dimanche 13 février 2022

Le sens d'Une saison en enfer (2), ça parle de folie ou de mort ?

Je reviens sur l'article de C. A. Hackett commenté dans mon article précédent. Je disais que le volume d'hommages anglo-saxon était sorti en 1973, comme pour les cent ans du livre Une saison en enfer, mais Louis Forestier minimisait dans sa préface cette coïncidence qui lui était désagréable. Il trouvait aux commémorations une sorte de volonté de réchauffer un cadavre.
Surtout, j'épinglais un problème chronologique dans l'article de Hackett qui ménageait la référence à la lettre à Delahaye de mai 1873 et une autre au drame de Bruxelles. En réalité, Hackett formule cela de manière nuancée et ne fait pas du drame de Bruxelles, comme c'est le cas d'Alain Bardel sur internet ou d'autres rimbaldiens influents, le point de départ du récit d'Une saison en enfer :
   Rimbaud a certes "fiévreusement" travaillé à Une Saison en enfer et achevé sa rédaction à une date où son esprit était exacerbé, sinon bouleversé, par le souvenir tout récent du drame de Bruxelles.
Il est dans l'attitude plus raisonnable qui ne consent à prêter à l'événement qu'une influence finale. Nous sommes donc à distance du contresens du point de vue d'autorité d'Alain Bardel qui voit dans le "dernier couac" une "allusion probable de Rimbaud à ce 10 juillet 1873 où il a été pris pour cible par son plus intime compagnon, le poète Paul Verlaine" (source de la citation ici). Il s'agit d'un contresens dans la mesure où le prologue d'Une saison en enfer dit en toutes lettres que cet événement a déclenché une réaction dont les feuillets sont le récit.
Voilà pour les deux idées de Forestier et Hackett dont je n'avais pas rendu compte avec exactitude. Je voudrais maintenant traiter de deux autres points qui me sont apparus importants à la relecture.
Le premier point, c'est celui de l'innocence. Le motif de l'innocence apparaît dans la lettre à Delahaye quand Rimbaud décrit son projet en cours de "Livre païen", et il est central dans Une saison en enfer et en particulier dans la section "Mauvais sang". Or, Hackett tient les propos suivants à propos de ce thème en mettant cela en lien avec l'image du "nègre" :
[...] l'obsession fondamentale de l'innocence (thème complexe et ambigu, puisque le nègre qui incarne cette innocence est à la fois le primitif dans sa pureté intacte et l'enfant sale et coupable) [...]
Hackett parle d'une "obsession" qu'il qualifie même de "fondamentale". Dit ainsi, on pense à un sujet essentiel au poète lui-même et à un centre de tout son raisonnement. Or, l'innocence est traitée de "fléau" dans la lettre à Delahaye, ce qui fait que l'obsession est plutôt le fait de buter face à la présence de l'idée d'innocence, plutôt que le désir d'y accéder, non ? Hackett parle d'un "thème complexe et ambigu", mais peut-on parler de la sorte quand on identifie que le motif de l'innocence est celui de la religion chrétienne que Rimbaud s'évertue à dénoncer ? Là où Hackett voit une oscillation ambiguë de la part du poète qui voit le nègre tantôt comme innocent, tantôt comme un enfant sale et coupable face à la société, il est plus logique de voir que Rimbaud fait des pied-de-nez aux discours sur l'innocence de la religion chrétienne. Quand on lit Hackett, on a l'impression que c'est Rimbaud qui construit bizarrement les choses, comme si Rimbaud pensait lui-même ce que doit être l'innocence. Ce n'est pas du tout ça, Rimbaud parle de l'innocence pour un chrétienne, il faut penser à l'innocence des justes, à l'innocence des enfants baptisés morts sans avoir point fait le Mal, en état donc d'innocence, et ainsi de suite. Si vous introduisez subrepticement des considérations critiques qui n'ont pas lieu d'être, il ne faut pas vous étonner de vous retrouver à commenter un texte déconcertant.
Le "païen" n'est pas innocent au regard du missionnaire. Mais quand Rimbaud va leur prêter une innocence, c'est en jouant sur l'idée que le païen ne peut pas savoir qu'il commet le mal au nom de la religion chrétienne, puisqu'il est ignorant des lois de celle-ci. C'est une sorte de croisement entre les idées d'innocence et d'ignorance. Pour précision, dans le discours missionnaire, on le voit dans la correspondance de François Xavier, l'ignorance peut très bien aller avec la propension au Mal. D'indiens ou d'indonésiens, François Xavier va dire qu'ils sont ignorants, mais que pour ce qui est de faire le Mal ils s'y connaissent. Il ne faut pas chercher dans le discours de Rimbaud une science précise de la notion d'innocence. Rimbaud est dans la provocation, tout simplement. Il sait que cette idée d'ignorance rend plus difficile l'accusation de culpabilité chrétienne. Un fait bien connu, c'est la damnation des païens qui n'ont jamais entendu parler de la foi. Les peuples d'Europe occidentale sont christianisés depuis l'Antiquité, mais des traces écrites de ce débat existent. Les jésuites ont affronté le scepticisme des peuples chinois et japonais avec tout le problème du culte des ancêtres. Je ne partirai pas dans les pétitions de principe de Jacques Gernet ou d'autres historiens qui y voient une incompatibilité culturelle majeure expliquant l'échec du christianisme. L'échec du christianisme en Asie ne s'explique pas du tout par cette raison, preuve en est la christianisation de l'Europe dans l'Antiquité. Mais c'est un autre débat. En revanche, vu que le Japon au XVIe siècle, puis la Chine au XVIIe siècle n'était pas colonisés, les japonais et les chinois pouvaient répondre librement que Dieu posait un énorme problème de miséricorde puisqu'il condamnait à la damnation éternelle des peuples et des ancêtres qu'ils n'avaient pas informé de sa loi divine. Ils étaient coupables d'être ignorants. Quand, au XVIIIe siècle, il devient possible de critiquer la foi religieuse en France, Rousseau, Diderot et Voltaire n'ont pas du tout inventé cet argument. C'était un argument naturel qu'il devenait enfin loisible de mettre en avant, et ils le firent. Il ne faut pas aller chercher plus loin. Rimbaud joue avec ce thème qui n'a finalement rien que de très banal.
