"Adieu" est la dernière partie du livre Une saison en enfer et elle se compose deux sections. L'écriture de la fin du livre a-t-elle été quelque peu précipitée ? C'est impossible à déterminer, mais c'est un fait que les trois dernières parties "L'Eclair", "Matin" et "Adieu" sont plus courtes que les précédentes : "Mauvais sang", "Vierge folle", "Alchimie du verbe" sont assez longs, tandis que "Nuit de l'enfer" et "L'Impossible" n'étant tous deux qu'en une seule section, malgré une longueur proche de celle de "Adieu", là encore il est tentant de comparer avec l'écriture plus ramassée des deux sections du récit final. La prose liminaire est assez courte également, mais rappelons que "Adieu" offre les derniers feuillets du carnet de damné, la prose liminaire étant une composition a posteriori.
La concision des dernières parties peut signifier quelque chose au plan de l'état d'esprit du poète qui échappe progressivement à l'enfer et doit recouvrer vraisemblablement une certaine santé mentale.
Je vais commenter sous forme de paraphrase la partie conclusive du livre Une saison en enfer, mais je dois faire précéder cela de considérations sur la composition d'ensemble.
Nous avons vu que la prose liminaire exposait une problématique. Le poète s'est révolté contre la société et son idéal du beau, du bien et du vrai d'obédience chrétienne. L'antithèse à cette société semblait être la vocation satanique. Mais le poète ne veut pas mourir et cette seule prise de conscience va amener le poète a dépasser la dialectique du Bien et du Mal, à se défier de la bipartition récompense du paradis et punition ou récompense selon Satan de l'enfer.
Nous savons dès la prose liminaire qu'il n'est pas question d'admettre le retour à la charité chrétienne, le poète mime, avec perfidie, la soumission à Satan. Or, dans "Adieu", il est remarquable de considérer que la figure de Satan n'apparaît pas, elle est évincée. Cela confirme l'idée que les propos prêtés à Satan sont une pantomime pour provoquer le monde chrétien. Dieu n'a pas droit à la parole, il reste le point le plus fort de la contestation par le poète, mais Satan n'est pas une entité prise au sérieux. La présence de Satan s'est essentiellement affirmée dans la section "Nuit de l'enfer", ce qui témoigne bien de la stratégie d'écriture de Rimbaud qui évacue cet autre mirage.
Nous avons vu que les lectures de la prose liminaire achoppaient sur le problème du rêve. Satan a endormi la conscience du poète et l'a trompé par des rêves factieux, les fameux "pavots", le sommeil doublé d'une chute dans "Matin". L'erreur souvent commise a été de considérer que le "festin" était un rêve produit par Satan, et non par Dieu, ce qui amenait à des lectures absurdes. La charité était une notion trompeuse prônée par Satan dans la lecture de Pierre Brunel. Le "festin" était un rêve satanique selon maintes études qui pourtant ne se trompaient sur le fait que la charité soit présentée par inspiration divine comme la clef d'un accès au festin. Au début de la prose liminaire et au début de "Matin", Rimbaud offre des métaphores d'un prétendu souvenir de vie heureuse qui ciblent l'idée d'origine divine des âmes. Ce qui empêche bien des lecteurs d'admettre ce point, c'est que, pour eux, si "tous les vins coulaient", c'est qu'il est question d'une orgie, et à cette aune pourquoi ne pas considérer que le "festin" est un motif antique qu'on trouve chez Lucrèce, que les vins sont dionysiaques, etc., alors même que la suite de la prose liminaire introduit une chaîne contraignante "beauté", "justice", "joie", "espérance", "charité" contre "péchés capitaux", "égoïsme", etc. Il va de soi que le texte ne part pas dans toutes les directions avec une attaque bicéphale compliquée mêlant le christianisme et l'antiquité païenne, voire le christianisme et Dionysos. C'est bien sûr la société chrétienne seule qui est visée, à une nuance près, c'est que nous sommes au dix-neuvième siècle et que les textes "Mauvais sang" et "L'Eclair" notamment parlent aussi de la nouvelle religion qu'est la science. Je vais y revenir. Dans "Matin", la difficulté peut venir de l'idée de "jeunesse", d'autant que, deux sections auparavant, le poète commence son récit "L'Impossible" par cet autre souvenir "Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'était." Remarquons toutefois que la situation d'une fierté à vivre "sans amis" s'oppose à la "jeunesse aimable". Il s'agit de modèles mensongers mis en relative concurrence.
