Bon, c'est la catastrophe, là en ce moment même, j'ai mal à la tête, je suis incapable de suivre un travail organisé. Tout peut aller à vau-l'eau, puisque j'ai en permanence cette sensation désagréable tout autour du crâne.
Ceci dit, essayons une reprise en main.
Je voudrais revenir sur quelques petites choses que j'ai pu lancer.
D'abord, au sujet du prénom "Césarin", c'est le livre de Thierry Nélias que j'ai finalement acheté qui m'a mis la puce à l'oreille au sujet de George Sand. Le livre s'intitule L'Humiliante défaite. 1870, la France à l'épreuve de la guerre. Ce titre est un clin d'oeil à celui de l'historien Marc Bloch L'Etrange défaite, ouvrage que j'ai lu, je me rappelle les pages sur le bruit assourdissant des avions, etc. Enfin, bref ! Dans cet ouvrage, que j'ai d'abord consulté en librairie, j'ai appris que en juillet George Sand travaillait sur un roman Césarine Dietrich. Puis, j'ai vu que ce roman a été publié en 1871, restait le cas des prépublications. J'ai acheté finalement le livre de Thierry Nélias et donc là j'ai mon information. Le début du roman a été publié dans la Revue des deux Mondes à partir du numéro du 15 août 1870. Bon à savoir. Je vais continuer d'enquêter à ce sujet et lire bien évidemment très attentivement ce périodique qui a eu un regain d'intérêt présidentiel ces dernières années.
C'est intéressant, car si une influence de Sand se confirmait cela inviterait à considérer que la nouvelle Un coeur sous une soutane est plutôt un écrit de la seconde moitié de l'année 1870. Pour rappel, j'ai moi-même signalé à l'attention un rapprochement troublant entre une page manuscrite d'Un coeur sous une soutane et la fin d'un vers du sonnet "Le Châtiment de Tartufe". On le sait, le premier vers ouvre une rime fondée sur la préposition monosyllabique "sous" : "Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous / Sa chaste robe noire..." Steve Murphy qui envisage aussi le lien entre les deux textes mais pas au sujet de la préposition "sous" a considéré que l'ordre chronologique des inventions devait être que la nouvelle avait été antérieure au sonnet, parce que le titre Un coeur sous une soutane est moins développée que la périphrase "chaste robe noire". Mais Bruno Claisse a fait remarquer que l'argument n'était pas convaincant. Rimbaud peut très bien avoir conçu une phrase plus étoffée au départ et puis la réduire au titre de sa nouvelle. En revanche, ce que j'ai signalé à l'attention, c'est que sur la première page du récit, on a un truc étonnant aux cinquième et sixième lignes, puisque l'écrit est en prose, mais on a quand même une coïncidence avec le sonnet dans le retour à la ligne. On a une formulation similaire à celle du sonnet, et la préposition "sous" est en fin de ligne. Par chance, la page manuscrite en question est aisément consultable sur le site d'Alain Bardel.
On a une lignée étirée : "Fit battre mon coeur de jeune homme sous", puis un retour à la ligne et la fin de la phrase : "ma capote de séminariste !"
Le rapprochement entre les deux textes est évident, il est traité par Steve Murphy, mais, à ma connaissance, personne n'a réagi avant moi au sujet de la préposition "sous" sur le manuscrit.
Il y a des enjeux de datation des textes, et aussi des enjeux de sources lues par Rimbaud. Il est évident que je vais continuer à creuser cette piste.
Au passage, j'en profite pour signaler à l'attention que le sonnet "Rages de Césars" pose lui aussi un redoutable problème de datation qui peut même m'amener à rebattre certaines de mes conclusions.
J'ai écrit un article sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu intitulé "La Légende du Recueil Demeny" où j'ai mis en pièces la thèse profondément débile d'un recueil voulu par Rimbaud. J'ai montré des choses très fines au sujet des manuscrits, et pourtant, le sonnet "Rages de Césars" pourrait remettre en cause certaines de mes idées et aboutir à un truc inattendu, puisqu'André Guyaux est le seul à soutenir que tous les manuscrits douaisiens ont été remis à Demeny lors du second séjour à Douai d'octobre.