Donc Hackett sous-évaluer l'importance du renvoi au discours religieux à des fins polémiques dans Une saison en enfer. Et ce qu'il va trouver d'important dans Une saison en enfer, ça va être le traitement de la folie comme motif littéraire. Hackett dit que le livre Une Saison en enfer a une structure bien précise et bien méditée. Mais, pour soutenir cette idée, Hackett devrait souligner des détails qui montrent le soin apporté à cette structure, et il aurait très bien pu le faire efficacement, et il aurait dû dans la foulée préciser ce que la structure révélait des intentions profondes de l'auteur. Voici le paragraphe clef de la réflexion de Hackett, on va voir que c'est particulièrement décevant :
   Ainsi, Une Saison en enfer à travers son organisation complexe, présente un plan net et cohérent. D'abord, un prélude ou prologue : "Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient." - puis un long mouvement central composé des deux "Délires" ("Vierge folle - L'Epoux infernal" et "Alchimie du verbe"), et une conclusion, "Adieu", à la fois synthèse et dénouement de l'œuvre. C'est dans ces trois parties - commencement, milieu et fin - que la structure de l'ensemble se manifeste le plus clairement.
En fait d'organisation "complexe", nous avons un début appelée "prologue" et une fin appelée "Adieu". Rien d'autre. On ne sait même pas en quoi la conclusion est le dénouement de ce qui a été mis en place dans le prologue. Et l'essentiel du récit entre le début et la fin, Hackett appelle cela le "milieu", ce qui n'est pas un propos fort adéquat. Il ne s'agit pas d'un milieu, mais du corps de l'ouvrage, et loin d'en préciser les articulations, de souligner le passage de "Mauvais sang" à "Nuit de l'enfer", ou bien les étapes "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin" qui vont permettre la sortie de l'enfer, Hackett rabat tout le corps de l'ouvrage sur deux sections déclarées centrales, les deux sections de "Délires". En clair, nous sommes invités à penser "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" comme d'autres délires et "L'Impossible" ou "Matin" comme des mises au point pour évacuer les délires. On comprend que le mot "frénésie" soit un terme clef du titre de ce court article de quelques pages : "Une Saison en enfer : frénésie et structure". Partant de cette idée que l'ouvrage nous parle de la folie, Hackett nous fait remarquer que le prologue "annonce plusieurs thèmes" comme si réellement une diversité de thèmes était sensible à la lecture du prologue et comme si une énumération de thèmes était inévitablement naturelle au propos du livre. Hackett nous explique que "Délires II" fait le rejet de "la pratique de la voyance", que les "deux Délires" racontent "l'échec de la 'folie' littéraire", qu'ils sont la clé de voûte de l'ouvrage et même ces parties les mieux écrites., les "mieux construites" dit-il précisément. Partant de là, la vraie résolution serait le "salut" fait à la "beauté" à la fin de "Alchimie du verbe" et Hackett écrit qu'il va de soi que "cette victoire paradoxale était déjà 'acquise' avant "Adieu" [...]".
Pour ce qui est de la section conclusive "Adieu", Hackett choisit d'insister sur une double image du bateau, la "barque" sera "symbole des voyages à travers l'espace réel" et le "grand vaisseau d'or" "symbole des voyages à travers l'espace littéraire", et "Bateau ivre" et Illuminations sont cités à l'appui.
Et Hackett exprime l'idée alors convenue que le livre Une Saison en enfer explique un renoncement à la littérature.
Ce qui va rester de l'ouvrage, c'est les tensions entre Dieu et Satan, entre la Vierge folle et l'époux infernal, et aussi quelque peu les tensions exprimées dans les lettres du voyant entre moi et les autres, entre le "Je" et un "autre", etc.
Pour faire contrepoids, je propose tout simplement un relevé des passages dans Une saison en enfer qui montrent que le poète est préoccupé par la question de la mort :
   Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.
[...]
   "Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
Ces deux alinéas du prologue disent clairement que le poète n'éprouve plus l'appétit pour le festin ancien. Le mot "appétits" au pluriel est une reprise qui signifie clairement l'opposition entre l'appétit du festin ancien et des appétits sataniques, des appétits proches de l'expression de l'égoïsme et des péchés capitaux. Il est clair que le festin ancien est celui du christianisme, de la foi en Dieu, etc., et bien sûr de la charité en tant que vertu théologale. Satan dit même que le poète ne changeras plus d'état : "Tu resteras hyène". En revanche, Satan constate que le poète ne veut pas mourir "Gagne la mort" contraste avec "Tu resteras hyène". Et le poète a donc clairement exprimé qu'il ne souhaitait pas mourir.
