mardi 20 mars 2018

Compte rendu de l'entretien avec Pierre Brunel sur Cinémagie Créations (youtube)

Pierre Brunel a été interrogé sur Rimbaud pendant plus d'une heure par "Cinémagie Créations" qui a mis en ligne la vidéo sur son site Youtube. Je vais en rendre compte, mais en recherchant une certaine concision, quitte plutôt à livrer une série de notes. Pierre Brunel est resté trente-huit ans professeur en Sorbonne, parce qu'il me semble qu'il faut éviter de dire "professeur à la Sorbonne", du moins d'après des échanges oraux que j'ai pu avoir. Il a publié plusieurs ouvrages sur Rimbaud, et je remarque qu'on réédite actuellement l'un des plus anciens, celui de 1983 Rimbaud ou l'éclatant désastre, mais mes poches ont préféré se vider pour Ceux du Donbass, le témoignage de Zakhar Prilepine. J'ai déjà lu il y a très longtemps les livres Rimbaud ou l'éclatant désastre et le livre Rimbaud, Projets et réalisations. J'avais aussi son édition de commentaires des poèmes des Illuminations, beaucoup plus récente, mais qui ne m'a pas satisfait. Je conserve encore, malgré le mauvais état laissé par une inondation, son édition critique du livre Une saison en enfer parue chez José Corti en 1987. Un autre livre qui a réchappé à la catastrophe : je possède toujours son édition des Œuvres complètes parue en 1998 dans la collection La Pochothèque au Livre de poche, mais les premières pages ont disparu. J'ai enfin acquis plus récemment les deux volumes au format habituel au Livre de poche, un tome pour les vers, un tome pour les proses. J'avais quoi d'autre, à part des articles dans diverses revues, sinon un volume parascolaire chez Hatier ? Rien d'autre. Bref, Brunel a publié sur l'ensemble de l’œuvre de Rimbaud et il fait partie du cercle très fermé des éditeurs de Rimbaud au plan des éditions grand public depuis trente ans. Commenter son intervention nouvelle dans un format vidéo pour non spécialistes, cela va me permettre de situer mon son de cloche par rapport à ce qui fait consensus. Je rendrai d'ailleurs compte prochainement de son édition critique. Je précise enfin que je ne le connais pas, je lui ai serré la main en 2004 lors d'un colloque, et je l'ai croisé une autre fois dans un séminaire à peu près à la même époque. J'ignore ce qu'il pense de mes articles et tout particulièrement de mes contributions à l'édition de la Pléiade en 2009, puisqu'il ne m'a jamais cité.
Le texte de présentation sous la vidéo est-il de l'ordre de la concession au tour pris par l'échange ? Je ne le crois pas, je pense qu'il y a un peu des idées du vidéaste, mais que cela n'a pas orienté les réponses faites par l'invité. Il va donc être question d'une vie de poète, étape par étape, peut-on dire, et je cite : "nous allons voir que Rimbaud a voulu recréer le monde, par la poésie." Personnellement, je ne comprends pas très bien ce projet. Le papier et l'encre font partie du monde, et n'en sont qu'une minuscule partie, minuscule à un point qui dépasse notre entendement. Du coup, je ne vois pas très bien comment écrire des poèmes permettrait de recréer le monde : ce n'est pas du tout ça la prétention de Rimbaud selon moi. J'ai l'air de faire montre d'une ironie facile, on me dira que "recréer le monde" c'est une façon de parler, mais je n'ai plus alors qu'à répliquer : une façon de parler pour dire quoi ? Il est plus juste de penser qu'Arthur a écrit et fait de la poésie pour agir sur le monde, ou pour mieux l'explorer et exploiter l'idée d'un progrès intellectuel poétique qui aurait des applications réelles dans la société. En revanche, la vidéo démarre sur une musique rock entraînante. J'ai le modèle qui inspire ce chant rythmé dans la tête, mais je n'arrive pas à mettre un nom dessus pour l'instant, j'ai aussi pensé pour certaines spécificités du style qui enveloppe cela à une forme de musique façon Mardi gras des Wild Magnolias, groupe funk de la Nouvelle-Orléans, lié au Mardi gras et à la culture des "Indiens noirs", qui a produit de beaux albums dans les années 70, mais les Wild Magnolias sont plus riches, je pense surtout à une note de couleur dans le jeu.


L'intervieweur parle d'une découverte de Rimbaud à l'âge de douze ans, puis d'un poète qui a changé sa vie. Le problème, c'est que je me demande si la découverte à l'âge de douze ans coïncide avec la découverte de toute l’œuvre et donc avec cet effet d'une lecture bouleversante. Pierre Brunel parle lui d'une découverte qu'il prétend encore plus jeune, mais le mot "instituteur" ne permet pas de savoir quand exactement. Il s'agit du poème "Les Effarés", un des rares poèmes qu'il soit possible d'enseigner à l'école primaire me semble-t-il, Brunel évoquant lui-même la correction prude "dos en rond" pour "culs en rond". Evidemment, le commentaire fait aux enfants sera forcément lui aussi bien prudent. Là encore, nous nous demandons si tout s'est joué au moment de cette lecture-là. C'est peu probable.
