Un envoi par le poste a le chic pour exaspérer ma patience. Je ne peux donc pas donner le rythme convenu à ma série d'articles. Qu'à cela ne tienne, voici un petit sujet divertissant, toujours en lien avec le 19 juillet 1870, vous allez voir.
Rimbaud avait réagi à un article dans le journal Le Pays par la composition d'un sonnet que nous connaissons aujourd'hui dans une version sans titre : "Morts de Quatre-vingt-douze..." Pour signifier le renvoi satirique, Rimbaud a cité approximativement le texte de cet article dans l'une des très rares épigraphes de son œuvre : "Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, etc...", Paul de Cassagnac, Le Pays. Les épigraphes de Rimbaud sont le plus souvent des mentions de dates ou de lieux, mais ici il s'agit d'une citation. C'est un point commun avec le devoir en vers latins Jugurtha, ce qui ne me semble pas avoir été souligné jusqu'à présent, alors que le rapprochement entre les deux citations est assez intéressant. En tête de Jugurtha, Rimbaud a cité une phrase de Balzac : "... La Providence fait quelquefois reparaître le même homme à travers plusieurs siècles..." L'épigraphe est-elle du Balzac du XVIIème siècle ou du Balzac du XIXème ? Elle sonne très dix-neuvième en fait (Balzac, Sue, etc.). Ce qui est marrant, c'est que dans l'épigraphe de Cassagnac il est question de faire revivre le même peuple à un siècle de distance. Et, de mémoire, je crois que ce sont les deux seules citations en épigraphe qu'on rencontre dans l’œuvre de Rimbaud. Mais, ce qui m'intéresse présentement, c'est l'auteur ciblé, Paul de Cassagnac. Dans le sonnet, nous avons une extension familiale au dernier vers : "- Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !" Rimbaud vise ainsi une famille de journalistes qui soutiennent Napoléon III : Bernard-Adolphe Granier de Cassagnac et Paul de Cassagnac. Dans son livre Rimbaud et la ménagerie impériale, Steve Murphy nous offre sur une même page d'illustration une reproduction de deux caricatures, figure 19 pour Paul de Cassagnac, figure 20 pour le père du précédent (se reporter à l'encart iconographique entre les pages 46 et 47).
Dans l'étude qu'il consacre au poème, le chapitre 4 de son livre (pages 47 à 56), Steve Murphy passe assez vite sur les personnalités qu'étaient les Cassagnac. Il nous rappelle tout de même qu'il s'agissait de redoutables "spadassins".
Mais, ouvrons notre réédition du livre de Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, pour découvrir une extension familiale inattendue. L'ouvrage de Lissagaray peut être consulté sur la toile, mais je préfère la lecture sur un support papier. J'ai donc fait l'acquisition d'un volume avec avant-propos de Jean Maitron, aux éditions La Découverte. Jean Maitron annonce d'emblée qu'il ne veut pas "dresser un portrait en pied de l'auteur", ce qui est bien dommage, mais il consent à le "silhouetter" quelque peu. Nous lisons à la page 5 quinze lignes de condamnation sous le second Empire pour diffamation, plusieurs excitations à la haine, délit de presse, contravention à la loi sur les réunions, coups, infraction à la loi sur les réunions, offenses envers l'empereur à deux reprises, tout cela entre le 5 novembre 1868 et le 28 mai 1870. Page 6, nous apprenons que, réfugié à Londres, Lissagaray a une alercation avec un journaliste du Figaro de passage dans la capitale anglaise. Ce journaliste René de Pont-Jest a publié des articles sur "Les Communards à Londres". Lissagaray le soufflette, mais un procès anglais va l'obliger à s'en arrêter là. Ceci dit, en 1880, suite à l'amnistie, Lissagaray s'empresse d'aller envoyer ses témoins à René de Pont-Jest qui se dérobe au duel, ce qui lui vaut une réponse par lettre ouverte où Lissagaray raille : "les mêmes qui, pendant neuf ans, ont entassé les ordures sur les déportés et les proscrits, visant les femmes, n'épargnant pas les enfants ; les mêmes qui se sont vantés de nous rencontrer en France [....] blêmissent, reculent, demandent des délais, comme s'ils en avaient accordé aux nôtres, et, finalement, fuient leurs rendez-vous." Ce n'est pas piquant, puisque duel il n'y a pas eu, mais au moins c'est violent, franc et pas volé.
