Composé de huit sections, Mauvais sang dresse un portrait du poète qui se présente à nous, mais en posant les termes du débat intérieur qui va occuper l'ensemble du livre !
La structure du récit d'Une saison en enfer est la suivante : Mauvais sang introduit un portrait du poète dans un cadre historique en passant par une péripétie de conversion forcée au christianisme, mais le récit de Mauvais sang correspond aux six premiers paragraphes de la prose liminaire : il faut superposer le souvenir incertain du festin ancien à la limitation du souvenir à cette terre chrétienne-ci, il faut voir que dans "Mauvais sang", l'idée de "se garder de la justice" prépare le fait de s'armer contre elle, de s'enfuir et d'attaquer les bourreaux, ainsi il faut très clairement comprendre que la Beauté injuriée et l'assaut contre les bourreaux c'est la scène finale de "Mauvais sang" qui nous la décrit, et qui assimile cette Beauté à la "vie française, le sentier de l'honneur" dans un en marche militaire et colonisateur !
Nuit de l'enfer décrit les instants dangereux du "dernier couac" frôlé de près, et la fausse note est le fait d'avoir avalé une fameuse gorgée de poison, ce qui est un abandon à Satan et donc à son désir d'entraîner le poète dans une mort qui est damnation éternelle, mais le poème Nuit de l'enfer est complexe, il s'agit aussi du moment où le poète rejette clairement l'inspiration de la charité en reprochant son baptême à ses parents notamment, car la complexité du texte vient de ce que la damnation par le poison est précédée par l'effet négatif du baptême qui prépare à ce malheur, et aujourd'hui je ne soutiendrai pas qu'il faut assimiler le baptême au poison, la dissociation est importante au texte ! Enfin, Nuit de l'enfer laisse entendre que le poison n'est pas simplement un danger de mort, mais il fait délirer, et le poison entraîne donc le récit de la charité ensorcelée de l'Epoux infernal avec la Vierge folle, l'originalité supplémentaire venant de ce que la description, la relation et confession va être faite du point de vue de la compagne Vierge folle et non du poète Epoux infernal, il cède la parole à un point de vue externe, et l'autre délire est celui du poète dont Nuit de l'enfer nous annonce explicitement qu'il s'agit d'une entreprise démiurgique concurrençant la religion ! Les échecs répétés au plan du couple et de l'alchimie du verbe vont amener le poète à réaliser qu'il se nourrit de mensonges ! La conscience de L'Impossible va ensuite mettre un terme aux deux grandes formes prises par les délires et dans un débat douloureux qui fait peser dans la balance L'Eclair du monde ambiant et le Matin des aspirations humaines l'automne d'un être usé annonce la sortie de l'enfer dans une sorte de lucidité retrouvée, mais lourde à porter !
A la fin de la prose liminaire, l'envoi à Satan annonce une soumission à Satan, nous découvrons dans l'Adieu qu'il s'agit d'un jeu de dupes avec Satan lui-même, le seul aspect d'abandon à Satan c'est que le poète renonce très clairement au christianisme, à la vie éternelle, pour chercher la clarté divine du monde tel qu'il est, et en acceptant que la vie est provisoire et qu'il y a la mort au bout du chemin à considérer philosophiquement ! Le poète ne se croit plus des pouvoirs cachés qui excéderaient sa vie terrestre !
Je reviens à Mauvais sang !
Le texte est composé de trois parties : les sections 1 à 3 sont le récit païen ou gaulois, les sections 4 et 8 initialement fondues l'une à l'autre comme l'atteste un brouillon qui nous est parvenu fait le récit d'une solitude exaspérée qui n'arrive pas à se convaincre de la parole chrétienne pour remédier à sa souffrance ! Dans ce récit s'est intercalé un autre récit celui de la conversion forcée du fuyard mélangé aux peuples en cours de colonisation, ce qui permet d'explicite le basculement de la section 4 et 8 puisque sans cet ajout nous avions une succession brutale d'un appel à l'aide à une punition pour insubordination : les récit des sections 5 à 7 a pour fonction de combler ce hiatus !
Disons déjà ce que nous comprenons globalement de l'identification du poète à un gaulois !