C'est le noyau critique du livre Une saison en enfer. Le poète dans la suite du prologue ne dit même pas à Satan qu'il renonce à son influence et à être une hyène, puisqu'il lui dédie des feuillets de son carnet avec son lot de "lâchetés en retard". C'est bien le danger de la mort qui est au centre de la réflexion du poète, et s'il est question aussi de la folie dans ce prologue : "Et j'ai joué de bons tours à la folie", c'est dans une progression funeste que le poète entend arrêter.
Combien d'années me va-t-il falloir encore pour que les rimbaldiens admettent que ce rapport à la mort est une clef décisive pour comprendre de quoi le poète veut nous parler ? Rimbaud nous met clairement l'idée sous les yeux, c'est dit clairement, c'est nettement articulé ! Pourquoi les amateurs de Rimbaud ne veulent-ils pas voir ce qui est dit explicitement dans le prologue ? Je ne comprends pas.
T'es pas un critique rimbaldien si t'en parles pas !?
Passons à la suite !
Pour une bonne part, le récit de "Mauvais sang" ne traite pas directement du danger de mort. Relevons tout de même dans la cinquième section, l'idée d'un poète à la "contenance si morte" que les autres ne l'ont "peut-être pas vu." Le poète insiste en ce sens : "On ne te tuera pas plus que si tu étais cadavre." C'est ce qu'il dit une phrase avant de parle de sa "contenance si morte". Un peu plus loin, il est tout de même question d'être "en face du peloton d'exécution". Nous retrouvons les images du prologue quand, par révolte, le poète mord la crosse des fusils, etc. Ici, le poète se défend tout de même, mais il y a bien une certaine connexion entre les idées. Et Rimbaud dit : "je n'ai pas le sens moral", ce qui là encore est à rapprocher du prologue, sachant qu'à la fin de la quatrième section de "Mauvais sang", il était question aussi de "se garder de la justice". Il est clair que notre cinquième section entre en résonance avec les aliénas exprimant la révolte et le désir de mourir en attaquant la société du prologue. Et il s'agit alors d'être sauvé. Le poète va ensuite subir une conversion forcée et dans ce cadre-là il va poser la question des "autres vies", ce qui répond parfaitement à l'idée d'un jeu avec la dialectique chrétienne opposant une "vie temporelle" à une "vie spirituelle". Puisque le christianisme prend cette voie, le poète surenchérit par l'idée qu'il pourrait y avoir plusieurs vies après la mort. Le poète dénonce alors une "folie" dont il sait tous les élans et les désastres, dit-il. C'est dans ce cadre que le poète va parler de "manquer du courage d'aimer la mort" et il va alors définir la "vie" présente comme "farce à mener par tous".
Refusant "la vie française, le sentier de l'honneur", l'alliance du sabre et du goupillon : "Les autels, les armes...", le poète parle de se suicider : "Je me tue !" Et cela fait transition avec la section suivante : "Nuit de l'enfer" où le poète se félicite de s'être empoisonné : "J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. - Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé !" Il ne s'agit pas du baptême traité sous la métaphore du poison, même si j'ai été tenté par cette idée par le passé, il s'agit d'une absorption de poison au sens propre par refus de suivre la marche.
La section décrit les affres du mourant et formule finalement l'aspiration à son contrepoint "remonter à la vie".
Les sections "Vierge folle - L'Epoux infernal" et "Alchimie du verbe" font suite à cette section "Nuit de l'enfer", et au lieu de comprendre que la folie serait le maître mot de l'ouvrage nous pouvons envisager que la folie désastreuse du poète a à voir avec ce désir de mort qui fait absorber du poison dans "Nuit de l'enfer".
Rappelons que au sein de son témoignage la Vierge folle se dit "morte au monde" et s'en lamente. Elle formule aussi des raisonnements qui, malgré la niaiserie qu'on lui prête, mérite toute notre attention : "Il ne me rendait pas meilleure, s'il ne me faisait pas mourir." Et si on veut s'intéresser à l'idée d'indices discrets d'une composition concertée, comme il était question de "remonter à la vie" à la fin de "Nuit de l'enfer", à la fin de la section "L'Epoux infernal" où l'adjectif "infernal" est de la famille du mot "enfer" de la section précédente, il est question dans la bouche de la "Vierge folle" de "remonter à un ciel".
 Et dans "Alchimie du verbe", le poète mime le mouvement du prologue, puisqu'après un certain temps de son expérience poétique il approcherait de la "Cimmérie, patrie de l'ombre et des tourbillons". Le poète nous dit alors qu'il était "mûr pour le trépas", sa "santé" étant "menacée".
Or, à partir de ce moment-là, une thérapie est mise en place : "Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau." Il est alors question du "Bonheur" avec sa "dent douce à la mort", puis soudainement le poète annonce : "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté." Ce salut à la beauté reprend l'idée initiale de la beauté injuriée du prologue. Le salut peut être une façon de dire adieu également, nous restons quelque peu dans l'idée de la mort et ce qui me permet d'insister en ce sens, c'est que, dans "Alchimie du verbe", avant la mort il est déjà question d'adieu au monde. Le poète dit célébrer le désordre de son esprit et introduit ainsi le troisième poème cité dans la section "Alchimie du verbe" :
Mon caractère s'aigrissait. Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances :
CHANSON DE LA PLUS HAUTE TOUR.
