samedi 19 février 2022

Vous voulez des indices de ce qui va suivre ?

C'est amusant. Personne ne me demande avec sentiment d'impatience quand est-ce que je reprends la série entamée sur "Voyelles", ni sur une quelconque des autres séries en cours d'ailleurs.
Marrant, marrant !
Sinon, j'annonce un peu du contenu qu'il y aura mêlé à la suite de ma revue par époque des commentaires rimbaldiens au sujet du prologue d'Une saison en enfer et aussi de la section "Adieu" du même livre.
A propos de cette relation essentielle entre le "prologue" et la section "Adieu" entre la crainte du "dernier couac" et la proposition en italique : "posséder la vérité dans une âme et un corps", j'ai un gros projet de mise au point sur la notion de péché mortel spécifiquement, et comme il se trouve que je travaille pas mal sur la correspondance de François Xavier en ce moment, je vais mettre cela à profit pour Une saison en enfer. A l'instant même, je suis sur une page qui me permet une citation intéressante, donc je vais la mettre d'emblée. Il s'agit d'une "Manière de prier et de sauver son âme", texte écrit approximativement entre juin et août 1548, à Goa. Je cite cet extrait à partir de l'édition de la Correspondance 1535-1552 de François Xavier dans la traduction d'Hugues Didier chez Desclée de Brouwer, parue en 1987, l'extrait est à la page 237, je suppose que c'est être en état de péché que de retranscrire ce passage en écoutant No fun des Stooges :

