mercredi 17 septembre 2025

Un peu de réflexions improvisées sur "L'Impossible" et "L'Eclair"

Je reprends l'étude sur les sections "L'Impossible" et "L'Eclair" considérées comme le moment de évélation où le poète opère un choix décisif qui va contribuer à le sortir de l'enfer.
Le récit "L'Impossible" s'ouvre par deux énigmes. Le poète évoque une vie de son enfance qu'il dénonce comme sottise, puis il entame un raisonnement où il se donne raison d'avoir méprisé des bonshommes, ce qui en apparence à tout le moins contredit le propos "fier de n'avoir ni pays ni amis". Reprenons ces passages :
 
   Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays ni amis, quelle sottise c'était. - Et je m'en aperçois seulement !
 La suite du tel texte contredit-elle nécessairement ce premier alinéa de "L'Impossible" ? L'expression "fier de n'avoir ni pays ni amis" est à mettre au centre de l'analyse, puisque à la fin de "Adieu" le poète parle de l'absence de "main amie" pour le secourir et finit par considérer qu'il vaut mieux rester dans le mépris de l'amitié des autres, et on notera que dans le dernier alinéa de "Adieu" on a un mépris qui contraste avec "l'enfer des femmes", comme ici on va avoir le mépris pour des "bonshommes" "parasites de la santé et de la propreté de nos femmes". Ce clivage où les femmes sont en-dehors du groupe où se forger des amitiés est un peu déconcertant, mais faisons avec ! On est au XIXe siècle, il n'était pas étonnant de penser d'un côté le monde des hommes, de l'autre le monde des femmes, Rimbaud joue avec ce principe traditionnel, soit ! Mais la fierté de n'avoir aucun ami ne doit pas faire oublier l'autre terme "ni pays". Or, dans la suite du texte, le poète déclare que traversé par deux sous de raison (ce qui n'est pas très solide en soi) il comprend qu'il a mis trop de temps à comprendre qu'il était en occident. Ce qui veut minimalement dire qu'une sottise qu'il accorde à son souvenir c'est d'avoir cru n'avoir aucun monde. Il y a l'idée qu'auparavant il ne pensait pas le cloisonnement occidental, et désormais c'est il en a pleinement conscience. Le fait de se conduire de manière désintéressée était aussi une sottise. Il reste alors le cas d'une enfance sur la route par tous les temps et d'une sobriété surnaturelle. Le terme "surnaturellement" est d'évidence ironique. Il a son écho et sa fin de non-recevoir dans "Adieu" : "J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels." Cette enfance sur la route était visiblement le lieu de création de "toutes les fêtes", des "nouvelles fleurs" et des "nouveaux astres".
Au sens strict, Rimbaud n'a pas connu une telle vie errante sur les routes. Même ses fugues de 1870 n'y correspondent pas, témoignage de voyage en train à la clef : "Rêvé pour l'hiver" si on se permet de prendre en considération les indices autobiographiques du péritexte : "En wagon, le 7 octobre".
On peut pour creuser l'étude de ce premier alinéa faire des rapprochements avec d'autres passages où le poète parle de son enfance, de ses trajets sur les routes, de sa vie, et on pense notamment à la cinquième section de "Mauvais sang", mais je m'arrêterai là pour l'instant. Passons aux alinéas suivants :
 