On voit bien qu'il n'est pas question uniquement d'un abandon à la folie. La folie va de pair avec un mûrissement vers le trépas.
Et, dans ce cadre de délires illustrés par des poèmes, Rimbaud revient sur l'idée d'autres vies. Cela est à rapprocher du poème "Vies" des Illuminations et par conséquent du modèle littéraire que sont les Mémoires d'outre-tombe, et cela est à rapprocher de l'espoir en d'autres vies formulé dans "Mauvais sang". Mais il faut voir aussi que cela s'inscrit dans la progression du récit qu'est "Alchimie du verbe". Il ne s'agit pas d'un thème lancé parmi d'autres qu'énumérerait la section "Alchimie du verbe". Quand le poète nous dit sa conviction qu'à chacun "plusieurs autres vies [lui] semblaient dues" nous sommes face à un désordre de l'esprit de quelqu'un qui dit "adieu" à ce monde et qui est en route pour le "trépas". En général, on cite ce passage comme une sorte de propos philosophique sur la multiplicité de "vies" que nous pourrions avoir en une seule, si nous ouvrions nos portes de la perception à la manière de Rimbaud, alors que la lecture articulée du récit permet de maintenir l'idée d'un jeu polémique avec le discours opposant vie temporelle et vie spirituelle. Nous n'avons pas affaire à une conviction engagée de la part de Rimbaud, conviction engagée qu'il répudierait en cet été 1873 mais qui n'en aurait pas moins été une idée motrice pour le poète en son heure d'exaltation. A cette aune, il devient très difficile de rendre compréhensible la prose de Rimbaud. Le point de vue est mystique et peu argumentée, que voulez-vous que nous en fassions ? Or, ici, ce qui se dessine, c'est un cadre de réflexions polémiques qui n'engagent pas tant que ça des convictions délirantes sincères de la part de Rimbaud. Il nous faudra y revenir, mais en gros les propos sont à mettre en perspective avec l'idée que la religion veut que nous nous réglions en fonction d'une vie spirituelle que notre rapport à la seule vie temporelle va nous faire mériter ou non.
Face aux mentions de la mort, il conviendrait d'ailleurs de relever toutes les mentions de la "vie" dans cet ouvrage, emploi du singulier "vie" ou emploi du pluriel "vies", emploi aussi des déterminants possessifs comme dans le prologue mais pas seulement : "ma vie". Le mot de vie apparaît précisément au début et à la première phrase de la section "L'Impossible", section assez longue, et loin comme Hackett de mettre en vedette les deux sections coiffées du titre "Délires", j'insisterais sur le fait que les "Délires" viennent après la section de progression du cauchemar "Nuit de l'enfer" et qu'elles sont suivies par une section "L'Impossible" qui a de forts accents de mise au point décisive. La section "L'Impossible" est assez longue et elle sera suivie de sections nettement plus courtes : "L'Eclair" et "Matin". La section "Nuit de l'enfer" est solidaire de "Mauvais sang", mais je ne perdrais pas de vue qu'elle peut être envisagée comme introduction aux deux sections "Délires", et je ne perdrais pas de vue qu'un raisonnement suivi relie les sections "Nuit de l'enfer", "Délires I", "Délires II" et "L'Impossible". Et les échos sont importants de toute façon également entre "Mauvais sang" et "L'Impossible". Je vais finir par dire maladroitement que toutes les sections sont solidaires et que nous pouvons aussi inclure "L'Eclair", "Matin" et "Adieu", mais j'aimerais quand même faire sentir que le privilège des deux "Délires" crée une discontinuité dans la réflexion des rimbaldiens qui nuit aux enchaînements d'idées entre les parties de l'œuvre. Les deux "Délires" ont fortement l'apparence de morceaux détachables à cause des repères biographiques que nous leur prêtons, à cause du changement de témoin, la vierge folle, à cause de l'insertion de poèmes rimbaldiens authentiques. Mais, de "Mauvais sang" à "L'Impossible", le traitement est identique et continu. Il serait donc plus logique de minimiser les impressions de rupture des deux "Délires" dans l'économie de la lecture d'ensemble.
En tout cas, à partir de la section "L'Eclair", le poète va prétendre sortir de l'enfer, et à défaut d'une analyse poussée du détail compliqué du texte, nous pouvons préalablement nous appuyer sur quelques affirmations limpides.
Dans "L'Eclair", le poète se plaint : "Ma vie est usée." Le remède est alors le refuge dans une imagination délirante. Il s'agit de continuer dans la voie délirante, et cela s'appelle "exister" pour le poète : "Et nous existerons...". Le poète envisage alors mourir avant ses "vingt ans", un genre de suicide romantique, mais non, il prend une décision capitale, et cette décision capitale, la voici :
Non ! non ! à présent je me révolte contre la mort !
