Il s'agit ici d'un article ancien en trois parties que je n'avais pas encore mis en ligne !
A
défaut de lettres qui ne nous sont pas parvenues, notamment celles envoyées à
Verlaine, nous savons que Rimbaud en 1871 a communiqué des poèmes en vers à
quatre correspondants. Il a envoyé quatre lettres à Demeny cette année-là, dont
deux contiennent trois poèmes chacune, celle dite « du voyant » du 15
mai (avec Mes Petites amoureuses, Chant de guerre Parisien, Accroupissements) et celle du 10 juin (avec
Les Poètes de sept ans, Les Pauvres à l’église, Le Cœur du pitre). Deux nouvelles
lettres à Izambard nous sont parvenues également, dont une, qui est souvent
qualifiée de « petite lettre du voyant », contient la première
version connue du Cœur du pitre, pièce
alors intitulée Le Cœur supplicié. Pour
sa part, Banville prend l’habitude des courriers où le vers l’emporte nettement
sur la prose et il a ainsi reçu une nouvelle lettre nettement dominée par la
teneur d’un poème long intitulé Ce qu’on
dit au Poète à propos de fleurs. Enfin, un nouveau destinataire
apparaît en la personne de Jean Aicard, poète qui a reçu une nouvelle
version des Effarés. Si nous
traiterons de la relation épistolaire avec Banville dans un prochain article
parallèle à celui-ci, nous allons nous intéresser présentement aux deux grands
rôles de confidents d’Izambard et Demeny. Précisons, au préalable, que trois
types de problèmes vont nous intéresser.
Premièrement,
ces inclusions de poèmes dans des lettres permettent de s’interroger sur la
datation de nouvelles compositions de Rimbaud entre octobre 1870 et septembre
1871. S’agit-il à chaque lettre d’inventions toutes fraîches ? Même s’il
est difficile d’apporter des réponses tranchées, il est important de préciser
le contexte d’émergence de ces poèmes, sachant que d’autres compositions
connues semblent dater de cette période et que, dans sa lettre du 15 mai,
Rimbaud prétend avoir composé 300 autres vers de deux poèmes demeurés
inédits : [La] Mort de Paris et [Les] Amants de Paris. Il
faut peut-être relativiser l’idée selon laquelle aucun texte de Rimbaud ne nous
est parvenu du mois de novembre 1870 au mois de mars 1871 inclus.
Deuxièmement,
bien qu’il soit question du prestige de deux lettres dites « du
voyant », les quatre correspondants qui ont eu la primeur de nouvelles
compositions rimbaldiennes : Demeny, Izambard, Aicard et Banville,
n’hériteront plus d’aucune autre missive du poète carolopolitain, une fois que
sera passée la date fatidique du 15 septembre 1871. Dans la mesure où Rimbaud
rencontrera Banville (et Aicard) à Paris, c’est le renoncement à tout échange
littéraire avec Demeny et Izambard qui va surtout intéresser le cadre de notre
réflexion. Nous pensons que la thèse traditionnelle sur le rôle de confident de
Demeny est erronée, et que, dans de telles conditions, un faux procès a pu être
fait à Rimbaud au sujet de son soi disant opportunisme littéraire. Selon nous,
Izambard était le principal correspondant de Rimbaud. Nous nous proposons de
relire les lettres à Demeny comme des épisodes de frustration et dépit en
grande partie causés par l’incompréhension du professeur, et nous estimons que
l’envoi des Effarés à Jean Aicard
n’est justement pas contradictoire avec le vœu du poète de brûler tous ces vers
de 1870, ainsi qu’Arthur l’a formulé à peu près au même moment.
Troisièmement,
avant les révélations d’Izambard et Darzens, Verlaine n’a jamais évoqué
l’existence des textes suivants : Chant
de guerre Parisien, Mes Petites
amoureuses, Les Poètes de sept ans.
Il semble même n’avoir jamais connu de version du poème Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs, comme si Rimbaud avait
répudié son poème en moins d’un mois, entre l’envoi de sa lettre à Banville le
15 août et son arrivée à Paris autour du 15 septembre. La liste de poèmes
divulguée par André Vial en 1975, dans son livre Verlaine et les siens. Heures retrouvées, conforte l’idée que
Verlaine a tout ignoré de ces compositions du temps de son compagnonnage avec
Rimbaud. Or, il faut savoir accorder à ce fait l’attention critique qui convient.