Personnellement, j'ai découvert Rimbaud à quatorze ans avec le poème "Roman". Ce fut une révélation, mais je n'ai lu ses Œuvres complètes que deux ans après.
Brunel attire l'attention sur l'âge auquel on découvre Rimbaud et sur les poèmes qui peuvent être soumis à notre attention dans les cadres scolaires, "Les Effarés" à l'école primaire, "Aube" en classe de première au lycée. Ce qui s'impose à mon sentiment, c'est que les vers ont été nettement privilégiés pour des raisons de commodités de l'enseignant qui doit dispenser un savoir précis sur les textes. Depuis quelque temps, les poésies en prose sont explorées par quelques professeurs plus audacieux, du moins au lycée, et j'ai même rencontré il y a quelques années un élève qui me racontait son passage le jour même à l'oral du baccalauréat sur "Voyelles" de Rimbaud à Toulouse. Je riais beaucoup intérieurement.
Remarquez bien qu'en 2010 Rimbaud fut inscrit au concours de recrutement des professeurs qu'est l'Agrégation. Or, il n'était question que des poèmes en vers et d'Une saison en enfer, mais pas des Illuminations. Et, si la dissertation n'a pas porté sur l’œuvre de Rimbaud, une épreuve de linguistique demandait de définir en tant que manifeste poétique un extrait de la lettre à Demeny du 15 mai 1871 qui pourtant n'est pas en tant que telle une œuvre littéraire. Les candidats s'étaient sans doute plutôt préparés sur divers poèmes.

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Vers le début de la vidéo et une seconde fois vers la fin, il est question de la révélation que fut pour Claudel l'édition des textes en prose (Saison et Illuminations) par La Vogue en 1886. Il est fait remarquer que le spirituel est toujours présent dans la poésie de Rimbaud, quel que soit le traitement agressif de la religion catholique. Ai-je été lu récemment ? Brunel finit par faire remarquer que, peu auparavant, La Vogue avait publié comme premier texte de Rimbaud "Les Premières communions", texte qui ne semble pas avoir fait partie de la révélation rimbaldo-spirituelle de Claudel en 1886.

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En parlant de l'absence du père de Rimbaud dans son enfance, Brunel ("je pense en particulier...") évoque l'exemple du poème "Famille maudite" plus connu sous le titre "Mémoire", le soleil étant le père qui s'en va. Mais l'invité concède aussitôt que cela est très réducteur pour le sens du poème...

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En ce qui concerne les poèmes en vers latins, outre que "Invocation à Vénus" n'en est pas un !!!, Rimbaud n'a pas plagié François Coppée, mais Sully Prudhomme. Sully Prudhomme a publié précisément sa traduction du premier livre du De rerum Natura de Lucrèce en  1869 chez Alphonse Lemerre lui-même, moins d'un an avant le plagiat de Rimbaud, et lorsque Lemerre publiera à nouveau les premiers recueils de Sully Prudhomme, comme il l'a fait pour d'autres, il réunira cette traduction à des recueils philosophiques plus tardifs de Sully Prudhomme, ce qui veut bien dire que cette traduction était à considérer comme une œuvre littéraire à part entière, une grande traduction. Brunel semble ne pas si bien connaître ce cas de plagiat, puisqu'il confond François Coppée et Sully Prudhomme, faute d'inattention certes, mais quand même, et ceci me permet de préciser que Sully Prudhomme accompagnait sa traduction d'une très longue introduction philosophique qui portait sur les notions de spiritualisme et de matérialisme, ce qui peut faire méditer sur les lettres dites "du voyant" d'ailleurs. Enfin, le cas de ce plagiat est également à distinguer dans la mesure où il est en vers français et est non pas un des poèmes en vers latins, mais une traduction du latin vers le français, en principe dois-je ajouter puisque Rimbaud a plagié des vers français d'un poète moyennement en vue, en se rendant compte que l'actualité poétique ne compte pas pour ses enseignants et qu'en même temps lui-même peut passer naturellement comme aussi doué qu'un poète ayant quelque peu les honneurs du public sans que cela ne choque personne.

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Je passe sur la discussion sur le bon élève, Rimbaud favorisait ses matières préférées. Je passe sur l'enseignement du grec.

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Pour la lettre à Izambard d'août 1870, il est affirmé que Rimbaud cite le recueil La Bonne chanson sans l'avoir lu. La lettre donne pourtant nettement l'impression qu'il a eu un exemplaire sous la main, ce qui n'était pas impossible. Le livre avait déjà été mis sous presse, des exemplaires furent diffusés pour produire des comptes rendus dans les journaux que Rimbaud mentionne justement il est naturel de penser que Verlaine avait dû diffuser des exemplaires personnels. L'hypothèse la plus simple serait que Bretagne, ami de Verlaine et fraîche connaissance de Rimbaud, ait eu son exemplaire. Dans tous les cas, il resterait à exclure que des exemplaires aient été vendus en 1869. Est-ce que cela a été clairement et définitivement prouvé ?
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Au sujet de la guerre franco-prussienne, une opposition est dressée entre les deux frères. Frédéric a participé aux combats, tandis que Rimbaud, le 29 août, a préféré "fuir", mot qui laisse le vidéaste dubitatif, jusqu'à ce que Brunel précise le portrait de "fugueur", ce qui n'a pas la même signification. Mais l'opposition est plus forte que cela, puisque la fugue de Rimbaud s'articule autour de deux aspirations : devenir poète à Paris, assister à la chute du régime.
