Remise en contexte : en 1937, le colonel Godchot a déjà publié ses deux livres La Voyance de Rimbaud et Arthur Rimbaud ne varietur, mais il anime aussi sa propre revue mensuelle qui en est à sa 9e année et qui s'intitule tout simplement Ma revue. Le numéro 69 forme une plaquette de 48 pages (la pagination et le texte s'arrêtent à la 45e) où il en profite pour commenter le livre Une saison en enfer d'Arthur Rimbaud. La forme de mince plaquette rappelle inévitablement les publications économiques d'écrivains débutants et justement le cas rimbaldien avec Une saison en enfer. La différence, c'est que le colonel Godchot utilise ce format pour publier régulièrement une revue. Ceci dit, il a a calculé cette ressemblance formelle pour produire un numéro particulier qui relève de la mise en abîme, le procédé gidien. En effet, la plaquette s'intitule L'Agonie du Poëte Arthur Rimbaud - Une Saison en Enfer, ce qui correspond à une première mise en abîme : le colonel Godchot va commenter la fin de l'activité poétique d'Arthur Rimbaud en commentant le livre Une saison en enfer perçu comme autobiographique et surtout perçu comme une déclaration de fin de carrière poétique. Mais la mise en abîme va plus loin, puisque le colonel Godchot est un lecteur et même un critique rimbaldien d'époque, et la plaquette prend aussi la forme du critique littéraire qui annonce qu'il en a fini avec Rimbaud et qu'il peut lui faire ses adieux. Le livre contient donc une analyse d'Une saison en enfer qui va de la première page à la page 36, en clôturant son propos par le commentaire de la section finale intitulée "Adieu", et les prolongements sont deux articles significatifs, l'un sur la légende de l'adieu au livre Une saison en enfer : "L'auto-da-fé d'une Saison en Enfer ?" et l'autre sur les adieux du colonel Godchot et si j'ai bien compris de sa femme à l'aventure rimbaldienne : "Mes adieux à Rimbaud". Il est difficile de ne pas comprendre la mise en abîme volontaire avec ce titre : "Mes adieux à Rimbaud". Et l'ultime prolongement va en ce sens, il s'agit d'un "Hommage à M. Marcel Coulon", assez pince-sans-rire, où le colonel Godchot salue son faire-valoir et défouloir après la bataille : "Maintes fois, dans les courant des mes études sur Rimbaud, je me suis trouvé en désaccord avec M. Marcel Coulon..." Et en contrepoint du discours rimbaldien dans "Adieu" : "Pas une main amie !" Godchot écrit perfidement ceci : "M. Marcel Coulon est devenu pour moi un ami, malgré mes vivacités." Et du coup, difficile de ne pas rapprocher la mention rimbaldienne "avril-août, 1873" de la date finale du livre de Godchot : "Nice, janvier 1937." En clair, à très peu de frais, le colonel Godchot a conçu sa plaquette comme une réplique littéraire du livre Une saison en enfer. Le lecteur aussi fait son bilan et tire des enseignements.
Je peux même aller plus loin. Dans le chapitre "Mes adieux à Rimbaud", le colonel Godchot cite une lettre de l'année précédente de Maryse Godchot qui fait un jugement synthétique et morale sur la poésie de Rimbaud, ce qui fait qu'elle aussi fait un bilan de lectrice, et je compare ça un peu au "j'ai vu l'enfer des femmes là-bas", sinon à la confession de la "Vierge folle". Il y a un chassé-croisé volontaire entre l'hérésie de la relation entre Rimbaud et Verlaine et l'épanouissement du couple Godchot. Pour moi, tout ça est clairement calculé, ce qui fait de cette plaquette un livre assez unique en son genre de critique rimbaldienne.