Jusqu'à présent, la révolte était contre ce monde, contre son "devoir" pour citer un passage plus haut de la même section "L'Eclair". Le poète s'est "armé contre la justice", il a injurié la beauté, il s'est mis sous le patronage de Satan. Et Satan invitait le poète à gagner la mort. Il est clair que cet instant présent de révolte va être décisif. La révolte contre la mort apporte un correctif à la révolte satanique du poète. S'il se révolte contre la mort, on ne pourra plus le dire "mûr pour le trépas". Sa folie n'est plus purement funeste. Après l'affirmation qu'il veut vivre, le poète s'inquiète tout de même de la perte de l'éternité, mais cela ne change rien au caractère décisif de la nouvelle résolution. Et c'est cette nouvelle résolution qui va permettre au poète de dire qu'il remonte à la vie, et remonter à la vie, c'est remonter au jour et c'est ce qui justifie le titre de la section suivante "Matin". Rimbaud prend ses distances toujours avec le christianisme en se moquant du "mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria". Le christianisme n'est pas une religion à savoir secret pour les doctes. Le christianisme, c'est adhérer à un certain nombre d'idées clefs. Il faut croire en la trinité, adhérer aux dix commandements, sachant que derrière ce nombre dix il y a surtout quatre idées directrices. Normalement, les principes du christianisme sont formulés pour l'essentiel dans le "credo" ou le Pater Noster. Ce sont des condensés liturgiques de ce que doit à tout prix penser le chrétien pour être chrétien. Le "Ave Maria" est plutôt une prière, mais donc dans "Matin" Rimbaud se moque de la foi en une autre vie spirituelle du credo chrétien, et c'est bien en phase avec le fait qu'en 1870 Rimbaud a écrit "Credo in unam", il se moque de cet appel à une autre vie face à la misère de celle-ci. On est bien dans la logique du "une autre vie semblait due aux chrétiens". Le poète envisage que l'éternité est perdue pour lui, moins par le sentiment qu'il est damné que par le sentiment que cela ne signifie plus rien au terme de son parcours intellectuel. Mais ce qui est intéressant, c'est que le poète a refusé de mourir désormais et qu'il peut dire : "je crois avoir fini la relation de mon enfer." L'amorce phrastique est piquante : "je crois..." elle entre en résonance avec le "credo" des "Pater" du mendiant. Rimbaud précise que cet enfer qu'il laisse derrière lui est celui du christianisme, puisque celui ouvert par le "fils de l'homme", et qu'on veuille lire ou non un jeu de mots dans l'expression "le fils de l'homme", il s'agit d'une expression biblique pour désigner Jésus. Le poète dit clairement qu'il en a fini avec l'enfer de la religion chrétienne, tout en se moquant d'un mendiant naïvement superstitieux et soumis à la foi chrétienne.
Le poète met en relation cette idée d'une fin de l'enfer avec un paradoxe sur son incapacité à s'expliquer : il ne sait pas s'expliquer mieux que le chrétien le plus en détresse, il ne sait plus parler, mais au moins il pense qu'il en a fini avec l'enfer. L'acte fondateur dans la section précédente, il n'y en a qu'un, c'est le refus de la mort. Pour le reste, le poète n'a rien changé à son discours. Il continuait de prétendre jouer aux inventions d'amours monstres, continuait de rejeter le devoir et le travail, continuait de menacer d'attaquer. C'est vraiment l'idée de refuser la mort qui est la seule résolution nouvelle formulée dans "L'Eclair" et ça ne peut qu'être l'origine de cette conviction que le poète en a fini désormais avec l'enfer chrétien. Le discours peut être parasité par le fait de se dire que l'éternité est perdue, etc. Mais il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre, en se disant que le poète est damné puisqu'il dit que l'éternité est perdue. Non, il se moque du mendiant, donc ce concept d'éternité à gagner ne l'atteint pas. Il perd l'éternité, parce qu'il se met en-dehors de la logique d'ensemble du salut chrétien. Elle est perdue, non parce qu'on se damne, mais parce que la mise au point met en doute sa possibilité, met en doute les "autres vies" qui sembleraient nous êtres "dues". C'est ça aussi l'heure nouvelle très sévère.
Il s'agit désormais d'avoir "Noël sur la terre" et dans une situation entravée il s'agit de ne pas désirer mourir : "Esclaves, ne maudissons pas la vie." Ce sont des résolutions de la crise racontée par Une saison en enfer tout à fait explicites, et le récit de "Matin" tient en une seule page, ou tient en deux pages d'un livre de petit format. Si on doit résumer "Matin", le poète nous dit qu'il en a fini avec l'enfer, il ne maudit plus la vie. On a bien une preuve que la "révolte contre la mort" exprimée dans "L'Eclair" était décisive. Le dénouement prend une certaine extension : "Matin" et "Adieu" développent les aspects que prend cette résolution de vivre quand même, malgré son refus des règles du monde ambiant.
On a bien dans "Matin" une réponse au prologue. Il est vrai que si on formule cela maladroitement on peut trouver ça absurde : "pour éviter le dernier couac, il suffit de se révolter contre la mort." Cela a un petit air de tautologie. Ce qu'il faut comprendre, c'est que tenté de refuser la mort le poète a fait un retour sur la notion de charité, et le développement final montre comment le poète refuse la mort sans revenir à la charité, et comment le refus de l'autre vie spirituelle du christianisme va permettre aussi au poète de s'avouer qu'il n'y a qu'une seule vie à étreindre, que même si elle n'est pas parfaite, parce que nous sommes "esclaves" selon le terme très fort employé dans "Matin", nous n'avons rien de mieux. C'est le cadre où nous existons, il faut l'apprécier tel qu'il est, quitte à chercher à le transformer. Mais, l'essentiel, c'est de ne pas hypothéquer sa vie en exigeant tout de suite mieux. C'est cette radicalité d'exigence du ressenti qui posait problème au poète.
