vendredi 2 février 2018

Rimbaud : entre romantisme et matérialisme

Je constate que cette semaine mon article sur la chambre de Rimbaud dans l'Hôtel de Cluny a eu un certain succès, comme si quelqu'un l'avait référencé quelque part. Il faut dire que, au-delà d'une question biographique assez matérielle, j'ai effectué un commentaire littéraire de la lettre de "jumphe 72" qui en précisait les enjeux pour la signification de l'évolution littéraire de Rimbaud même, ce qui était sans doute assez neuf. Je viens de remettre la main sur le livre de Margaret Davies, je possède même mon propre exemplaire en plus d'en avoir emprunté un autre. Je vais donc terminer une série commencée sur Une saison en enfer en parallèle de l'étude à venir sur André Chénier.
Je propose ici un article de transition, car je lis également des ouvrages politiques pour mieux cerner Rimbaud et j'ai déjà pas mal insisté sur le fait que, malgré les articles de Mario Richter et parfois de Bruno Claisse, Rimbaud n'était pas un poète moniste, mais bel et bien un écrivain dualiste.
Dans sa célèbre lettre dite "du voyant", Rimbaud a écrit "cet avenir sera matérialiste", mais cela n'empêche pas de constater, je dis bien constater, et non pas considérer, que les poèmes de Rimbaud ont une touche spiritualiste.
Pour un lecteur d'aujourd'hui, un poète qui dit "cet avenir sera matérialiste" en étant communard, cela rejoint l'idée du révolutionnaire matérialiste. Mais cela pose problème en réalité. Quand Rimbaud parle ainsi de l'avenir matérialiste, il attaque bien sûr la religion, mais la subtilité c'est que les anarchistes, car c'est à peu près là que se situe la pensée politique de Rimbaud, ne sont pas nécessairement des matérialistes. Les matérialistes, parmi les révolutionnaires, c'est essentiellement la base marxiste, la base qui veut une dictature du prolétariat. Cette base marxiste a pris progressivement le dessus. Marx lui-même, après la Commune, semble avoir évolué et considéré qu'il valait mieux le système préféré des anarchistes : le conseillisme, la décision dans les assemblées, les efforts de démocratie directe, mais le nom de marxisme reste attaché à cette idée de parti et à cette autre de dictature du prolétariat. Ensuite, il y a eu la révolution russe en 1917. Lénine, Staline, Trotsky furent des marxistes jusqu'à la caricature et Trotsky pour lequel on joue du violon était contre l'anarchisme, il fallait le chasser de Russie, et ç'a été fait, car il y avait beaucoup d'anarchistes en Russie en 1917, ils ont été virés au profit du marxisme.
A l'époque de Rimbaud, au sein de l'Internationale, la distinction est entre Marx et Bakounine. Et le mouvement jurassien, un peu du côté de la Suisse où se réfugia Vallès était une section de l'AIT plus proche de Bakounine, en Espagne aussi ils étaient plus près de Bakounine que de Marx. Les anarchistes avaient un discours autrement plus mystique que les marxistes, et ceci nous échappe complètement à l'heure actuelle. C'est d'ailleurs la grosse erreur des mouvements d'extrême-gauche conditionnés par le marxisme, une absence de discours sur la vie.
Au sein des mouvements anarchistes, il existait une pensée spiritualiste, mais au long du dix-neuvième siècle ils sont devenus plus pragmatiques, cependant que la bourgeoisie industrielle et puis la montée du marxisme imposaient un positivisme et une pensée matérialiste à toute la société.
Je ne vais pas de go situer Rimbaud dans le bakouninisme, mais il est certain que sa pensée est anarchiste. Je ne sais pas s'il a connu la pensée de Stirner, à quel degré il a pu connaître les pensées de Blanqui, etc. Je remarque que Rimbaud et Verlaine font volontiers allusion à Proudhon dans "Chant de guerre Parisien" et dans l'Album zutique, ce qui ne peut qu'être un étendard significatif.
Enfin, il faut se rappeler que le dix-neuvième siècle a été marqué par le romantisme. Or, le poète Rimbaud se revendique du Parnasse et des maîtres de 1830 dans une première lettre à Banville en 1870, puis dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871 il récupère un terme clef de la pensée romantique, celui de "voyant", commente les insuffisances des romantiques, mais en leur reconnaissant le mérite d'avoir été les premières sur la bonne voie.
Or, le romantisme est un mouvement qu'on ne peut qu'incontestablement lié à un retour du spirituel, avec cette évolution particulière où il va pouvoir même se détacher du christianisme pour animer une pensée religieuse anticléricale.
C'est ça qu'il faut comprendre si on veut apprécier la poésie de Rimbaud dans ses vraies proportions de matérialisme et de spiritualisme. Il y a actuellement une vision desséchante qui pèse sur la poésie de Rimbaud en en faisant un auteur froidement positiviste et matérialiste qui ne peut s'appliquer à la poésie qu'avec un dédain pour le mystère, qu'avec une ironie habilement maniée pour discréditer tous les discours de poètes qui l'ont précédé. La poésie de Rimbaud ne passe plus que comme l'enveloppe charmeuse d'un discours très froid, très sombre et très factuel sur le réel. Certes, Rimbaud n'a pas des élans mystiques de sot, mais il y a une place pour une certaine foi dans la vie dans sa poésie. Cette note, il faut la rendre dans les commentaires de son oeuvre. Sa poésie n'est pas un jeu de quilles à la Malherbe.
La phrase "cet avenir sera matérialiste" doit être analysée dans sa prise immédiate avec un désir de poésie pour "voyant" dans le prolongement du romantisme. Sans cela, on ne peut pas comprendre Rimbaud.


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