dimanche 23 mars 2014

Incroyable !

J'ai donné récemment un article où je montrais que Yoshikazu Nakaji avait une lecture similaire à la mienne de la prose liminaire d'Une saison en enfer. Mais, Nakaji faisait partie des contributeurs au volume de dix études sur Une saison en enfer dans lequel Jean Molino a relevé un contresens dans l'analyse de Pierre Brunel et l'a remplacé par un autre. Or, Nakaji a été invité à publier le commentaire portant sur Une saison en enfer dans le volume du CNED dirigé par Arnaud Bernadet pour le concours de l'Agrégation de Lettres Modernes de 2010 : Rimbaud, l'invisible et l'inouï, publication de 2009 par anticipation du concours donc.
Rappelons qu'au concours il n'y avait que l'oeuvre en vers et Une saison en enfer. On évitait Les Déserts de l'amour et Illuminations. Cerise sur le gâteau, c'est un extrait de la grande lettre dite du voyant qui est tombée à l'épreuve de linguistique, lettre qui n'est pas une oeuvre littéraire stricto sensu.
Steve Murphy a proposé le volume Rimbaud dans la collection Clefs concours Atlande très prisée des candidats, mais l'essentiel porte sur la poésie en vers. Il y a très peu de pages sur Une saison en enfer, alors qu'il y en a plusieurs sur l'Album zutique hors programme. La versification était abondamment traitée, alors qu'il était certain d'avance qu'elle n'intéresserait pas les organisateurs du concours.
Le volume du CNED présente le même déséquilibre, du zutique, de la versification et pratiquement qu'une analyse sur le vers. 20 pages seulement sur Une saison en enfer, celles de Nakaji, sur un ouvrage d'à peu près 200 pages.
La grande consolation dans les publications du concours venait du volume dirigé par Steve Murphy Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud dans la collection Didact Français aux Presses universitaires de Rennes. A part l'introduction et la conclusion de Steve Murphy, et l'article transversal d'Alain Bardel, on compte 11 articles sur Une saison en enfer face à 11 articles sur les poèmes en vers, équilibre parfait.
L'intérêt des 20 pages de Nakaji, c'est de voir comment il revient avec le recul sur sa thèse.
L'auteur énumère quatre motifs ambigus dans une première partie de son article : l'enfer, la saison, la conversion et la charité. L'ambiguïté en ce qui concerne l'enfer est mal posée. Nakaji se demande si le récit n'est pas la prosopopée d'un mort, la question ne se pose pas, la réponse est non. Pour ce qui concerne la "saison", il commet l'erreur banal de dire qu'elle commence au "printemps", ce qui est faux, puisque le printemps vient à la fin d'un descriptif de précédents actions de révolte. D'ailleurs, il faut bien comprendre que le "je me suis enfui" est la chute du poète. Certes, la Beauté n'était pas ce qu'elle devait être, mais le récit d'Une saison en enfer c'est l'histoire d'une révolte qui conduit à refuser la réalité parce qu'elle ne nous plaît et qu'on finit par surmonter. Et l'opposition symbolique "Nuit de l'enfer" et "Matin", il faut comprendre que le matin c'est le moment où on regarde le soleil se lever à l'horizon. Dans L'Eclair, le travail de "l'Ecclésiaste moderne" n'est qu'un orage dans la nuit, le poète redéfinit une conception du travail et du devoir qui n'est pas utopie dérisoire dans Matin. Il fixe un horizon d'appel du devenir humain. Je ne sais plus comment Bruno Claisse se positionne par rapport à Matin, je crois me souvenir qu'il en fait un dernier écran utopique à dépasser, ce qui ne me va pas. En même temps, Matin ne réactive pas pour rien l'idée d'un passé d'âge d'or avec lequel prétendre renouer "N'eus-je pas une fois..." La formule "une fois" en italique (je n'ai jamais su s'il valait mieux écrire "italiques" pour les caractères, comme on dit les caractères romains, ou "italique" pour le mode d'écriture, comme on dit l'écriture romane, gothique, j'ai tellement rencontré les deux possibilités), cette formule donc est de conte, mais il y a un appel dans ce texte qu'il n'y a pas dans Adieu, ni dans le rapport au "festin ancien" de la prose liminaire. On voit très bien que cela permet de ne pas maudire l'avenir et de comprendre qu'on a un devoir, un travail, car il est bien question de devoir à chercher dans Adieu. Matin est une double prise de conscience de ce qui n'est pas directement accessible, mais aussi de ce pour quoi il faut oeuvrer.
Je passe sur la notion de "conversion" pour arriver à la notion de "charité".
Là, stupeur! Nakaji semble avoir oublié sa propre lecture et s'aligne sur la lecture pourrie de Molino!
C'est épouvantable!
Lisez, et en prime, en liaison avec la question que vient de me poser Samantha, il cite de manière étrange le passage sur les deux amours, j'y reviens juste après la citation :