J'ai oublié dans mon relevé la phrase où le poète parle d'ouvrir le couvercle du cercueil et de s'asseoir. Dans "Adieu", le poète se remémore sa situation de mort parmi d'autres cadavres. Il y a donc aussi une résonance métaphorique de l'idée de mort dans cet ouvrage. Rimbaud prend ses distances avec "les amis de la mort". Cela l'échauffe, et il s'écrie : "- Damnés, si je me vengeais !" Et à cela il va répondre par la formule "Tenir le pas gagné" couplé à "Point de cantiques". Il s'agit clairement d'une acceptation de la vie immédiate, et "tenir le pas gagné", cela veut dire ne pas chercher à se venger par la rage d'un sentiment d'échec. Et la phrase tant débattue : "Il faut être absolument moderne[,]" est très précisément calée entre le cri : "Damnés, si je me vengeais !" et la phrase "Point de cantiques : tenir le pas gagné." En clair, la modernité envisagée ici est celle d'un refus des cantiques et d'une volonté qui avance dans la vie. Vu le mépris pour le "monde moderne" et ses "poisons" exprimés dans "L'Impossible", il y a bien sûr une ironie à se dire "absolument moderne", mais il ne s'agit pas pour autant d'une antiphrase. La nécessité moderne de vivre cette unique vie sans en désespérer est la leçon ultime d'Une saison en enfer.
Ce monde n'est pas juste si cela t'étonne, car "la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul." Rimbaud n'affirme pas une foi dans le christianisme. Il s'agit de persiflage. Croire en la justice dans ce monde est vain, et il faut être sot pour philosopher sur une juste rétribution à chacun selon qu'il fait le mal ou le bien. Si c'est "le plaisir de Dieu seul", cela ne veut pas dire qu'il faut avoir la foi, cela veut dire que ce sont des réflexions vaines pour un humain, une perte de temps. On peut s'inventer un Dieu qui va faire la juste rétribution, mais ce jeu de l'esprit ne changera rien à ce monde ou si les gens qui ont la foi agissent sur ce monde ils n'auront pas la clef divine de la juste rétribution et ne seront de toute façon pas efficaces.
Le poète se remplit d'une "ardente patience" qui pourrait faire songer à celle du chrétien, mais il s'agit ici d'une "ardente patience" dépourvue de croyance en l'au-delà. Le poète a une "ardente patience" car il est déterminé à ne pas maudire la vie. Perdre patience, c'est mourir. Et il admet qu'il y a de "splendides villes" parce ce qu'il va mordre la vie à pleines dents. Le problème que pose cette fin du livre Une saison en enfer, c'est que si on n'a pas compris le discours d'acceptation d'une réalité sans dieu dans "Matin" ou dans la première section de "Adieu", ou si on garde un doute sur la pensée de Rimbaud, on peut lire toute la fin du récit comme une sorte de résolution chrétienne. On peut se dire que le poète est humble et qu'il fait confiance à la justice de Dieu, lui n'étant pas compétent pour en juger. On peut se dire qu'il accueille les influx de vigueur et tendresse à la manière d'un chrétien, sans voir que le poète prend la peine de qualifier la "tendresse" de "réelle", ce qui suppose bien pourtant qu'il y a un contre-modèle, à l'évidence la "tendresse" imaginaire d'un Dieu qui n'existe pas. Notez que "tendresse réelle" fait écho à "réalité rugueuse à étreindre". Le poète rejette aussi les tendresses imaginaires de ses délires.
Mais, plusieurs indices prouvent que le poète ne revient pas au christianisme. Et le plus proche de la conclusion du récit, c'est le fait de laisser derrière soi "l'horrible arbrisseau", dénomination dépréciative pour "l'arbre de la connaissance du bien et du mal". Rimbaud laisse le "plaisir de la justice à Dieu seul", il semble donc respecté contrairement à Adam et Eve l'ordre divin, mais ce n'est pas du respect si c'est formulé avec un tel mépris et dédain : "horrible arbrisseau". L'absence de "main amie" est désespérante pour le chrétien, mais là encore Rimbaud s'éloigne du christianisme, il tourne en dérision ce défaut. Et il donne la note du rire de mépris pour les mensonges. Rimbaud ne dit pas clairement qu'il rejette le christianisme en tant que mensonge, tout comme il rejette ses délires, il faut comprendre cela entre les lignes, mais une fois admis cela on voit très bien que la fin du récit n'est pas une pirouette absurde ou contradictoire. Rimbaud mime en rigolant l'attitude du chrétien qui se sent un martyr de ce monde, avec l'idée de l'ardente patience face aux splendides villes, avec l'idée du rejet du mensonge, puisque le christianisme se prétend "vérité", avec l'idée de la vérité qui vaut pour un corps et une âme, comme le christianisme s'intéresse au corps et à l'âme. On pourrait trouver aussi très chrétien d'apprécier la réalité rugueuse de ce monde. Mais tout ce qu'a dit le poète contre la religion ne s'éteint pas. Rimbaud ne dit jamais qu'il rentre dans le rang chrétien. Toute la fin du récit est conçue comme un trompe-l'œil d'une certaine étendue narrative. La "vérité dans une âme et un corps", c'est que le poète se sait "esclave", mais qu'il ne doit pas "maudire la vie" quand bien même le Noël laïc sur la terre serait lui-même hors d'atteinte. Le corps du poète enregistre qu'il n'y a qu'une réalité rugueuse à étreindre, mais sera risible le chrétien lecteur de Rimbaud qui croira que le poète embrasse cette réalité à la manière du chrétien confiant dans la récompense donnée dans l'au-delà. Et Rimbaud a clairement préparé le terrain à cette confusion comique, puisque dans "L'Eclair" encore il écrivait : "les récompenses futures, éternelles, les échappons-nous ?" Rimbaud a fait exprès de piéger les lecteurs chrétiens en douce. Le résultat, c'est que même les lecteurs hostiles au christianisme lisent avec des incertitudes énormes cette fin d'œuvre. La vérité dans l'âme, c'est qu'il n'y a que cette vie et qu'il n'y a pas de sens à chercher à en déformer la compréhension en inventant d'autres vies hypothétiques, soit par conviction chrétienne, soit par révolte satanique. La vérité d'âme et de corps sera terre à terre ou ne sera pas. Le poète a bien dit qu'il était "rendu au sol". Il n'a pas été rendu à Dieu.
