Si
peu de manuscrits de Rimbaud nous sont parvenus pour la période novembre 1870 –
avril 1871, la principale explication tient dans la dissolution du lien entre
Rimbaud et son professeur Izambard. L’enrôlement d’Izambard comme
sergent-éclaireur a entraîné une rupture provisoire de la correspondance entre
les deux hommes, mais, quand les échanges ont repris (la lettre du 13 mai est
là pour l’attester), les deux correspondants, qui ne s’étaient pas revus et qui
ne se sont jamais revus, ont commencé à se disputer. Pour la partie manquante
de la correspondance, nous en sommes ramenés aux seuls témoignages d’Izambard
qui furent dispensés dans des revues et réunis en un volume sous le titre Rimbaud tel que je l’ai connu, ouvrage
bien connu des rimbaldiens et plusieurs fois réédité, la publication de 1963 au
Mercure de France méritant d’être considérée comme une valeur de référence au
plan philologique. L’a priori qui
préside à la lecture d’un tel livre, c’est qu’Izambard veut faire profiter ses
lecteurs de la relation intime privilégiée qu’il a eue avec le grand poète. Le
lecteur ne peut même pas imaginer un instant qu’Izambard aurait peut-être
préféré que la poésie de Rimbaud retournât au néant. Grâce au bienveillant
enseignant, nous avons connaissance d’autres textes de Rimbaud (versions
différentes de poèmes en vers remis par ailleurs à Demeny, lettres personnelles,
textes imprimés à Douai, notes, devoir scolaire) et il faut avouer qu’il existe
une contribution intéressante d’Izambard au plan de l’approche des textes rimbaldiens.
Par exemple, Gérald Schaeffer, auteur d’une étude importante sur les lettres du
voyant, considère un peu vite que la lecture par Izambard de la lettre du 13
mai qui lui a été adressée est trop en-dessous du texte. Que ce soit au plan
biographique ou au plan de la compréhension des textes, la lecture du livre d’Izambard
ne manque pas d’intérêt. Toutefois, il est certain que le professeur s’arroge
un droit de regard condescendant sur les productions de son ancien élève. Il
est visible qu’il n’a que mépris pour la poésie de Rimbaud et qu’il n’a fait
qu’atténuer l’expression de celui-ci avec le temps. Ses critiques étaient rendues
plus discrètes derrière le masque officiel d’une acceptation de la consécration
posthume. Il faut donc avoir enfin le courage de le dire : Izambard
éprouvait une répugnance comparable à l’indifférence de Demeny à l’égard de la
poésie de Rimbaud, mais il éprouvait le besoin de se justifier dans la mesure
où les biographes et amateurs de Rimbaud semblaient reprendre la dispute contre
lui, là où Rimbaud l’avait laissée.
Ce
qui ne peut que surprendre à la lecture du Rimbaud
tel que je l’ai connu, c’est qu’Izambard ne parle que de ses problèmes.
Tout ce qu’il dit de Rimbaud est annexé à un projet de justification, où
Rimbaud ne passe que pour un vilain énergumène, dont le potentiel de poète
aurait gagné à tenir mieux compte des leçons d’un enseignant aux jugements
avisés. Izambard n’a de cesse de montrer que ce poète qu’on encense ne
comprenait rien à la politique, ce qui devrait surprendre un peu plus les rimbaldiens
puisque les rares lettres rimbaldiennes de 1871 ne développent guère une
conversation politique avec Izambard, il doit donc nous en manquer plusieurs et
peut-être la lettre du 13 mai nargue-t-elle une réponse du professeur à une lettre
politique sentie malheureusement inconnue et perdue désormais. Le professeur
est resté l’adulte qui juge un adolescent quasi perçu comme pré-pubère qui n’aurait
jamais eu que des jugements à l’emporte-pièce. Le censeur n’a de cesse de
rabaisser l’idole jusqu’au détail mesquin, puisqu’il entend même fixer que
Rimbaud était mal élevé, toutes manières de discréditer l’image hugolienne
attendue d’un poète dont la parole est appelée à élaborer des modèles de
sublimation pour la société. Une insensible indifférence aux intentions
d’Izambard empêche une majorité de lecteurs, pas tous !, de
considérer que ce livre est bien plutôt un réquisitoire agressif et rancunier
contre un poète mal-aimé qu’une contribution à la gloire du poète. La
conservation des manuscrits confiés à Izambard participe également de cette
illusion. Précisons toutefois que ces manuscrits furent divulgués à une époque
où la notoriété de Rimbaud était minimale et confinée au scandale. Les seuls
manuscrits et textes que l’enseignant a révélé par la suite ne l’ont été qu’en
fonction de polémiques où il espérait emporter le dernier mot. Pire encore, il
fait allusion à ses courriers longtemps avant de les révéler et on peut
désormais considérer que, loin d’avoir égaré des documents, Izambard a purement
et simplement détruit toute la correspondance dérangeante qu’il pouvait avoir
eue avec Rimbaud, y compris le manuscrit sans titre « Un hydrolat
lacrymal », demeuré du coup inédit, qu’il présente comme un sujet de
dispute entre lui et son élève[1].