Rimbaud est-il monté à Paris pour devenir écrivain, rencontrer Verlaine, Vermersch, André Gill, pour la première fois dès septembre 1870 ? C'est quand même la question à se poser. Rimbaud est allé à Paris en train, il a été arrêté sur le quai de gare n'étant pas en ordre pour son titre de transport. Du coup, l'erreur d'inattention consiste à accepter passivement la suite du récit. Il va en prison, il est libéré et se rend à Douai chez Izambard, avant d'être reconduit chez sa mère. Il recommence à fuguer, cherche à être journaliste et se rend à nouveau à Douai. Vous ne pouvez pas admettre passivement ce qu'il fait à sa sortie de prison, sans vous dire que la case prison n'étant pas prévue le renvoi à Douai n'était pas la suite naturelle de sa fugue.
Il y a quand même des problèmes logiques à analyser dans ces deux fugues. Rimbaud ne connaît ni Douai, ni Demeny quand il se lance dans la première fugue. Lors de la seconde, Douai n'est pas son objectif et c'est Izambard qui le recherche, qui semble suivre son trajet, et non l'inverse.
Premièrement, qu'aurait fait Rimbaud à Paris ? Il n'allait pas rencontrer Izambard. Je remarque que dans une lettre du 24 août à Izambard il parle de Verlaine. Cinq jours plus tard, il fugue. Hou ! que j'ai l'impression qu'avant de vouloir voir André Gill et Eugène Vermersch en février 1871 Rimbaud avait le projet de rencontrer Verlaine à Paris en septembre 1870. Je me demande combien de rimbaldiens y ont pensé, combien de biographes ont formulé l'idée. Je remarque que lors de la seconde fugue, il est question d'être journaliste en Belgique, à Charleroi, puis à Bruxelles. Douai n'a été à deux reprises qu'un lieu de repli final suite à des échecs, d'un côté l'incarcération à Mazas, de l'autre les fins de non-recevoir à Bruxelles et à Charleroi, témoignages de Durand ami d'Izambard et de la famille des Essarts à l'appui.
Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Rimbaud a pu aussi vouloir assister à la chute du régime à Paris, ce qui fait que l'opposition entre les deux frères, l'un qui s'engage, l'autre qui fuit, n'est guère satisfaisante, puisque Rimbaud adhère lui à la chute du régime. Il fuit dès le 29 août, et il est peu probable qu'il ait pu si nettement anticiper la chute de Sedan. Ceci dit, l'idée d'une révolution parisienne n'était pas à exclure. Mais j'en resterais assez bien à l'idée de se faire connaître à Paris comme journaliste ou poète, en rencontrant notamment Verlaine, à un moment où la reprise des cours à l'école était exclue. Car cette fugue d'adolescent n'est pas qu'irraisonnée. Rimbaud ne peut pas retourner à l'école, elle sera fermée à cause des combats, et il sera à charge pour sa mère. Le projet de chercher un travail littéraire rémunérateur qui prépare son avenir en gloire, c'est ça concrètement qu'il veut atteindre par ses fugues. "Ma Bohême", c'est un sonnet, mais ce n'est pas l'éclairage adéquat pour comprendre sa fugue. Rimbaud n'avait pas de quoi payer le train, il espérait bien une avance pour son travail à Paris. Enfin, Rimbaud avait eu le culot de faire passer pour sien un texte en vers d'un parnassien assez en vue et ce plagiat, un peu retouché certes, avait eu les honneurs d'une publication dans le Bulletin de l'Académie de Douai : il me semble que Rimbaud privilégiait ce genre de signe quant à sa destinée et quant à sa capacité à traiter d'égal à égal avec les adultes, ce qui témoignait d'un certain aveuglement naïf sur les relations sociales.
Vous comprenez peut-être mieux la distance que j'ai avec les énoncés "Rimbaud recrée le monde par sa poésie", "Rimbaud, c'est le fugueur absolu", "Rien que voir passer Rimbaud, c'est un mot d'ordre dans ma vie", "Rimbaud, c'est des visions au-delà du réel." Je n'ai pas du tout cette approche désolidarisée de la vie concrète : manger, dormir, avoir de quoi vivre, se faire reconnaître, se dire que l'école est fermée de toute façon, épater les gens par ce que je sais faire, formuler une pensée qu'on prendra au sérieux, etc. On fait de Rimbaud un poète éthéré au prétexte des lectures de "Ma Bohême" ou de "Aube". C'est très dangereux, parce qu'à cette aune le mouvement et la révolte comptent plus comme attitudes que comme élans d'un projet précis à accomplir.

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Les deux lettres dites "du voyant" sont opposées : une lettre plus courte face à une autre assez longue. Brunel reconnaît aux deux une intensité. Erreur d'inattention, le professeur prononce alors à quelques reprises "Demeny" pour "Izambard", en parlant de la lettre railleuse à quelqu'un qui est redevenu professeur. Brunel considère que la lettre à Demeny est plus longue, parce que Rimbaud aurait plus confiance en ce second interlocuteur et parce qu'il serait poète.