Evidemment, je dis que c'est à peu de frais que le colonel Godchot devient ainsi écrivain, puisqu'il a surtout médité la composition d'ensemble de sa plaquette, alors qu'au plan de l'écriture il ne fait aucun effort particulier et passe même l'essentiel de son temps, soit à paraphraser l'oeuvre étudiée, soit à la citer largement pour pouvoir avancer plus commodément dans ce qu'il met en place.
Je voudrais maintenant vous donner un nouvel aperçu de cette stratégie de mise en abîme.
Je reviens à la partie consacrée au commentaire du livre Une saison en enfer, les trente-six premières pages. De la page 1 au milieu de la page 11, nous avons une introduction générale, puis nous passons à un commentaire section par section. J'ai déjà traité du "Prologue", de "Mauvais sang" et de "Nuit de l'enfer". Je laisse de côté les deux "Délires" pour l'instant et j'en arrive aux dernières sections de "L'Impossible" à "Adieu", en passant par "Matin" et "L'Eclair", du milieu de la page 27 à la page 36.
Mais il faut tout de même connaître son Rimbaud sur le bout des doigts.
Vous connaissez la première phrase qui ouvre le récit "Vierge folle" : "Ecoutons la confession d'un compagnon d'enfer [...]", cela aura pour écho symétrique le "A moi. L'histoire d'une de mes folies[,]" en tête d' "Alchimie du verbe".
Dans son commentaire de "Vierge folle", le colonel Godchot ne cite pas la première phrase, il lance ses propres phrases et revient sur la mention "compagnon", mais ne cite pas la phrase à l'impératif : "Ecoutons la confession d'un compagnon d'enfer". En revanche, il y a une ressemblance d'allure entre le "A moi" qui lance "Alchimie du verbe" et le commentaire par Godchot de "Délires II" : "Et voici maintenant cette Alchimie du Verbe où Rimbaud se révèle tout entier et se moque de ceux qui ont pu croire en lui [...]".
Je commenterai les deux "Délires" ultérieurement, mais ce que je voulais vous montrer, c'était la stratégie de mise en abîme, puisque le colonel Godchot reprend la formule "Ecoutons la confession" pour la faire sienne et nous faire écouter le discours de Rimbaud dans "L'Impossible" comme précisément sa confession poignante et sans filtre : "Ecoutons ce cri de désespoir, celui qui, dans toute l'oeuvre de Rimbaud, m'a plus ému et secoué." Cette première phrase de commentaire de la section "L'Impossible" imite d'évidence, sans le déclarer, la première phrase du récit "Vierge folle".
Avez-vous encore des doutes sur la manière de composer sa plaquette du colonel Godchot ? Et il va de soi que cette manière de composer a une signification orientée. La plaquette du colonel Godchot est bien évidemment un écrit à thèse.
Fort paresseusement, le colonel Godchot s'adonne à la répétition de passages entiers de Rimbaud. Il ne s'agit même pas de paraphrase. Le colonel Godchot cite des passages pour les mettre en relief, comme si aucun lecteur avant lui n'y avait prêté attention. Mais il use d'un deuxième procédé de mise en relief à l'intérieur des citations en mettant des passages en majuscules. La démarche fait un peu passer les opposants à sa lecture pour des idiots qui ne savent pas lire littéralement ce qui est écrit et il y a l'idée d'avoir une force persuasive incassable puisque le colonel Godchot fait état de ce que dit Rimbaud lui-même en toutes lettres.
Ainsi, le colonel Godchot cite l'alinéa qui commence par : "Ah ! cette vie de mon enfance..." et il met en majuscules deux passages, d'abord : "La GRANDE ROUTE PAR TOUS LES TEMPS", ensuite "QUELLE SOTTISE C'ETAIT". En clair, le colonel Godchot nous dit qu'il faut arrêter d'admirer les fugues du bohémien, puisque Rimbaud lui-même nous déclare sans ambages que c'était de la sottise. Et l'idée de sottise doit nous faire fuir.
Le problème, c'est que cela fait aussi une lecture au premier degré et même au ras des pâquerettes de la prose rimbaldienne.