Ce
qu’il dit de la nouvelle Un cœur sous une
soutane est significatif à cet égard. Certes, dans sa lettre à Vanier du 20
janvier 1888, Verlaine qualifie ce récit en prose de « bête
nouvelle ». Induit en erreur, Van Bever a très mal transcrit ce passage
d’une lettre demeurée inédite et il a transcrit Bête nouvelle à la manière d’un titre. Conscient de cette bévue,
Pierre Brunel précise bien que la mention « bête nouvelle » est une
critique péjorative de Verlaine pour qualifier Une cœur sous une soutane[2].
Mais Izambard va plus loin. Dans sa lettre à Jean-Paul Vaillant du 11 avril
1929, il déclare avoir reproché ce texte à Rimbaud qui le lui aurait remis, le
18 juillet 1870, avec Soleil et Chair
et quelques autres poèmes en vers. Nous retrouvons un air bien connu des
témoignages d’Izambard : « Autant j’appréciai le reste, autant
j’aimai peu ce morceau. Je lui dis que c’était franchement mauvais et peu
ragoûtant : je l’engageai à ne pas donner dans ce genre-là, le genre Frère Calotus. »[3]
Difficile de ne pas songer aux deux autres critiques rapportées par le même
professeur à propos de la version inconnue sans titre « Un hydrolat
lacrymal » et à propos du Cœur
supplicié. Difficile de ne pas trouver cet enchaînement de critiques
négatives comme s’étant probablement déroulé ainsi qu’Izambard en a témoigné,
quand on songe au texte de la lettre du 13 mai : « je vous en
supplie, ne soulignez ni du crayon ni – trop – de la pensée », ce que
complète le « ne vous fâchez pas » de la lettre du 10 juin à Demeny.
Izambard insiste même : « Le côté grivois d’un conte ‘libertin’ bien
troussé ne m’aurait pas effarouché. Mais ceci n’était que sale et ordurier. Je
le lui dis. Il me laissa néanmoins ce manuscrit avec les autres […] ». Le
jugement sur les qualités requises d’un poète est patent : Rimbaud
commençait à ne pas être reconnu par son enseignant.
Bien
sûr, il est visible que le témoignage d’Izambard est partiellement erroné. Il
n’a jamais retrouvé de manuscrit de Soleil
et Chair en sa possession pour la simple et bonne raison qu’il a dû le
confondre avec son manuscrit incomplet du Forgeron.
En effet, Izambard croit se souvenir que Rimbaud s’attelait à l’époque à la
confection d’un long poème qui lui donnait quelque orgueil. Dans la mesure où Credo in unam a été envoyé par courrier
à Banville au mois de mai, il semble évident qu’il s’agit alors de l’autre long
poème Le Forgeron dont le caractère
incomplet s’expliquerait par l’éclaircissement du témoignage d’Izambard.
Celui-ci croit qu’il a attendu la fin de la composition qui lui était annoncée,
alors qu’il est plus plausible de considérer que, si le manuscrit est
incomplet, c’est que Rimbaud lui a remis un état intermédiaire de son travail,
lui promettant une fin prochainement. N’a-t-il pas reproduit ce geste à propos
de Soleil et Chair ? Une idée
fait dès lors son chemin. Izambard n’aurait jamais conservé de poèmes de
Rimbaud auparavant et c’est ce jour-là qu’Arthur lui aurait remis l’essentiel
des manuscrits de textes littéraires qui nous sont parvenus, à peu d’exceptions
près. Donc, le 18 juillet, Rimbaud aurait remis à son professeur les manuscrits
d’Un cœur sous une soutane, celui
incomplet d’un poème en cours d’élaboration Le
Forgeron et trois autres poèmes en vers, anciens ou non : A la Musique[4],
Comédie en trois baisers et même Ophélie. C’est une possibilité.
Toutefois, Rimbaud a encore envoyé par lettre le poème Ce qui retient Nina dans le courant du mois d’août. Dans un tel
cadre de compréhension, on en conclut qu’Izambard daignait éplucher les vers et
devoirs scolaires ou supplémentaires d’un brillant élève, mais sans prendre la
peine de les conserver et recueillir. Seul un devoir avait retenu son
attention, ce qui enfermait Arthur dans un projet scolaire, d’autant qu’une
version d’Ophélie est le seul poème
manuscrit qui ait pu être remis à Izambard du temps de la lettre à Banville. Seul
A la Musique a pu être remis ensuite
au mois de juin, à moins de supposer que la publication de Comédie en trois baisers ait pris pas mal de temps. Rimbaud aurait
donc plutôt forcé cette transmission de poèmes dans le courant du mois de
juillet et le témoignage d’Izambard a le mérite d’être plausible, puisque,
d’une part, Rimbaud n’avait sans doute pas le gros manuscrit de sa nouvelle
sous le bras lors de ses deux séjours douaisiens avec étape à Mazas, et puisque,
d’autre part, Izambard n’a plus reçu la primeur des nouvelles compositions de
Rimbaud en septembre-octobre 1870.
