet: Nous pouvons déjà être attentifs à l'idée que l'ordre est voulu de passage du noir au blanc, et non du blanc au noir: Il s'agit d'une inférence de la lecture linéaire que les méthodes de déploiement du commentaire ne rendent pas forcément: Nous sommes aussi sensibles au fait que le A et le E forment un premier groupe dans le poème, quelle que soit la suite, d'autant que nous constatons bien que le poète a d'abord cité les deux couleurs qui sont à part justement parmi les couleurs: On sait en principe que le noir témoigne d'une absorption de la lumière s'opposant au blanc: Une autre inférence peut être faite Les mentions isolées "A noir" et "E blanc" donnent une impression de généralité, tandis que nous imaginons mal un E en blanc sur le papier: En général, toutes les lettres sont en noir dans un livre, mais nous n'imaginons pas spontanément un support qui détacherait le noir et le blanc: Même si c'est indémontrable à partir d'un extrait si mince "A noir, E blanc", il est sans doute peu de lecteurs qui songent ici à des lettres peintes, la plupart des lecteurs sentent que la pertinence engagée se situe à un autre niveau: alphabet et phonème de la langue pour les voyelles face à donc des couleurs en tant que telles:
A noir, E blanc, I rouge,
La lecture se poursuit: Il n'est pas surprenant de voir succéder un I associé à une couleur, mais très fin Rimbaud déplace progressivement les points de rencontre avec des faits étonnants: Le "rouge" est la première mention de couleur au sens restreint du terme et il choisit précisément le rouge couleur particulièrement chatoyante qui se démarque nettement du couple noir/blanc: Le point de basculement était inévitable : après les mentions du noir et du blanc, toute autre mention de couleur allait (si pas surprendre, car cela fut brièvement prévisible) marquer le coup: La couleur est très bien choisie, surtout que le passage du couple noir/blanc à la couleur se fait précisément à la césure, ce qui favorise l'inférence d'un beau rouge bien vif: On voit très bien que le premier hémistiche ne suppose pas un jeu sur les phonèmes que justifieraient l'emploi en mention des voyelles, mais on note quand même le rythme "I rouge" qui donne plus l'impression d'une trouée brusque que les mentions plus alanguies avec des liquides finales [R] et [l] "A noir, E blanc": Le contraste [I] et [u] ("i" la voyelle la plus aiguë et "ou" la voyelle la plus grave) autour du [R] avec une consonne finale pas mangée mais non alanguie, tout cela contribue à rendre éclatante cette mention à la césure: Elle prend du relief: Il y a une certaine valeur scénique de la césure qui favorise cet effet intrusif de la couleur:
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu :
Evidemment, nous sommes en attente d'un système de distribution de couleurs qui compléterait le couple noir / blanc, ce sera la série rouge, vert, bleu qui ne correspond pas à la trichromie classique du rouge, du jaune et du bleu! Le jaune est éclipsé: La dérobade, si ce terme n'est pas inapproprié, intervient au niveau du "U vert" et a interpellé quantité de lecteurs: Elle engage soit une autre inférence culturelle à mener, soit une gratuité d'éparpillement, mais cela en contradiction avec deux faits : la mention globale des cinq voyelles de l'alphabet et l'articulation isolée et initiale d'un couple noir / blanc qui fait sens:
Le lien avec Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs est alors sans aucun doute pertinent pour ceux qui l'ont lu et qui y pensent: Le bleu y fait partie des "Bleus Thyrses Immenses" et la succession telle quelle du noir, du blanc, du rouge et du vert y apparaît, avec interversion du vert et du rouge: Les "noirs Poèmes y sont l'équivalent de bulbes, cocons ou chrysalides, d'où s'échappent un festival de couleurs avec des fleurs étranges et des papillons électriques, ce festival est caractérisé comme "Blancs, verts et rouges dioptriques" Les couleurs dioptriques sont liées à la réfraction de la lumière par opposition au phénomène de réflexion et nous connaissons la décomposition de la lumière à l'aide d'un prisme en un ensemble consacré de couleurs qui peuvent également être nommées dioptriques, et où le rouge, le vert et le bleu sont trois des sept couleurs, mais qui plus est s'y rencontrent dans le même ordre que pour le sonnet Voyelles: Le rouge est la première de ces sept couleurs par ailleurs, et c'est encore dans Voyelles la première couleur, qui plus est valorisée à la césure, à succéder au couple particulier noir / blanc: Mais est-ce suffisant ? Quatre autres couleurs sont évincées: Or, tout récemment (à l'époque où compose Rimbaud), Helmholtz a proposé une trichromie des trois couleurs rouge vert bleu sur laquelle nous reviendrons: Il s'agit d'études physiologiques: Nous percevrions les couleurs à partir de trois types de récepteurs sur la rétine qui seraient respectivement sensibles au rouge, au vert et enfin au bleu ou au violet: Je reviendrai sur ce sujet:
Le sonnet présente donc deux groupes de deux et trois couleurs qui forment un tout avec un groupe de cinq voyelles: Une correspondance terme à terme est établie, à chaque voyelle correspond une couleur:
Dans Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs, le système est différent, le bleu est tout à fait à part, et la relation est du noir isolé, celui des "noirs Poëmes", aux trois couleurs dioptriques pénétrantes qui diffusent les couleurs dans le monde : "Blancs, verts et rouges dioptriques", alors qu'ici la succession immédiate des cinq voyelles-couleurs fait que s'impose plus nettement le recoupement noir/blanc:
Il est difficile de ne pas penser que Rimbaud dégage les cinq voyelles comme le tout articulé d'un langage du monde et deux groupes de deux et trois couleurs comme le point de départ pour composer toutes les visions:
Quant au primat des voyelles, alors qu'il est aussi des consonnes, il s'explique par le fait que les voyelles sont une libre émission dans l'air, mais aussi parce qu'elles ont un timbre, ce qui permet là encore de rejoindre les considérations d'Helmholtz: Son livre a été traduit en français dès 1867, il s'agit de thèses scientifiques importantes qui étaient alors pleinement d'actualité, et ces thèses concernent aussi l'acoustique et les voyelles, comme on peut s'en apercevoir en consultant des revues de cette époque comme la Revue des deux mondes: Nous y reviendrons: Charles Cros, Ernest Cabaner et bien d'autres ont pu échanger sur Helmholtz avec Rimbaud au début de son séjour parisien fin de l'année 1871: Ces considérations n'étaient pas réservées à un public scientifique par ailleurs et ne demandaient pas des connaissances aguerries pour en tirer un profit:
Rappelons enfin que Verlaine a répondu deux fois à René Ghil sur le sujet des couleurs associées aux voyelles, la seconde fois c'est une fin de non-recevoir pour dire que Rimbaud ne s'intéressait pas à la valeur scientifique d'une association d'une couleur à une voyelle, mais la première fois Verlaine dit clairement que Rimbaud se fichait de l'exactitude théorique, réponse très nuancée qui admet l'idée d'une restitution théorique: Verlaine savait donc qu'il était question de théorie des couleurs dans les choix de Voyelles et il se contente de dire que Rimbaud ne s'est pas gêné pour rendre une petite inexactitude théorique, c'est ce que sa réponse engage très clairement et ce qui rejoint les inférences immédiates qui s'imposent à la lecture du premier vers de Voyelles, sans compter qu'il est encore question du "violet" du vers 14 au lieu de bleu et d'un vers central, le vers 9 que nous commenterons plus loin:
Un autre point amène le lecteur à une importante inférence qui conforte tout ce que nous venons de dire, c'est l'interversion du U et du O, et dans cette interversion, c'est immédiatement après la césure, en tête du second hémistiche que nous avons lieu d'être surpris, le "U vert" concentre donc deux surprises, celui du non respect de l'ordre de succession des voyelles et celui donc de la mention "vert" dans l'hypothèse de lecteurs qui auraient attendu d'emblée une mention des seules trois couleurs primaires classiques: Mais, au plan du "O bleu", autre surprise, le "O" n'est pas omis, il est interverti: Cela fait pressentir une intention que la fin du sonnet dévoilera, puisqu'il ne faut pas oublier que le problème est insoluble quand nous nous contentons de lire le premier vers: C'est parce que nous avons déjà lu ce sonnet que tous les niveaux surprenants du premier vers n'ont plus la même prise sur nous ou que nous estimons pouvoir donner une justification immédiate: L'inversion significative du "O" ne reçoit son éclairage qu'à la fin du poème: Il y a suspens:
Je place ici de dernières remarques complémentaires: Le premier vers n'engage pas d'inférences phonématiques: Le vers se lit de manière quelque peu didactique dans son énumération sommaire et lente: Je remarque aussi que le vert reconduit un "R" alangui en fin de mot et le "bleu" offre la même ouverture labiale et liquide que "blancs", ce qui accentue la particularité vive de la mention "rouge" à la césure:
Accessoirement, il convient aussi d'indiquer que deux calembours sont possibles "oeufs blancs" et "eau bleue", mais ces calembours sont exclus pour les autres associations, et on peut penser que ces calembours impertinents n'ont pas été voulus par Rimbaud: Pas la peine de penser que Rimbaud a alors évité le calembour "hiver" avec un "I vert" qu'il aurait évité, etc Les deux calembours potentiels n'offrent aucun intérêt: Ils ne furent pas voulus, ni sans doute perçus par l'auteur:
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
La mention "voyelles" n'est pas une cheville heureuse pour mener à son terme le premier alexandrin: Il serait anachronique de parler d'une manière de faire d'informaticien, mais Rimbaud énumère les cinq variables et les résume par la mention de l'instance même dont il est question: Il s'agit d'un fait de reprise synthétique qui confirme l'idée d'articulation globale et que lettres comme couleurs, couleurs comme lettres, forment un tout achevé et sans reste: L'ensemble du vers 1 est ainsi une apostrophe: Le poète s'adresse en particulier à chaque voyelle couleur, puis il forme une adresse générale au pluriel, mais il est frappant de constater que nous passons d'une parité voyelle-couleur à une mention exclusive des composantes de l'alphabet "voyelles", alors que "couleurs" est un mot de deux syllabes qui aurait pu terminer ici l'alexandrin avec une cadence masculine au lieu de féminine comme "voyelles": Le tour est quelque peu étonnant bien que "voyelles" soit bien le titre du poème: Pourquoi "voyelles" et pas "couleurs" ? Le poète ne justifie pas ici les couleurs qu'il a associées à chaque voyelle, désinvolture étonnante dans un poème au début d'allure si didactique: Un cadre métaphorique est à envisager et soit les lettres sont des métaphores pour les couleurs des visions, soit l'inverse:
Le titre et le primat du mot "voyelles" invite à penser que le poème parle des voyelles, mais la suite en cinq séries de tableaux du poème laissera entendre que les voyelles sont des métaphores appliquées au travers des visions:
Une dernière remarque, il est question de rimes couleurs dans Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs en écho à des considérations de Banville sur des rimes développant des gammes de couleurs : "Ta Rime sourdra rose ou blanche" et il est question aussi de faire sortir des couleurs "Blancs, verts et rouges dioptriques" des "noirs Poëmes" Ici il est question de cinq voyelles couleurs, et le mot voyelles est précisément repris à la rime, la gamme de couleurs est à la rime peut-on en inférer:
A suivre:::
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