Personnellement, je considère que le colonel Godchot aurait été plus avisé de mettre en relief "fier de n'avoir ni pays, ni amis".
Pourquoi ?
Il n'y a pas que le colonel Godchot qui a structuré son ouvrage, il y a aussi Rimbaud.
Or, le début et la fin d'Une saison en enfer ont à voir avec ce problème du pays et des amis.
Pour le récit, la chronologie va de "Mauvais sang" à "Adieu", le prologue étant un peu hors-cadre. Ceci dit, le prologue double le récit dans ses premiers alinéas. Le poète était présent à un festin où s'ouvraient tous les cœurs et en insultant la beauté le poète a refusé et l'amitié de la Beauté et l'amitié de tous ces cœurs... Le prologue raconte comme le poète a commencé par se sentir fier de n'avoir ni pays, ni amis. Vous me direz que je ne vous apprends rien, que j'enfonce des portes ouvertes, etc. Mais non, j'insiste lourdement sur le fait que la relation du mot "amis" aux premiers alinéas du prologue de la Saison ne s'impose pas assez fermement à votre esprit. Bien sûr que vous percevez une continuité, mais c'est bien vague. Le début de "Mauvais sang" est aussi dans le rejet du pays et des amis, mais ce qui est intéressant c'est le réemploi de mots de la famille de "amis" dans "Adieu" pour une situation paradoxale. Le poète prétend en avoir fini avec son enfer et il a déclaré qu'il était sot de n'avoir ni pays ni amis, sauf qu'en revenant vers les "splendides villes" le poète ironise sur l'amitié des autres. Il constate qu'il n'a pas une "main amie" tendue vers lui et cela est l'occasion d'une dérobade anormale : "Que parlais-je de main ami ! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs [...]" l'image de "l'enfer des femmes là-bas" est donc à relier à cette nouvelle propension critique du poète et du coup on a un déplacement où loin de s'en vouloir de la fierté de n'avoir aucun ami le poète estime qu'il possède la vérité sur la question de l'amitié. On a une sorte de pirouette, qui semble bien fragile, où le poète dit qu'il n'a pas la sottise d'être fier de n'avoir aucun ami, mais qu'il a la fierté de ne pas se laisser piper au jeu de la fausse amitié qui est de règle dans cette vie-ci.
C'est ça qu'il faut commenter, et ça ça ne peut pas se faire par une paraphrase au ras des pâquerettes.
Quant à l'idée de "route", le colonel Godchot la confond avec une vision symbolique de l'errance. Du coup, il prétend que même si le poète s'aperçoit de sa sottise le poète va reprendre les voyages "en Europe, en Asie et en Afrique, pour venir terminer ses jours, miné par un sarcome, dans un hôpital de Marseille. Le malheureux !..."
L'exclamation : "Le malheureux" est de Godchot qui, je le rappelle, parle de cette section comme d'un "cri de désespoir" : "Ecoutons ce cri de désespoir".
Le colonel Godchot ne cherche pas à comprendre comment Rimbaud se situe par rapport au sentiment de "L'Impossible", il croit naturel de se dire que Rimbaud comprend qu'il y a des choses impossibles à l'Homme en cette vie et qu'il faut se faire une raison mais sans que ça ne change rien à nos comportements, puisque désespoir pour désespoir, autant se laisser aller à ce qui nous fait vivre. Le colonel Godchot parle d'une acceptation d'un sort malheureux, ce qui pour moi n'est clairement pas le propos de Rimbaud dans Une saison en enfer. Le poète n'a pas rejeté l'idée d'être sur la grande route par tous les temps, non plus. Rimbaud déplore la vie de son enfance, les choix, le fait de se dire "sobre surnaturellement", dénonce sa fierté de n'avoir ni pays ni amis, la posture plus désintéressée que celle d'un mendiant passif, etc., mais il n'y a pas un rejet de la "grande route", grande route qui ne se confond pas avec les voyages qui supposent des tas de moyens de transport, des lieux de résidence, etc. Le colonel Godchot lie les propos à une dimension biographique vaste comme si ça allait de soi.