Néanmoins,
pour en revenir au dégoût suscité par la nouvelle ordurière, il reste une
énigme à expliquer. Izambard a hérité d’un manuscrit du sonnet Vénus Anadyomène daté du « 27
juillet 1870 ». Selon toute vraisemblance, ce sonnet n’a pas été transmis
à Izambard en septembre 1870, on peut penser qu’il a été laissé de manière
insolente par Rimbaud dans l’appartement, voire la « chambre » du
professeur, suite à la visite en ce lieu dont témoigne la lettre du 25 août
1870. Ce serait une réponse à la critique de la nouvelle Un cœur sous une soutane. La colère d’Izambard au sujet de
l’obscénité de ce texte pourrait même servir d’explication à un fait important
négligé par la critique. Pourquoi Rimbaud n’a-t-il pas transmis une copie de
tous ses poèmes à Izambard comme il l’a fait pour Demeny ? Plus que
jamais, après notre étude sur la légende
du « recueil Demeny », on ne peut pas répondre si
facilement : « Parce qu’Izambard ne lui était pas utile à des fins
d’édition ». Il est clair que Rimbaud lui a déjà remis des manuscrits pour
le plaisir d’être lu et Izambard a revendiqué la connaissance, sinon la
possession d’autres textes qu’il supposait tous de 1870 : Soleil et Chair, Bal des pendus, Le Buffet,
Les Poètes de sept ans et
« Morts de Quatre-vingt-douze… » sous le titre Aux morts de Valmy. Est-ce qu’Izambard a égaré ces poèmes ?
Est-ce que les demoiselles Gindre ont hérité d’une copie de ces poèmes, au
détriment de Georges ? Remarquons au passage que les rimbaldiens ne se
sont jamais intéressés à Deverrière, lequel a certainement joui lui aussi d’une
fournée de manuscrits, puisque c’était l’autre grand confident adulte de
Rimbaud à l’époque ? Est-ce que Rimbaud a récupéré certains manuscrits en
septembre avant d’établir les copies de versions retouchées pour Demeny ?
Est-ce qu’Izambard a caché des manuscrits qui comportaient peut-être des choses
plus compromettantes que des vers ? Toujours est-il qu’on aimerait bien
avoir une version de Ma bohême ou du Dormeur du Val remise à Izambard, car
pourquoi Rimbaud n’a-t-il fait don d’aucun manuscrit à son professeur, alors
qu’ils vivaient sous le même toit ? On peut parier que la psychologie
enfante de Rimbaud a dû se soumettre aux raisonnements des adultes :
Rimbaud reverrait certainement Izambard à Charleville, le don de copies à son
égard n’était pas pressant. Qui plus est, Rimbaud a dû consommer pas mal
d’encre et de papiers : brouillons, copies personnelles inconnues et
copies remises à Demeny, sans parler des lettres éventuelles portant sur
d’autres sujets et des frais d’hébergement. Mais, l’absence de manuscrits
nouveaux en la possession d’Izambard témoigne nettement désormais d’un manque
d’empressement et de sollicitation de la part du professeur, fait d’une
importance conséquente qu’il convient de bien mesurer.
Peu
importe qu’Izambard ait découvert son manuscrit de Vénus Anadyomène lors de son retour à Charleville début-octobre ou
à un autre moment, ce qui est certain, c’est que la nouvelle Un cœur sous une soutane a forcément eu
des conséquences graves dans la détérioration de toute une relation de
confiance établie entre le professeur et l’élève. Ce conflit a pu confirmer
certains choix poétiques sulfureux du Rimbaud à venir, mais, désormais, il
n’était plus question pour Izambard d’apprécier la poésie de Rimbaud, ce que
confirment lourdement les aveux parfois involontaires de l’ensemble de ses
témoignages ultérieurs. Et nous en revenons dès lors à un passage étonnant de
la lettre à Jean-Paul Vaillant. Izambard va faire endosser à Verlaine la
volonté de destruction d’une œuvre alors inédite de Rimbaud, la seule
composition artistique inédite qu’ait jamais divulgué Izambard, Un cœur sous une soutane :
« Il la trouva, comme moi, peu digne de Rimbaud, émit l’idée que je ferais
mieux de la supprimer… Sur ce point, je fis mes réserves. Je pouvais bien, sans
lui donner aucune publicité, la conserver pour moi, pour moi seul, dans
‘l’Enfer’ de mes tiroirs. Je la lui laissai néanmoins, avec mes autres
autographes, pour qu’il pût lire le tout à loisir. » A l’en croire, Verlaine
aurait prétendu détruire une œuvre dont, en même temps, il sollicitait le
prêt : il aurait souhaité la destruction d’une œuvre qu’il n’aurait pas
encore pu lire « tout à loisir ». Il ne faut pas être grand clerc
pour comprendre qu’Izambard est un manipulateur qui, d’une part, exagère le
dédain pourtant réel de Verlaine à l’égard de cette nouvelle et qui, d’autre
part, tait ce que son récit maladroit trahit, à savoir que, lors de cette
visite initiale, seul celui qui présentait le texte obscène dans les grandes
lignes a pu encourager Verlaine à se sentir prévenu contre lui.
Désormais,
il est difficile d’en douter : les témoignages d’Izambard sont plausibles.
Il a dénoncé avec constance la poésie ordurière de Rimbaud. Celui-ci a commencé
à négliger d’envoyer ses nouvelles productions à Izambard et quand il en a été
question il semble s’être spécialisé dans l’envoi exclusif de pièces
provocantes : Vénus Anadyomène, Ce qui retient Nina (poème qui ne se
prive pas d’allusions scatologiques), « Un hydrolat lacrymal », Le Cœur supplicié. Peu diplomate, Rimbaud
a dû vouloir plier Izambard à ses raisons. Enfin, quand Izambard se permet
d’attribuer à Verlaine une volonté de destruction du texte Un cœur sous une soutane ou quand il évoque la possibilité de ne
jamais faire étalage publiquement du document inédit, il donne la mesure de ce
qu’il est capable de considérer comme légitime de faire en son cas :
détruire une œuvre incommodante. Purement et simplement, Izambard n’a pas
révélé l’intégralité dérangeante des lettres qu’il possédait de Rimbaud, il les
a sans doute même détruites avec notamment le manuscrit d’une version sans
titre du poème « Un hydrolat lacrymal » devenu Mes Petites amoureuses, poème au sujet duquel il est trop précis
que pour paraître… (et c’est un paradoxe !) mentir. A une telle distance
des faits, il se rappelle une version sans titre de ce poème, c’est une belle prouesse
dont penser qu’elle a été facilitée par la consultation directe de la lettre en
question !