Le poète est un roturier qui vit cela comme une tare héréditaire et éternelle au sein de la terre chrétienne où il évolue et, l'auteur Rimbaud jouant sans doute sur l'idée d'inattention à la religion des enfants baptisés d'office par leurs parents, il élabore une petite péripétie : la société identifie le poète de la Saison qui a cherché à fuir à un esprit païen et pris au milieu des colonisés celui-ci se retrouve contraint au baptême ! Jusque-là, le poète ne se considérait que comme un barbare descendant des gaulois, ce qui signifiait au plan racial, notion dont il faut vraiment percevoir la signification patrimoniale, qu'il descendait des vaincus, de ceux qui n'avaient pas su fonder une civilisation romaine ou franque, et qui furent soumis ! L'idée raciale des livres d'Histoire et l'exaltation de la naissance chez les nobles, l'Histoire d France faite par des élites de sang, de robe et d'épée, bien distinctes du peuple, tout cela laisse supposer que par hérédité raciale le poète gaulois ne sera jamais capable de gagner une révolte, une lutte, de s'organiser dans le travail de manière efficace, etc ! Il va de soi qu'il s'agit d'une image d'époque que prêtait la culture du dix-neuvième siècle aux gaulois et que cela est complètement erroné ! Rimbaud s'identifie à la race inférieure, à la race stigmatisée : il est tellement plus valorisant de descendre d'un vainqueur franc ou romain ! En effet, opposés aux vainqueurs et à leur travail civilisateur, les gaulois sont plus proches de la barbarie et sauvagerie ! Il y a vraiment cette idée clef essentielle que s'ils ont perdu c'est qu'ils n'étaient pas capables de se battre correctement, ils n'étaient pas assez doués pour cela, et s'il faut accepter le discours des races nobles c'est que ce défaut est viscéral, ontologique pour prendre un grand mot de philosophe ! Ces gaulois sont également d'innocents païens, mais d'une innocence de "cervelle étroite", et la christianisation à effectuer sur eux a laissé supposer qu'ils étaient dans les péchés capitaux, en sus d'être dans l'idolâtrie et involontairement sacrilèges !
L'horreur des métiers du poète qui va s'étendre à un dégoût pour la marginalité retorse des criminels vient de ce que les gaulois sont des barbares qui ont été obligés de céder à la civilisation des vainqueurs ! Le criminel sait se révolter et se servir de la société, pas le gaulois barbare !
Mais, du coup, un pur gaulois en France est avant tout un parasite, d'où l'insistance sur le péché capital qu'est la paresse !
Voilà un peut tout le portrait du gaulois de la première section de Mauvais sang !
Ce portrait a un petit prolongement vers le début de la section suivante : les gaulois sont des barbares qui ne savent pas lutter et donc se révolter, mais qui pillent comme des bêtes, ils sont même un peu plus que barbares, il se rapprochent de la sauvagerie animale et ressemblent à ces loups qui n'attaquent pas la bête pour la tuer, mais pour en piller un bon morceau, et s'ils ne la tuent pas ce n'est pas par bonté, mais simplement que le pillage est leur seul raison d'attaquer, à tel point que la bête peut agoniser dans d'atroces souffrances, eux n'en prélevant qu'une partie nécessaire à leur consommation !
Je reviendrai plus tard sur ce texte pour approfondir tout cela et justifier mon analyse par la mise en perspective des procédés d'écriture du poète !
La seconde section correspond au "festin ancien où s'ouvraient tous les coeurs", il s'agit de l'enseignement édifiant de l'Histoire de France fille aînée de l'église !
Pour le "festin ancien", le poète disait "Jadis, si je me souviens bien", il plaçait un passé lointain nettement coupé du passé récent, puisque ce passé est envisagé comme un souvenir incertain ! L'écho volontaire est évident avec notre seconde section de Mauvais sang, jugez-en par des citations : " Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme" , voilà le cadre du "festin", "l'Eglise" qui étymologiquement unit en grec et donc "où s'ouvraient tous les coeurs" ! A la succession "Jadis, si je me souviens bien," répond ici la succession de deux verbes conjugués différemment: "Je me rappelle", "j'aurais"
"Je me rappelle l'histoire de la France fille aîné de l'Eglise J'aurais fait, manant, le voyage de terre sainte" l'alliance de l'immobile manant au voyage est parlante, puisque les livres de l'Histoire apportent un voyage culturel dans la tête d'enfants qui n'ont pas voyagé et le poète introduit clairement cette distance entre un vécu authentique et des visions qui remplissent l'esprit : "J'ai dans la tête" pas dans le souvenir finalement, "des vues" pas directes sans doute mais plutôt de l'esprit, "Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passé", donc je me vois en imagination nous dit-il, les scènes "s'éveillent en moi" nous dit le poète et il joue sur leur irruption phrastique D'un coup, il nous dit dans le télescopage des visions : "Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés", la juxtaposition des phrases-visions accentue l'idée de flashes cérébraux rapides qui ne sont qu'un jeu de l'imagination suite à une acculturation : "Plus tard, reître," "Ah ! encore !" Et l profane se mêlé au christianisme, lequel est déjà rongé par les prétendus souvenirs !