Troisième vertu théologale après la foi et l'espérance, [la charité] signifie d'abord "l'amour de [=pour] Dieu", puis "l'amour du prochain", comme créature de Dieu.  Rimbaud se montre conscient de cette double acception du mot dans "Mauvais sang", sans mentionner le mot même ("Deux amours ! je puis mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement"), en dénonçant l'injustice de la grâce divine qui lui paraît arbitraire. [...] logiquement, les damnés ne peuvent pas avoir de charité : celle-ci n'est qu'une illusion dans l'enfer. Remarquons surtout deux occurrences au début (le prologue) et à la fin ("Adieu") : Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit. / La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé! // Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi?La première occurrence oppose la "charité" à la "mort" que le démon préconise : elle est le moyen de s'éloigner de celle-ci, qui désigne l'état du damné. Quant à la seconde, la "charité" y est également envisagée comme un éventuel moyen de sortir de "l'enfer", mais dans une perspective négative. Mais, dans les deux cas, comme le pense Jean Molino, contrairement à la plupart des exégètes, la "charité" elle-même n'est pas mise en cause. "La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé!" : la seconde phrase ne tourne pas "la charité" en dérision, mais au contraire condamne en bloc toute la série de révoltes autodestructrices que racontent les les paragraphes 2 à 6 du prologue. Le verbe "rêver", ici péjoratif, ne concerne pas la "charité" mais bien ces révoltes. C'est là un geste de conjuration pour retrouver le "festin ancien", l'avant-enfer, au moyen d'un nouveau recours à la "charité". De même, si vers la fin d'Une saison l'idée de charité s'impose à l'esprit du locuteur, c'est toujours dans la problématique du rapport avec les autres. Tout au long de l'oeuvre, le locuteur adhère à l'esprit de la "charité" tout en rejetant un terme susceptible d'une condamnation avec l'amour forcé de Dieu.

Un peu plus haut, lorsqu'il traite du motif de la "conversion", Nakaji pose bien que le démon se récrie pour le détourner de la conversion. Mais c'est sans aucun doute un ingrédient paradoxal de l'erreur commise. Ce que ne voient pas les rimbaldiens, c'est la scène qui se joue à trois voix. L'inspiration propose la charité, le poète la rejette et Satan intervient en fustigeant l'hésitation. Ce n'est même pas qu'il ne tient pas compte de ce que le poète vient de rejeter la "charité", car justement il se sert de ce rejet "Tu resteras hyène", c'est un "oui, cette inspiration est un rêve". "Préfère les miens de pavots". Nakaji essaie ici de passer en force en affirmant la thèse sur laquelle il s'aligne, mais il faudra expliquer comment ce prétendu rejet des visions autodestructrices peut préluder à une déclaration d'attachement à Satan. Il va falloir se lever tôt pour m'expliquer ça.
Quelle catastrophe ! Heureusement que ce Jean Molino, dont l'autorité en impose à tous, n'est pas connu pour un autre article sur Rimbaud, parce que là les dégâts ils sont exceptionnels.
Oh, la vache !
Excusez-moi de la familiarité!

Quant au passage des "deux amours", il est mal cité par Nakaji.
Voici un extrait plus conséquent :

Le chant raisonnable des anges s'élève du navire sauveur : c'est l'amour divin. - Deux amours ! je puis mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement. J'ai laissé des âmes dont la peine s'accroîtra de mon départ ! Vous me choisissez parmi les naufragés ; ceux qui restent sont-ils pas mes amis ?
Sauvez-les
Il s'agit d'un passage de la sixième des huit sections de Mauvais sang, voici maintenant un passage complémentaire de la septième section :

Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des coeurs sensibles.
Le texte ne doit pas induire en erreur à cause de sa formulation. Nous n'avons pas un premier constat d'amour divin, puis une subdivision en "deux amours", l'un l'amour terrestre et l'autre le dévouement.
Nous avons un premier constat d'amour divin, puis le constat qu'il y a deux amours et que ce deuxième amour est l'amour terrestre, c'est-à-dire le dévouement. Et nous en avons une illustration avec l'intercession christique en faveur des naufragés.
Si le poète écrit "Plus besoin de dévouement ni d'amour divin", c'est bien que le dévouement n'est pas un autre nom de l'amour divin, mais bien la définition de l'amour terrestre qu'assez clairement malgré tout Rimbaud a défini par un fait de reprise : "mourir de l'amour terrestre, mourir de dévouement". A cause de la mention "Deux amours", il semble que la plupart des lecteurs interprète cette reprise comme l'énumération des deux. Mourir de cet amour-ci et mourir de cet amour-là. Pas du tout. Là, il y a contresens. Le "dévouement" est l'amour terrestre, et on pense à la pratique de la charité avec le siècle des coeurs sensibles. Dévouement qui s'articule à l'amour divin et ne s'y oppose pas, ne s'en dissocie pas, qui plus est.

12 commentaires:

  1. Je prends l'article d'Alain Vaillant dans le volume rennois Didact Français. J'ys li page 267 un commentaire de notre passage du prologue. L'auteur parle d'un récit d'une logique impeccable qui ne laisse subsister aucune obscurité. L'auteur ne fait que reprendre la lecture de Brunel en 87, mais en y ajoutant qu'elle est évidente. Il est vrai qu'une partie de la lecture était juste. La succession "clef", "inspiration" est bien analysée par Brunel, Nakaji en 87, mais Brunel attribuait l'inspiration au démon contrairement à Nakaji 87. Alain Vaillant suit Brunel: "C'est très logiquement un démon qui lui avait fait imaginer de si agréables hallucinations", le "festin ancien" donc. Et ce démon pourrait figurer un Verlaine épris de religiosité. Plus loin, l'auteur a bien vu que l'amour terrestre est le "dévouement", mais il l'oppose sans raison et bizarrement à l'amour divin (p.280) : fort de cet amour divin, il peut renoncer à l'amour terrestre ("le dévouement"), mieux, mettre son amour divin au service de son amour terrestre.

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    1. On trouve sur Google Livres d'Alain Vaillant La crise de la littérature: romantisme et modernité, 2005 (je ne sais pas comment mettre d'italiques ici). P. 165-167 il assimile la charité aux pavots, proposés par un Satan qui est assimilé à Verlaine. Cela contre l'opinion de Louis Forestier cité dans l'édition Poésie/Gallimard 1973. J'ai l'édition revue en 1984 et la note de Forestier n'a pas changé: il est "improbable" que Satan soit Verlaine et "En tout cas, cela n'apporte rien à la compréhension du passage." Vaillant juge cela "péremptoire." Forestier est bien intéressant pour "cette inspiration prouve que j'ai rêvé": "La phrase se nie en elle-même en un raccourci saisissant: un recours à la charité est impossible, s'il y est fait allusion, c'est qu'on est en pleine rêverie." (Je cite son édition de 1984.) Pour "Mauvais sang" Forestier ne s'attarde pas aux "deux amours" qui me posaient problème. (Je crois que je faisais par réflexe une opposition du type amour sacré/amour profane, en comprenant "terrestre" à peu près comme 'charnel'. J'ai cherché par curiosité "terrestre" dans le Littré en ligne et le TLFi et j'ai eu l'impression que l'expression de Rimbaud est ici originale, mais ce n'est que sur la base de quelques citations.) Pour revenir à Vaillant, sa lecture est diamétralement opposée à celle de Forestier. Vaillant va jusqu'à dire que "Malgré son anticléricalisme, il est remarquable que le principe de charité est toujours positivement caractérisé par Rimbaud." Pour Vaillant on a un adieu à la littérature et les lâchetés en retard sont les Illuminations qui témoigneraient d'une nostalgie persistante d'un festin que Rimbaud aurait pourtant renié. En gros côté Vaillant renoncement au bonheur terrestre (et à la littérature), désespoir, échec. C'est un peu tortueux: adieu à la littérature mais il continue quand même à écrire (bon ça ce n'est pas nouveau), rejet du festin/bonheur mais nostalgie quand même, et ce par le biais de l'écriture. Alors que pour "Adieu" Forestier comprenait: "Rimbaud rejette le poids de tout un passé (...) il est prêt à repartir. Il a fait le point. Tout peut recommencer."