Nul
égarement de notre part à revenir ainsi sur les poésies et événements de
l’année 1870. Certes, nous semblons revenir avec une conclusion maigre et somme
toute rassurante : nous n’aurions peut-être perdu qu’un seul manuscrit de
poème en vers du côté d’Izambard. Ceci dit, nous sommes amenés à établir une
compréhension neuve des lettres rimbaldiennes de 1871. Trois poèmes remis à
Demeny sont étroitement liés à une polémique profonde et violente qui opposait
Rimbaud à son ancien professeur : Mes
Petites amoureuses, Le Cœur du pitre
et Accroupissements. Izambard a
revendiqué justement la connaissance d’une version antérieure du premier de ces
trois poèmes, nous connaissons sa version antérieure du second, à savoir Le Cœur supplicié, et nous savons que,
qu’il en ait eu connaissance ou non par un don de Rimbaud, le contenu du
troisième est assimilé dans une lettre à Jean-Paul Vaillant à l’obscénité de la
nouvelle Un cœur sous une soutane.
Dans les trois cas, Izambard déclare avoir marqué ou devoir marquer sa
réprobation d’une façon similaire. Et dans le cas de « Un hydrolat
lacrymal », Izambard prétend avoir formulé comme reproche à son élève une
lecture superficielle de Rabelais, sans s’apercevoir qu’il laisse deviner une
motivation ironique d’une phrase osée de la lettre à Demeny du 15 mai 1871 :
« Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire,
Jean lafontaine, ! commenté par M. Taine ! » Et cet
« odieux génie » n’est autre que Musset, cible intertextuelle du
dernier poème de 1870 remis à Izambard Ce
qui retient Nina et du premier des deux seuls poèmes qui semblent avoir été
remis au même professeur en 1871 Mes
Petites amoureuses ou sans titre le dit « Un hydrolat lacrymal ».
Il y aurait peut-être à méditer sur une dispute autour de Musset pour expliquer
cette reprise de Nina aux Petites amoureuses !
Il
faut avouer que lire la lettre du 15 mai à Demeny en fonction d’une colère
provoquée par Izambard ne manque pas d’intérêt. Le professeur revendique
l’envoi d’une lettre où il serait question d’un similaire panorama de toute
l’histoire de la littérature, où une même liste des grands auteurs défilerait
devant nous. Est-ce par malveillance qu’Izambard parle d’initiation proche d’un
Leconte de Lisle avec cette résonance indienne Sâkya-Mouni ? C’est
possible, quoique cela ressemble à la raillerie facile à l’égard des imitateurs
du grand Parnassien telle qu’on la rencontre dans Le Petit Chose d’Alphonse Daudet. Comment expliquer cette étrange
symétrie entre la présence de l’onomatopée « Pouah » dans Mes Petites amoureuses et sa
reconduction invérifiable dans des citations, supposées de mémoire, de la part
d’Izambard : « Racine ? peuh ! Victor Hugo ?...
pouah !... Homère ? Homère !... » ? Les solutions sont
désormais dans la tombe. Ce qui est certain, c’est qu’il nous manque une partie
de la correspondance entre Rimbaud et Izambard. La lettre du 13 mai reprend une
discussion interrompue. L’adulte de l’époque évoque une dispute qui, puisqu’elle
le dérangeait, pouvait être tue. Si Izambard se trahissait en ne pouvant
s’interdire d’en parler, c’est bien qu’une dispute violente avait réellement eu
lieu à travers leurs courriers. Il est clair que, dans ses publications, Izambard
ne réglait pas des comptes pour les deux fugues de Douai, il réglait des
comptes pour des insolences dont la lettre du 13 mai ne peut en aucun cas
passer pour le témoignage suffisant. Comment Izambard pouvait-il savoir que
Rimbaud admirait tout des poncifs de la Commune, si quelques autres lettres ne
manquaient à l’appel pour étoffer le maigre dossier qui nous est parvenu ?