Il faut vraiment lire les souvenirs de cette seconde section comme une relation à un bagage issu des cours d'Histoire et des lectures sur l'histoire du pays, tout simplement ! Et là on goûte superbement le plaisir textuel d'Une saison en enfer, car on sait alors apprécier les procédés d'écriture du poète !
Il faut encore songer que les enfants sont baptisés étant bébés, et ici le poète s'il ne se dit pas baptisé se déclare acculturé et donc fait partie d'un festin social où il ne doit pas déchoir "
A cela s'ajoute un sentiment naissant de solitude, car l'histoire est faite par les seigneurs, la foule n'apportant qu'une contribution anonyme, et c'est le poids remarquable que met Rimbaud dans son texte quand il se dit que cette foule anonyme qui n'a pas la parole avait peut-être une langue différente des seigneurs ! Voilà quelle est la puissance du texte !
La suite de la seconde section passe au présent post-révolutionnaire et tient alors un surprenant discours réactionnaire ! Le poète se dresse contre le discours républicain et progressiste de son époque, mais pas au nom du légitimisme et de la religion, bien qu'inévitablement on puisse confondre le discours anti-progressiste de Rimbaud avec les réactionnaires proprement dits ! Verlaine basculera quelque peu de ce côté-là, mais ce ne sera pas le cas de Rimbaud et ça ne l'est pas ici, puisque dans la première section il a rejeté déjà l'idéal de vie honnête ce qui le désolidarise définitivement des chrétiens, bonapartistes et légitimistes, et pas seulement des orléanistes et financiers ! L'idée que "Le monde marche" suppose une providence, un messianisme laïc que le poète récuse et sur lequel il revient en termes explicites dans L'Eclair vers la fin de cette oeuvre : il parle d'un ecclésiaste moderne qui est un peu tout le monde et qui nous pousse en l'en marche de la science !
Ce qui choque Rimbaud, c'est que la science est au service d'une reconstruction d'une "noblesse" qui fera que même si la race inférieure a tout couvert on retrouvera l'articulation opposant les vainqueurs aux vaincus, les compétents aux ineptes, les vertueux aux vicieux ! Je ne sais pas comment affirmer qu'il y a allusion à Galilée dans la succession : "Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?" Je ne saurais pas dire si l'idée d'une allusion à "eppur si muove" est voulue ou non par Rimbaud, mais le calembour se comprend en-dehors de cette allusion qui n'a d'ailleurs pas à accaparer l'attention : le monde marche c'est l'idée de providence, et le monde qui tourne c'est l'idée de tordre le cou à la notion de progrès, c'est l'action de mettre en doute la réalité du progrès ! L'essentiel, c'est de comprendre cela, et l'allusion à la Terre qui n'est pas plate, mais qui est ronde et tourne sur elle-même, je ne suis pas sûr que cela guide correctement l'effort de compréhension des lecteurs ! Mais, c'est la fin de la deuxième section qui m'intéresse, car il semble qu'elle soit lue sans en apprécier l'ironie :
C'est la vision des nombres Nous allons à l'Esprit C'est très-certain, c'est oracle, ce que je dis Je comprends et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire
En réalité, il ne faut pas se faire piéger par le texte : la première section et tout le début de la seconde sur l'histoire de France formaient un récit au passé, alors qu'à partir de la phrase "je ne me retrouve qu'aujourd'hui" nous passons à un récit au présent et à partir de là il ne faut plus considérer que le poète analyse avec distance ce qui lui arrive, mais il le vit directement !