En fait, dès la page 5, nous avons été prévenus : Lissagaray est parent avec les fines épées que sont les Cassagnac : "Hippolyte, Prosper, Olivier Lissagaray naquit le 24 novembre 1838 au sein d'une famille basquaise de bonne bourgeoisie apparentée au futur député bonapartiste Paul de Cassagnac."
Nous pouvons en apprendre un peu plus sur les liens entre les Cassagnac et Lissagaray à partir d'une rapide recherche sur internet.
Evidemment, l'intérêt rimbaldien, c'est que Paul de Cassagnac est un repoussoir lors des débuts d'une poésie en vers explicitement engagée de la part de Rimbaud et que Lissagaray est une des fréquentations de Rimbaud et Verlaine à Londres, à la fin de sa carrière de poète. On se demande d'ailleurs pourquoi on n'est pas parvenu à faire parler des sources avec la recherche historienne autour de Jules Andrieu, Lissagaray, Vermersch, etc. Qui plus est, dans l'introduction de son ouvrage, Lissagaray parle des grèves de la fin du second Empire, ce qui est à rapprocher du poème "Le Forgeron" contemporain du sonnet "Morts de quatre-vingt-douze...", et autour du 4 septembre il mobilise bien évidemment un imaginaire similaire à celui de Rimbaud dans son sonnet.
Les Lissagaray et les Cassagnac étaient inévitablement des cousins ennemis, mais ils partageaient un certain sang chaud malgré tout.
Pour clore ce sujet, je propose en lien une vidéo d'un duel tardif d'un Cassagnac. Il s'agit d'un Paul de Cassagnac, mais du fils de celui mentionné par le sonnet de Rimbaud. Le duel eut lieu en 1912 entre cette troisième génération de Cassagnac journaliste-politique-duelliste et Charles Maurras, lequel fut atteint à l'avant-bras.
Les services postaux ne semblent pas très pressés : votre facétieux lecteur (pas que) peut-il en profiter pour poser sur ce blog une question extravagante et inutile : que serait devenu l'apprenant Arthur Rimbaud sans la guerre de 1870 ?
RépondreSupprimerEt ce regret : Il ne fallait pas déclarer la guerre à l'Allemagne monsieur Napoléon III : nous aurions eu plus à lire.
Sans la guerre de 70, le régime aurait-il perduré quelque peu ? Napoléon III était souffrant et est mort en 1873, l'opération pour son calcul étant un échec. Le régime était dans une phase dite "libérale" et dès les premières défaites, dès le 9 août, l'idée d'insurrection pointait le bout de son nez. Je suis incapable bien sûr de me convaincre d'une uchronie ou d'une autre. Rimbaud aurait continué d'écrire de manière plus feutrée. Surtout il n'y aurait pas eu de Commune, puisqu'elle naît de la guerre franco-prussienne et de la chute de l'Empire. La Commune n'était pas possible autrement en fait. Je n'ai pas compris "nous aurions eu plus à lire". Enfin, ce n'est pas Napoléon III qui a voulu la guerre, c'est son entourage. Lui, il n'était pas chaud. Il faudrait aussi parler de la réforme de l'armée en cours, car la France aurait été peut-être prête en 1875. En effet, Danemark 64 et Autriche 66 avaient prévenu l'armée française d'une nécessaire réforme. Celle-ci était un peu sabrée dans son cours, mais en 1870 l'armée française n'était clairement pas prête. Cela a permis la chute du régime du moins et une défaite assez rapide pour amoindrir le nombre de morts.
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