Nous
allons formuler nos réponses et hypothèses nouvelles en traitant des deux
correspondances à Demeny et Izambard l’une après l’autre, mais la première
partie de notre approche compte traiter globalement des six poèmes envoyés à
Demeny, en précisant d’ores et déjà les conditions générales de datation des
six poèmes et les raisons pour lesquelles certaines œuvres ne sont pas parvenues
à Paul Verlaine dans les mois qui suivirent.
Dans
un premier temps (et une première intuition peut avoir le mérite d’une certaine,
sinon lucidité, à tout le moins prescience critique), on peut penser que les
poèmes Mes Petites amoureuses, Chant de guerre Parisien et Le Cœur du pitre ont toute chance
d’avoir été composés dans cet ordre durant la période qui fit se succéder les
mois de mars, avril et mai 1871. Le poème Mes
Petites amoureuses peut éventuellement dater de la fin de l’année 1870
(nous y reviendrons), mais rien n’est moins sûr. En tant que « psaume
d’actualité », Chant de guerre
Parisien ne peut guère dater que du mois d’avril ou du début du mois de
mai. Le poème Le Cœur supplicié pose
la question de l’action : « Comment agir, ô cœur volé ? »,
ce qui invite fortement à le considérer comme une réponse à des critiques contre
la Commune de lettres à Izambard qui nous seraient inconnues parce que ce destinataire
volontairement ou non ne les auraient pas communiquées. Maintenant, les
datations des poèmes Accroupissements,
Les Pauvres à l’église et Les Poètes de sept ans sont plus
délicates. Celle du poème Accroupissements
est difficile à cerner, si ce n’est que la présentation en strophes de cinq
vers appelées quintils correspond à une pratique qui sera encore clairement
cultivée autour de juillet 1871 avec L’Homme
juste, mais aussi avec le poème dont Delahaye, qui le prétendait prévu pour
la rédaction du Nord-Est, a cité un
fragment : « Vous avez / Menti […] », celui donc qu’il a
recueilli dans ses Souvenirs familiers
en 1925. Le poème Les Pauvres à l’église
est daté évasivement de l’année « 1871 », il peut s’agir d’une
composition déjà ancienne de quelques mois. Enfin, si le poème Les Poètes de sept ans est daté du
« 26 mai 1871 », conformément à une fin de semaine sanglante dont la date
n’était pas encore fixée au 28 mai dans la presse mais pouvait encore osciller
entre le 26 et le 28, il s’agit d’une datation symbolique factice, – comme pour
le sonnet : « Morts de Quatre-vingt-douze… », qui a été déclaré
« fait à Mazas » à la veille de la proclamation de la République, – comme
pour Ce qu’on dit au Poète à propos de
fleurs daté du 14 juillet, commémoration révolutionnaire à la clef, – comme
pour Rêvé pour l’hiver, antidaté du
« 7 octobre » en relation avec un prétexte autobiographique probable.
Le poème Les Poètes de sept ans est
probablement antérieur plutôt que postérieur à la Semaine sanglante (l’émotion
causée par la répression est difficilement conciliable avec le souffle, même
sombre, de cette œuvre), et Izambard a prétendu en avoir connu une version
antérieure. Il va jusqu’à prétendre que le poème a été composé à Douai en 1870.
Toutefois, ce dernier témoignage n’est pas fiable, ce sur quoi nous reviendrons
dans la suite de notre étude. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que Rimbaud
a été pris par les événements, qu’il a travaillé au Progrès des Ardennes quelques jours, qu’il s’est rendu à Paris
« du 25 février au 10 mars » selon le témoignage de sa lettre à
Demeny du 17 avril. Il se serait même rendu un certain temps à Paris sous la
Commune, entre le 17 avril et le 13 mai, selon certains témoignages hélas
incontrôlables, sinon après le 15 mai lui-même et donc pratiquement en pleine
semaine sanglante. Il est par ailleurs peu probable que Rimbaud ait eu de l’encre
et des feuilles pour rédiger des poèmes lors de son ou ses passages à Paris. Par conséquent, on ne peut s’empêcher
de songer que les poèmes remis à Demeny (et Izambard) ont peu de chances de
relever d’une période d’activité poétique concentrée dans le temps. Ils peuvent
dater de retours à Charleville que sépareraient des escapades plus ou moins
prolongées, deux semaines « du 25 février au 10 mars », peut-être une
dizaine de jours soit avant le 13 mai, soit après le 15 mai.