Tant que le récit est au passé, on fait confiance au poète, je veux dire qu'on considère que le poète a une pensée qui n'évolue pas, qui fait la synthèse de son passé et qui n'a pas d'humeur contradictoire ! Mais, lorsqu'il passe au discours au présent, cela change, et tous les lecteurs se rendent bien compte qu'ils en jugent ainsi pour l'essentiel du livre Une saison en enfer, mais en réalité le passage du passé au présent est tellement soudain et se fait tellement sans prévenir que beaucoup de lecteurs, la quasi totalité n'envisage pas que la parole raisonnée du poète cesse d'être stable non pas à partir de la phrase "Le sang païen revient" au début de la troisième section de Mauvais sang, mais dès le paragraphe que je viens de citer !
L'interrogation "Pourquoi le monde ne tournerait-il pas ?" aurait dû nous alerter, elle est l'amorce d'un débat conflictuel En ayant préalablement introduit des remarques sceptiques sur la science et la nation, le poète venait de citer le discours officiel : "La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès, le monde marche !" Son interrogation est une ouverture et il est aussitôt contaminé par la partie adverse dont il intériorise un instant le credo !
Car, en effet, en général, le commentaire sur cet extrait consiste à se demander ce qu'est "la vision des nombres" pour le poète ! On lui attribue cette idée comme personnelle, et on lui attribue la parole prophétique "Nous allons à l'Esprit" Les lecteurs sont alors convaincus que Rimbaud ou le poète qui parle ici est réellement plongé dans une quête métaphysique et qu'il cherche à formuler quelque chose qu'il perçoit inuitivement lui-même "Je comprends et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire", à tel point que dans sa notice pour le Livre de poche, Pierre Brunel considère que le récit d'Une saison en enfer "tend à devenir oraculaire et prophétique", oraculaire et prophétique voilà deux mots quelque peu étroitement synonymes ! et c'est bien sûr en s'appuyant sur le passage que je commente maintenant qu'il définit ainsi dans une autre partie de sa notice le texte comme "Une prose oraculaire" ! C'est le titre qu'il donne à une sous-partie de sa notice et cette sous-partie s'ouvre sur la citation précisément de notre paragraphe :
"C'est très-certain, c'est oracle, ce que je dis" : ainsi, dans "Mauvais sang", le païen, le damné pourtant, commente-t-il sa propre parole Une telle notation sert de guide pour suggérer les lignes d'une poétique de la Saison
Et l'idée de parole oraculaire est ensuite appliquée à une analyse d'ensemble de l'oeuvre !
Mais, est-ce que la construction "C'est très-certain, c'est oracle, ce que je dis" n'est-elle pas conçue de manière à faire sentir aussi un persiflage latent ?
Car, en réalité, la "vision des nombres" qui permettent d'aller à l'Esprit, c'est la "science", c'est le discours de l'Ecclésiaste moderne, c'est pour citer un poème des Illuminations "l'infini des mathématiques" de "ce monde" où le poète "subi/t/ tous les succès civils" ! "Je comprends" ou j'ai l'air de comprendre, mais déjà je ne saurais rien expliquer parce que dans le fond je suis cet inepte de païen gaulois à la "cervelle étroite" !
En fait, il ne faut surtout pas faire de ce passage une lecture au premier degré, et le persiflage qui lui fait écho dans la succession immédiate du premier paragraphe de la section suivante de Mauvais sang a de quoi le faire sentir avec éclat :
Le sang païen revient ! L'Esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide-t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté Hélas ! l'Evangile a passé l'Evnagile L'Evangile !
Plus loin, dans L'Impossible, il sera question du christianisme comme d'une preuve de la science, ce qui inspirera un net dédain au poète
Le sang païen revenant, l'attente de Dieu est associée au péché de "gourmandise", en réalité la première conversion, la conversion à la science, à la "vision des nombres" vient d'échouer !
Les notes de commentaires de Pierre Brunel vont dans le sens d'une dérision du texte, mais la notice montre clairement qu'au moins la prétention oraculaire de la parole a été lue au premier degré, et non au second degré comme nous y insistons présentement !
En effet, le contresens de Pierre Brunel consiste alors à attribuer au poète une part d'adhésion au discours sur la "vision des nombres", un début de conviction, ce qui n'est pas du tout le cas !
Le poète ânonne le discours progressiste, mais il n'est pas ici en train de témoigner en tant que voyant qui participerait de cette quête en la laissant finalement retomber !
