Je continue de travailler sur les résidences de Rimbaud à Paris. Je vais prochainement mettre la suite de mon compte rendu d'un article de Daniel Courtial en ligne. Je parlerai de la rue de Buci, de la rue Victor-Cousin, de l'appartement de Charles Cros rue Séguier. Pour la rue Monsieur-le-Prince, il risque d'y avoir du correctif. Grâce à Daniel Courtial, l'hypothèse d'une résidence à l'Hôtel d'Orient, actuel Hôtel Stella, est en train de tomber au profit d'un hôtel de Saône-et-Loire qui aujourd'hui n'existe plus. Il faut étudier tout le détail technique, ça prend du temps. Pour l'Hôtel des Etrangers, j'ai parfois du mal à déchiffrer les photographies des calepins, ça prend aussi du temps, mais pour l'instant l'idée c'est que c'était l'entresol qui était effectivement loué ou sous-loué (à un certain Joseph David). En effet, les zutistes avaient un piano qu'il ne devait pas être évident de faire monter dans les étages proprement dits. Le rez-de-chaussée était constitué de boutiques, d'une cuisine, d'une salle à manger, mais l'entresol il est question d'un garni faisant office de table d'hôtes. Il y a aussi la mention "maître d'hôtel" et le chiffre 2 dans la colonne "portes et fenêtres à l'usage des locataires"., C'est une pièce à feu. Le locataire Joseph David est aussi présent dans une location du premier étage.
Je n'ai, comme je m'y attendais, aucun retour à propos de ma page de présentation de la prose liminaire d'Une saison en enfer. C'était un article d'un genre nouveau. Les gens se tiennent calfeutrés et il n'est pas question de me reconnaître ou de m'inclure dans la classe supérieure des spécialistes rimbaldiens. Je m'en suis fait une raison. Le cas le plus marrant, c'est "Voyelles". Si plusieurs personnes s'étaient mises, dès 2003, à plancher sur ma piste de réflexion, ils auraient trouvé plein de choses et auraient pu prétendre à un degré de mise au point supérieur à ce que j'avais écrit. Le résultat, c'est qu'ils m'ont laissé creuser l'affaire, y revenir de loin en loin, et puis là c'est tellement puissant qu'on ne peut que demander "Mais pourquoi avoir ignoré cela depuis 2003 ?" Faire exprès de ne pas me citer en considérant que, comme ça, tout ce que je dirai ne sera acté que comme postérieur à leur prise de parole, c'est complètement à côté de la plaque comme démarche, c'est justement le meilleur moyen d'être ridicule. Mais bon, c'est fait, on n'y peut rien.
Au plan d'Une saison en enfer, c'est la même chose qui est en train d'arriver.
Je sais que des gens diront : Mais il fait un énième article sur la prose liminaire, ou bien ils diront "Mais 90% de sa page idéale", cela a déjà été dit. Oui, mais il faut mesurer deux choses. D'une part, les 10% d'inédit sont exceptionnels. C'est quelque chose de dire que le poète oppose la valeur de la révolte à la valeur de la vie et qu'il déploie deux fois explicitement la métaphore : "ma vie" = "mon trésor" d'un côté, et "Gagne la mort" de l'autre. D'autre part, ces 90% sont ordonnés de façon à ruiner définitivement les 50% ou même 90% de discours en plus que les rimbaldiens ont mis sur cette prose liminaire (la beauté du Mal de Baudelaire, la charité qui ne serait pas forcément chrétienne, les lâchetés qui seraient non des lâchetés, mais des poèmes en retard, Satan qui prônerait la charité et le festin ancien au moyen de pavots, etc.). Je ne comprends pas le manque d'intuition dans le monde rimbaldien, alors que c'est l'auteur qui, par excellence, demande à ses lecteurs d'avoir la lumière qui éclaire les parois internes du crâne. Je formule la thèse du livre Une saison en enfer. Je dis en toutes lettres que, ne se contentant pas de choisir entre les deux pôles opposés religion et Satan, le poète veut éviter la charité de la religion et la mort par révolte soumise au démon.
Dans la foulée, ceux qui ont lu la quatrième partie de l'article plus fouillé sur la prose liminaire se rendent compte que je domine de plus en plus les oppositions systématiques du texte. Normalement, le lecteur doit tiquer quand je parle des "autres vies" comme des possibles à opposer à la vie chrétienne. J'ai l'air de ne parler que de la prose liminaire, mais quelque chose de très puissant est en train de s'organiser, de prendre forme.
C'est difficile de croire que plein de gens écrivent sur Rimbaud, que plusieurs livres sortent chaque année à son sujet ou bien que chaque année amène son lot de travaux universitaires, quand on voit l'inexistence des réactions face à ce que je produis. Je ne comprends pas.
Autre exemple, face à des travaux qui rapprochent par exemple Rimbaud de Nietzsche en s'extasiant des ressemblances, des points de convergence, je dis "Mais bon sang ! Ces deux auteurs ne se sont pas connus l'un l'autre!" Il y a un risque d'erreur dans ces rapprochements aléatoires qui ne privilégient pas les contextes (ou le contexte selon l'auteur abordé).
Rimbaud était dans le bain de la culture philosophique française du dix-neuvième siècle, culture dont nous nous sommes délestés à l'heure actuelle. Il est vrai qu'on ne critique pas sans raison les insuffisances, parfois la superficialité de la philosophie française du dix-neuvième siècle, mais outre que la philosophie politique est tout de même un point fort en soi de la culture française c'est le bain culturel des auteurs du dix-neuvième siècle.