Dans "Adieu", le poète montre qu'il a dépassé la tentation de la mort et il tire des leçons nouvelles à partir de cette résolution qu'il a prise de vivre.
Le moment où le poète se met à refuser la mort se situe dans "L'Eclair", juste après la section de prise de conscience de "L'Impossible". J'ai bien expliqué que "l'éclair" était le couplage science et religion de l'idéologie moderne du progrès qui domine au dix-neuvième siècle, et j'ai insisté sur l'idée que le travail humain était le moteur de cette idéologie, et que loin d'être une lumière pour sauver l'homme c'était un mode d'exploitation des "esclaves" pour citer "Matin". L'éclair n'est pas une lumière au-delà de l'enfer, c'est un élément suborneur du décor infernal. Les échos sont sensibles avec les lettres dites "du voyant", on se souvient que Rimbaud disait à Izambard "on se doit à la société" quand, dans "L'Eclair", nous lisons l'extrait suivant : "J'ai mon devoir, j'en serai fier à la façon de plusieurs, en le mettant de côté." Mais cette dérobade, ce refus du travail, est une mort. "La vie fleurit par le travail, vieille vérité !" a déjà fait savoir le poète dans "Mauvais sang". Et pour se dérober au travail, le poète ment autant qu'un "prêtre" finalement.
A partir de là, le poète laisse aux doctrinaires de la pensée chrétienne le soin d'expliquer le Mal. Ce qui importe au poète, c'est d'échapper à la mort, à l'enfer et donc au mensonge, ce qui n'est pas la même chose que prétendre tout expliquer. La section "Matin" illustre cette évolution de pensée. Nous avons que le poète exprimait un espoir de temps nouveau, mais qu'il ne se créait plus une assurance surnaturelle pour triompher du monde ambiant. Le discours est nettement celui d'une poète acquis à l'idée de République démocratique et sociale, aux idéaux de 1848. Ce qui change, c'est la révolte et le rapport au monde.
En revanche, précisons l'arrière-plan.
Jusqu'au seizième siècle, les régimes politiques se sont succédé dans le monde. Aristote a sans doute classé les régimes monarchique, tyrannique, aristocratique, oligarchique, républicain et je ne sais plus le nom de la forme dévoyée du régime républicain, mais en gros la variation de régime tient plutôt des aléas de l'existence des peuples. Il y a bien un certain schéma cyclique qui est envisagé, plus au plan théorique qu'en termes de constat historique, mais tout cela ne fait pas une histoire humaine avec un sens précis. La Religion a imposé ensuite une idée de fin des temps, mais l'escathologie chrétienne fait quelque peu taire l'idée d'une évolution à travers les siècles des régimes politiques des sociétés humaines. La Renaissance est caractérisée par des guerres de religion et une redécouverte de la pensée antique qui commence à fragiliser la chape de plomb chrétienne et qui préparer le terrain à une évolution de l'humanité en fonction de ce qui dans l'Histoire paraît avoir été les meilleures sociétés humaines. Surtout, dès le seizième siècle, la science est en marche avec Galilée, Kepler, avant les Newton, Pascal, Leibniz, etc. Ce qui s'est développé, c'est la possibilité du pronostic scientifique, et le calcul scientifique n'est plus exclu pour prévoir le futur. Nous sommes revenus de cette fois en la science, mais au dix-huitième siècle cette foi nouvelle battait son plein et malgré ses spécificités la société du dix-neuvième siècle en hérite et vit dans l'idée qu'on peut maîtriser le futur et le devenir des sociétés humaines avec la science. Ceci dit, cela ne va pas sans étonnement. Le "festin" pour reprendre l'image du début de la Saison est l'affaire des possédants, tandis qu'étrangement les ouvriers qui tissent, conduisent les chemins de fer, font tourner les usines, ne profitent pas paradoxalement de l'abondance de biens et de confort qu'offre les découvertes des sciences appliquées, les progrès du monde industriel. Pire, leur situation s'aggrave. Il va de soi que "Matin" est imprégné de ce ressenti, d'autant que Rimbaud vit à Londres, ville significative, et en plus au milieu de réfugiés communards avec lesquels il participe à des réunions et débats politiques qui ont forcément pour sujet cette réalité sombre et paradoxale du monde moderne.