Notons un problème de logique dans l'approche. Pourquoi la lettre à Izambard, deux jours avant celle envoyée à Demeny, serait-elle railleuse ? Rimbaud a écrit au début du mois de novembre 1870 à Izambard qu'il mourrait pour lui, tellement il est rempli de gratitude à son égard. Les deux hommes ne se sont pas revus depuis. Le 13 mai 1871, Rimbaud raille Izambard. Cela ne peut s'expliquer que par le fait qu'entre-temps les deux hommes se sont écrits et sans doute pas qu'un peu, car si Rimbaud n'avait écrit qu'une lettre auparavant et qu'Izambard avait répondu, soit la colère aurait été plus prononcée dans la nouvelle missive, soit Rimbaud aurait pu mettre en balance l'impression de 1870 et l'unique lettre de colère d'Izambard. Nous savons d'ailleurs que c'est par Izambard que Rimbaud a appris l'adresse et les projets de mariage de Demeny, ce qui a valu à celui-ci la lettre du 17 avril 1871.
Pire encore, Izambard a témoigné sur Rimbaud, et il laisse bien entendre que les échanges furent nombreux. Même si par moments Izambard pense à minimiser le nombre de courriers qu'ils ont pu échanger, il ne faut pas être grand clerc pour s'apercevoir qu'Izambard réagit à quantité de propos qu'il prête à Rimbaud sur le plan politique. Va-t-on croire que Rimbaud a fait une lettre de synthèse à Izambard sur ses opinions communalitstes ? Izambard revendique avoir reçu une version sans titre de "Mes petites amoureuses", mais aussi un panorama de l'histoire de la Littérature mondiale depuis Homère, etc. En clair, il nous fait comprendre qu'il a reçu en plusieurs courriers ce que Demeny a reçu en un seul courrier.
Ce que je viens de dire devrait être le point de départ pour la réflexion de tous les rimbaldiens qui se penchent sur ces lettres. Là, à la manière d'un bon journaliste anglais, j'ai commencé par exposer les faits. Après, je lance mon avis. Le voici ! Les lettres à Demeny sont la queue de comète d'une dispute par lettres avec Izambard dont il nous manque l'essentiel, et l'interlocuteur privilégié c'est Izambard le professeur et pas du tout Demeny qui, s'il est poète, a je parie pour Rimbaud le très grand tort de ne pas avoir rencontré de succès. Nous savons que Rimbaud méprise le premier recueil publié par Demeny et que le complice de ce mépris c'est Izambard lui-même. Une lettre de Rimbaud à Izambard atteste d'une telle configuration d'ensemble dans les relations entre les trois hommes.
Ce que dit Brunel sur la différence de traitement d'Izambard et Demeny par Rimbaud est erroné. Rimbaud n'a pas plus confiance en Demeny par nature. Sans parler de la relation privilégiée au cours de la classe de rhétorique, Arthur a déjà confié depuis un certain temps à Izambard des manuscrits dont la nouvelle Un coeur sous une soutane et le sonnet "Vénus Anadyomène". Ce que néglige le raisonnement de Brunel, c'est le changement des rapports entre Rimbaud et Izambard, ce qui impose de conclure non par un manque de confiance, mais par une perte de confiance, ce qui n'a rien à voir. De surcroît, Brunel voit le début de cette opposition en 1870, quand Izambard oblige Rimbaud à retourner chez sa mère, tandis que Demeny se voit offrir des copies de ses poèmes, sauf qu'en novembre 1870 Rimbaud écrit sa reconnaissance infinie à Izambard en des termes plus qu'excessifs : il serait prêt à mourir pour manifester son dévouement. Brunel dit tout aussi abusivement que Rimbaud cherchait un refuge à Douai chez Demeny, ce qui est là encore faux, puisque Rimbaud se rend chez les sœurs Gindre, tantes d'Izambard, après une série de déconvenues. Remarquons que Brunel parle des manuscrits remis à Demeny en tant que "Cahier de Douai" ou "Recueil Demeny", deux appellations erronées qui faussent, orientent l'interprétation que nous pouvons avoir du dossier. Les manuscrits ne forment pas un ou plusieurs cahiers, idée erronée qui a traversé le vingtième siècle, tandis que l'idée d'un "recueil" a été diffusée depuis par Pierre Brunel justement, puis Steve Murphy. J'ai publié un article de contestation en règle de cette idée de recueil lors des tout débuts du blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu. L'idée d'un recueil des poèmes de 1870 ne fait pas consensus. André Guyaux et d'autres ne la partagent pas. Enfin, il faut éviter les inférences par défaut. Parce qu'Izambard n'a pas eu l'honneur de la même liasse manuscrite, on en prend acte pour considérer que Demeny est un interlocuteur plus important. Outre le mépris pour Demeny déjà évoqué plus haut, outre qu'il existait visiblement une communication plus vive et plus suivie entre Izambard et Rimbaud, même si bien des lettres sont perdues, rappelons-nous à chaque fois les contextes et surtout n'oublions pas que les gens dont nous parlons n'ont pas la prescience d'un futur que nous ! nous pouvons appréhender.