Pourquoi le refus de la mort est bien le mot de la fin ? Mais précisément la vérité du chrétien est de s'en remettre à l'au-delà, et dans sa crise le poète rejetait cette vie, c'est-à-dire à la fois les conceptions chrétiennes et la vie ambiante elle-même. La vie ambiante était définie comme espace chrétien, le poète voulait se suicider et s'échapper de ce monde. A la fin, même si les autres sont chrétiens, le poète consent à vivre, mais la vérité pour son âme et son corps est celle de l'acceptation de cette unique vie. Et cela a du sens de parler du vérité du corps et de l'âme qu'on possède, puisque les autres voient leur vie comme prolongée par d'autres : festin ancien et récompenses éternelles par exemple. La vérité est le sentiment de vie immédiate, avec aussi toute la condition limitée que cela suppose.

5 commentaires:

  1. J'essaie de me contrôler pour ne pas donner un soudain coup d'accélérateur à la série d'articles en cours. Je profite de l'astuce des carrés de commentaires pour m'offrir quelques débordements.
    L'article ci-dessus développe une lecture complètement neuve de la section "Adieu", je l'avais en tête depuis un certain temps déjà, mais je croyais que j'aurais plus de mal à mettre cela en place et finalement ça se fait tout seul. En clair, comme on le voit avec Hackett, les gens se posent des questions sur la fin de la Saison. Rimbaud a l'air de déblatérer des propos non arrimés à une solide argumentation pour faire mine qu'il sort de l'enfer. Le fait de lire ce triomphalisme à un refus de mourir et de voir que la vérité dans une âme et un corps c'est le fait de se dire que ma vie c'est celle-ci et pas une autre promise par Satan ou Dieu est l'apport majeur que je fais aux études rimbaldiennes, et partant cela me permet d'être le premier à lire la section "Adieu" comme elle le doit l'être et en tant que cohérente. Murat ne lit pas cette fin Adieu dans son livre de 2013, je vais relire Davies, Nakaji (dont j'ai aussi plusieurs articles autour de 2010, pas seulement sur la charité), Brunel, d'autres et même Frémy si j'ai encore les photocopies, plus le dico 2021.
    Mais il faut citer aussi Claisse qui a sorti un article sur le prologue avec la thèse du ressenti et un autre sur Adieu avec la thèse du tragique, et il faut ajouter sa dissertation sur "Il faut être absolument moderne." Je m'explique à ce sujet dans un autre commentaire en réponse. A tout de suite !

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    1. Comme les Vers et Une saison en enfer de Rimbaud furent à l'agrégation en 2010, il y a eu beaucoup de publications collectives à ce moment-là qui se sont d'ailleurs jointes à d'autres publications qui se firent à ce moment-là indépendamment du contexte de concours national.
      Or, Claisse a participé à un n° spécial Rimbaud de la revue Europe en oct. 2009, et cela n'était pas lié à l'agrégation à venir. Il a même publié deux articles dans ce volume, un sur "Solde" et un très bref sur la section "Adieu" : "L'irréductible tragique d'Une saison en enfer". Claisse va dire des choses très justes, mais en se fondant sur une approche conceptuelle de lectures "philosophiques" anachroniques quant à Rimbaud, mais ça reste juste car Claisse s'appuie sur une analyse très fine du lexique employé par Rimbaud, et même il commente finement des aspects grammaticaux : "réalité rugueuse" et "inhabileté fatale", "cruauté du monde", etc. Claisse développe une lecture de la fin de la Saison qui est la plus proche de la mienne, mais il n'identifie pas comme je le fais un dialogue constant de Rimbaud avec la religion. Pour la ligne finale, Claisse l'analyse, à mon sens bêtement, comme une pensée pure de Rimbaud qu'il ramène à son appareillage philosophique, alors que le sel de la phrase finale c'est d'identifier l'imitation christique : "posséder la vérité dans une âme et un corps". Claisse croit à tort que le mot "corps" introduit la rupture originale de la pensée de Rimbaud. Je commenterai cela prochainement et comparerai les lectures pour mieux dégager ce que la mienne dit d'imparable.