   - J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propreté et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous.
   J'ai eu raison dans tous mes dédains : puisque je m'évade !
   Je m'évade !
   Je m'explique.
Le poète va s'expliquer, dit-il, mais il y a ici un fait intéressant à relever. Ces alinéas sont souvent lus comme l'étrange contradiction de l'alinéa précédent. Le poète se reproche d'avoir été fier de n'avoir aucun ami et le voilà qui se vante d'avoir méprisé les autres pris comme l'ensemble de "bonshommes". Ensuite, il prétend s'évader alors qu'il venait de se reprocher comme une sottise son errance sur la grande route. Mais les contradictions ne sont qu'apparentes. On peut vouloir des amis et ne pas avoir à se reprocher le mépris pour de tels profils de bonshommes, et surtout le fait intéressant que je veux relever, c'est que l'évasion ne consiste pas à errer sur la grande route, mais à exercer ses dédains. L'évasion vient du refus de suivre le comportement de tels bonshommes. Je pense que beaucoup de lecteurs ne font pas spontanément ce lien entre "je m'évade" et "la grande route par tous les temps", mais comme ce rapprochement est banalisé par les annotations un amateur des poésies de Rimbaud finit par y être contaminé, et c'est de toute évidence un contresens qui fait considérer que Rimbaud se contredit d'un alinéa à l'autre par la volonté d'écrire un texte rempli de confusion mentale.
Le recoupement entre "Je m'évade" et "la grande route" nie les décalages du discours.
Poursuivons :
 
    Hier encore, je soupirais : "Ciel ! Sommes-nous assez de damnés ici-bas ! Moi, j'ai tant de temps déjà dans leur troupe ! Je les connais tous. Nous nous reconnaissons toujours ; nous nous dégoûtons. La charité nous est inconnue. Mais nous sommes polis ; nos relations avec le monde sont très-convenables." Est-ce étonnant ? Le monde ! les marchands, les naïfs ! - Nous ne sommes pas déshonorés. - Mais les élus, comment nous recevraient-ils ? Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux élus, puisqu'il nous faut de l'audace ou de l'humilité pour les aborder. Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénisseurs !
 On constate que Rimbaud reste pris dans le procédé de la rime interne facile au moyen de suffixes : "de la propreté et de la santé", "hargneux et joyeux". Ce n'est pas un procédé génial, et Rimbaud ne devait avoir aucun mal à s'en apercevoir. S'il l'emploie, c'est qu'il veut faire sentir le tour affecté de sa prise de parole. Je remarque aussi que Rimbaud parle du passé récent "hier" et articule cela avec la fierté de n'avoir aucun ami, puisque quand Rimbaud "La charité nous est inconnue" et "nous nous dégoûtons" c'est fatalement cette fierté-là qui est mise en avant et le rejet des marchands et élus conforte l'idée. Ce qui est intéressant, c'est que le poète donne ces propos rapportés comme une pensée d'hier. Il y a donc eu une césure. On sait que ce n'est pas le retour à la charité, vu qu'elle est rejetée dans la "prose liminaire" qui cite comme étant déjà rédigé "L'Impossible" en tant que l'un des feuillets du carnet de damné. Il va de soi aussi que la damnation va de pair avec l'absence de charité des cœurs misérables ici décrits. Le poète s'adresse au ciel comme un intercesseur, pastiche ou parodie d'un pieux chrétien, mais la charité n'est pourtant pas à l'ordre du jour dans ses propos, d'ailleurs peu amènes : "nous nous dégoûtons". Il est sensible que ce passage prolonge les discours de "Mauvais sang", ce qui fragilise les théories de lecture sur Une saison en enfer où à part "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", l'essentiel aurait été après le drame de Bruxelles. Il est clair que la section "L'Impossible" a dû avoir un premier jet en mai ou juin 1873. Peu importe que cela soit impossible à démontrer, c'est une réalité de fait que les pensées formulées dans "L'Impossible" sont dans la continuité des développements de "Mauvais sang". Les deux textes procèdent d'une unique pensée de départ.
 