Même s’il a pu croire ou laisser croire que la lettre qu’il dit
« littératuricide » contenait Le
Cœur supplicié, ce qui était inexact, Izambard a toujours soutenu que cette
lettre avait existé, finissant par l’associer à un envoi de vers qu’il a
toujours revendiqué, celui du poème « Un hydrolat lacrymal ». Une,
deux ou quelques lettres ont dû disparaître de la correspondance des deux
hommes avant le 13 mai 1871. A la fin de sa vie, pour contrecarrer Berrichon
qui savait pertinemment qu’une dispute réelle avait eu lieu, Izambard a voulu
revenir sur son affirmation initiale selon laquelle Rimbaud avait cessé de lui
écrire en mai 1871. Il a exhibé miraculeusement une lettre en lambeaux fort
problématique datée du « 12 juillet 1871 », lettre sur laquelle
Jacques Bienvenu envisage une théorie stimulante dans un article intitulé "Une étrange lettre" de son blog Rimbaud ivre. Mais ceci ne règle pas les
zones d’ombres, puisque la lettre mutilée de juillet ne livre pas les réponses
au sujet de la querelle qui a été clairement exposée dans la lettre du 13 mai,
puisqu’elle n’explique pas les raisons qui font que, dans tous les cas, après
le 12 juillet, Izambard cessa d’exister pour Rimbaud. Surtout, la liste
d’ouvrages évoqués dans la lettre du 12 juillet 1871 fait songer au témoignage
d’Izambard qui précisait auparavant, dans son célèbre article de 1911 pour Vers et prose (fin de section IV), qu’il
détenait une liste écrite des livres de Rimbaud qu’il avait en dépôt en
novembre 1870, ce qui affaiblit l’idée qu’il ait jadis égaré cette précieuse
lettre témoin.
Par
conséquent, l’humeur d’Izambard qui se manifeste dans son livre Rimbaud tel que je l’ai connu peut
beaucoup nous en apprendre sur l’état d’esprit des lettres et poèmes de Rimbaud
en 1871. Nous découvrons le mur face auquel se construisait un poète encore
isolé. Il s’agit d’une perspective trop négligée jusqu’à présent et nous
pourrions prochainement proposer un compte rendu critique de tout ce qu’a
publié et diffusé Izambard au sujet de Rimbaud. Ce travail risque d’être rendu
complexe, non seulement parce qu’il y a eu des omissions, non seulement parce
qu’il reste délicat de départager la part du mensonge ou celle des déformations
du souvenir, mais aussi parce qu’Izambard a créé des réponses fictives en
fonction des nouveaux contextes. Epluchés notamment par Steve Murphy, les
brouillons et manuscrits trop tardifs des prétendus poèmes qu’Izambard aurait
envoyés à Rimbaud ont prouvé qu’Izambard réinventait les réponses qu’il avait
faites à son élève. L’enseignant commettait l’erreur d’associer à ses vers
l’allusion anachronique au mouvement des poètes « décadents », tandis
que les poèmes qu’il commettait témoignaient d’une influence passivement subie
de nouvelles audaces métriques qui ne devinrent courantes que dans les années
1880, sans prendre conscience que ni Rimbaud, ni Verlaine eux-mêmes n’avaient
encore mis au point ce nouveau régime du vers en 1871. En effet, comme je l’ai
déjà plusieurs fois signalé à l’attention dans mes interventions sur le net,
dans La Muse des méphitiques,
Izambard mélange les césures normales après la quatrième syllabe à d’autres
après la cinquième syllabe, ce qui veut dire qu’il imite les césures de Tête de faune telles qu’elles étaient
comprises et banalisées par d’un côté Verlaine, de l’autre les décadents à la
fin des années 1880 :
Vois-tu
le bourgeois /5/ baveux qui s’offusque /5 avec rejet d’épithète/
Se
cramponner /4/ d’horreur à son comptoir /6 avec rejet du COD/
L’étrangeté
vient de ce que ce vers qui revient tel un refrain : « Vois-tu le bourgeois
baveux qui s’offusque » est le seul dans le poème à ne pas respecter la
conformation des césures du décasyllabe littéraire en hémistiches de quatre et
six syllabes ! Toutefois, une autre strophe manuscrite du poème présente
encore un « e » féminin à la césure : « Bouche à bouche,
Muse des méphitiques », à proximité d’une césure plus parnassienne cette
fois mais audacieuse quand même sur déterminant : « Pâmé sur tes
lèvres épileptiques » ! Le mot « épileptiques » étant une
reprise d’un mot à la rime du poème Les
Assis dont nous ignorons si Izambard en a connu la primeur manuscrite, l’imposture
est évidente ! Un article de Jacques Bienvenu intitulé "La Muse des méphitiques" propose une réflexion qui va dans le même sens et qui aboutit
à la même conclusion ! Ajoutons que le vers du poème Le Baiser du faune : « Et qui lui fait monter des baisers
fous aux lèvres », identifié notamment par Pierre Petitfils au prétendu
vers qui aurait servi de patron pour corriger le vers final sulfureux d’A la Musique dont disait se souvenir
Izambard ! « -Et des désirs brutaux s’accrochent à mes lèvres ! »,
par celui que nous connaissons seul légitime aujourd’hui : « - Et je
sens les baisers qui me viennent aux lèvres… », ce vers est peut-être lui
aussi une imitation tardive du vers final d’A
la Musique, l’anecdote étant elle-même suspecte et peut-être appuyée sur un
souvenir qui confond les corrections imposées à un tout autre poème de désir Trois baisers pour lequel nous avons des
variantes qui attestent du travail de censeur d’un adulte quant à la version
publiée dans La Charge ! Le
poème Le Baiser du faune a tout l’air
de s’inspirer conjointement des expressions des poèmes A la Musique et Tête de faune
avec leurs similitudes de préoccupations érotiques !
