mardi 18 mars 2014

Prochainement : lectures de trois parties d'Une saison en enfer

Je ne chôme pas, je suis en train de préparer cette fameuse lecture d'Une saison en enfer. Mon commentaire en trois parties des Déserts de l'amour s'inscrit dans cette perspective de lecture d'Une saison en enfer et je vais revenir encore sur les liens entre plusieurs textes et du coup associer à mon commentaire de la Saison des études de poèmes des Illuminations.
Ma lecture des Déserts de l'amour est distincte de celle proposée par Steve Murphy en 2004 dans son livre Stratégies de Rimbaud. Nous nous rencontrons sur de fort nombreux points, mais Steve Murphy envisage une signification intime du texte, malgré l'ironie à l'égard du romantisme qu'il relève tout comme moi, et d'autres bien sûr. Pour moi, l'idée du "Je est un autre" et donc de l'exploration psychologique par l'écriture ne doit pas empêcher de distinguer les éthos, les dimensions éthiques, des personnages. Le héros des Déserts de l'amour est l'occasion de critiquer un rapport à l'amour, mais ce personnage n'est pas positif, et n'est pas présenté comme une figure possible de Rimbaud l'auteur. Rimbaud adopte une figure de révolté autrement déterminée (ou autrement déterminé, selon que vous vouliez envisager que le mot qualifie figure ou révolté) qui prévaut dans Le Bateau ivre, Une saison en enfer ou d'autres textes comme Vies, Guerre. Je cite Vies qui présente pourtant un portrait de "gentilhomme" à la "campagne" qui peut être rapproché du héros des Déserts de l'amour. Rimbaud n'est pas dans la mise en scène de soi dans Les Déserts de l'amour. Il se penche plutôt de manière grinçante, mais intéressée à en tirer un enseignement, sur un cas d'école romantique.
Evidemment, n'en déplaise aux universitaires, l'idée de Zola du roman expérimental est une imposture intellectuelle tendue à ceux qui ne comprennent pas ce qu'est la méthode expérimentale. Hélas, j'ai essayé en vain d'expliquer aux littéraires qu'il ne fallait pas s'acharner à passer pour débiles aux yeux des scientifiques, ce qui imposait de ramener les prétentions de Zola à de la naïve épicerie et poudre aux yeux. Le problème se pose quelque peu pour Rimbaud. Il est maître dans tous les détails de la création de son texte. Un poète montre, mais le poème n'est pas pour lui un lieu d'observations.Je me méfie de l'idée d'exploration psychologique par la poésie, parce que les gens s'ingénient à envisager cela de manière extrêmement confuse.
Pour moi, le texte parodique de Rimbaud montre par ses articulations que le discours romantique ne tient pas et il met en forme une thèse selon une modalité d'ouverture métaphorique du sens qui permet un prolongement, un sentiment des conséquences du raisonnement au-delà de ce que pourrait formuler explicitement le poète. Pour moi, c'est ça qui est rationnel, le reste c'est du charabia.
Cette idée de différencier les dimensions éthiques des personnages me permet de montrer le contraste entre des poèmes au demeurant fort semblables sur d'autres plans : le traitement sous forme de bilan, l'intérêt pour les mêmes thèmes, le réemploi de mêmes métaphores, et le retour d'une relation problématique au souvenir, texte après texte : Mémoire, Vies, Une saison en enfer.
Je me suis également écarté de la lecture de Murphy pour ce qui est des Déserts de l'amour, en minimisant la part des équivoques obscènes prêtées à l'Avertissement. Je trouve que ce régime sexuel fausse l'intérêt du texte qui est un amour absolu sans véritable point d'application, ça va au-delà du physiologique qui est lui-même plus que la seule question sexuelle. On me reprochera sans doute d'envisager pourtant une autre saillie obscène dans "murmure du lait du matin". C'est pourtant une articulation de la rêverie érotique déployée dans le poème et le sens séminal du matin associé au lait infantilisant me paraît saillante.