En octobre 1870, Rimbaud est à Douai. Il recopie tous les poèmes qu'il a avec lui ou il achève de les recopier pour en transmettre un jeu à Demeny qui ne les lira guère par la suite. Le papier coûte cher, et Izambard habite à Charleville. Rimbaud repart. Il sait qu'il ne reverra pas Demeny de si tôt, mais il n'en est pas nécessairement ainsi pour Izambard. Rimbaud pouvait être convaincu, et sa lettre du 02 novembre 1870 permet d'y songer, qu'il allait revoir très vite Izambard, qu'il allait lui communiquer des copies de ses poèmes à Charleville même, etc. Les jours passent, puis des événements surviennent, Rimbaud change de perception sur sa production de 1870, il préfère envoyer des compositions plus récentes à Izambard, mais les deux hommes se brouillent et précisément au sujet de ces poèmes. Je ne vois pas ce qui permet de dire que dès le mois d'octobre 1870 Rimbaud excluait de remettre un jeu manuscrit de tous ses poèmes déjà composés à Izambard. On voit bien qu'il y a une histoire en marche. Mais celle-ci ne doit pas permettre de réinterpréter les lacunes du passé.
Non, Demeny "ne serait pas plus à l'écoute", non il "ne pourrait pas mieux comprendre"...
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Remarquons au passage que l'émission n'a du coup pas vraiment parlé des poèmes de 1870 eux-mêmes, sauf  dans la partie apéritive d'ouverture avec "Les Effarés".
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Pour les lettres dites "du voyant", il y a un petit retour sur les prédécesseurs qui ont été parfois voyants Lamartine et Hugo. Brunel reste assez mesuré dans le ton sur Baudelaire le "vrai Dieu", "celui qui a été le grand voyant" donc avant l'auteur de la lettre. Rien que dans le ton Brunel met de la distance et justement il passe ensuite à la critique formelle qu'adresse Rimbaud. C'est bien ! L'entretien enferme ce mot de "vrai dieu" dans l'audace d'un Rimbaud qui envoie des "coups de griffes" à tout le monde.
Brunel rejette aussi l'idée qu'il y ait de bonnes raisons de classer Mérat parmi les "voyants" et il semble m'avoir lu quand il évoque l'idée que ça s'expliquerait par des connaissances, puis en tout cas que Mérat avait un peu de notoriété.
Moi, ma thèse, elle est claire. Rimbaud a connu un ami de Verlaine, Bretagne. Il est monté à Paris dès le 29 août 1870, très peu de temps (cinq jours) après en avoir parlé à Izambard dans une lettre. Il a cherché une première fois à rencontrer Verlaine dès la fin août 1870. Telle est ma conviction. La prison et ce qui s'ensuit ont broyé le projet. La fugue à Paris du 25 février au 10 mars 1871 correspond à plusieurs critères. Elle précède l'insurrection communaliste, mais il y a plusieurs éléments à apprécier. Rimbaud a dû réviser le problème du billet de train, mais en même temps sa fugue vient après l'armistice, moins d'un mois après, ce qui veut dire que le siège de Paris l'avait dissuadé de monter plus tôt. Le prix du train et le siège de Paris sont à mon avis deux clefs pour comprendre pourquoi il n'a pas fugué à Paris avant le 25 février, et même pourquoi Charleroi et Bruxelles avaient remplacé Paris en octobre. Ensuite, l'école est fermée, donc il faut bien s'occuper. Il faudrait que j'étudie les dates de réouverture de l'école, puis le combat avec sa mère quand Rimbaud refuse d'y retourner.
Rimbaud a à mon avis rencontré Verlaine entre le 25 février et le 10 mars. Je ne vois pas pourquoi, d'autant que le séjour ne fut pas court, il n'aurait rencontré qu'André Gill et cherché ensuite la seule adresse d'Eugène Vermersch. En revanche, cette connaissance n'était pas encore très poussée, ce qui peut expliquer le mot sur Mérat classé comme "voyant" avec Verlaine.
Les rimbaldiens confondent Rimbaud avec eux-mêmes. Ils imaginent un poète qui se rend dans une librairie, qui lit les poètes du dix-neuvième dans des éditions à forte reconnaissance publique, genre Poésie Gallimard aujourd'hui. D'ailleurs, pour l'essentiel, les rimbaldiens pensent que Rimbaud ne lisait que ce que publie aujourd'hui la collection Poésie / Gallimard à peu de choses près. On admetttra simplement que Rimbaud daignait lire les recueils publiés par Lemerre en sus. C'est plus compliqué que ça. D'un côté, la collection Poésie / Gallimard n'édite pas des poètes qui ont compté pour Rimbaud. Il faudrait même citer des recueils de Théophile Gautier, poète estimé de Baudelaire et un des voyants dans la lettre de Rimbaud. D'un autre côté, le prestige de la collection Poésie / Gallimard sur nous ne doit pas nous amener à prêter notre prétendue prescience à Rimbaud. Nous lisons un panthéon constitué et nous nous fions à lui quand nous risquons nos opinions en public. Tout le monde a toujours l'air d'avoir découvert tout seul en lisant Hugo, Rimbaud, Baudelaire ou Verlaine, ou bien Mallarmé, etc., que ce sont des poètes géniaux, alors que tout est balisé, par l'école, par les rayons des librairies, ne nous en déplaise, pour arriver à ce que notre opinion ne soit pas trop honteuse face au regard des autres.