Cette idéologie du progrès ne vient pas que de la science. Gutenberg a révolutionné les procédés d'imprimerie, les livres se diffusent. Or, les philosophes et penseurs du dix-septième siècle, et plus encore du dix-huitième siècle, prétendent apporter des conceptions nouvelles qui vont faire hiatus entre le passé et le futur de l'humanité. Ce qui s'est développé, c'est l'idée d'une singularité européenne ayant vocation à se diffuser dans le monde. Désormais, l'interprétation historique est entrée dans un nouveau cadre. Les événements ne se ressemblent plus à travers les siècles, car des dynamiques profondes sont décelées qui supposent une évolution de l'humanité. L'humanité connaît ou connaîtrait des évolutions lentes à moyen, long ou très long terme, en-deçà de l'écume des événements à court terme qui n'ont l'air que d'accidents des milliers de fois ressassés dans l'histoire des sociétés humaines. Le cas le plus flagrant vient alors de la Révolution française qui va définitivement permettre l'émergence d'une idée de messianisme laïc. Auparavant, les révolutions ne supposaient qu'un renversement de régime, cette fois il serait question d'un régime révolu à jamais, et du coup, on comprend qu'entre 1789 et 1870, pour les tenants d'une histoire supposant un progrès des sociétés humaines nous sommes en transition entre l'ancien régime féodal et le monde démocratique à venir. Deux conceptions de la République se sont affrontées en 1848. La République démocratique et sociale a été éliminée par les massacres de juin 1848 qui expliquent aussi pour partie comment l'autre force républicaine n'aura guère de soutien populaire au moment du coup d'état de Napoléon III. En 1873, c'est cette République qui a massacré l'autre en juin 1848 qui s'installe, après un nouveau massacre, celui de la Commune, Commune qui n'est ni marxiste, ni même anarchiste, mais qui est la soeur de la République démocratique et sociale voulue en 1848, la base anarchique s'étant malgré tout développée en son sein, Rimbaud n'étant peut-être pas un anarchiste à part entière, il nous faudrait plus interroger de documents pour l'affirmer, mais il en est très proche tout de même. Voilà la base que nous comprenons à l'heure actuelle. Et ceci permet d'éclairer la relation à la notion d'eschatologie du livre Une saison en enfer.
Le mot "saison" n'est pas à prendre dans son acception cyclique pour ce qui concerne le titre du livre, puisque le poète n'envisage de rechuter et de connaître plusieurs saisons infernales. Le mot a plutôt l'acception de période d'une vie. Toutefois, Rimbaud ne s'interdit pas de jouer avec l'acception cyclique du terme. C'est ce qu'il fait dans le premier alinéa de "Adieu".
L'automne déjà ! - Mais pourquoi regretter un éternel soleil si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons.