Prochainement donc je vais proposer une lecture de trois sections plus courtes et plus accessibles que les autres du livre Une saison en enfer, à savoir la "prose liminaire", L'Eclair et Matin.
Je vais apporter quelques améliorations à mon commentaire de la prose liminaire et renforcer ma lecture du texte que j'oppose à tous les travaux des autres critiques, je vais aussi proposer une lecture rythmique de ces trois textes pour dégager la différence entre poésie en vers et ce lieu-là de poésie en prose. Je vais montrer que ponctuellement localement il y a des symétries syllabiques volontaires, mais que la plupart du temps, non!
Cela n'a jamais été fait que je sache.
Je m'appuierai sur les ouvrages que je possède : l'édition commentée de Pierre Bruenl de 87, la thèse publiée chez José Corti également de Nakaji, le livre de Bandelier que j'ai intégralement photocopié jadis pour mes besoins, divers autres articles que je possède dans des revues ou que j'ai photocopié.
J'ignore jusqu'au sommaire du récent volume sur Une saison en enfer de la Revue des sciences humaines et je ne pourrai pas me reporter à la thèse de Yann Frémy publiée aux Classiques Garnier, ne la possédant pas.
L'intérêt qu'il y a à rapprocher ces trois textes, c'est que je vais revenir sur le "tout dernièrement" face à "la mort", en perfectionnant ma lecture de la prose liminaire, pour montrer que cela se passe précisément dans L'Eclair et Matin.
Ensuite, j'ai relevé dans le livre L'Art de Rimbaud de Michel Murat l'affirmation selon laquelle les deux textes Délires ne faisaient pas partie de la relation infernale.
Le contraire me semble évident. Dans la prose liminaire, il est question de jouer "de bons tours à la folie", ce qui veut dire passer pour fou à tromper la folie elle-même. C'est bien le sujet des deux Délires où le poète parle bien d'un système de la "folie qu'on enferme".
Certes, un récit chevauche Mauvais sang et Nuit de l'enfer et semble reprendre dans les dernières sections, en sautant à pieds joints par-dessus les Délires.
Mais, c'est un faux problème que d'accorder les deux Délires comme des digressions. Leur dimension infernale ne pose pas question, et avant même toute considération subtile sur le récit, il ne faut pas oublier que les textes sont les feuillets d'un carnet de damné. Tous les textes sont une gerbe du poète du temps de son vécu infernal, enfer dont il n'est pas sorti pleinement ni dans Adieu, ni dans la prose liminaire : j'expliquerai ce point.
Le commentaire de L'Eclair va me permettre également de traiter de deux points célèbres : le "aller mes vingt ans" et le "lit d'hôpital". Je vais les expliquer par le texte, et non par la biographie.
Parallèlement à la lecture rythmique, j'envisage un article comparant Rimbaud à Céline, article qui sera fameusement à l'avantage de Rimbaud, je ne vous dis que ça.
Des auteurs comme Céline ou Rebatet posent problème. Il est difficile de se complaire à aimer la compagnie de leurs livres. Je ne crois pas du tout qu'en étant un génie artistique on soit d'une sensibilité humaine forte, et, dans tous les cas, l'orgueil de Céline après la Seconde Guerre Mondiale est proprement celui d'un minable, à plus forte raison quand il est filmé avec une larme le long de la joue. On peut très bien être un sale type et être un génie artistique, mais dans le cas du romancier il y a une prime de compagnie. Ceci dit, dans la défense qui est prise de Céline, je précise ne même pas être convaincu qu'il soit un grand romancier complet, ne pas être convaincu que son style soit si génial que cela. La comparaison avec Une saison en enfer est intéressante, et je ciblerai Mort à crédit.

3 commentaires:

  1. Verlaine ne se trompe pas quand il cite Vagabonds : ce psaume fait bien parti d'une Saison en enfer.
    Maintenant entre nous, relisons la petite note que Rimbaud écrit à Franzoj en 1885 ou 1886 puisse que nous l'avons sous les yeux : tout est en place.
    Sinon il faut que je vous dise : vos chutes sont parfaites.

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  2. Ah Franzoj! le prête-nom! J'attends la suite avec impatience. Pour Verlaine, il cite ensemble Illuminations et Une saison en enfer, et puis la relative faisant état du "satanique docteur", donc on lui attribue une erreur imaginaire dans tous les cas. La note de Franzoj, à part que Rimbaud semble se comporter sans élégance envers une ex compagne, je n'ai pas assez d'éléments pour en juger et causer, je laisse tomber.

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  3. Je trouve ça bizarre ton message, Alf. Ne me dis pas que tu es dans le mépris de toi-même et que tu cherches à admirer des artistes qu'on peut rabaisser. De toute façon, si Céline est plus que méprisable et si Verlaine est méprisable (vis-à-vis de sa femme et de son fils), Rimbaud est seulement quelqu'un qui aurait pu en rabattre un peu, mais le bilan n'est pas détestable.

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