Il
faut avoir bien présent à l’esprit que les lettres du 13 mai, du 15 mai et du
10 juin ne sont pas le reflet de la production poétique de Rimbaud au cours du
seul mois de mai 1871. On peut même penser que Rimbaud a dû très peu écrire
dans la seconde quinzaine de ce mois particulier. Enfin, à partir du moment où
l’on admet que les poèmes transmis par lettres peuvent être le reflet d’une
production laborieuse et souvent interrompue qui se serait étendue sur
plusieurs mois, on peut commencer à se dire que nous aurions peut-être perdu assez peu de poèmes de
Rimbaud pour la période novembre 1870 – mars 1871, souvent présentée comme une
époque lacunaire sensible, alors que les événements ne se prêtaient pas à
l’écriture, qu’ils se prêtaient même parfois plus à un lent mûrissement des
idées, y compris artistiques, alors que Rimbaud connaissait tout de même de
multiples activités qui l’absorbèrent jusqu’en juin (journalisme, bombardement
de Mézières, « voyages » pleins de péripéties, disponibilité quant à
l’actualité). Toutefois, tout bien pesé, ce qui s’impose plutôt, en observant les
faits, c’est que, si Rimbaud a très bien pu écrire une plus ou moins abondante œuvre
de novembre 1870 à février 1871, œuvre qui serait perdue pour l’essentiel, en
tout cas à partir de la fin du mois de février 1871 il y a eu des réalités
matérielles et des circonstances exceptionnelles qui ne lui ont pas toujours
permis d’écrire, et cela pour des périodes plus ou moins prolongées !
Comme les sonnets du cycle belge remis à Demeny ne furent pas saissis sur le
vif, mais sans doute composés à Douai même, les poèmes envoyés en mai-juin 1871
ne relèvent pas d’un état d’urgence où il faut envoyer de la copie fraîchement
pondue à un quelconque correspondant au moment de la Commune. Trois poèmes
peuvent être plus anciens : Mes Petites
amoureuses, Les Pauvres à l’Eglise,
Les Poètes de sept ans, sinon Accroupissements. Comme j’ai fait
remarquer que les quintils d’Accroupissements
coïncidaient avec ceux de compositions datées de juillet, j’observe la reprise
du quatrain des Reparties de Nina
dans Mes Petites amoureuses. Le poème
Les Pauvres à l’église est lui daté
évasivement de « 1871 », alors que nous ne sommes qu’au mois de juin et
que, à s’en tenir à la seule lettre du 10 juin, le poème Les Poètes de sept ans est antidaté avec précision « 26 mai »
et l’autre Le Cœur du pitre ne l’est
pas du tout ! On peut penser que le poème Les Poètes de sept ans est légèrement plus ancien, mais que sa
nouvelle datation équivaut à un remise en perspective, que le poème Les Pauvres à l’Eglise relève d’une
veine anticléricale dont au moins Un cœur
sous une soutane donnait l’exemple l’année précédente, ce qui laisse bien à
penser que ce poème pourrait dater de janvier ou février 1871, période d’ébullition
politique qui a préparé la Commune. Quand on lit Les Pauvres à l’église ou Accroupissements,
il y a quand même une question à se poser : est-ce que chacun de ces deux
poèmes donne l’impression d’avoir été composé avant, pendant ou après la
Commune ? Dans le cas d’Accroupissements,
nous savons que la création est antérieure au 15 mai ! Par ailleurs, j’imagine
mal la composition des Pauvres à l’église
après la semaine sanglante, et il me semble percevoir une gradation entre la
critique sociale vive des Pauvres à l’église
et la violence de défoulement d’Accroupissements.
En février, les élections faisaient sentir le danger d’un retour de la monarchie
et le poids d’une pensée réactionnaire ! Intuitivement, le poème Les Pauvres à l’église me paraît mieux
cadrer avec ce contexte-là, plutôt qu’avec les lendemains d’une révolution massacrée,
plutôt même qu’avec la ferveur du moment communard, car la parole du poète dans
Les Pauvres à l’Eglise manifeste encore,
à la différence d’Accroupissements,
non seulement la réserve mais le retrait, la pensée marginale du critique de la
société.