Certes, on peut penser la vie africaine de Rimbaud comme une autre forme du désir d'évasion par rapport au problème de l'existence en cette vie, mais c'est au prix d'une mise à l'écart de ce que le livre Une saison en enfer formule dans un cadre plus restreint et précis.
Puis, on touche du doigt le grand problème du sens d'Une saison en enfer. Que ce soit à son époque de poète ou que ce soit dans sa vie aventureuse, Rimbaud a gâché son existence et a refusé la société, les amis, etc. Il y a l'idée que Rimbaud n'a rien appris contrairement à ce qu'il clame dans son livre de 1873, il y a l'idée qu'il n'a pas foncièrement changé en-dehors de son renoncement à la poésie (qu'il intervienne en 1873 même ou un peu après). C'est pour cela qu'il faut mettre des pilotis contextuels à la lecture d'Une saison en enfer et considérer les nuances exactes qui colorent les décisions de l'écrivain si on veut comprendre ce qui se joue comme enseignement personnel du poète dans Une saison en enfer.
Les enseignements d'Une saison en enfer ne sont pas francs. Je viens de le montrer avec la question de l'amitié qui est centrale dans le récit. Le poète rejette la fierté d'être sans amis, mais il n'opère pas non plus ce virage complet à 180 degrés pour se jeter dans les relations humaines à corps perdu. Rimbaud veut l'amitié, mais il reste réservé sur ce que peuvent lui donner les autres. On entre alors dans une leçon de vie particulièrement retorse.
Et vous entrevoyez que cela le colonel Godchot ne l'a pas compris qui a mis en avant la communion de sa femme et lui jugeant de la poésie immorale, mais belle et conclue lucidement du malheureux Rimbaud.
Le colonel Godchot poursuit lui un commentaire simple où le poète voit bien que la société n'est pas faire de gens animés du vrai sentiment de charité, il n'est question que d'une politesse de façade entre marchands et naïfs. Le colonel Godchot récupère ce qu'il y a d'assez simple à comprendre, mais à chaque fois tout cela va s'articuler à une lecture sommaire de passages plus compliqués où petit à petit le sens réel des propos rimbaldiens se perd, sauf que le lecteur passif de Godchot a l'impression que la plupart du temps les propos vont de soi et que dans les grandes lignes le texte est compris.
Non, les quelques passages retors doivent être compris dans toutes leurs nuances. On ne traverse pas la lecture en considérant que la plupart du temps on comprend le sens littéral. Lire Une saison en enfer, ce n'est pas dire qu'on a compris 90% des phrases.
Et justement, s'attarder à la structuration du texte même de Rimbaud permet de dégager les visées réelles de l'ouvrage. La paraphrase ne prend pas la peine de ce genre de recul.
Je n'ai pas trop envie de commenter les passages où le colonel Godchot dit autrement ce que dit Rimbaud. je relève tout de même cette formule : "Pour lui l'Orient, de sa Voyance, était le monde idéal". Dans ces moments-là, il faut être vigilant. La conséquence logique ne s'impose pas, puisque rien ne dit clairement dans le récit "L'Impossible" que l'Orient procède de "sa Voyance". Qu'est-ce que c'est "sa Voyance" ? Ici, le colonel Godchot ne fournit pas une paraphrase scrupuleuse. On peut entendre tant de choses dans la mention "sa Voyance". Est-ce que le propos de Rimbaud c'est de dire : "l'Orient" "était le monde idéal". Certes, il y a un idéal, mais est-ce que le propos est de dire "l'Orient était le monde idéal" ?
Il y a un problème de définition du propos. Certes, l'Orient est un idéal, mais Rimbaud il développe un raisonnement. Il y a des raisons derrière son appel à renouer avec l'Orient, et ça ne sert à rien de dire que l'Orient était son idéal si on ne comprend pas de quoi il retourne. Il y a un démarrage de contresens.