   Un péché mortel, c'est de vouloir, de dire ou de faire quelque chose de contraire à la Loi de Dieu, ou d'omettre de faire ce qu'elle ordonne. Et il s'appelle "mortel" parce qu'il tue le corps et l'âme éternellement de celui qui, sans en avoir fait pénitence, alors que c'était un péché mortel, est mort. Par lui, l'homme perd Dieu qui l'a créé et il perd la gloire qu'il lui a promise, et il perd le corps et l'âme qu'il a rachetés pour lui, et il perd les mérites et les bienfaits de la sainte Mère Eglise ; il perd en outre les bonnes actions qu'il a accomplies en état de péché mortel, parce qu'elles ne lui servent pas pour son salut, quoiqu'elles lui soient profitables pour l'accroissement de sa santé et de ses biens temporels, afin d'atténuer ses peines et de parvenir à la connaissance du péché où il se trouve et de s'en sortir. [...]
Emporté par l'élan, la citation est un peu plus longue que prévu. Il me semble évident qu'une telle citation (que je pourrais renforcer d'autres) montre assez à quel point les raisonnements conjoints de Mario Richter, Bruno Claisse et Alain Vaillant pour interpréter comme un pied-de-nez au dualisme en tant que dualisme la proposition en italique qui clôt Une saison en enfer n'a aucun appui logique derrière elle : "posséder la vérité dans une âme et un corps". On essaie de considérer que seule la séquence "posséder la vérité" a une résonance chrétienne type. Mais, François Xavier est clairement dualiste et se revendique clairement chrétien, et je ne vois pas au nom de quoi on peut faire le départ entre les formulations dualistes du père jésuite : "il tue le corps et l'âme éternellement" (la tournure syntaxique a même l'air bien étrange) "il perd le corps et l'âme", et du coup la formule de Rimbaud en bout de parcours infernal. Observez combien cette citation peut entrer en résonance avec les écrits de Rimbaud : "il perd le corps et l'âme", cela fait écho à "Gagne la mort" de Satan. Pour précisions, dans ce document, avant d'arriver à notre extrait cité, François parle bien sûr du "sentier de la justice" pour aider le pécheur à ne pas rester dans l'erreur et il parle aussi d'écarter "la tentation de Satan à l'heure de la mort", car mourir en état de péché c'est le pire, puisque la pénitence aurait pu tout réparer. Et songez aux rapprochements à faire avec des poèmes en prose des Illuminations, "âme", "corps" et "promesse", "créés", ça ne vous fait pas penser à "Matinée d'ivresse" ?
Au passage, comme j'ai annoncé méditer la question métaphysique des "silences" dans "Voyelles", il se trouve que je répète depuis assez longtemps que "ivresses pénitentes" est une alliance de mots, une réunion comme contradictoire de deux mots pour le dire autrement, qui tombe pile au milieu du poème en terme de structure de la composition, puisque c'est le mot de la fin des deux quatrains. J'essaie d'éprouver à partir de ma lecture d'écrits sur la repentance dans le domaine chrétien si je peux plaider une lecture qui n'est pas chrétienne, mais qui pourrait convenir à "Voyelles" : au lieu d'une ivresse sacrée faite de repentance, des "ivresses pénitentes", car l'homme est ivre d'un agrandissement de son être tout en considérant sa finitude. Je réfléchis à ce sujet, mais je dois évidemment bien le justifier, vu la levée de boucliers que j'affronte depuis vingt ans sur "Voyelles", alors que petit à petit tous les éléments que je développe gagnent en évidence.
Et précisément, je suis sur une autre idée en ce qui concerne "Voyelles". Vous connaissez le poème "Mémoire" et surtout sa version antérieure révélée en 2004 : "Famille maudite" ? Cette première version est coiffée d'un surtitre énigmatique "d'Edgar Poe". Or, si "Famille maudite" est un poème daté d'environ juin 2004 et "Voyelles" un poème qui finalement aurait été composé à la limite de l'éloignement de Rimbaud exilé de la capitale fin-février, début mars 1972, on retrouve un écart de composition comparable au cas des poèmes "Les Corbeaux" et "La Rivière de Cassis". Je n'ai pas encore acheté ni lu le tome qui vient de paraître de Parade sauvage, il y figure un article d'Yves Reboul sur ces deux poèmes, il me tarde de lire ce qu'il a fait, mais bon, ça risque d'attendre le mois de mai. Néanmoins, pour "Famille maudite", on sait qu'on retrouve un jeu rhétorique en provenance de "Voyelles" sur "ombelle" et "ombre". Or, si en juin 1972, Rimbaud écrit déjà un poème avec un surtitre "d'Egar Poe" aussi peu évident de prime abord, c'est que Rimbaud n'a pas attendu juin pour lire assidûment les nouvelles américaines dans la traduction de Baudelaire. Une idée que j'ai, j'ignore si quelqu'un y a jamais pensé, il faudrait vérifier, mais je pense que non personne n'y a pensé, c'est que quand Verlaine a écrit "Mon rêve familier" en 1865 avec la formule "et que j'aime et qu'il m'aime", il avait à l'esprit la publication encore récente de la nouvelle Eureka traduite par Baudelaire. Ce texte a eu une publication à tout le moins en 1864, le sonnet de Verlaine n'étant composé qu'un an plus tard. Or, le texte Eureka contient une préface avec une coordination qui me fait mécaniquement songer, pour parler comme un scribe policier de 1873, à la formule de Verlaine "et que j'aime et qui m'aime". Je cite le début de cette préface : "A ceux-là, si rares, qui m'aiment et que j'aime [...]" D'après la mise en ligne du document sur le site Wikisource, la nouvelle publiée en 1864 est précédé d'un extrait d'une biographie d'Edgar Poe traduite là encore par Baudelaire, et cette préface est citée dans l'extrait de la biographie, ce qui montre son importance. Elle n'échappe pas à l'attention. On la lisait dans le court extrait biographique, on la relisait en tant que préface une page ou deux plus loin, avant de passer à la lecture des chapitres de la nouvelle même. Cette préface parle d'une notion de Vérité qui n'est pas celle allégorique des Fleurs du Mal, mais on rencontre du Baudelaire (les rimbaldiens seront contents, je vais peut-être avoir quelques appuis pour développer mon idée du coup) et il est question de la "Beauté qui abonde dans sa Vérité", celle du livre, et ce livre s'adresse aux "rêveurs", ce qui me permet de justifier la probabilité d'une allusion à ce texte dans le sonnet "Mon rêve familier". Je m'en servirais aussi pour justifier mes lectures de poèmes des Fleurs du Mal où l'allégorie féminine est selon moi directement la solitude selon un principe métaphorique issu de "La Nuit de décembre" de Musset. Bref, ça fourmille d'idées, et enfin, le récit Eureka a le titre alternatif suivant : "Essai sur l'univers spirituel et matériel".
Voilà, je travaille tout ça, en faisant mon petit bonhomme de chemin entre les ronces du monde des rimbaldiens et des amateurs de Rimbaud qui ricanent beaucoup en me voyant passer.