Mais il y a pire encore que ces impostures et
que ce manque de lucidité quant au génie de Rimbaud : Izambard n’avait
donc même pas conscience du rôle joué par Verlaine et Rimbaud dans cette
évolution métrique qu’il singe comme du moins que rien, et un article tardif
intitulé Licences poétiques de Verlaine
témoigne du philistinisme d’Izambard qui n’arrive pas à comprendre que, quand
Rimbaud cite le vers des Fêtes
galantes : « Et la tigresse épou/vantable d’Hyrcanie », c’est
bien pour sa césure, en plagiant un entrefilet de journal, et non pour se
complaire dans le rappel vague d’un vers obscène des Poëmes saturniens : « Son haleine puait
épouvantablement. » En essayant de rabaisser Rimbaud dans la complaisance
ordurière, le malveillant Izambard se discrédite tout seul. Notez bien à quel
point nous retrouvons la constante critique d’Izambard qui associe sommairement
l’expression brutale du sale à un mauvais goût poétique.
L’enseignant
prétend que, pour son premier article, Lepelletier, ami de Verlaine qui
n’aimait pas Rimbaud, a supprimé les parties élogieuses. Mais où sont les
éloges dans le livre d’Izambard ? Jugeons plutôt du véritable palmarès de
ce premier article par la citation de quelques fragments significatifs :
« Un jour, le poète Verlaine a l’idée de publier [autrement dit :
« a eu la lubie de publier »] une première série… », « sur le vu
de ces vers très bizarres, voilà Rimbaud adopté par une poignée de
jeunes », « le côté ‘bête curieuse’ de sa personnalité »,
« je n’accepte pas sans réserve cette silhouette de poète fatal […], et je
demande à faire la part, pour ceux qu’il intéresse, de ce qu’il y a
d’adventice, de convenu, et aussi de malicieusement gamin dans son
œuvre. » Et cela continue : « Il s’y déclarait, le petit
bonhomme, […] », « il n’avait foi qu’en lui-même », « un
pâle spécimen de l’évangile attendu », « Ce qu’il y fut reçu, dans le
giron, l’enfant prodigue ! », « revenu des apothéoses
précaires », etc. Izambard croit pouvoir citer les triolets du Cœur supplicié de manière accablante et,
reprenant avec ironie le couple adjectival « ithyphalliques et
pioupiesques » en l’appliquant aux décadents admirateurs de Rimbaud, il
ponctue son article par un procès sans appel, quoiqu’implicite :
« les cendres de Rimbaud n’ont pas besoin qu’on les adore, il suffit qu’on
les respecte. » Le rhétoriqueur particulièrement pédant Izambard traitera
ultérieurement Paris se repeuple de
poème « verbeux » et, toute sa vie, il reprochera à son élève de ne
pas avoir su écouter ses conseils, comme si, au plan littéraire, le statut de
professeur adulte demeurait naturellement supérieur à celui d’écrivain ou poète
reconnu. Toute sa vie, Izambard en voudra à Berrichon d’avoir affirmé
publiquement qu’il y eut une dispute définitive entre lui et Rimbaud. Or, force
est d’admettre que les articles d’Izambard ne sont qu’une longue suite de
justifications rancunières, où les seules exceptions ne sont que des moyens de
porter le discrédit sur Berrichon, en particulier la réfutation pertinente
d’une lecture biographique de Mémoire,
la dénonciation des lettres africaines truquées (alors qu’Izambard n’a jamais
daigné parler de Rimbaud quand il ne se sentait pas concerné directement) et
l’argumentation, au demeurant mal problématisée, qui veut que Rimbaud n’ait pu
assister à la Commune, encore que dans ce dernier cas, si nous avons perdu
plusieurs lettres d’échange épistolaire avant le 13 mai, ce qui a l’air hautement
probable, il devient alors presque mécaniquement indubitable que si cette
nouvelle fugue a bien eu lieu, ce fut juste après le 15 mai, quand l’appel des « colères
folles » se faisait si pressant.
Certes,
Izambard a raison de montrer que le poème Le
Cœur supplicié n’a pas été composé au sujet d’un incident hypothétique qui
se rattacherait à la discutée présence parisienne du poète à la toute fin de la
période communarde. La lettre datée du 13 mai qu’il a reçue de son ancien élève
a pu le convaincre que Rimbaud avait alors dû rester à Charleville. Dans de
telles conditions, pour Izambard, Rimbaud ne peut pas avoir passé plusieurs
semaines à Paris et s’être éclipsé au commencement de la Semaine sanglante. Le
seul inconvénient, c’est que nous manquons de connaissances précises sur les
lettres échangées entre les deux hommes avant et après le 13 mai. Rimbaud a pu
écrire très tôt à Izambard, lorsque celui-ci était cantonné à Abbeville. Il a
pu lui écrire avant le 17 avril et après le 13 mai. Toute la difficulté vient
de ce qu’on ne peut trancher avec certitude si un échange de courriers houleux
a eu lieu entre eux deux dans l’intervalle du 17 avril au 13 mai. La
formule : « Vous revoilà professeur ! », de la lettre du 13
mai, indique qu’un courrier tout
récent venait d’apprendre au poète communard que son ancien professeur avait
été nommé, au début du mois de mai, pour un intérim dans une classe de seconde
du lycée de Douai. Les échanges ont très bien pu avoir lieu de février à la
mi-avril 1871 et reprendre au début du mois de mai, ce qui aurait empêché
Izambard de percevoir la possibilité pour Rimbaud d’une présence parisienne de
deux semaines entre le 17 avril et le 13 mai. Egalement, vers le 17 avril, la
Commune a bientôt un mois d’existence et Rimbaud a travaillé dans un journal
engagé, le Progrès des Ardennes :
il a eu tout le temps d’échanger un minimum au sujet de la Commune avec son