Je relève cette phrase plus intéressante avec son choix du verbe "resserrer" et son idée machiavélique du "monsieur Prudhomme" comme biais volontaire pour gouverner le monde : "C'est par lui que le Christianisme veut resserrer le monde." Je ne commente pas pour l'instant, je relève simplement que la formule est bien frappée et intéressante, "lui" étant "Monsieur Prudhomme". En revanche, je suis moins séduit par la confusion entre "Nous cultivons la brume" et l'idée selon Godchot que "l'on vit dans les nuages".
La paraphrase ne faisant que redire partiellement le texte, j'en arrive ainsi à la fin où malgré la citation en majuscules le colonel Godchot ne dit rien de l'ironie d'enchaînement du propos : "Par l'esprit on va à Dieu ! / Déchirante infortune !"
Le colonel va directement à ce qu'il chérit à la lecture : "Encore ce cri déchirant ! Il aurait voulu à ce Dieu qui représente la pureté..."
Et cela nous vaut un florilège final de citations à rapprocher selon Godchot de "Déchirante infortune" : "Je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné", "Maintenant je suis maudit", "C'est le feu qui se relève avec son damné", "Drôle de ménage", "De profundis domine, suis-je bête", "A moi. L'histoire d'une de mes folies.", "J'étais mûr pour le trépas".
Personnellement, j'aurais plutôt fait le rapprochement avec la phrase de "Adieu" : "La justice est le plaisir de Dieu seul".
Le colonel Godchot a l'air de dire que le poète étant damné, maudit, il ne peut pas aller à Dieu, sauf que le récit est d'une damnation temporaire qui va justement être dépassée : "je crois avoir fini la relation de mon enfer".
L'interprétation de Godchot n'est pas sotte en soi, mais elle escamote les difficultés. Le poète semble s'écrier "Déchirante infortune", parce que soit il ne voulait pas aller à Dieu, soit l'esprit va à Dieu mais dans une ascension impossible à l'homme, puisque la justice est le plaisir de Dieu seul.
**
Passons à la section "L'Eclair". La paraphrase est particulièrement peu enrichissante. Il aurait pu au moins traiter de l'idée du travail humain comme signe d'une vraie réflexion de la part de Rimbaud sur les devoirs que la société impose consensuellement aux hommes. Il y avait moyen de mettre en perspective les propos tenus par Rimbaud. Je remarque que comme tous les rimbaldiens sauf moi le colonel Godchot n'identifie pas la construction métrique et rimique dans "Que la prière galope et que la lumière gronde", puisqu'il cite ainsi : "La prière galope et la lumière gronde". Moi, j'identifie une succession de deux membres de sept syllabes avec un chiasme de la rime "-ière" et de l'initiale consonantique "g".
C'est un pavé dans la mare aux affirmations de Cornulier sur l'absence d'allusions métriques dans la prose de Rimbaud, au passage, mais bon...
J'ai un peu tiqué face à cette phrase incongrue de commentaire : "Alors le travail c'est trop simple. Cela donne chaud..."
J'ai aussi tiqué quand le colonel Godchot écrit : "Le prêtre a ainsi une place d'élection dans ses projets."
La première phrase qui me fait tiquer est une paraphrase de : "C'est trop simple, et il fait trop chaud". Je vous laisse relire la section "L'Eclair" en entier pour que vous vous pâmiez de l'exactitude du commentaire. La deuxième phrase qui me fait tiquer commenter la fin d'une énumération de rôles à jouer par le poète : "en querellant les apparences du monde, saltimbanque, mendiant, artiste, bandit, - prêtre !"
Il s'agit de jouer au prêtre "en querellant les apparences du monde" et la mention "prêtre" est isolée de la série "saltimbanque, mendiant, artiste, bandit" par un tiret.
J'ai un peu de mal à trouver pertinente la réflexion du colonel Godchot...