   M'étant retrouvés deux sous de raison - ça passe vite ! - je vois que mes malaises viennent de ne m'être pas figuré assez tôt que nous sommes à l'Occident. Les marais occidentaux. Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré... Bon ! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les développements cruels qu'a subis l'esprit depuis la fin de l'Orient... Il en veut, mon esprit !
 L'incise "- ça passe vite !" est intrigante, parce que cela semble faire passer tout le récit "L'Impossible" comme une réflexion dérisoire, comme si tout ce que disait l'artiste était à prendre au second degré, si pas pire. Si on laisse de côté la question de la dérision, il y a une idée que j'ai déjà précisée, la vie d'enfance du poète était dans les "marais occidentaux", la sottise est d'avoir cru à la sobriété surnaturelle et quelque peu à la vie heureuse sur la grande route. Le "quelle sottise c'était" peut aussi sous-entendre que la vie "sobre surnaturellement" n'a pas eu lieu et qu'elle n'était tout simplement pas accessible. Le récit s'intitule "L'Impossible", difficile d'être favorable aux lectures qui supposent que le poète regrette une vie d'enfance qui a eu lieu. La sottise était de croire cette vie possible. Plusieurs commentateurs supposent que Rimbaud parle de son enfance de manière imagée, ce qui peut s'entendre, sauf que le vrai sujet c'est la fausseté de cette aspiration, ce qui fait que l'admettre comme un souvenir fait fi des plaintes du poète. Le poète ne se plaint pas d'avoir été heureux par illusion, il se plaint de souffrances qui font que cette errance ne rapportait pas le plaisir, l'état de grâce surnaturel. J'observe aussi que ce passage rappelle jusqu'au vocabulaire les passages philosophiques des lettres dites du voyant : "En tout cerveau s'accomplit un développement naturel", "les développements cruels qu'a subis l'esprit". On remarque alors un déplacement du "Je" au syntagme "mon esprit". Et on remarque que l'esprit s'oppose précisément aux deux sous de raison, donc l'esprit s'oppose à un éclair de lucidité. Ici, on a affait à un esprit chargé de chaînes de développements occidentaux.
Rimbaud précise ici l'impossibilité pour un esprit de redevenir vierge et on peut à ce moment-là entendre l'ironie de la fin du texte : "Par l'esprit on va à Dieu", comme la dénonciation d'une charge mentale qu'on ne saurait plus déposer, perte donc de la pureté originelle.
A propos des termes "lumière", "forme" et "mouvement", on note que "forme" et "mouvement" sont en couple dans "Alchimie du verbe", mais avec un sens apparemment nettement distinct : "la forme et le mouvement de chaque consonne". Yves Bonnefoy songe à l'expression partielle des quatre causes de la philosophie aristotélicienne, mais "lumière" se substitue à "matière" et il manque la cause finale. Le couple "forme" et "mouvement" est très présent dans les textes philosophiques français du XIXe siècle. Je n'arrive pas à être parfaitement sûr que la référence soit fait aux quatre causes aristotéliciennes, mais il est évident que Rimbaud adopte ici le profil de tournures phrastiques d'époque dans les livres de philosophie.
 
   ... Mes deux sous de raison sont finis ! - L'esprit est autorité, il veut que je sois en Occident. Il faudrait le faire taire pour conclure comme je voulais.
 
La conclusion pourra être par conséquent : "Par l'esprit on va à Dieu. / Déchirante infortune !"
Le combat reprend sous la domination autoritaire de l'esprit. Le poète se soumet au cadre fixé, il essaie d'expliquer qu'il ne pensait pas à la sagesse bâtarde du Coran quand il parlait d'Orient. En effet, l'Orient, ça peut être l'extrême-Orient, la Chine notamment, ça peut être l'Inde, ça peut être le monde musulman. En précisant qu'il ne pensait pas au Coran, le poète parle donc d'un Orient biblique originel, et il avoue un peu plus loin qu'il pensait au mythe de l'Eden, mais ce faisant il parle d'un Orient qui n'existe pas au plan historique, un Orient chimérique.
Rimbaud raille par l'énumération en mettant sur le même plan : martyrs, artistes, inventeurs et pilleurs.
Il confond le Christ avec Monsieur Prudhomme et la science est conçue comme mise au service de la philosophie, ce qui correspond aux textes philosophiques français de l'époque où le devoir de la philosophie est de servir la religion, même si la religion doit s'interdire d'empiéter sur le domaine de la philosophie.
Rimbaud cite précisément les "philosophes", donc il a forcément des lectures d'époque en tête quand il rédige "L'Impossible". Le problème, c'est que la prétention à être philosophe, surtout au XIXe, va très au-delà des textes admis ensuite par l'université ou l'instruction publique.
La dénonciation de l'ivrognerie et du tabac est assez déconcertante tant sous la plume de Rimbaud que sous la plume du narrateur de "Mauvais sang".
Rimbaud semble avoir lu des textes qui philosophent en expliquant que le monde n'a pas vieilli, et qu'on peut se construire autant de représentations occidentales du monde qu'on veut, façon d'évacuer l'idée d'un Orient originel. La phrase : "Philosophes, vous êtes de votre Occident" a une rhétorique similaire à "Empereur, vieille démangeaison, tu es nègre !" de "Mauvais sang". Les philosophes disent que les gens se construisent des occidents, sans voir que leur discours est aussi la construction illusoire d'un occident.
L'alinéa qui suit a une importance réelle :
 
    Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi ! - Ah ! la science ne va pas assez vite pour nous !
Le poète se refuse à trouver son salut par la violence, on pense au glissement qui va de l'insulte initiale à la beauté à "je sais aujourd'hui saluer la beauté." Le problème du poète est devenu la lenteur de la science, le poète ne cherchant pas à être un chercheur, un scientifique, lui-même. Toutefois, il adhère à l'idée que la connaissance est le fruit du travail de toute l'humanité et que beaucoup de progrès restent à faire. Rimbaud dit clairement qu'il doit composer avec l'état des solutions proposées à son époque et que s'il veut y contribuer il ne fera pas les progrès qui conduisent à une conclusion définitive immédiatement accessible.
Il y a l'acceptation que la quête de la vérité relève d'un parcours de l'humanité qui dépasse les capacités d'un seul homme.
Cela se termine par l'idée que l'esprit sans la vérité dort et qu'il existe un état primitif pur qui a été altéré. Il demeure l'idée d'une chute originelle, question lancinante qui va être reconduite dans "Matin" et qui pour les hommes du vingtième ou du vingt-et-unième siècle n'a pas vraiment de sens. Rimbaud pense plus que visiblement dans le cadre de son époque, même s'il ne lui était pas inaccessible que l'évolution historique de l'homme s'était faite sans chute. Le discours de "L'Impossible" est articulé à un substrat culturel qu'il faut admettre comme support de lecture et non récuser comme absurde si on veut entrer dans les finesses du discours rimbaldien.
Dans "L'Eclair", le travail devient la solution d'évidence à la science trop lente, mais cette lenteur n'est pas possible à combler pour une vie d'homme au XIXe siècle, ce qui fait que la recherche de la vérité ultime de la science est tout de même une vanité à notre échelle humaine.
Il y a une dissociation qui s'opère entre le travail d'une humanité qui se renouvelle sans cesse par les générations, tandis que le poète, plus personnel, considère que sa vie "est usée". L'expression "Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt ans" veut-elle dire atteindre les vingt ans d'âge ? Je n'ai jamais trouvé cette lecture claire et allant de soi. Travailler vingt ans serait peut-être l'idée. Les autres n'arrêtent pas leur vie à vingt ans que je sache. En tout cas, le poète se révolte contre la mort après le refus de tout salut violent, tout en constatant que les "récompenses" pour l'humanité sont au-delà d'une vie personnelle considérée comme en bout de course. Le poète n'aura ni les récompenses de la fin des temps, ni l'accès à l'éternité.
Face à cette condition, le travail n'est pas la réponse à ce qui semblait impossible dans la section précédente.
Le poète dénonce les méchants et les fainéants en ce monde, mais on note qu'il s'en rapproche par la feintise et plus directement la fainéantise, sauf que ce propos précède la révolte contre la mort. Or, dans "L'Eclair", les méchants et les fainéants sont classés parmi les "cadavres". Dans "Adieu", le poète parle d'un projet d'atteindre à la "clarté divine". Et on passe bien du dernier soubresaut de mépris pour le devoir, mis de côté, à la nécessité de s'en chercher un dans "Adieu". Il y a donc de toute évidence un lien qu'on ne peut dire que spiritualiste qu'opère Rimbaud entre le refus de la mort et le devoir à chercher sur terre. Ce devoir ne sera pas la charité, mais Rimbaud considère qu'être fainéant ou méchant c'est être comme un cadavre. L'exigence de vie chez Rimbaud passe indéniablement par une éthique. Celle-ci est déconcertante par certains aspects finaux, le fait de railler les autres dans leur vie de mensonge, mais Rimbaud a clairement structuré de la sorte son récit. Il ne souhaite pas pour lui la vie des bêtes.
 