Dans la collection Classiques Garnier, la note de Suzanne Bernard est clairement dans le contresens en attribuant au milieu communard réfugié à Londres cette conception de "la vision des nombres" : "Toutes ces idées sur la science et le progrès sont de celles qui avaient pu être agitées à Londres dans le petit groupe "communard" fréquenté par Rimbaud et Verlaine" ! Non, non, le "comme on dit" de Rimbaud était sans équivoque, "la vision des nombres" c'est la doxa du discours progressiste par la science ! C'est tout !
La troisième section est celle du retour du sang païen et donc du retour contre la science et le travail à la paresse, à l'oisiveté, au parasitisme, et à la conservation de soi par le mensonge !
On observe aussi que le personnage de "race inférieure" se sent complexé !
Repris par le paganisme, il quitte l'Europe et le travail pour essayer de partir voyager, mais ne le pouvant se contentera du "sommeil bien ivre" !
C'est l'occasion d'un rêve chimérique qui illustre la nature retorse du parasite ! Un ancien contresens sur ce texte semble aujourd'hui dépassé : les gens étaient convaincus que ce passage avait quelque chose de prophétique sur le départ en Afrique de Rimbaud, alors que c'est l'inverse c'est plutôt la répétition de rêve de voyage qui ont fait qu'il est parti, ne pas inverser l'effet et la cause !
L'interprétation qui voulait que Rimbaud prédise son avenir avait ceci de gênant qu'elle manquait la double signification du texte, lequel est une illustration de la perfide paresse annoncée dans la première section et une transposition du motif des loups qui pillent un bon morceau d'une bête sans nécessairement l'achever ! Il y a bien une valeur positive dans ce passage avec la phrase de nostalgie païenne : "Les climats perdus me tanneront", mais le personnage ici n'est pas le poète soucieux de son magistère, c'est le gaulois inepte qui a un vice et qui est très préoccupé de surmonter sa condition inférieure : et l'intérêt trouble du passage c'est qu'on observe que finalement le vice du gaulois et le même que ceux qui sont sauvés en étant mêlés aux affaires politiques, ce qui prépare bien évidemment, d'autant que le personnage a ici la peau tannée, la critique des "faux nègres", l'expression "faux nègres" étant à comprendre comme "faux exemples d'une race forte", de "féroces brutaux invincibles qui méritent le pouvoir", car ce sont des politiques qui ont trompé leur monde, voire qu'ils l'ont corrompu avec l'argent, comme ici le poète imagine "J'aurai de l'or" !
Voilà un peu l'essentiel de ce que je voulais déjà dire sur le premier récit en trois sections de Mauvais sang !
Le second récit est discontinu et concerne les sections 4 et 8 !
Là encore, il y a plusieurs contresens à éviter !
Le poète parle de son "vice" sans prendre la peine de le définir, et les commentateurs ont cherché à lui donner un nom, et des réponses étonnantes ont été proposées : le vice serait d'être prolétaire, le vice serait l'homosexualité ou la masturbation, etc!
Remarquons que pourtant le livre ne parle pas de masturbation, ni d'homosexualité, même si on parlera de travestissement dans le cas de Délires II, ce qui est inexact de toute façon, ni de prolétariat !
Le poète n'a de cesse de se plaindre d'être de "race inférieure" dans un chapitre intitulé "Mauvais sang", il est clair que le vice c'est celui de sa condition de gaulois inepte et maladroit pourri de tous les péchés capitaux, le poète employant même d'abord le mot "vices" au pluriel dans la première section !
Le vice qui subsume tous les vices, c'est l'appartenance à une "race inférieure" de toute éternité, et ensuite on peut approfondir la question de ce vice, mais à condition de respecter cette donnée imparable!
La quatrième section illustre l'absence de révolte par une phrase lapidaire "Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons", on reste encore dans la dissimulation, l'épreuve du poison est encore à venir !
Le gaulois fait donc toujours partie du festin de tous les coeurs, mais il est sur la tangente !
Maintenant, cette partie de l'oeuvre m'intéresse pour un contresens fameux : on sait que Claudel envisageait le poète comme "un mystique à l'état sauvage" et que Breton reprocha à Rimbaud d'avoir permis avec Une saison en enfer de laisser se formuler une récupération catholique de son oeuvre !
Pourtant, il convient de citer les cinq interrogations du paragraphe suivant qui sont une véritable exécution du christianisme par la raillerie :
A qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels coeurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? - Dans quel sang marcher ?