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    2. Oui, Forestier paraphrase très bien le passage de Rimbaud. Pour les "deux amours", je cherche ce qu'on dit les autres, je n'ai pas encore trouvé grand-chose, mais je ne fais que commencer. Vu que Vaillant identifie bien que l'amour terrestre est le dévouement, mais l'oppose à l'amour divin, je me dis que vous ne devez pas être seule à avoir été piégée par l'extrait, je vais trouver forcément des textes qui en parlent à leur tour. C'était une très bonne question en tout cas. Je pense que les lecteurs ne comprennent pas alors ce que viennent faire là les coeurs sensibles et le couple "mépris et charité". Je reviendrai sur cela. C'est un point important.

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  2. C'est dingue, la thèse publiée de Nakaji en 1987 ne traite pas des "deux amours" apparemment, malgré plusieurs pages consacrées à Mauvais sang section par section. L'édition critique de Pierre Brunel ne s'y penche pas non plus, il identifie bien "amour terrestre" et "dévouement", mais sans trop d'explications il dit que l'amour divin est la deuxième parade, et l'amour terrestre la troisième, sans doute à cause du décrochage du texte "l'amour divin / deux amours, puis développement sur le dévouement", mais je traiterais cela comme une seule parade conjuguant amour de Dieu et amour du prochain. On dirait aussi qu'il y a une contradiction dans l'édition de Brunel de 87. C'est seulement dans l'introduction qu'il attribue l'inspiration de la charité à Satan. Dans ses Notes, il réduit à tort le mot "couac" à la dysharmonie, sans rien dire du passage qui nous intéresse, puis dans son Commentaire impossible de le prendre en faute cette fois-ci.

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    1. "Devant la menace de la mort, deux mouvements sont possibles : le recul, le retour au festin ancien ; le pas en avant, le saut dans la mort. Le premier est resté de l'ordre du songe ("j'ai songé" [...] "j'ai rêvé"]). Le second est celui que Satan essaie de précipiter ("Gagne la mort"). Le présent est fait de la tension entre ces deux mouvements. Il est vertige après un songe trompeur, mais aussi vertige devant la tentation du désespoir." La suite est plus discutable, mais n'intéresse pas notre extrait. Seul bémol "songe trompeur", qui fait passer l'inspiration pour une tromperie et donc va dans le sens d'une duplicité du démon, cela est étrange comme dérive alors que l'alternative vient d'être bien posée.

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    2. Voici dans le même ouvrage, mais au début de l'ouvrage cette fois, avant donc, le fameux passage qui détermine la lecture de quelques personnes et qui a entraîné la réaction de Jean Molino en faveur d'un autre contresens (page 65) : "Citation de deux paragraphe La charité est... / "Tu resteras hyène..." Puis le critique écrit : "Ce retour de la charité n'était donc qu'une suggestion malicieuse faite par le démon, et aussitôt retirée par lui, qu'une berceuse du sommeil et du songe pour un réveil plus brutal encore, qu'un opium venu s'ajouter aux poisons de l'enfer." Et il enchaîne "Quelle charité, le prologue ne le précise pas davantage." (amour évangélique ou charité sociale). Tout l'article de Molino est né de ses lignes, à essayer d'exclure l'idée d'un démon inspirant un désir pour la charité. Couplé à "sommeil" le mot "opium" indûment employé ici, mais sans justification, déterminait à penser que le rêve était le fait d'une drogue poison les pavots de Satan. L'explication sommaire "pour un réveil plus brutal encore" ne tient pas. Le "n'était donc" va un peu vite en besogne. Le fait que le sens de charité chrétienne n'est pas évidente au critique qui lui-même lance la piste de la charité sociale. Et, ah!, une perle en cette page 35 : dans la 7ème section, le mot charité revient avec ses équivalents, sa traduction ("dévouement", "amour divin"), mais le critique n'est pas clair en mettant ainsi dévouement et amour divin à la suite l'un de l'autre, alors qu'il y a idée des "deux amours" dans le texte, pas d'un amour-charité tout uni.

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  3. Merci pour toutes ces recherches. J'ai tenté un tour d'horizon sur le net à la fois des emplois d' "amour terrestre" et de commentaires du passage. Malgré assez peu de trouvailles ça prend de la place. Voici déjà ça:

    Jacqueline Biard, "Délires I ou le théâtre du double" (Lectures de Rimbaud, Université Libre de Bruxelles - Archives & Bibliothèques, 1982, pp. 117-124). Pour elle "Mauvais sang présente une première personne, 'je', écartelée entre 'deux amours': 'l'amour divin' et 'l'amour terrestre' ; entre deux bêtises: 'De Profundis Domine, suis-je bête!', 'La débauche est bête, le vice est bête'; entre la 'force' et la 'faiblesse'" (p. 118). Et la Vierge folle et l'Epoux infernal "incarnent tous deux les deux faces d'une unité perdue, celle précisément que la dernière phrase de la Saison annonce pour un futur hors-texte: 'je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, -- j'ai vu l'enfer des femmes là-bas; -- et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.'" (p. 121; désolée pour l'absence d'italiques).