J'ai cité récemment un extrait de Madame Gervaisais des frères Goncourt pour montrer une sorte de résonance possible avec la lettre à Demeny du 15 mai 1871 et celle à Izambard du 13 mai. Là, j'ai acheté un livre paru au Livre de poche en 1994. Il s'agit d'une anthologie de textes de philosophes français du dix-neuvième siècle. L'ouvrage porte le titre, il est vrai peu inspiré, "Philosophie France XIXe siècle" et le sous-titre "Ecrits et opuscules". L'ouvrage revient sur le discrédit qui frappe cette époque de la philosophie française et il offre des textes de Maine de Biran, Royer-Collard, Théodore Jouffroy, Victor Cousin, Edgar Quinet, Taine, Renan, Barrès, Foucher de Careil, Bonald, Lamennais, Leroux, Maret, Janet, Destutt de Tracy, Barthélémy-Saint-Hilaire, Proudhon, Saint-Simon, Comte, Jenny d'Héricourt, Clémence Royer, Renouvier, Ravaisson, Boutroux.
La thèse de Félix Ravaisson tient en un livre de petit format actuellement disponible. Il parle de l'habitude comme d'une seconde nature, et c'est un maître à penser de Bergson que Bergson au passage n'aurait pas bien compris. Aucun texte de Fourier n'est cité, mais j'ai depuis très très longtemps envie de lire tout ce qu'a écrit Fourier pour voir si ça n'entre pas en résonance avec des passages précis de Rimbaud. Vacherot non plus n'est pas cité, alors qu'il était maire de Paris au moment de la Commune, et que son histoire est intéressante. Il avait écrit un livre sur la République qu'un historien de la Commune, William Sherman, présente comme un catéchisme pour les républicains pré-communards, mais Vacherot n'a pas adhéré à la Commune, il a déçu, il a été considéré comme un traître et il a gagné une réputation réactionnaire dès lors. Il n'en reste pas moins qu'il faut regarder de près ce qu'il écrivait avant la Commune, puisqu'il était un penseur de la cause républicaine.
Là, dans cet ouvrage "Philosophie France XIXe siècle", j'ai trouvé le premier extrait de Maine de Biran pas bien terrible, celui de Royer-Collard m'a impressionné et paru puissant, celui de Jouffroy un ton en-dessous du précédent m'a fortement fait songer à des manières d'écrire, à des formules de Rimbaud dans ses lettres dites "du voyant". L'éternel problème, c'est que pour en rendre compte il me faudra une relecture. Il y est question du moi et du sensualisme dans ces premiers textes que j'ai lus.
Aujourd'hui, ce sont les Laeticia Boudou qui ont gagné, c'est désespérant, ou, plus grave, les mensonges systématiques des américains sur l'Ukraine, la Syrie, la Libye, l'Irak, le Kosovo, l'ex-Yougoslavie, la Russie, la prétendue pertinence de l'Union européenne et de l'Otan, la prétendue influence des russes sur les élections américaines, etc, etc. Le monde est en train de devenir fou. Mais, au-delà de la gratuité de l'acte artistique chez nos contemporains, apprenons que Rimbaud n'existe pas que pour la frime. Ce que je montre, c'est que Rimbaud ce n'est pas "je fais mon petit cri dans mon coin", je montre qu'il se saisit de toute la matière intellectuelle de son époque. Il faisait de l'art avec une ambition intellectuelle, avec le désir d'asseoir de la connaissance. Il n'étudiait sans doute pas les philosophes pour montrer qu'il en était un ou qu'il avait la classe de quelqu'un qui aurait vingt ans d'expérience en ces matières, mais il s'emparait des choses pour que cela réponde à ses questions à lui, il arrivait à en faire quelque chose, car il arrivait à en tirer de l'essentiel et à s'orienter. Rimbaud orientait sa poésie en fonction de ce que la culture avait de meilleur. Ce n'était pas de la vanité.
J'ai ajouté une phrase à ces "confidences", il me fallait préciser que les articles de Maine de Biran, Royer-Collard et Jouffroy parlaient du "moi" et du sensualisme. Pour les plus fins observateurs, il y a d'ailleurs un problème rimbaldien posé (lettres "du voyant" et "autres vies" d'Une saison en enfer) : la tension entre une quête du moi universel et les possibles du moi personnel qu'on expérimente. D'autres choses encore...
RépondreSupprimerAprès, j'ai corrigé deux coquilles, ce que j'ai renoncé à faire pour mal d'articles qui en comportent, mais c'est normal. Les gens ont décidé de m'enfermer dans le rôle d'un gars qui écrit sur Rimbaud, mais qui n'a aucune reconnaissance. Autant envoyer mon mépris à la figure de la société. Pourquoi j'offrirais quelque chose de propre ? Je trouve plus piquant que les gens s'arrêtent à mes coquilles, sachant qu'ils sont obligés de s'avouer qu'ils envient la précision et la justesse de ce que je peux dire sur le texte de Rimbaud. Continuons le cirque en tant que force qui va, comme dirait l'autre.
Salut. J'ai hésité à écrire un simple "Magistral" hier sous votre article de présentation de la prose liminaire, mais n'étant en rien rimbaldien j'ai un peu honte. Je ne vois qu'une seule raison du silence de vos confrères, la jalousie.
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