professeur. C’est alors l’occasion de citer la célèbre phrase de la lettre du
13 mai : « Je serai un travailleur : c’est l’idée qui me
retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris, - où
tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous
écris ! » Ce passage qui annonce l’écriture de Paris se repeuple nous confirme sans appel que Rimbaud soulignait
sa totale adhésion communarde dans sa correspondance avec Izambard, mais
surtout il semble indiquer que Rimbaud ne s’est pas encore rendu à Paris et
c’est ainsi que l’a compris Izambard qui n’a même pas voulu imaginer qu’il pouvait
être question d’un second projet de montée à Paris sous la Commune. Or, si
Rimbaud veut défier son professeur, à un moment où il ne perçoit pas encore que
le sort de l’insurrection est déjà scellé, pourquoi irait-il clamer à son
professeur qu’il est allé à Paris, mais qu’il est revenu ? Et surtout
pourquoi cet appel des « colères folles » n’aurait-il pas été suivi d’effet,
Izambard n’ayant alors reçu de nouvelle réponse qu’en juin, ce qui coïncide
avec une fébrile activité comme l’attestent deux lettres littéraires à Paul
Demeny et Jean Aicard ? En résumé, la formulation de Rimbaud ne permet pas
de refermer l’hypothèse d’une présence communarde. En particulier, on aimerait
avoir les dates de toutes les lettres de Rimbaud à Izambard. Si plusieurs
lettres ont été échangées entre le 18 mars et le 13 mai, on comprend que la
présence communarde semble devoir être exclue par le professeur qui à tort croyait
impossible l’accès à une capitale assiégée au-delà du 13 mai. Cependant, on
peut se demander si la dispute n’a pas atteint un point culminant entre le 13
mai et le 10 juin, voire en pleine Semaine sanglante, ou bien si elle n’a pas
été vive avant le 17 avril. En tout cas, Rimbaud n’a pas parlé de sa présence
communarde à Izambard, tandis qu’une aggravation de la fâcherie entre les
lettres à Demeny du 15 mai et du 10 juin semble hautement probable.
Maintenant,
il n’en reste pas moins que, pris dans une dispute écrite, Izambard a très bien
compris que le poème du Cœur supplicié
n’était pas un témoignage du poète au lecteur, mais une satire qui prend à
partie un lecteur supposé non acteur de son destin. Gérald Schaeffer a eu ainsi
le tort de minimiser l’intérêt de la lecture critique de la lettre du 13 mai
par son destinataire, puisque celui-ci avait sans doute des éléments
d’expertise qu’il n’a pas daigné nous communiquer. Sur le long terme, à une
époque où l’étude des textes de Rimbaud était particulièrement désinvolte de la
part de tout le monde, l’enseignant a tout de même parfaitement compris que les
poèmes Les Poètes de sept ans et Le Cœur supplicié annonçaient
métaphoriquement Le Bateau ivre, ce qui
a été régulièrement négligé dans le déluge d’observations critiques qui a été
proposé pour ces trois textes. Nous pensons également qu’Izambard a
parfaitement compris le sens des expressions « poésie objective » et
« poésie subjective » sous la plume de Rimbaud, quand bien même
Schaeffer croit pouvoir revendiquer une meilleure information lexicale. Enfin,
Izambard a perçu la violente attaque satirique du poème à son égard. Plusieurs
autres éléments d’analyse sont à retenir, quand bien même le professeur sous-évalue
paradoxalement les significations communardes inévitables de la lettre et du
poème en contexte, et surtout leur beauté et puissance de conception.
Il
est temps de mettre un terme provisoire à notre réflexion. Que peut-on en
retenir ? Les poèmes contenus dans les lettres de mai-juin 1871 ont été
composés sur plusieurs mois, à une époque où la production rimbaldienne est
inévitablement ralentie par les événements. La perte d’une production plus
conséquente reste toutefois plausible pour les mois de novembre, décembre 1870,
voire pour ceux de janvier ou février 1871. C’est ensuite en juin 1871 que
Rimbaud a relu son œuvre de 1870 et qu’il en a détruit ses copies personnelles.
Seul le poème Les Effarés a été
épargné et Verlaine n’a visiblement pas connu les autres poèmes transmis à
Demeny avant que Darzens ne les lui présente. A la limite, Rimbaud a pu faire
briller devant Verlaine certains des traits d’esprit de ses anciens poèmes,
mais cela sera-t-il jamais contrôlable à la lecture des écrits de
Verlaine ? Par ailleurs, il est probable que plusieurs poèmes de la
première moitié de l’année 1871 furent sans doute également détruits dès le
mois de juin, dont quelques-uns de ceux qui furent envoyés à Demeny (Chant de guerre Parisien, Mes Petites amoureuses), hypothèse
importante à considérer. D’autres poèmes n’ont peut-être jamais été apportés à
Paris : Les Poètes de sept ans, Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs.
Pour ce qui est des destructions de poèmes, celles-ci sont liées en partie à la
Semaine sanglante, mais l’indifférence de Demeny et les critiques d’Izambard
sont probablement les principales responsables de cette rage de destruction. La
réalité du mépris d’Izambard n’est pas une spéculation, elle est prouvée par l’ensemble
des articles qu’il a réuni dans son livre Rimbaud
tel que je l’ai connu, à condition d’en traquer la part d’aveux ainsi que
nous l’avons fait. Surtout, dans cette histoire de correspondance, le rôle de
confident de Demeny a été complètement surévalué au détriment du thème central
des difficultés de communication sensibles entre Izambard et son élève.