Venons-en
maintenant au problème crucial posé par le témoignage de la lettre du 15 mai à
Demeny. Faute de moyens financiers, Rimbaud n’aurait pas pu envoyer à son
correspondant deux longs poèmes communards de respectivement 100 et 200
vers : « Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire
débourser plus de 60 c. de port, – moi pauvre effaré qui, depuis sept mois,
n’ai pas tenu un seul rond de bronze ! – je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamètres,
Monsieur, et ma Mort de Paris, deux
cent hexamètres ! » Avec tout à la fois la mise en scène, l’adresse
injurieuse « Monsieur » en contexte communard, la symétrie simple et
parfaite des deux titres, l’abus des chiffres ronds, on peut penser qu’il
s’agit là d’une plaisanterie, d’autant que la lettre contient déjà trois
poèmes, dont on ne comprend plus dès lors pourquoi ils ont la primeur au
détriment des deux œuvres épiques ambitieuses. En fait, ces poèmes ont pu
exister et être détruits suite à une Semaine sanglante qui en contredisait la
portée. Rappelons que l’optimiste Chant
de guerre Parisien ne semble pas être parvenu entre les mains de Verlaine.
Rimbaud n’aurait pas été un voyant crédible en publiant un tel poème. La pièce Les Poètes de sept ans ne semble pas
elle non plus avoir été communiquée à Verlaine dans les mois qui suivirent, peut-être
en raison de confessions biographiques trop apparentes de la part de l’auteur
qui parle d’une mère, d’intelligence, de travail, etc. Il existe une autre
hypothèse au sujet des trois cents hexamètres. Rimbaud a pu annoncer à Demeny
deux projets, en les faisant passer pour des œuvres déjà accomplies. En effet, Rimbaud
envoyant au même moment son Chant de
guerre Parisien, ce 15 mai, il annonçait peut-être la suite de ses envois à
Demeny, car en partant du principe que Rimbaud attendait une réaction de poète
de la part de son destinataire, ce Demeny était censé s’intéresser à ces deux
pièces majeures dans la suite de leur relation épistolaire : Rimbaud
prenait ainsi un engagement à fournir un jour ces deux œuvres ! Hélas, il
est définitivement impossible de déterminer si les deux poèmes étaient déjà
composés ou seulement ébauchés le 15 mai 1871.
En
revanche, se prévalant peut-être de la datation « Mai 1871 »,
certains pourront penser que l’un de ces deux poèmes représente une première
version de Paris se repeuple. C’est
ce qu’a pensé Gérald Schaeffer dans son intéressante édition commentée des Lettres du voyant : « on se
contentera de suggérer que le second titre [c’est-à-dire Mort de Paris] pourrait désigner ‘l’orgie parisienne ou Paris se
repeuple’ : O cité douloureuse, ô
cité quasi morte. »[1] En
réalité, l’auteur s’est laissé piéger par une date symbolique. Le poème Paris se repeuple est antidaté du mois
de mai 71, mais il a été composé après, quand effectivement la capitale a
été repeuplée par tous ceux qui l’avaient fuie. Si Rimbaud évoque les
« niches de planches » pour cacher les « palais morts »,
c’est qu’il est au courant, et des destructions, et des premières mesures pour
cacher l’horreur des dégâts, ce qu’il a appris dans la presse du mois de juin. Pour
nous, l’idée serait plutôt de considérer que Paris se repeuple est bel et bien nourri des motifs métaphoriques
impliqués par ces deux titres inédits. Paris
se repeuple reflète une certaine idée négative des nouveaux amants de Paris
par opposition aux amants communards et il reflète une certaine idée d’une
ville de Paris qui ne meurt jamais, ce qui aurait été obligatoirement le sens
profond d’un poème intitulé Mort de Paris,
quand on sait que le 15 mai la semaine sanglante est tellement loin de la
pensée d’Arthur qu’il envoie le Chant de
guerre Parisien à son correspondant. Car, notre conviction est la suivante :
la répression versaillaise a pu rendre caducs le discours et les considérations
critiques des poèmes Chant de guerre
Parisien, Amants de Paris et Mort de Paris et précipiter la destruction
manuscrite des copies ou ébauches encore entre les mains d’Arthur.