Il faut bien cerner les rapports symboliques et métaphoriques. "L'Eclair" était une fausse lumière d'un enfer suborneur et oppresseur. Le "Matin" est plutôt une lueur, puisque le poète se dit plonger dans "la même nuit", mais ce matin est celui de la résolution de ne pas mourir. Il ne faut pas maudire la vie, malgré l'épaisseur de la nuit. Or, l'articulation, c'est que le matin va coïncider avec non pas un printemps mais un automne, c'est-à-dire que le matin où le poète sort de l'enfer l'épreuve du monde devient plus rude. C'est ce que le poète développe explicitement dans les paragraphes suivants, nous allons le voir. En même temps, le premier paragraphe de "Adieu" superpose les plans. L'automne et "Adieu" sont deux termes faciles à associer, mais l'adieu qui est fait l'est à la mort. Or, l'automne réinvestit la menace de la mort, comme nous allons voir que cela est la préoccupation du poète dans les alinéas suivants. Ce n'est pas tout, l'automne est une perte de chaleur solaire, mais le poète rappelle que le soleil est éternel, il ne dépend pas des saisons, il n'est pas dans un rapport au passé, au présent et au futur. Ne parlons pas ici de la mort du soleil à une échelle astronomique dans un discours scientifique : l'éternité du soleil s'oppose au sentiment de dégradation de l'automne. Une autre éternité est évoquée, celle de la "clarté divine", mais la différence c'est qu'elle ne nous apparaît pas à l'instant présent comme c'est le cas du soleil. Cette "clarté divine" suppose le discours eschatologique, et si on pense qu'il s'agit de la religion chrétienne, nous savons que le poète ne peut être qu'ironique. Il a sans aucun doute ménagé cette équivoque, mais la "clarté divine" peut très bien être celle du progrès, du messianisme laïc, etc. Dans "L'Eclair", la science est considérée comme trop lente, mais l'idée de "clarté divine" n'est pas discréditée pour autant. Nous verrons dans "Adieu" que ce sont les mensonges sur la "clarté divine" qui ne doivent plus passer. D'ailleurs, ce qui montre que le poète admet cette perspective, c'est qu'il s'oppose à ceux qui "meurent sur les saisons", ceux qui n'ont pas de perspective, ceux aussi qui ne s'extraient pas la saison infernale, ceux sans doute aussi du mensonge chrétien qui se mentant "meurent sur les saisons" eux aussi.
L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère.Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du comfort !
Face aux aléas des saisons, l'homme ne fait pas que chercher "la clarté divine", il s'adapte et ici l'embarcation est dirigée vers un refuge, le refuge par excellence de tous les miséreux rompus par les épreuves. La métaphore employée rappelle quelque peu "Le Bateau ivre" en y adjoignant des "brumes" qui apparaissaient dans la section "L'Impossible". Le "ciel taché de feu et de boue" est automnale en même temps que symbolique. Je veux insister ici sur la problématique d'ensemble du livre Une saison en enfer. Une force négative, la "goule", perd les hommes. Les italiques "et qui seront jugés" ironise sur l'idée d'un jugement dernier et implique plutôt l'idée que ces gens sont non seulement malheureux et victimes d'un démon mais ils vont être jugés par le monde auquel ils appartiennent. Ce qui domine dans cette vision, c'est l'horreur de la mort, et Rimbaud reconduit une image de la prose liminaire, quand il s'allongeait volontairement dans la boue. Désormais, il a horreur d'une telle idée. Il n'est plus question du courage d'aimer la mort comme dans "Mauvais sang" ou "Nuit de l'enfer" et le poète s'écrie : "J'aurais pu y mourir", moyen le plus simple pour nous faire comprendre la résolution nouvelle qui justifie l'idée d'une fin de relation infernale. Un autre écho manifeste avec la prose liminaire apparaît dans la phrase : "J'exècre la misère." Le poète avait confié son "trésor" à savoir sa vie aux sorcières "misère" et "haine". Les phrases pourtant très simples, peu intéressantes peut-être pour l'art poétique : "J'aurais pu y mourir" et "J'exècre la misère", disent quelque chose d'essentiel sur l'évolution du récit. Ces phrases martèlent bien l'idée principale que par le refus de la mort on en finit avec le séjour en enfer. En revanche, le poète a conscience du danger, il "redoute l'hiver". La subordonnée "parce que c'est la saison du comfort" doit se comprendre ainsi : "parce que seuls ceux qui sont assurés de leur comfort s'en sortiront bien, pour les autres ça va être terrible, la mort rôde pour eux."