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EDITE 18h30 :
D'autres idées affluent à mon cerveau. Profitons-en.
A propos de l'expression "sobre surnaturellement", il ne s'agit bien sûr pas d'une allusion à l'alcool. Il s'agit d'une vie errante sur les routes, dans un état de mendicité patent, et cette sobriété consiste à exiger le moins possible de nourriture. La personne sobre surnaturellement prétend vivre de très peu, en-dessous même de ce qu'on savoir être la limite des des besoins d'un être humain. Donc cela donne déjà l'idée que cette vie de l'enfance était plus désirée et rêvée que vécue, puisque le poète ne se rend qu'à présent compte qu'elle était une sottise. Il en rêvait de cette vie étant enfant, mais il ne l'a pas vécue. Sinon il se serait rendu compte avant du problème de cette sobriété surnaturelle. Ajoutons que le motif de la sobriété va de pair avec l'idée qu'un être humain consomme pour vivre dans le monde ambiant. Il serait anachronique de parler du thème du consommateur, mais un être quand il est au monde il faut qu'il consomme, c'est un peu l'idée aussi qui fait se rendre compte que la posture de la sobriété surnaturelle est absurde.
On dira que j'enfonce des portes ouvertes, mais de mémoire les commentaires que je lis sur cette vie de l'enfance du poète font comme si quand le poète dit : "Ah ! cette vie de mon enfance..." il parle d'un souvenir du passé, alors qu'il parle du souvenir d'un désir qu'il chérissait, ce qui n'est pas la même chose.
J'ajoute une autre corde à mon raisonnement.
On compare inévitablement ce premier alinéa de "L'Impossible" avec le premier de "Matin" et avec le premier de la prose liminaire, et on y ajoute la comparaison avec le passage "Encore tout enfant..." dans "Mauvais sang", mais il y a une chronologie du récit qui veut que le poète ait d'abord écrit et donc pensé "L'Impossible" et "Matin" avant de rédiger la prose liminaire.
Cela me permet de glisser deux remarques qui ne sont pas inintéressantes. Premièrement, si je laisse de côté "Mauvais sang", on part du regretEnfin, nce heureuse à écrire sur des feuilles d'or, et on poursuit avec la mise en doute d'un festin où tous les coeurs s'ouvraient. Notons tout de même que le vagabondage sans ami s'oppose au festin des coeurs. Dans la progression, on voit se développer le doute sur les souvenirs, puisqu'ils sont distincts : "Ah ! cette vie... quelle sottise c'était !" Là, la sottise était plutôt d'y aspirer. Dans "Matin" qui parle d'éveil du jour après le regret pour le poète de ne pas avoir un esprit bien éveillé à la fin de "L'Impossible", on  a un doute sur cette enfance, et dans le prologue on a un doute puis un rejet : "j'ai rêvé", ce qui veut dire aussi qu'on a un raisonnement de rejet des faux souvenirs mensonges qui s'est parachevé au niveau de "Adieu" et qui est passé dans la prose liminaire !
Ensuite, dans "Mauvais sang", la phrase : "je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme!", je l'ai déjà commenté comme l'expression des souvenirs créés par la culture : histoire du passé qui transcende la vie d'un seul homme pour se fondre au destin de la communauté et subordination religieuse. Dans le prologue, le "festin" est une duperie culturelle du christianisme qui nous prétend une origine en Dieu. Mais on peut ajouter que "je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme" confirme du coup que le "festin" renvoie au christianisme, l'un des deux pôles du souvenir pour le poète" et cette phrase prépare aussi la découverte que le poète ne s'est pas assez figuré faire partie du monde occidental.
A défaut d'en avoir les livres sous la main et avec la flemme de relire le texte sur "L'Impossible" d'Alain Vaillant que j'ai lu hier ou avant-hier, je suis allé chercher ce que disait Bardel sur son site à propos de "L'Impossible". Je n'ai pas son livre à portée de main, ni aucun livre. Même le Clauzel, je l'ai déjà égaré. Enfin, bref ! Je vais sonder un peu ce qui s'est dit, puisque Bardel rend compte de ses lectures ou s'il n'en rend pas compte il les reflète ou il crée un discours qui naît des impressions provoquées par ses lectures.
Je suis allé sur "Anthologie commentée", le texte de "L'Impossible" n'était pas en gras, ce qui voulait dire qu'en principe il n'aurait pas de grosse lecture consacrée, mais j'ai cliqué sur le texte et en bas de la petite présentation j'ai eu un lien sur un article plus fouillé.
Je vous mets les liens.
 