Obligé par son choix initial de paraphraser tout le récit d'Une saison en enfer, le colonel Godchot est piégé par la section "L'Eclair" que visiblement il ne maîtrise pas, que visiblement il n'a pas beaucoup médité non plus. Il est piégé par le fait qu'il s'agit d'une séquence assez courte qui lui pose des difficultés, puisque dans des récits plus longs comme "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" ou "L'Impossible" il pouvait éluder les passages plus difficiles et s'attarder sur ce qui lui paraissait nettement plus lisible.
Ceci dit, les interprétations en ce qui concerne "L'Eclair" sont tellement grossières qu'on a plutôt le sentiment que Godchot a très peu pris de temps pour se confronter au texte et préparer son étude. Sans surprise, sa paraphrase était une manière de travailler à toute vitesse sur le texte de Rimbaud.
Nous relevons que la mention du "lit d'hôpital" est assimilée sans crier gare à "l'hôpital de Bruxelles".
Ici, je me permets d'intervenir face à toute la critique rimbaldienne.
Le "lit d'hôpital" serait un indice, une preuve d'abandon autobiographique du poète.
Mais vous croyez que Rimbaud involontairement parle de sa vie réelle dans son récit, parce qu'il écrirait de manière précipitée tout ce qui lui passe par la tête ?
Tous les rimbaldiens sautent sur l'identification d'une preuve de récit autobiographique, et il faut admettre que, dans l'absolu, c'est ingérable. Il est certes impossible d'affirmer que c'est un détail autobiographique, mais il est aussi impossible de l'écarter. Le poète a pu s'inspirer de sa situation à Bruxelles si on considère qu'il a écrit "L'Eclair" à ce moment-là ou dans les jours qui ont suivi.
Ceci dit, j'ai une objection qui va de soi, c'est que Rimbaud n'a rien expliqué de sa situation bruxelloise dans Une saison en enfer. Même si vous considérer que le "dernier couac" est une allusion au coup de feu de Bruxelles, il n'en reste pas moins que vous n'avez rien d'autre, vous n'avez pas le récit du drame de Bruxelles dans Une saison en enfer. Vous faites une inférence sur le "dernier couac" qui est inaccessible à quelqu'un qui ne connaîtrait pas la vie de Rimbaud, et c'est une inférence du même ordre que vous faite pour le "lit d'hôpital".
Vous ne vous dites pas à un moment donné que ce qui doit primer à la lecture c'est le travail de l'écrivain, le seul méritoire : Rimbaud parle de "dernier couac" comme d'une menace de mourir causé par son attitude, et ici il parle de lit d'hôpital après nous avoir bien informé sur des "délires" qui l'ont rendu malade et mûr pour le trépas comme dit dans "Alchimie du verbe". Le poète vient de dire : "Ma vie est usée". Il se dit ensuite sur un "lit d'hôpital". Il est clair que c'est une progression dramatique dans les révélations du récit. Pourquoi vous court-circuitez l'intérêt du récit pour soutenir qu'il y a ici une allusion à la chambre d'hôpital où on l'a soigné pour son poignet blessé ? Qu'est-ce que cet indice autobiographique supposé a comme intérêt littéraire dans le récit ? Quel est son intérêt autobiographique même dans le récit ?
Est-ce que le poignet blessé autobiographique porte la signification : "Ma vie est usée" ? Est-ce que le poète était en souffrance sur son lit d'hôpital ? Il s'agissait plus d'une action préventive où le poète devait prendre du repos, alors que littérairement le poète sur un "lit d'hôpital" ça suppose la maladie, un état lamentable. Le lit d'hôpital, il est parfaitement accessoire dans le drame de Bruxelles. Ce n'est pas un détail saillant de cet épisode autobiographique ! Non ? Il n'y est pas resté à l'hôpital !