Car,
décidément, Rimbaud n’a pas seulement rejeté l’essentiel de sa production de
l’année 1870, il a aussi renoncé aux poèmes Chant
de guerre Parisien, Les Poètes de
sept ans et Mes Petites amoureuses,
sinon à ses Amants de Paris et à sa Mort de Paris, pour des raisons
diverses que nous pouvons toujours essayer de cerner : démentis à ses
oeuvres donnés par le cours des événements, confessions psychologiques trop
apparentes (Les Poètes de sept ans),
agacement provoqué par un jugement dépréciatif de la part d’Izambard sur lequel
nous nous penchons plus loin (Mes Petites
amoureuses/« Un hydrolat lacrymal »). Nous pouvons constater que
la chronologie des poèmes de l’année 1871 est difficile à établir, mais deux
faits tendent à s’imposer. Les six poèmes envoyés à Demeny sont le reflet d’une
période créatrice longue et non courte. Ensuite, dans les poèmes qui sont
parvenus à Verlaine, nous pourrions avoir l’illusion à tort que certains
d’entre eux furent composés au moment de la Commune ou immédiatement après la
nouvelle de sa chute. C’est le cas évident de Paris se repeuple, morceau qui ne saurait être antérieur au mois de
juin et qui a été par ailleurs remanié à Paris au vu des versions distinctes
qui nous sont parvenues. Le poème Les
Assis est l’autre grand poème dont on se demande s’il n’a pas été composé
du temps de la Commune, si ce n’est qu’on peut objecter que l’œuvre se trouve
être étonnamment absente d’un quelconque courrier à Demeny. L’idée peut dès
lors apparaître d’une plus intense période d’activité poétique pour les trois
mois qui ont suivi juin, juillet, août. Plusieurs poèmes sont datés de ces
mois-là. Toutefois, Rimbaud n’est pas Victor Hugo et on peut commencer à
apprécier chez lui un rythme de production plus lent. C’est l’idée d’alternance
entre des moments de création importants et des temps morts qui tend
progressivement à s’effacer, au profit d’un maintien plus constant et plus
laborieux de l’effort de création poétique.
Ouvrons
une parenthèse. On sait qu’un jugement a
priori sur les pics d’intensité de la création rimbaldienne continue de
s’avérer pesant en ce qui concerne les poésies datées du printemps 1872, les
datations admises pour Une saison en
enfer et Illuminations, puisque
la légende critique consensuelle tend à admettre l’idée que Rimbaud n’ait
pratiquement rien écrit entre septembre 1872 – mars 1873, tandis que les poèmes
en prose des Illuminations auraient
été composés neuf mois après Une saison
en enfer. Il nous semble plutôt que Rimbaud a écrit constamment, mais d’une
manière peu abondante, jusqu’en juillet 1873. Selon nous, il n’a pratiquement
plus rien écrit suite au drame de Bruxelles, se contentant de tenter la
publication du livre Une saison en enfer,
puis de rassembler en un portefeuille de manuscrits les poèmes en prose composés
probablement du temps de son compagnonnage avec Verlaine. Cette parenthèse
n’est pas hors sujet. Cet article a pour but d’éclairer les démarches poétiques
du jeune Arthur en 1871, mais il s’inscrit dans une série d’études sur les
dossiers de poèmes de Rimbaud qui finiront par dessiner une perspective d’ensemble
quant à sa carrière de poète.
Pour
revenir à l’époque qui nous intéresse, les périodes de plus grande activité
s’expliquent aussi par certaines conjonctures. Rimbaud n’a pas pu composer énormément
de poèmes avant la fin de l’année scolaire en juillet 1870. Les événements ont
également des incidences non négligeables. On a trop tendance à parler de
l’écriture de Rimbaud, indépendamment des aléas biographiques, comme si la
proclamation de la Commune pouvait lui laisser le temps et l’esprit assez libre
pour composer Mes Petites amoureuses,
Accroupissements, Les Pauvres à l’église, Les Poètes de sept ans et puis quand
même un écrit engagé en prise directe avec l’actualité Chant de guerre Parisien. Les thèmes développés dans Accroupissements, Les Pauvres à l’église ou même dans Les Poètes de sept ans ne sont pas strictement dépendants du 18
mars et peuvent venir de plus loin. Seule certitude, certains poèmes ne nous
sont pas parvenus qui font regretter l’absence de correspondant de novembre
1870 à mars 1871, mais nous touchons là au problème posé aussi par Izambard qui
n’avait déjà recueilli aucun des nouveaux poèmes douaisiens de Rimbaud en
septembre – octobre 1870.
A
suivre…
(fin de la
première partie)
[1]
Gérald SCHAEFFER :
(éd.) Arthur RIMBAUD, Lettres du voyant
(13mai et 15 mai 1871), précédé de Marc Eigeldinger, La Voyance avant Rimbaud, Droz-Minard, Genève-Paris, 1975, p.153.
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