 
On remarque que Bardel traite le propos philosophique avec un relatif anachronisme : "Descartes, hegel et autres". Rimbaud ne connaissait sans doute pas grand-chose des philosophes allemands. Il connaissait certainement de nombreuses remarques sur Kant, mais pour quel accès direct aux textes et à la pensée même du philosophe de Kaliningrad ? La culture philosophique française du XIXe siècle nous est devenue complètement étrangère. Il ne suffit pas de citer Descartes. Il faut réellement s'attaquer à Maine de Biran et Victor Cousin, et puis il faut s'attaquer à des auteurs moins directement admis comme philosophes. Mais passons. Bardel parle d'une "verve très allusive et lapidaire de l'auteur", ce qui veut bien dire qu'on ne prend pas au sérieux l'idée d'un débat terme à terme si vous me permettez l'expression, de la part de Rimbaud. Il est allusif, certes ! Mais est-ce qu'on a cherché à éplucher de près ce à quoi il faisait allusion ? C'est la première question à se poser.
Toutefois, ce qui m'a surpris dans cette notice, c'est que Bardel prétend que le poète admet qu'il est impossible d'échapper au christianisme et que du coup il décide de se convertir.
Le poète a, je cite, "suivi jusqu'ici un chemin de révolte luciférienne qui l'a presque conduit jusqu'à son "dernier couac" [ce qui fait qu'il] songe à s'amender." Cette présentation est biaisée. Bardel le dit ailleurs, il pense que le "couac" est le coup de feu de Verlaine à Bruxelles, donc on a une phrase qui est à cheval sur deux lectures : soit la révolte conduisait à la mort, soit à cause de ce chemin de révolte le poète a failli mourir". Je ne suis évidemment pas d'accord avec cette deuxième lecture, et du coup la formule "songe à s'amender" semble relever pourtant de cette deuxième lecture que je rejette. Le poète a pris conscience que la révolte va avec la mort, donc il se fait un reproche. Non ! Le poète mordait la crosse des fusils, il a eu peur de la mort, mais il n'a pas découvert la mort comme s'il ne l'avait pas prévue au départ de sa révolte, il a pris peur de son approche, ce qui n'est pas la même chose. Mais, l'expression "songe à s'amender" me pose problème également, parce que le poète ne s'amende pas de sa révolte luciférienne exactement, et à qui s'amenderait-il ? La prose liminaire se finit par un envoi à Satan.
Et justement, ce qui m'a surpris dans la notice à "L'Impossible" que fournit Bardel c'est qu'il lise comme un désir de conversion la fin de "L'Impossible" : "Par l'esprit on va à Dieu ! / Déchirante infortune !" Il est vrai que Bardel hésite ensuite à donner la lecture ironique inverse, mais dans l'autre lien que je vais vous donner on voit que Bardel en reste à l'idée d'une conversion. Il va de soi pour moi que "Déchirante infortune" est un sarcasme de la phrase qui précède : "Par l'esprit on va à Dieu !"
Et justement, si vous lisez mes réflexions improvisées, j'introduis une explication sur l'esprit comme charge qui rend assez naturelle la lecture sarcasme, et cette explication ne se trouve ni chez Bardel, ni chez Vaillant (de mémoire pour ce dernier).
Surtout, Bardel identifie le désir de pureté au christianisme alors que moi pas du tout je l'associe à un jardin d'Eden avant la chute, je l'identifie à une relation où Dieu ne pèse pas encore de son poids sur l'Homme. Le désir de pureté dont parle Rimbaud, c'est un état originel, et la minute d'éveil n'est pas celle d'un esprit chargé de tous les développements occidentaux.
Or Bardel replie le désir de pureté de la minute d'éveil sur un instant de conversion à Dieu momentanément vécu par l'esprit. Bardel parle d'un élan passionné vers le Créateur à la fin du texte. Je ne suis pas convaincu, je ne renonce pas à ma lecture.