Votre commentaire biographique est purement circulaire : il est sur un lit d'hôpital parce qu'il écrit ça sur un lit d'hôpital et il avait l'irrépressible envie de nous le dire. C'est complètement creux au plan littéraire ce que vous prétendez exhiber.
Malheureusement, au-delà de la paraphrase, la citation du texte permet aussi de ne pas interpréter. Le colonel Godchot cite la formule : "Aller mes vingt ans si les autres vont vingt ans", sans prendre la peine de dire ce qu'il prête comme sens à l'expression : "aller vingt ans".
Dommage vu qu'aujourd'hui il y a le débat sur la signification "aller jusqu'à mes vingt ans".
**
Passons à "Matin".
On connaît tous le début de ce texte sur la jeunesse à écrire sur des feuilles d'or... Le colonel Godchot va à l'interprétation la plus facile : "élève brillant, il remportait tous les prix et voyait son front couvert de couronnes d'or dues à ses succès aux concours académiques !"
En clair, contrairement à Hugo et d'autres, Rimbaud est un poète dont la biographie met en avant les résultats scolaires, et comme notre poète fut précoce cela a précédé immédiatement son essor poétique. Or, en commentant de la sorte, on voit que le colonel Godchot comme nombre de rimbaldiens confond la lecture des poésies avec la biographie romancée du poète, et on voit aussi que cette lecture est un cadre fermé anormal, puisque est-ce quelqu'un se pose la question de ce que pense Rimbaud ? Est-ce que Rimbaud pense à la grandeur de ses succès scolaires à l'époque, succès auxquels il a tourné le dos en refusant de retourner à l'école et de finir normalement sa scolarité ?
Vous prêtez à Rimbaud des préoccupations qui ne lui traversaient peut-être même pas l'esprit.
De plus, quand il publie Une saison en enfer, Rimbaud ne s'adresse pas à un public informé de sa vie. J'ai déjà mobilisé cet argument au sujet de sa relation à Verlaine, au sujet du "dernier couac" et du "lit d'hôpital", mais ça vaut aussi pour ses succès scolaires. Rimbaud s'adresse à un lecteur qu'il n'imagine pas au courant de ses premiers prix à l'école, sachant qu'avec toutes les villes qu'il y a en France Rimbaud n'était pas le seul à avoir autant de premiers prix en latin dans le pays.
Je ne sais pas ! Je ne pige pas vos fixations.
Godchot passe très vite sur la citation "je crois avoir fini la relation de mon enfer", il n'en voit pas les implications lourdes pour le sens du récit dans son ensemble.
Ce qui est plus amusant, c'est la lecture explicitement communarde de la section "Matin" que fournit Godchot. Il est clairement solidaire des lectures communardes des poésies de Rimbaud : "Vive la révolution". Ce "Vive la révolution" est une paraphrase de Godchot qui poursuit :
"Le Chant des Cieux, la Marche des peuples" ! L'Internationale ! Espérance !
Le colonel Godchot ne se demande même pas comment l'esprit de Rimbaud peut être une pareille girouette, puisque après le "cri du désespoir" dans le récit "L'Impossible" qui est un constat, un bilan, on a cette fois le mot "Espérance". Est-ce que parler de "désespoir" était la bonne chose à faire pour le récit "L'Impossible" ? Je ne le pense pas, le récit du colonel Godchot est frappé de contradiction. Puis, ce retour à la Commune qui est déjà dans "Mauvais sang", comment le concilier avec l'impression de sortir de l'enfer, sachant que la Commune est confondue avec la révolte contre la justice, etc., en tant qu'action.
Evidemment qu'il y a un lien logique, mais il faut traiter l'information de "Matin" dans la nuance...
Mon travail est assez copieux. Je ferai l'analyse de la section "Adieu" d'ici, et d'ici peu également je traiterai du livre de Clauzel et de l'analyse des deux "Délires" dans la plaquette du colonel Godchot.
Comme vous pouvez le voir ci-dessus, notre revue n'a pas manqué d'intérêt.