2 commentaires:

  1. Je n'oublie pas de poursuivre dans les preuves implacables. J'ai cité récemment l'article d'Alain Vaillant sur la formule en italique "posséder la vérité dans une âme et un corps". Je fais remarquer qu'il y a une rencontre de mon discours avec ceux de Claisse, Vaillant et je crois Richter lui-même sur le fait que la vérité est liée à l'idée de prendre la réalité telle qu'elle est sans illusion (sachant que j'ai eu une influence initiale sur Claisse et celui une sur Vaillant, mais bon...). On pourrait croire alors que tout le monde a vu le truc, tout le monde a compris. Non non ! Ce que je montre dans la foulée, c'est qu'alors que je peaufine l'homogénéité de la lecture et assure la liaison avec l'idée de la mort à éviter et les alinéas du refus du "dernier couac", Claisse, Vaillant et Richter extrapolent, ajoutent des dimensions. Ils n'identifient pas la parodie jusqu'auboutiste du discours chrétien, puisqu'il refuse l'évidence que "dans une âme et un corps" est une formule du dualisme d'abord antique (pensez à Juvénal "mens sana...") ensuite chrétien. Leur lecture n'est pas stabilisée, et je cite aujourd'hui la fin de l'entrée "Adieu" du Dico de 2021 faite par Vaillant lui-même : "l'ultime révélation de l'amour vrai, de "la vérité dans une âme et un corps" - cependant prudemment située dans un futur à tout jamais indistinct."
    Si on se concentre sur l'idée d'un couple âme et corps en adéquation avec le réel (voir mon précédent article), on ne peut pas dire que "la vérité" est un contenu de pensée sur ce qu'est l'amour vrai et il est assez vaseux d'imaginer que Rimbaud se sent assuré de posséder dans le futur cette vérité. Il me semble plus logique d'envisager le loisible et la possession de la vérité comme une disposition, plutôt que comme un contenu de pensée.
    J'ai raison ou j'ai tort ?

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    1. Pour la phrase "Il faut être absolument moderne", l'analyse plus dans la note. Vaillant prend en considération l'énoncé juste avant, il ne manque que l'énoncé qui vient juste après. En effet "Il faut être absolument moderne" est une réponse à "La vision de la justice est le plaisir de Dieu seul." Il faudrait que je reprenne tout l'historique avec la lecture de Meschonnic en 88 dans Modernité modernité, puis une lecture de Bobillot en milieu directement rimbaldien, puis tout ce qu'a pu dire Claisse autour, lequel a évolué, puis il y a eu dans le débat Frémy qui en a parlé, après je sais pas trop. Moi-même, j'étais assez sensible au fait que "absolument moderne", c'est linguistiquement un peu contradictoire : la mode donc le relatif dans moderne et l'absolu. Mais, "absolument" est l'un des rares tics adverbiaux du dix-neuvième, aujourd'hui on emploie vraiment n'importe comment pas mal d'adverbes en "-ment". Lisez les oeuvres de Rimbaud, relevez-lez, vous serez surpris par la sagesse de leurs emplois bien éduqués. Le mot "absolument" est un peu le cas à part, notez que beaucoup de gens citent souvent "résolument" au lieu de "absolument", j'avais relevé des personnes, maintenant ça s'est tari ce genre d'erreurs je pense. Mais, bref, on peut penser que l'évolution de Claisse est un aveu qu'il avait pris trop fait et cause pour la lecture de Meschonnic, puisque précisément il la remet en cause, mais Claisse conserve l'idée d'une ironie amère (voir son article dans la revue Europe, repris dans son dernier livre). Or, je trouve que la réponse de Vaillant est exacte, logique, mais contenue dans le premier degré de la lecture. On peut très bien concevoir que Rimbaud dise avec humour, lecture de Claisse, que Rimbaud dise que pour le coup l'attitude moderne est à suivre. Dans L'Impossible, il y a quand même une critique du monde moderne, il y a aussi une idée du monde actuel dans L'Eclair avec le mot d'ordre de la science. Là, je suis moins fan d'une lecture qui prend le sens premier et puis c'est tout. Il y a un peu de feinte dan la phrase, un peu d'ironie amère comme dit Claisse. Mais je dois méditer le truc.

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