Je ne dis rien de l'étude sur le soliloque délibératif, je vais directement aux interprétations.
 A propos de "Je m'évade !" Bardel soutient que la phrase est irrationnelle au prétexte que fuir les autres ne prouve pas qu'on a raison. Je ne m'imaginais pas qu'on pouvait comprendre les choses ainsi. Le poète ne s'adresse pas aux bonshommes, mais aux lecteurs et à lui-même. Or, le propos métaphorique a un sens : le poète s'évade des formes de vie de l'un de ces bonshommes. En méprisant cette vie, le poète parvient tout de même à s'évader d'une forme de vie.
A force de penser que l'ironie réduit à rien les prétentions rebelles du poète, forcément qu'on en arrive à un texte pâle et sans intérêt où le rebelle à la fin rentre dans le rang en rechignant un peu quand même.
Non ! Le poète prétend avoir raison d'échapper au format de vie de ces bonshommes, il est vrai que le propos n'est pas limpide dans la mesure où le poète ne dit pas exactement qu'il s'évade de leur condition de vilains bonshommes. Le poète s'évade d'une certaine façon en méprisant ces bonshommes. Il se joue quelque chose et le texte n'est pas précis sur ce qui se joue. Comme l'explication est censée suivre, il faut chercher dans les alinéas ce qui justifie une évasion en partant de ce principe de mépris, même si bien sûr l'évasion va être contrariée par le constat de l'impossible piège des marais occidentaux et d'un esprit dont les développements chargés mènent exclusivement à Dieu.
Rimbaud dit plus loin : "Philosophes, vous êtes de votre Occident", il dit avoir "une minute d'éveil" et ne croit pas à la triple perte de la lumière, de la forme et du mouvement. Il faut se garder de trouver l'évasion illusoire ou de taxer la métaphore de propos irrationnel en diable.
Je n'ai pas le temps aujourd'hui de tout lire. Je remarque que pour les derniers alinéas à partir de la répétition de "pureté" Bardel parle d'une invraisemblable conversion du poète où on ne sait plus si elle est sincère, froidement intellectuelle ou de dissimulation complaisante pour passer en société.
Bardel reste sur la conviction que "Déchirante infortune" c'est un cri de souffrance de l'homme qui n'arrive pas à communier avec Dieu !
Et le rejet de la charité vertu théologale assumé jusqu'au bout dans la prose liminaire, et l'envoi à Satan ?
Force est de constater que la lecture de la fin de "L'Impossible" comme conversion au christianisme est un contresens. Puis avoir une conversion après tout ce qui a été développé dans "Mauvais sang", cela fait dénouement de pacotille, parce qu'il faut bien une fin à l'ouvrage. Non, il faut fouiller plus que ça le sens du texte... 

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