Ces cinq questions interviennent quand le poète est convié à une marche que la section 8 révélera être une marche civilisatrice conquérante ! Il ne faut pas seulement y lire de la confusion comme dans le cas de la phrase "J'attends Dieu avec gourmandise", ici ça va plus loin, le propos est aussi satirique que pour la comparaison elliptique "mêlé aux affaires politiques" de la section qui a précédé !
Le verbe "louer" joue sur un double sens et s'entend ici comme location de son être ! L'adoration de la bête est une hérésie pour le chrétien, mais ensuite quelle est la "sainte image" et quel est le "on" ? Car le "on" n'est pas le poète et la "sainte image" n'est pas une icône chrétienne, puisque le "on" est le groupe qui mène la marche française chrétienne civilisatrice et par conséquent la "sainte image" est une figure religieuse que respecte le "païen" par son verbe bien qu'il prenne l'idée de l'attaquer avec une certaine indifférence, mais l'idée foncière que sous-tend cette interrogation c'est que le christianisme s'attaque finalement à d'autres saintetés ! Et même sa marche conquérante brise des coeurs, joue sur la ruse et marche dans le sang !
Le poète s'y refuse en disant "Plutôt, se garder de la justice", la révolte se prépare, il est bien près de s'armer contre elle désormais !
Dans l'état initial de ce texte, le récit enchaînait rapidement sur la punition suite à ce refus d'obtempérer ! "Assez ! Voici la punition - En marche !" si on saute à pieds joints par-dessu le récit intercalé des sections 5 à 7 !
Et les questions sur le sens de la marche reprennent "Où va-t-on ? au combat ?"
Le récit intercalé avec la conversion des "enfants de Cham" permet de confirmer que la mission civilisatrice de la République avait à l'époque vocation à se répandre sur la planète au moyen de la colonisation !
Et j'en arrive alors au dernier contresens dont je voulais traiter pour cette fois, contresens qu'il convient d'évacuer non seulement des commentaires de l'oeuvre, mais du texte imprimé lui-même, puisqu'il s'agit du mot "outils" qui est en réalité une coquille pour le mot "autels" qui figure sur le passage correspondant du brouillon, lecture "autels" que ne conteste aucun éditeur de Rimbaud, puisque, à l'exception de la transcription initiale pour le catalogue de la vente Jacques Guérin en 1998 qui avait transposé le mot "outils" du texte imprimé, les établissements connus du brouillon, ceux qu'on trouve dans les éditions courantes récentes, admettent sans tergiverser la leçon "autels" !
Ce qui est étrange c'est qu'il n'affleure à la conscience de personne que "outils" dans le texte imprimé définitif est une évidente coquille !
Tout ce que j'ai pu dire dans cet article témoigne de l'importance de la religion, la marche décrite est colonisatrice et civilisatrice en supposant l'alliance bien connue du sabre et du goupillon, et c'est ce que dit en toutes lettres l'encre d'un brouillon de la main de Rimbaud "les autels les armes", et non la leçon imprimée "Les outils, les armes" par un ouvrier typographe qui a essayé de déchiffrer sur un autre manuscrit encore l'écriture d'un poète Rimbaud lui étant indifférent !
Car les gens ont bien peur de se tromper sur la signification de l'oeuvre rimbaldienne, alors l'état imprimé est devenu sacré, même face à un manuscrit de la main de Rimbaud lui-même, car le lecteur envisage la possibilité d'une variante !
Soyons sérieux, il y a une preuve de première main sur un manuscrit que Rimbaud a songé au mot "autels", le texte imprimé connu étant du coup d'une valeur de seconde main puisqu'il y a eu l'intermédiaire du déchiffrage d'un ouvrier-typographe !
De quoi parle Une saison en enfer ? D'une révolte contre la vie chrétienne réglée ou des outils du prolétariat ? Vous préférez la poésie d'Arthur Rimbaud ou bien la poésie surréaliste d'un ouvrier-typographe dont Breton n'aurait pas désavoué la méthode accidentelle de création poétique arbitraire : "les outils les armes"!
Alors, je répète ma question : vous préférez avec moi la poésie d'Arthur Rimbaud qui écrit "les armes les autels" ce qui est cohérent quant à son propos ou avec toutes les éditions du livre Une saison en enfer la poésie d'un ouvrier-typographe de la rue aux Choux à Bruxelles ! Une fois, deux fois, trois fois !
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