      Mon deuxième grand apport, c'est de lire une bonne part de la fin de la Saison comme une imitation en douce du chrétien en ce monde, sans rappeler frontalement que le poète a fait un sort à la croyance dans d'autres vies. Le tour de force de "Adieu", c'est de parler comme le chrétien, avec son déguisement, sans en être un !
      Je ne serais pas banni du monde rimbaldien, nul doute qu'il me courrait après pour que je publie un article là-dessus.
      Cerise sur le gâteau, Claisse a publié une dissertation sur la phrase "Il faut être absolument moderne" dans un volume pour l'agrégation un peu après. Or, cette différence d'approche que j'ai en insistant sur l'imitation chrétienne me semble permettre de revenir sur cette phrase très souvent débattue en rimbaldie depuis le livre de Meschonnic. Je viens de souligner l'axe de mise au point en soulignant la phrase précédente et la suivante. Par acquit de conscience, il me faudra les publications de Frémy, le livre chez Folio de Meschonnic, et d'autres, mais ça annonce du lourd sur ce blog dans les mois à venir !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
      Et j'écris ça avec les premiers chuintements de la chanson "Louie Louie" par Bob Hocko and the Swamp Rats qui commence pile par jaillir des enceintes.

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  2. Prochaine sortie, j'y arrive : revue désormais rapide de ce que dit Davies sur le prologue, mais je ferai un retour sur les lignes générales de sa pensée formulée en 73 et ce que ça implique pour 75. Puis, je vous fais le commentaire de l'analyse du prologue par Nakaji en 87, je critiquerai son idée de rituel, qui, je le précise, est contestée également par Murat en 2013.
    Ensuite, on passera à la deuxième époque, avec ce que j'ai déjà dit et que je redirai de toute façon, le débat des contresens de Brunel à Molino, et je pourrai alors étudier les nouveaux articles de Nakaji, il y en a un sur la "charité", mais Nakaji a aussi publié plusieurs chapitres sur la Saison dans le livre pour l'agrégation où Claisse a publié sa dissertation sur "Il faut être absolument moderne." On va avoir de la grosse mise au point.
    Dans cette deuxième époque, je ferai aussi un sort à certains articles de Mario Richter, sinon d'autres.
    Pour la troisième époque, c'est bien simple. J'ai corrigé la lecture de Molino et de Brunel autour d'alinéas précis du prologue. Murat avait lu mon article en 2013, article qu'il cite en le daubant superbement, sauf que Murat n'a rien compris à ce correctif et dit des choses fausses du coup sur le prologue et l'ensemble de la saison.
    Un auteur dans Rimbaud vivant, Frémy à la radio, plusieurs personnes se sont pourtant inspirées de ce que j'ai dit de la structure du prologue, sans me citer bien sûr, et on a commencé à réintroduire la notion de charité, mais comme on me prend pour un con ou un excité des études rimbaldiennes les lectures se sont réjouies de demeurer bâtardes en continuant d'entretenir l'héritage Molino.
    Eh ! les rimbaldiens, c'est promis ! Il ne vous restera que les yeux pour pleurer !

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  3. Magnifique confirmation que j'ai raison de dire que "posséder la vérité dans une âme et un corps" c'est se faire à l'idée qu'on n'a qu'une vie. Voici : Adieu est une section en deux parties. La première phrase de la première section qui parle de chercher la "clarté divine" se ponctue par la formule "-loin des gens qui meurent sur les saisons." Mais, surtout, dans le second paragraphe, je relève cette phrase : "Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés !" La fin "et qui seront jugés" est elle-même en italique, ce qui est une exception qui va de pair avec "posséder la vérité dans une âme et un corps", mais vous aurez remarqué que dans la phrase finale le couple "une âme et un corps" est dans la partie en italique, tandis que plutôt, nous avons déjà le couplage au pluriel "d'âmes et de corps morts" pile devant l'expression en italique. Et vous apprécierez que nous passons de la mort à la vérité : "d'âmes et de corps morts" à la "vérité dans une âme et un corps".
    Eh oui, les rimbaldiens gonflés de leur importance ils voulaient que je sois le moins mis en avant possible sur Rimbaud. Ils passent pour quoi, maintenant ?
    Pour l'expression "France fille aînée de l'église", je n'ai rien à me mettre sous la dent avec plusieurs commentateurs, mais dans l'édition critique de Brunel, j'ai un truc un peu interloquant. Brunel cite un extrait de l'Histoire de France de Michelet, l'historien disant que les papes ne disaient pas pour rien que la France était la fille aînée de l'église. Michelet n'avait donc même pas conscience de la corruption de l'expression opérée par Ozanam et Lacordaire. Ensuite, à une autre page de son étude, Brunel dit, mais allusivement, que au XIXe siècle plusieurs personnes essayaient de faire revivre cette notion. Le seul truc qui manque c'est le constat que la formule est corrompu, le roi ou le royaume sont fils aînés, la France fille aînée c'est une requalification post révolutionnaire, louis-philipparde, post les trois glorieuses. Mais bon, faudra que je continue de faire des recherches à ce sujet.

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  4. Bon, j'ai un article d'Alain Vaillant "posséder la vérité dans une âme et un corps", je l'ai parcouru rapidement, il n'y a pas la lecture que je fais, mais il y a un tapis de réflexions qui vont me permettre de montrer que j'ai raison... Il y a des perles, je vais bien m'éclater.

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