Dans le cas de la mention de Mérat, ce syndrome du panthéon actuel nous amène à deux erreurs de perception. D'une part, nous rejetons d'office Mérat sans examen, comme nous rejetons Banville, Glatigny, Dierx ou Coppée ou Sully Prudhomme. Cela ne tient qu'au constat que nous faisons sur les rayons des éditeurs actuels de poésies, que sur le corpus constitué par les manuels scolaires d'histoire littéraire. Regardez comme les choses évoluent au sujet de Germain Nouveau qui n'est plus édité dans la collection de la Pléiade. C'est bizarre comme la jeunesse d'aujourd'hui qui s'"intéresse à la poésie du dix-neuvième siècle est pertinemment moins sensible à Nouveau que les générations précédentes. Mais il y a une autre erreur de perception. Penser que Rimbaud s'est confronté comme nous à un choix en librairie qui l'aurait amené à découvrir Baudelaire et Mérat.
Rimbaud n'avait pas l'argent pour acheter tant de recueils, Baudelaire avait été condamné. Donc, très logiquement, notre provincial se renseignait dans les journaux, en fonction des avis des poètes eux-mêmes, des avis pris soit au sein de leurs poèmes, soit dans leurs confidences écrites diverses, soit au bénéfice de témoignages directs qui ne sont pas à exclure quand on songe que, outre les confidences indirectes de Bretagne en 1870, Rimbaud a dû avoir des confidences directes dans l'entourage d'André Gill, qu'on admette ou pas qu'il ait rencontré Verlaine à ce moment-là par ailleurs.
Baudelaire était sur toutes les bouches parisiennes pour son "souffle nouveau" et Mérat travaillait à l'Hôtel de Ville avec Verlaine et Valade. Mérat, Verlaine, Valade, André Gill, quatre zutistes sur les quinze à dix-sept membres que nous supputons, quatre sur les quatorze avérés grâce au sonnet liminaire de l'Album zutique, autrement dit un tiers environ.

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Sur Verlaine, Brunel botte bizarrement en touche. Verlaine était communard. Et même il a pu contribuer à renforcer le sentiment communaliste de Rimbaud, via Bretagne, via André Gill, via de premiers échanges qui nous sont inconnus de toute façon, d'autant que ces échanges sont forcément antérieurs au mois de septembre 1871 de la montée à Paris dans tous les cas.
Verlaine n'a pas été inquiété, André Gill plus en vue s'en est sorti, mais pas sans mal. Il n'en reste pas moins que Verlaine est fortement politisé. Qu'il n'ait pas combattu, c'est un autre sujet. Verlaine se dit également hébertiste, ce qui coïncide avec Vermersch, son ami. Les hébertistes sont des révolutionnaires, ils n'aiment pas Robespierre, etc. On voit bien se dessiner le profil du communard de la tendance anti-autoritaire. Un jour, je travaillerai sur la possibilité d'une formation des idées communardes de Rimbaud à partir de la lecture des journaux, parce que c'est une clef assez évidente. Les journalistes furent nombreux à être des meneurs de la Commune et c'est eux que lisait essentiellement Rimbaud, plutôt qu'il ne se rendait dans les bibliothèques dont on exagère probablement la fréquentation assidue en 1870 et 1871.
Brunel rejette bizarrement le portrait communard de Verlaine, ni en action, peut-être même pas de cœur, nous soutient-il, alors que ce portrait est étayé par plusieurs études, et pas seulement celles de Steve Murphy.

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Grand dommage, il n'est pas question des poèmes en vers de 1872, ni du retour de Rimbaud à Paris après l'incident Carjat. Je ne reviens pas sur cet incident. Je laisse courir la vidéo quand j'écris et je commence à me lasser des retours en arrière.
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Pour Une saison en enfer, Brunel impose classiquement certaines clefs biographiques : le coup de feu de Bruxelles pour le "dernier couac" ou le couple Rimbaud-Verlaine dans le premier des Délires. Je ne suis pas du tout convaincu pour le coup de feu, Rimbaud ne fait aucune allusion claire à cet événement, l'expression "le dernier couac" n'est vraiment pas de l'ordre de la perche tendue à ceux qui savent, vraiment pas ! Pour la "Vierge folle", j'y reviendrai. Je vais d'ailleurs bientôt rendre compte de l'édition critique d'Une saison en enfer par Pierre Brunel chez José Corti en 1987.
Les liens sont envisagés avec Une saison en enfer, mais avec toujours cette concession d'homme du vingtième siècle à la psychanalyse, ce qui est anachronique, à la différence au moins des discours psychiatriques, etc. La différence est d'ailleurs importante. Pour l'homme du vingtième siècle, psychanalyse et psychothérapie sont des termes à connotations positives, alors que la psychiatrie implique plutôt la coercition. Rimbaud est de son époque, il envisage que la psychiatrie est du côté de la coercition au sujet de "la folie qu'on enferme". Cela me paraît clair, net et précis.
