Je profite de mon étude en cours des livres anciens de Godchot et Clauzel. J'ai pris des notes sur les quatre premiers chapitres du livre de Clauzel, j'avance à mon rythme. Mais, en le lisant, j'ai une amorce de développement personnel que je veux mettre au point avec impatience.
A propos de l'attaque du récit "Matin", le colonel Godchot confond la jeunesse à écrire sur des feuilles d'or avec les prix scolaires de Rimbaud. En lisant le livre de Clauzel, je constate que ce dernier opère un peu différemment, mais que finalement le colonel Godchot reprend l'idée de Clauzel en l'allégeant. Clauzel, qui a énormément de défauts dans l'analyse, j'en parlerai en son heure, lie tout de même la jeunesse de "Matin" au sujet spirituel qu'il suppose au récit Une saison en enfer. Pour Clauzel, le Rimbaud de la jeunesse aimable qui écrivait sur des feuilles d'or n'est pas seulement le premier de la classe de latin. Rimbaud recevait aussi les premiers prix en instruction religieuse, et il est vrai qu'il est bon de le rappeler. Clauzel cite donc le début de "Matin" à la page 26 de son livre et à la page 27 il déploie le propos suivant : "Il fut, au catéchisme, un Eliacin plein d'intelligence et de foi. Plus tard, il remporta les premiers prix en instruction religieuse, comme en toutes matières, d'ailleurs, qui tiennent essentiellement à la culture de l'esprit." J'ajoute qu'avant de développer sa thèse, le critique de 1931 pose avec justesse cette question : "Mais que fut, au juste, cet âge d'or du précoce maudit ?"
L'ensemble de l'écrit de Clauzel est très contestable toutefois, mais ici je voulais m'opposer à la fois à la lecture de Godchot et à celle de Clauzel, en mobilisant mon principe de lecture qui consiste à faire jouer entre elles les données internes et structurelles du récit Une saison en enfer.
Je parlais dernièrement de ma divergence avec le colonel Godchot citant le premier alinéa du récit "L'Impossible" en mettant en majuscules les expressions "la grande route par tous les temps" et "quelle sottise c'était", au lieu d'insister sur la fierté de n'avoir ni pays, ni amis, et je rapprochais ce passage du premier alinéa de la prose liminaire et du dernier alinéa de toute la "saison", le dernier paragraphe de la section "Adieu".
Je veux prolonger l'exercice.
Prenons l'ensemble des dernières sections : "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin" et "Adieu", les quatre sections séparées de "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" par l'incrustation des deux récits de Délires.
Le premier alinéa commence par le portait sot du passé où le poète était fier de ne pas avoir des amis. Ces mots de la famille du mot "ami" occupent des positions clefs dans les alinéas de l'ultime section "Adieu". L'absence de "main amie" est mentionnée dans le dernier alinéa de la première des deux séquences du récit intitulé "Adieu" : "Mais pas une main amie" et en réponse à cet alinéa-là précisément l'ultime alinéa de toute la saison rejette cette idée : "Que parlais-je de main amie ?" pour vanter le mépris du mensonge en société.
Et le parallélisme va plus loin, puisque si dans le premier alinéa de "L'Impossible" le poète qualifie de sottise plusieurs faits dont celui d'avoir été fier d'être sans amis, le second lance l'idée que le poète a eu raison de "mépriser ces bonshommes". Il y a une symétrie évidente entre les deux premiers alinéas de "L'Impossible" et le tout dernier de "Adieu".
Or, entre "L'Impossible" et "Adieu", nous avons deux textes intercalés : "L'Eclair" et "Matin". Le premier des deux déplace la question de l'amitié humaine du côté du "travail humain" en dénonçant le manque de solidarité de certains actants qui sont les méchants et les fainéants. Rimbaud choisit alors d'adopter une certaine attittude qui confine au mépris, mais qui s'accompagne d'un revirement en ce qui concerne la mort qu'il veut désormais éviter.
Dans "Matin", l'attaque est remarquable avec cette mention "aimable" couplée à l'adjectif "héroïque". Et pour moi, il va de soi que l'adjectif "héroïque" n'est pas du tout apprécié à sa juste mesure dans les lectures fournies par Clauzel ou Godchot. Il y a une note d'ironie dans cette mention. Rimbaud aurait accompli quelque chose d'héroïque à avoir une jeunesse aimable.
L'adjectif "aimable" signifie aussi que le poète plaît et donc que les coeurs des autres vont s'ouvrir à lui, et pour moi il est clair que le début de "Matin" est symétrique du premier alinéa de la prose liminaire avec cette idée que ce souvenir est peut-être bien factice. Dans la prose liminaire, le souvenir incertain "si je me souviens bien" est clairement accusé d'être un rêve quelques alinéas plus loin : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" Rimbaud dit clairement que si la charité est la clef pour renouer avec le festin ancien c'est que tout cela n'est qu'un rêve, puisqu'ailleurs dans son récit Rimbaud se plaint que sa faiblesse n'est autre que la cruauté du monde. Il me semble assez net que le "trop de chance !" est un persiflage qui rejoint la succession "héroïque, fabuleuse" pour dénoncer les faux-semblants de ce portrait d'heureuse jeunesse aimable.Qui plus est, ce début de "Matin" est à rapprocher, puisqu'il dit quelque chose des attentes vitales du poète, du printemps qui trouva le poète avec l'affreux rire de l'idiot.
En clair, le thème de l'amitié structure clairement les relations de toute la fin d'Une saison en enfer, puisqu'il ne saurait être accidentel que les mots de la famille "ami" soient au premier alinéa de "L'Impossible", au premier alinéa de "Matin", puis avec un effet englobant pour tout le propos du récit "Adieu" au dernier alinéa de la première séquence du récit et au dernier alinéa de la seconde, qui est aussi le dernier alinéa de tout le livre.
Le thème de la relation aux autres est central dans "Mauvais sang" et dans "Nuit de l'enfer" l'amitié est significativement absente avec des propos accentuant au contraire le mépris qu'ont les humains entre eux. Il va de soi que le récit "Vierge folle" est un récit de faux semblant de l'amour où l'amitié ne s'établit pas entre la Vierge folle et l'Epoux infernal, quoi qu'on pense des identifications à la clef ensuite, et "Alchimie du verbe" parle d'aimer des expériences.
Enfin, j'ai évité de parler des articles de Steinmetz et de Nakaji sur la notion de charité, je les connais assez mal, considérant d'office que les deux critiques se plantent dans l'analyse vu qu'ils parlent de la charité au-delà de la notion chrétienne, alors que dans la Saison il est clairement question de la vertu théologale. Je voudrais parler aussi des deux amours dans "Mauvais sang", mais je développerai ultérieurement mon analyse.
Il me reste à faire remarquer ceci. Dans la prose liminaire, il est question d'une clef pour le festin où s'ouvraient tous les coeurs, et dans "Vies" nous avons un parallèle évident à ce passage où le poète revendique avoir découvert "quelque chose comme la clef de l'amour".
Il y a donc dans l'esprit de Rimbaud l'idée qu'il a renoué avec un amour de la vie qui n'est pas d'ordre chrétien, mais cela est contre-balancé par la permanence d'une difficulté de relation avec les autres humains qui n'ont de l'amitié qu'une idée mensongère, ou qui ne pratiquent qu'une amitié ou qu'un amour de dupes.
Et c'est ce paradoxe que ne savent pas identifier les rimbaldiens qui fait que leurs lectures d'Une saison en enfer se perdent en considérations évasives, incertaines et métaphysiques.
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