L’analyse s’est arrêtée à la surface des échanges épistolaires et ne s’est pas
intéressée suffisamment aux problèmes souterrains que pouvaient supposer ces
types de relations humaines. D’une part, Rimbaud n’a jamais connu qu’un Demeny tout
préoccupé d’une idylle amoureuse, ce dont le poème Roman apparaît à l’évidence comme un témoignage précoce. D’autre
part, la critique des convictions communardes de Rimbaud, la répugnance face à
une œuvre obscène, tels sont les deux grands massifs de la réaction d’Izambard
exprimée rétrospectivement dans ses articles. Pour assurer leur juste
perspective aux lettres de 1871, notre étude n’a pas manqué de s’intéresser aux
manuscrits remis à Izambard en 1870 et nous avons proposé nos hypothèses, tout
en soulignant une mise en perspective clef, celle de la succession des
critiques d’Izambard à l’égard des textes Un
cœur sous une soutane, « Un hydrolat lacrymal… » et Le Cœur supplicié. Ceci nous a
amené à associer les dons des poèmes Vénus
Anadyomène et Ce qui retient Nina
à une logique de provocation adolescente à l’égard du professeur hostile. Nous
avons laissé entendre que cette logique de provocation permettait de rendre
compréhensible qu’Izambard n’ait plus guère bénéficié de dons manuscrits à la
différence de Demeny. Enfin, cette mise en perspective nous a permis de
préciser la lecture du poème Mes Petites
amoureuses à partir d’une relation formelle au poème Ce qui retient Nina qui a permis de certifier un renvoi
intertextuel à deux poèmes de Musset. Le présent article devrait être prolongé
par une étude de la lettre du 15 mai à Demeny en jouant à repérer ce qui sonne
comme autant de réponses à Izambard, mais nous nous y attacherons plus tard.
Maintenant,
il reste un dernier problème à résoudre. Izambard a prétendu avoir eu
connaissance d’une version des Poètes de
sept ans, dès le mois d’octobre 1870. Il est allé jusqu’à prétendre que
Demeny avait reçu deux copies de ce poème. En réalité, le professeur essaie de
sauver la face en une occasion particulière. Marcel Coulon vient de le démentir
au sujet du poème Soleil et Chair qui
ne peut avoir été composé en juillet 1870, puisqu’une version du mois de mai
vient d’être mise à jour dans le courrier de Banville. Obligé d’admettre son
erreur dans un cas, Izambard s’est maladroitement défendu dans l’autre. Nous ne
croyons pas le moins du monde qu’Izambard ait jamais connu une autre version de
ce poème, moins encore qu’il en ait discuté l’intérêt avec Demeny en 1870, 1871
ou à une quelconque autre période de son existence, pas même quand Demeny,
Darzens et Izambard écrivaient dans le même journal.
Mais,
justement, voilà qu’entre en scène le nom de cet autre correspondant Banville.
Intéressons-nous cette fois au cas particulier du destinataire de Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs.
Ce sera la dernière étape de notre réflexion philologique sur la correspondance
rimbaldienne connue de l’année 1871.
(fin de la troisième
partie)
[1]
Il n’est pas impossible que
Demeny ait pratiqué la même censure. Il peut très bien ne pas avoir divulgué
toutes ses lettres. Ce n’est qu’une hypothèse, faible dans ce cas douaisien.
[2]
Pierre BRUNEL : (éd.)
Arthur RIMBAUD, Œuvres complètes, Le
Livre de poche, La Pochothèque, 1999, p.773.
[3]
Izambard cite la corruption
du nom « Milotus » en « Calotus » du poème Accroupissements dans l’édition Vanier
des Poésies complètes de 1895. On
imagine la crise d’apoplexie d’Izambard si Rimbaud lui avait envoyé copie de ce
poème le 13 mai comme il l’a fait à Demeny deux jours plus tard, en
l’accompagnant d’un « Vous seriez exécrable de ne pas répondre […] ».
[4]
Le poème A la Musique date probablement du mois
de juin. Il fait allusion à une publicité pour le programme musical du « 6e
de ligne » du régiment de Mézières qui allait être donné le jeudi 2 juin
au soir, sur la place de la Gare à Charleville. Une polka-mazurka des fifres de Pascal y est annoncée comme devant être
suivie d’une « grande valse » dont le nom Aux Bords du Rhin, évidemment belliqueux en contexte, servait à
appeler les français à Berlin. Dans sa biographie, Lefrère donne hélas le
mauvais document, le programme du dimanche 10 juillet 1870, où la perspective
militaire est plus diluée, sans compter que le poème mentionne bien les
« jeudis soirs », pas le dimanche. Etrangement, ce document autour du
« jeudi 2 juin » met mal à l’aise les critiques rimbaldiens qui prétendent
dater ce poème. Nous ne comprenons vraiment pas pourquoi, d’autant que, face à
Berrichon qui datait le poème du mois d’août, Izambard avait clairement
répliqué sur une note manuscrite personnelle qu’il était de deux mois antérieur
à tout le moins, et, effectivement, du 2 juin au 2 août il y a deux mois, du 2
juin au 31 août nous comptons trois mois.
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