Je ne souhaite qu'ajouter une chose en commentaire à ces deuxième et troisième alinéas de "Adieu". L'exclamation "Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié !" contient l'idée d'une venue de l'automne ("trempé de pluie") mais fait écho aussi, en confirmant l'idée d'un régime de la sottise, à la phrase qui ouvrait "L'Impossible" : "Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, [....] quelle sottise c'était."
- Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Ces deux alinéas signifient bien qu'il y a loin de la vision à la réalité. Nous observons à nouveau une métaphore qui rappelle "Le Bateau ivre", mais justement il faut comparer la vision d'horreur de la barque tournée vers le port de la misère avec des millions de victimes et cette expression irénique et joyeuse d'un pavillon coloré tourné vers des sociétés heureuses et bien portantes. L'opposition concerne aussi les "brumes immobiles" et les "brises du matin". Il s'agit bien d'un rêve pour échapper au réel. Le poète s'exprime de manière à ce que le déniaisement soit progressif. La phrase : "J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames" est ironique, ce que confirme la suite immédiate du discours. On peut créer à l'infini des manifestations, mais es fêtes, triomphes et drames ne sont pas des réalités dénombrables et j'observe au passage que la mention "drames" est à rapprocher du poème "Vies" des Illuminations. Pour la création d'êtres nouveaux ou d'objets culturels forgés par des sociétés entières, la prétention reflue d'emblée "j'ai essayé". Le troisième alinéa et le quatrième de "Adieu" sont nettement à rapprocher d'un autre poème des Illuminations "Conte". Ce qui déconcerte, c'est que le discours est le même dans "Conte" et "Adieu", alors que "Vies" ne s'impose pas comme ironique à la lecture. Mais laissons ces sujets pour d'autres occasions. La mention "Paysan" est comique, qu'il suffise d'évoquer la lettre à Delahaye où Rimbaud en mai 1873 parle précisément du plan d'un livre qui sera Une saison en enfer, sachant qu'il en dit assez pour nous faire comprendre que le sujet n'a pas varié, ni les intentions.
Enfin, on voit que le poète consent à se chercher une morale et un devoir. Ce n'était pas le cas quand dans "Alchimie du verbe" il était dit que "la morale est la faiblesse de la cervelle."
Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons.Mais pas une main amie ! et où trouver le secours ?
Trois brefs alinéas. Je vais me réserver de revenir sur l'idée d'une "charité", "soeur de la mort" dans une prochaine intervention. J'aurai besoin de développer. En revanche, ce qui est intéressant, c'est que le poète continue d'être rejeté par la société. Malgré son revirement, il demeure un pestiféré, et il faut bien s'en rendre compte, car le revirement du poète s'est fait au nom de la vérité, et le refus de la mort passe par une acceptation de la vérité. Regardez bien comment est conçu le texte. L'avant-dernier alinéa de la première section de "Adieu" parle en un terme chrétien ("pardon") de se faire excuser pour avoir vécu dans le mensonge. Mais l'alinéa qui clôt la section laisse entendre que le pardon n'est pas volontiers accordé, ne le sera pas. Or, à la fin de la deuxième section, le poète va revenir sur l'idée de "pardon" et de "main amie", en épinglant les mensonges des autres et en revendiquant la vérité pour lui. Et là revient la morgue d'un certain air de défi, petit sentiment de soufre que le poète a quand même conservé de l'enfer :
Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Et, en effet, le premier mot en italique (inversion en caractères romains dans notre citation) n'est autre que "posséder", car le poète passera pour un "possédé" à affirmer ainsi détenir une vérité et la capacité de faire honte aux autres pour leurs mensonges. Il s'agit d'une véritable pirouette finale s'articulant de manière résolument provocatrice à l'idée d'un esprit sain dans un corps sain.
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