L'idée pour l'instant, c'est que Rimbaud remettait par petits groupements et au fur et à mesure les manuscrits de ce qu'il avait composé avant septembre et en septembre même, et il avait juste recopier certains vers au crayon et sur la copie de "Soleil et Chair", il avait annoncé son départ avec un "sauf-conduit", puis lors de la seconde fugue, il a composé sept sonnets et les a remis à Demeny qui les a joints au reste.
Mais, dans cette optique, il faut donc considérer que Rimbaud a fugué le 29 août avec tous ses vers sur lui, et que cela lui a été rendu à sa sortie de prison, puisqu'ainsi il a pu recopier ses poèmes pour Demeny dont "Le Forgeron", "Soleil et Chair", "A la Musique", "Ophélie", etc. Dans cette première liasse, on a aussi "Les Effarés" et "Roman" datés du 20 et du 29 septembre, donc du premier séjour.
Or, le sonnet "Rages de Césars" fait partie du premier ensemble, celui donc que tout le monde, à part Guyaux, considère avoir été remis à Demeny en septembre. Or, le sonnet "Rages de Césars" parle des "soirs de Saint-Cloud" et de souvenirs qui partent en fumée "De son cigare en feu un fin nuage bleu". Or, un événement majeur de la guerre franco-prussienne a eu lieu le 14 octobre 1870, c'est l'incendie et du coup la destruction définitive du château de Saint-Cloud. Et le 14 octobre, ça correspond à la seconde fugue. Bref, on a réussi à réduire en miettes les thèses de Brunel et Murphy sur l'idée d'un recueil de Douai ou recueil Demeny, bon débarras ! on a réussi aussi à signaler à l'attention que le "Vous m'écrirez ? Pas" du message de Rimbaud à Demeny prouve qu'il n'y a pas de recueil, puisque notre ardennais se demande si Demeny va daigner lui adresser la parole à l'avenir. Demeny n'a jamais pris Rimbaud au sérieux, ce que la critique rimbaldienne attachée béatement à la lettre du 15 mai a refusé de comprendre. Le "bonne chance", je l'ai dit, est bien plutôt une allusion aux amours de Demeny avec une jeune fille très jeune de Douai dont il aura justement un enfant très précisément neuf mois plus tard, en juillet 1871, femme dont il est d'ailleurs question dans la lettre de Rimbaud à Demeny du 17 avril 1871 avec la mention importante pour nous du thème de la soeur de charité.
Mais, il y a un énorme enjeu de datation sur les manuscrits remis à Demeny, "Rages de Césars" c'est carrément la compréhension du sonnet qui est en jeu !!! Il y a un enjeu aussi pour le manuscrit de la nouvelle Un coeur sous une soutane.
Revenons sur d'autres points des articles précédents de notre série "Il y a 150 ans la guerre franco-prussienne".
D'abord, sur le poème "A la Musique", il faut que je nuance mon propos. Le poème évoque des tensions entre prussiens et français sur le mode du persiflage "La musique française et la pipe allemande", mais si j'ai raison de dire que la composition date de juin et n'évoque pas le rapide emballement du conflit en deux semaines au cours du mois de juillet, il n'en reste pas moins que des bruits de guerre sont déjà évoqués en avril ou en mai à cause de la candidature du prince de Hohenzollern. En juin, dans "A la Musique", version remise à Izambard, Rimbaud fait allusion à ces tensions, mais des tensions qui n'étaient sans doute pas prises très au sérieux comme pouvant déboucher sur un conflit imminent. Les tensions étaient en train de retomber à ce moment-là.