Brunel, en revanche, refuse de faire remonter avant la lettre à Delahaye de mai 1873 le développement du projet du livre Une saison en enfer, et il reconnaît ne pas contester que le projet de "Livre païen" ou "Livre nègre" désigne bien celui du livre Une saison en enfer, ce qui pour moi est l'évidence même. Un bon argument à noter quand il conteste l'idée que la "saison" soit en chantier depuis un certain temps déjà. Brunel rappelle que Rimbaud est assez rapide dans l'exécution, ce qui est bien vu, je recaserai l'argument à l'occasion. Ceci dit, comme Murat, Brunel pense que le projet a été modifié. Plus fort encore, il considère que le projet est "repris", comme s'il y avait eu une interruption dont nous aurions connaissance.
En revanche, le vidéaste parle de la thèse classique d'un livre essentiellement écrit à Roche, autrement dit en août-septembre 1873 selon le pseudo-témoignage de Paterne Berrichon, ce à quoi Brunel consent.
Il néglige du coup son propre argument de la rapidité d'exécution. Il sous-évalue la datation "avril-août 1873" livrée par Rimbaud en allant jusqu'à considérer que le livre fut terminé en septembre, ce qui nous rapproche de la mise sous presse. Il parle donc bien d'un projet repris. Il néglige le contre-argument des brouillons détenus par Verlaine, ce qui ne peut signifier que l'antériorité des brouillons sur le coup de feu, puisque Verlaine a été incarcéré ! Brunel néglige aussi la maturité de projet qu'affiche la lettre à Delahaye, car c'est tout le problème : Une saison en enfer traite au plan littéraire d'un danger de mort par un dévouement à la cause du Mal, et irrésistiblement les rimbaldiens transforment cela en un récit biographique transposé au plan poétique. J'espère que d'autres gens que moi perçoivent la différence immense entre le "dernier couac" d'un projet de lutte intellectuelle entre Dieu et Satan mûri depuis avril 1873, selon les indices qui nous sont parvenus, et un "coup de feu" qui inviterait Rimbaud à un bilan personnel où le coup de feu serait acté comme le moment décisif de toute sa prise de conscience sur le problème de la vie voulue païenne, nègre et satanique. Surtout, ce coup de feu a été une réalité, et si on admet qu'il est au cœur du livre Une saison en enfer on se retrouve dans un effort de lecture où on essaie de toujours se repérer par rapport à lui, au détriment des articulations du récit, au mépris des oppositions terme à terme du texte lui-même, sans tenir compte des subtilités de la parole de Rimbaud dans "L'Impossible" ou "L’Éclair" ou "Alchimie du verbe", alors que le coup de feu a un caractère non suffisant pour expliquer en profondeur le refus d'une mort par conviction infernale. Tout au long d'Une saison en enfer, nous avons des indices disséminés sur le courage de mourir et le refus de mourir. Ce miroir biographique est dangereusement déformant, et, dans tous les cas, non Rimbaud n'a pas écrit l'essentiel d'Une saison en enfer, à Roche en 1873, puisque Verlaine détenait une partie des brouillons du projet en cours d'élaboration, puisque Delahaye avait eu la primeur d'une annonce exceptionnelle de ce projet avec trois récits déjà écrits dès le mois de mai 1873.
C'est sans bien beau de parler des fac-similés, de leur fidélité à une publication originale, etc. Moi, je préfère, malgré tout, lire par moi-même Rimbaud correctement dans une édition bien faite actuelle. Surprise en revanche, Brunel considère que ce sont plutôt des poèmes en prose, à deux exceptions près qu'il ne précise pas. Ceci le distingue de l'analyse de Michel Murat dans son édition augmentée du livre L'Art de Rimbaud publiée en 2013. Moi, quand je parle d'un recueil de poèmes en prose, on me le reproche. Ma conviction, c'est que c'en est un, malgré "Alchimie du verbe".
Les retours en arrière de la vidéo que je commente me font tomber sur une idée importante. J'en profite pour l'ajouter ici à la fin donc de réflexions autour d'Une saison en enfer.
J'ai dit plus haut que Brunel considérait que le projet de "Livre nègre" avait été repris dans Une saison en enfer. L'entretien à bâtons rompus se nourrit de reprises d'une idée, et voilà qu'il y revient en commentant les sections d'Une saison en enfer. Brunel dit alors que "Mauvais sang" est le texte que Rimbaud a écrit le plus tôt, probablement. Il parle si lentement à ce moment-là que je croyais qu'il allait dire que c'était le texte qu'il avait le plus travaillé. Mais, non, il s'agit du texte écrit le plus tôt, et je ne précise pas "selon lui", car je suis d'accord. Mais, il y a tout de même un sous-entendu que je ne partage pas. Brunel veut dire qu'il l'a écrit plus tôt que les autres et qu'il l'a repris dans un nouveau projet. En fait, pour lui, le rapprochement tient dans la coïncidence des mots employés dans la lettre à Delahaye et dans "Mauvais sang", c'est ce qu'il dit, mais du coup, c'est une thèse du réemploi dans un nouveau projet, alors que, moi, mes articles récents montrent assez que je conçois Une saison en enfer comme un livre articulé. Je considère clairement que "Mauvais sang" introduit à l'absorption du poison qui nous vaut "Nuit de l'enfer" par exemple. Dans "Mauvais sang", le poète dresse son portrait pour justifier l'action dramatique qui s'enchaîne. Certes, il faut nuancer, car "Mauvais sang" est tellement complexe que le récit dramatique y commence déjà. Le fait d'intercaler les sections cinq à sept au milieu des sections 4 et 8 initialement fondues l'une à l'autre y est pour beaucoup dans le déplacement des lignes qui font que "Mauvais sang" c'est déjà de toute façon l'enfer, mais en tout cas je souligne des articulations, des progressions entre sections, des présentations ou parties introductives. Brunel a l'air de considérer que "Mauvais sang" est un texte assez autonome qui devient le début d'un récit, alors que pour moi il est pris dans une dynamique qui témoigne bien que tout tient dans le projet d'ensemble. Quand je commente la prose liminaire, je mets en relation le "si je me souviens bien" au sujet du "festin" avec la phrase : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme." Je vois d'autres rapports encore.