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  4. J'ai aussi trouvé de 1947 "Le langage de Rimbaud" par Lionel J.S. Metford (University of British Columbia). Là Rimbaud ne s'intéresse qu'à l'amour divin, mais aux antipodes du catholicisme. C'est une recherche du bonheur qui pourtant délaisse l'amour terrestre. Pour le passage sur les deux amours: "A l'aide de cet amour divin, non pas à l'aide de l'amour terrestre qu'il a déjà quitté, le poète croit pouvoir pénétrer les formes superficielles pour trouver la vérité dans la religion. L'amour divin, n'est-ce pas le navire sauveur dont parle Rimbaud? La charité qu'exige cet amour lui fait demander: 'Ceux qui restent sont-ils pas mes amis? Sauvez-les!' Il le dit, sachant bien quand même que chaque homme doit être l'instrument de son propre salut. Les anges, affirme Rimbaud, ont un 'chant raisonnable'." (p. 14s). Détour par "Conte" avec son amour "multiple et complexe" assimilé à l'amour divin et par "Génie": "C'est au nom de cet amour que Rimbaud s'est mis à critiquer la religion catholique." (p. 16). Retour à "Mauvais sang": "L'amour, pour Rimbaud, exige ce qu'il appelle 'la liberté dans le salut' - cette liberté du révolté qu'il a toujours poursuivie et qu'il n'a jamais trouvée." (p. 17) Beaucoup plus loin un autre commentaire sur "Mauvais sang": "Le 'bon sens' lui fait croire qu'il est 'au sommet de cette 'angélique échelle'. Mais il voit que ce n'est pas vrai; c'est une autre forme de la 'farce continuelle'. S'il croyait ce qu'on lui disait, quand il aurait quitté ses goûts frivoles pour donner son amour à l'église, il serait sauvé; il n'aurait plus besoin de dévouement, ni de travail, ni de l'amour divin." (p. 175) Et la dernière phrase "il me sera loisible ..." est comprise comme "son désir continuel de trouver le bonheur" "par une compréhension de son propre esprit" (p. 55).

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  5. Loin de l'époque de Rimbaud je n'ai pas trouvé l'expression ''amour terrestre'', ce qui est opposé à l'amour de Dieu et à la charité chez est "l'amour du monde" (Augustin) et les "choses terrestres" (Thomas d'Aquin). Par contre dans deux ouvrages catholiques de 1704 et 1869 on nous cite un Olivero Bari qui "distingue six degrés d'amour" de terrestre à divin. "Or la charité du prochain est opposée à cet amour terrestre" ("La science universelle de la chaire ..." de J. Richard en 1704 p. 199 et "Dictionnaire de prédication ..." de C. Martin en 1869 p. 324). Le plus récent cite aussi p. 225 un abbé (Laboudère) pour qui la "charité [... retranche] tout attachement charnel et terrestre pour ne laisser que l'amour de Dieu". Il classe aussi George Sand parmi les "prédicateurs involontaires" (p. 256) parce qu'elle écrit que l'amour "est l'aspiration sainte de la partie la plus éthérée de notre âme vers l'inconnu", et je me rappelle qu'il y avait du G. Sand du même tonneau dans l'entrée "terrestre" du TLFi.

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  6. Enfin j'ai cherché côté Hugo et Lamennais. Chez Hugo dans le "Journal des idées, des opinions et des lectures d'un jeune jacobite de 1819" (III; "Littérature et philosophie mêlées") une note sur un auteur anonyme de "Méditations poétiques" où "la passion terrestre est presque toujours épurée par l'amour divin." Et dans l'introduction de la traduction de la Divine Comédie par Lammenais, la passion de Dante pour Béatrice après sa mort "sembla depuis lors flotter, en quelque sorte, entre l'objet réel ravi à son amour terrestre, et un type idéal où se concentrait tout ce que le poète concevait de plus haut dans ses contemplations religieuses et philosophiques." – Coeurs sensibles ?

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  7. Merci pour toutes ces infos, il va falloir les traiter maintenant, mais ce n'est pas un souci.

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  8. Il faut faire des pauses en écoutant du punk! (Le "il faut" n'étant pas contraignant)

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