Sur la dépêche d'Ems, j'y reviendrai plus tard, car il y a un vrai problème de manipulation médiatique a posteriori par Bismarck. Dès que je serai en forme, je ferai un travail suivi là-dessus.
Mais, un autre point sur lequel je veux revenir, c'est le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..." en réplique à une invitation de Paul de Cassagnac faite aux républicains de se joindre aux bonapartistes. Bien sûr, dans son sonnet, Rimbaud mobilise le souvenir de l'armée révolutionnaire avec l'année clef de 1792 qui a lancé toute l'épopée. Mais, je voulais préciser certains points. L'article de Cassagnac est du 16 juillet, le sonnet de Rimbaud aurait été remis le 18 à Izambard selon celui-ci, et le 19 c'était la déclaration de guerre, et ce sonnet contient en outre des allusions à "La Marseillaise", chant autorisé à nouveau. Mais il faut aller jusqu'au bout du raisonnement. Le 14 juillet n'est pas fête nationale en 1870 et en même temps pour un républicain l'invitation le 16 des messieurs de Cassagnac est piquante à proximité de la date du 14 juillet lui-même.
Mais, dans la foulée, au sujet des incertitudes quant à la victoire, parce que moi le père Bismarck il m'impressionne pas, c'est une tête à claques comme une autre, en fait, une des raisons pour lesquelles les allemands ne devaient certainement pas être certains de gagner d'avance malgré les signes d'impréparation française, c'est que justement les allemands pouvaient craindre une levée en masse du peuple français dans une fièvre révolutionnaire comme en 1792, ce qui pouvait changer la donne. précisons d'ailleurs que vers la fin du mois d'août 1870 les allemands tuèrent des francs-tireurs dans les villes françaises. Ils étaient attaqués, ils ne les ont pas considérés comme des civils, et ils les ont tués. Cette façon de faire allemande a choqué en 70 comme en 40-45. Ne jugeons pas ce qui s'est passé en 70 sur un parallèle avec 40-45, mais l'idée du peuple qui fait la Révolution par la guerre avec l'Allemagne, ce n'était pas pour les rassurer non plus.
Justement, dans les choses qu'il est regrettable de ne pas avoir traités dans mon dossier ce mois d'août, il y a les réactions de la foule autour du 9 août justement. La France a subi des défaites sévères en trois grandes batailles du 4 au 6 août, une défaite le 4, deux autres le 6, et l'impératrice a écrit le 7 pour ressaisir tout le monde en prenant acte des défaites. Le 9 août, ce n'est qu'une semaine après Sarrebruck, et surtout ce n'est que cinq jours après la première défaite, et on avait déjà des troubles révolutionnaires importants. Le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze", on voit donc bien que, derrière la réplique où on prend la balle au bond, il y a des préoccupations révolutionnaires immédiates dans la population.
Les batailles ont violemment repris autour du 18 août, et j'ai là aussi le regret de ne pas avoir parlé de Gravelotte, etc.
Je vais me rattraper avec des dossiers rétrospectifs, mais le 18 août il y a eu le Reichshoffen allemand. On a un ancien officier allemand, un vétéran ayant jadis combattu contre Napoléon Premier, Steinmetz, je crois qu'il se prénommait Johan-Ludwig Steinmetz (eheh! le critique rimbaldien auquel je pense n'a pas internet, il ne me fera pas de procès pour les conneries que je raconte), enfin non, plus sérieusement, ce vétéran Steinmetz a envoyé sa cavalerie sur un coup de tête et cela a été une boucherie qui a indigné l'état-major prussien inévitablement. Reichshoffen et le 18 août de Steinmetz, c'est deux des dernières charges de cavalerie de l'histoire. Les gens comprennent que les dreyse et les chassepots sont redoutables à la cavalerie, et même c'est le 18 août que l'utilisation des mitrailleuses, avantage de l'armée française puisque les prussiens n'en avaient pas, c'était un moyen de carnage phénoménal. Les français eurent le tort de s'en servir dans l'artillerie, mais dès qu'ils s'en servaient pour l'infanterie comme le 18 août ils faisaient des dégâts vertigineux.