Mais, si on part de l'idée d'un réemploi, comment peut-on lire correctement Une saison en enfer ? Tout se délite, si on admet un réemploi, en plus d'envisager une référence décisive au coup de feu de juillet à Bruxelles dans le "dernier couac". Moi, tout est solidaire dans ma lecture d'Une saison en enfer. Je peux buter sur certaines difficultés, mais je n'admets aucun flottement dans ce que j'expose. Si Rimbaud est envisagé dans le réemploi et dans le traitement de faits biographiques contingents, à ce moment-là je ne vois pas très bien quelle intensité de lecture on peut atteindre. D'ailleurs, Murat et Brunel, et d'autres, quand ils citent la phrase de la lettre à Delahaye: "Mon sort dépend de ce livre", sont-ils conséquents de la lier si étroitement à Une saison en enfer quand ils prétendent qu'il y a eu refonte du projet de "Livre nègre" ou "païen" en livre personnel sur la religion et le Mal ? La formule désigne le projet de mai 1873 et il ne s'applique à Une saison en enfer que si on admet avoir affaire au même projet. Et notons pour ceux qui tiennent à tout prix à l'allusion au coup de feu bruxellois du "dernier couac" que l'expression "Mon sort" se remplacerait sans mal par "ma vie". Je laisse les plus subtils nous expliquer la différence entre "mon sort" ou "ma vie", car "sans destinée" la vie de Rimbaud n'était sans doute plus grand-chose. Et pour être privé de destinée, il suffit de la dernière fausse note justement.
Pour la section "Adieu", le vidéaste aurait fameusement intérêt à lire mes productions récentes sur "Matin", "L'Eclair" et "Adieu".

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Pour les Illuminations, il est question du livre sans intérêt qui réattribue à Nouveau la production maîtresse de Rimbaud. Je l'ai acheté en vue d'un compte rendu qui se fait attendre. En tout cas, non ! Eddie Breuil n'apporte aucune preuve philologique à l'appui de sa thèse, contrairement à ce que semble maladroitement concéder un Brunel heureusement réticent. Celui-ci n'ose pas refuser résolument la thèse d'Eddie Breuil, auteur qui n'a aucune connaissance intime de la poésie soit de Rimbaud, soit de Nouveau, qui plus est. Brunel maintient quand même qu'il prèfère considérer que les Illuminations sont de Rimbaud. Je précise que j'ai un argument formel solide pour dire que les poèmes en prose sont de Rimbaud et non de Germain Nouveau : l'art de calibrer des poèmes en vers ou en prose avec des répétitions de mots, répétitions non clairement sensibles pour le lecteur, mais pourtant bien dénombrées et distribuées par l'auteur selon des schémas scrupuleusement suivis. Si Nouveau était l'auteur des Illuminations, nous aurions un phénomène curieux. Nouveau adopterait en prose un système suivi par Rimbaud dans ses vers, mais que lui-même n'a pas pratiqué dans ses propres vers. Et ces schémas de répétitions ne sont pas un procédé banal chez les poètes, qu'on enseignerait dans les classes, etc. Le constat de ces calibrages de mots chez Rimbaud vient d'articles peu sérieux d'un rimbaldien laissé dans l'oubli, Michel Arouimi. Les articles ne tiennent pas la route au plan de la thèse de lecture soutenue et ils contiennent des erreurs dans les relevés des mots répétés, il y a des lacunes, etc. En revanche, le procédé est de l'ordre du fait. Et c'est une preuve factuelle que Rimbaud est bien l'auteur des poèmes en prose qu'il a lui-même recopiés pour l'essentiel, puisque ce procédé est déjà à l’œuvre dans nombre de ses poèmes en vers.
Sur les Illuminations ou la vie africaine, Brunel reste très sommaire dans le message qu'il prête à Rimbaud. L'adhésion communarde ne semble concerner que l'événement de l'année 1871 et Rimbaud ne serait pas pour le progrès technologique du monde moderne, etc., ce qui mériterait précisions et nuances. Et évidemment, jouant stérilement avec des initiales "E. M.", les communicants de Macron ayant repris un slogan du dix-neuvième siècle, qui sert de titre dans Les Contemplations de Victor Hugo, Brunel avoue en rougissant qu'il considère Rimbaud comme un marcheur et qu'il le voit en "Rimbaud en marche".

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