Bref, là encore, on comprend que le sonnet "Le Mal" c'est pas un texte banal (zut ! j'ai des rimes merdiques) c'est un document historique à part entière. Reste à savoir si Rimbaud l'a écrit suite aux événements des 4-6 août ou bien suite à la nouvelle phase meurtrière du conflit autour du 18 août.
Je devrais faire des recherches pour voir s'il y a moyen de trouver des indices resserrant la datation du sonnet "Le Mal", mais je suis malade. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, moi ?
Et cette articulation du 18 août, je vais en reparler aussi, parce qu'il y a eu du coup un retour de propagande française avec des victoires imaginaires.
Si on ne sait pas ce qu'il s'est passé le 18 août, on se dit "ok les combats durent depuis quelques semaines, et là on a des mensonges !" Mais c'est bien de poser les dates clefs, on a une perspective plus fine.
Malheureusement, je me répète, je suis dans un état clinique. Pour me consoler, je mange des prunes rouges de la variété grenadine. Normalement, les prunes, c'est un fruit acide, on adore ça, et tout, mais là les prunes grenadines, elles sont rouges à l'extérieur, plutôt encore jaunes à l'intérieur, la chair est plus ferme que les prunes habituelles, plus élastique, je ne sais pas comment le dire, et surtout cette chair a un goût de poire qui n'a rien à voir avec les autres prunes. C'est comme un mets raffiné du coup !
Enfin, voilà !
Bon, à la limite, mes difficultés à suivre la guerre au plus près des événements, ça permet d'imaginer un Rimbaud qui n'y occupe pas tout son temps justement. Rimbaud est en train de lire la bibliothèque d'Izambard. Purée, mon édition de Don Quichotte a péri dans l'inondation cannoise il y a quelques années, je vais avoir du mal à m'enfermer pour le lire. J'ai Costal l'Indien en tout cas. Pour La Robe de Nessus, faut que je voie, j'en avais lu un exemplaire dans un vieux format papier, même pas de couverture, dans la bibliothèque municipale de Toulouse.
Mais, en fait, là j'habite Les Angles, à l'extrême-pointe sud du département du Gard, il y a juste Villeneuve-les-Avignon, puis on franchit le Rhône et on est à Avignon, car le paradoxe, c'est que je suis à la périphérie de la zone urbaine avignonnaise, même si je suis dans le Gard de l'autre côté du Rhône.
Alors, il y a 150 ans à Les Angles (moi j'ai envie de dire aux Angles, ça me fait chier ce truc disjonctif artificiel), il y avait un célèbre entomologiste Jean-Henri Fabre qui était enseignant-chercheur à Avignon et qui venait étudier les insectes dans le paysage de garrigues pas loin du vieux village de Les Angles. Mais surtout, le Armand de Pontmartin dont parle Rimbaud à Izambard et qui partage d'ailleurs avec Rimbaud le fait d'avoir été photographié par Carjat (mais ce n'est pas un vrai scoop!), est né et mort à Avignon. C'était un écrivain légitimiste, et il vivait quelque peu à Les Angles, puisque je suis tombé sur sa statue dans une rue du vieux village.
Il y a même une rue à son nom, mais dans un quartier plus moderne, c'est l'unique rue où j'ai trouvé du mûrier sauvage dans Les Angles. Les mûres étaient bonnes début août, mais sèches à la mi-août. En revanche, vers Aramon et Saze, quand je me balade, là maintenant encore, il y a des tonnes de mûres sauvages dont je me régale et qu'aucun français ramasse. C'était déjà pareil à Pamiers en Ariège, personne ne vient récolter les mûres, personne ne les mange même en passant, sauf moi.
Bon, ben, espérons que je me ressaisisse. A très bientôt pour de nouveaux voyages dans le passé de la guerre franco-prussienne...
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